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| - Portrait de Jacquard (fr)
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| - À l'Exposition des produits de l'industrie française de 1827, Étienne Maisiat (1794-1848) présente deux tableaux tissés qui sont unanimement admirés : le Testament de Louis XVI (inv. MT 7915) et la Lettre de Marie-Antoinette à Madame Élisabeth. Véritable tour de force technique, qui emploie de fines découpures et des liages presque invisibles et nécessite une extrême régularité de battage, ces tableaux imitent à la perfection la gravure en taille-douce. Étienne Maisiat obtient une médaille d'or pour ces tissages, et son procédé imitant la gravure est vite adopté par les fabricants lyonnais.
Après 1830, le fait de proposer une imitation de la gravure en tissage ne suffisait plus à convaincre le jury des Expositions des produits français de l'industrie. Maisiat avait atteint la perfection dans ce domaine, et c'est par d'autres moyens qu'il fallait attirer l'attention des jurés si l'on souhaitait se faire remarquer dans ce domaine. Le Rapport du jury central pour l'Exposition de 1839 est éloquent. La maison Didier-Petit et Cie avait reçu une médaille d'argent dès 1827 dans sa spécialité, les étoffes pour meubles et ornements d'église, confirmée en 1834, alors qu'elle développait parallèlement la production de tissus pour l'exportation. Elle obtient en 1839 un rappel de médaille d'argent pour les mêmes raisons, mais le rapport précise : « Ces fabricants ont aussi exposé un portrait de M. Jacquard d'une grande perfection de tissu. C'est une idée fort heureuse qu'ils ont eue de reproduire son image avec l'ingénieux métier dont il est l'inventeur. Ce portrait, d'une exécution parfaite, fait grand honneur à ces habiles manufacturiers. » Le musée des Tissus possède deux exemplaires originaux de ce portrait (inv. MT 2264 et MT 42157). Il a été exécuté selon le procédé mis au point par Maisiat, et comporte les inscriptions : « D'après le tableau de C. Bonnefond », à gauche ; « Exécuté par Didier-Petit et Cie » à droite ; sous le portrait : « A LA MEMOIRE DE J.-M. JACQUARD./ Né à Lyon le 7 Juillet 1752 Mort le 7 Août 1834/ DIDIER PETIT ET CIE LYON M.DCCC.XXXIX. »
Le Portrait de Jacquard montre une excellente application du procédé de Maisiat et de la mise en carte dite « en taille-douce ». Mais s'il marque un tournant dans l'histoire du portrait tissé, c'est parce que Jacquard est le premier bourgeois à rejoindre le panthéon des hommes illustres figurés en tissage par la Fabrique. Jusqu'à sa réalisation, les modèles étaient des souverains et des princes, appartenant à la famille des Bourbons (Louis XV, inv. MT 45306 ; le comte de Provence, inv. MT 2856 ; la comtesse de Provence, inv. MT 45307 ; le comte d'Artois, inv. MT 2857 ; Madame Royale, duchesse d'Angoulême, inv. MT 46440, MT 2160.2, MT 31508 et MT 2074 ; le duc d'Angoulême, inv. MT 26983 ; Louis XVIII, inv. MT 2160.1 et MT 25687 ; Charles X, inv. MT 30603) ou des Orléans (Louis-Philippe, inv. MT 23121 et MT 30972 ; Marie-Amélie, inv. MT 51092), à l'exception de l'empereur Napoléon Ier (inv. MT 2153, MT 2025, MT 23189, MT 34255) et des souverains étrangers (Catherine II de Russie, inv. MT 2869 ; Frédéric le Grand, inv. MT 2161 et MT 34274.1 ; Louise de Prusse, inv. MT 1149 et MT 34274.4 ; Frédéric-Guillaume III de Prusse, inv. MT 1148 ; Alexandre Ier de Russie, François Ier d'Autriche et Frédéric-Guillaume III de Prusse, inv. MT 24825). Et voici qu'un homme du peuple accède brusquement à la prestigieuse galerie des portraits tissés. À qui doit-on attribuer l'audace d'une telle idée ?
Une correspondance, échangée entre 1895 et 1896 entre le directeur du musée historique des Tissus de Lyon, Antonin Terme, et le dessinateur J.-L. (Jean-Louis ?) Moulin, révèle que c'est le metteur en carte lui-même qui proposa le sujet. Cette correspondance est conservée dans les archives du musée des Tissus. François Didier-Petit (François-Didier Petit de Meurville, 1793-1873) en avait accepté l'idée avec bonheur, imaginant d'en faire une opération publicitaire pour la maison.
Joseph-Marie Jacquard était mort cinq ans auparavant, quelques mois seulement après la vive répression de la deuxième insurrection des canuts d'avril 1834. Il avait déjà connu de son vivant les honneurs de ses concitoyens. En 1832, le maire Victor-Gabriel Prunelle avait d'ailleurs commandé sur les arrérages du legs Grognard son portrait pour la galerie des Lyonnais célèbres. La réalisation en fut confiée au peintre Jean-Claude Bonnefond, alors directeur de l'École des Beaux-Arts. Le tableau, dont le musée des Tissus possède une étude préparatoire au crayon noir (inv. MT 445), était achevé en 1834. Le 10 août, trois jours seulement après la mort de Jacquard, l'article suivant paraissait dans Le Courrier de Lyon : « Tous les Lyonnais qui se trouvaient à Paris ont certainement remarqué à l'exposition du Louvre un très beau portrait du célèbre Jacquard dû au pinceau de M. Bonnefond, directeur de notre école de peinture. Ce portrait également remarquable sous le rapport du dessin et de la couleur et qui était généralement reconnu comme un des meilleurs ouvrages du salon avait en même temps le mérite d'une ressemblance parfaite. Nous apprenons avec plaisir que M. Bonnefond vient de faire un dessin de ce beau portrait, qu'il n'a pas dédaigné de lithographier lui-même ; c'est une heureuse nouvelle pour les amis de la gloire de la ville, pour tous ceux qui ont appris avec tant de douleur la perte immense qu'elle venait de faire. Cette lithographie remarquable, d'une ressemblance on ne peut plus parfaite (...) bientôt, sans doute, (...) fera l'ornement des comptoirs de nos fabricants et de tous nos ateliers. »
Didier-Petit obtint l'autorisation de Bonnefond de reproduire son tableau. En présence du peintre, la toile fut déposée au musée Saint-Pierre, décalquée par Moulin qui travailla deux mois et demi à sa mise en carte, aidé par un dessin de Joseph-Victor Vibert et les conseils de son auteur, alors professeur à l'École des Beaux-Arts de Lyon. Le tissage fut confié au maître-ouvrier Michel-Marie Carquillat.
La fortune du portrait tissé fut immédiate et considérable. On loue d'abord l'imitation parfaite de la gravure, comme on l'avait fait en 1827 quand Maisiat avait présenté Le Testament de Louis XVI et La Lettre de Marie-Antoinette à Madame Élisabeth. Mais la surprise suscitée par l'exceptionnel trompe-l'œil de Maisiat avait rapidement fait place à l'admiration générée par les modifications apportées au métier qui avaient permis cette prouesse. L'exécution du Portrait de Jacquard n'a pas nécessité d'innovation technique remarquable. Les critiques saluent donc la qualité d'exécution du portrait, et l'idée de représenter Jacquard en exploitant la mécanique dont il était l'inventeur. Mais ni le metteur en carte qui eut l'idée de reproduire le tableau de Bonnefond et qui travailla à la transcription de la lithographie de Vibert ni le tisseur qui exécuta le portrait ne sont mentionnés. Moulin, le dessinateur, et Carquillat, regrettèrent amèrement que leur nom ne figure point dans les légendes du Portrait de Jacquard.
Voici le récit que donne J.-L. Moulin de cette affaire : « Monsieur (lettre adressée à Antonin Terme), j'ai l'honneur de vous soumettre ce qui s'est passé dans la maison Didier-Petit au sujet du portrait de Jacquard, et ce que mes souvenirs me permettent d'affirmer. Au commencement de l'année 1839, Monsieur Didier-Petit et ses employés nous cherchions un sujet pour l'Exposition à Paris. J'ai proposé le portrait de Jacquard, d'après le tableau de Monsieur Bonnefond. Mais il fallait bien des choses ! D'abord l'autorisation de Monsieur Bonnefond. Monsieur Didier-Petit l'obtint mais cela ne suffisait pas. Il a fallu que le tableau soit posé d'abord à terre dans le musée même et couvert d'un papier végétal agrandi, avoir des marchepieds suffisants pour calquer ce tableau en haut et en bas. Tout cela me fut accordé. Monsieur Bonnefond était présent, ainsi que la plupart des employés du Palais. Je m'appliquai à relever le plus fidèlement le personnage du tableau, le reste alla très vite, quelques heures suffirent pour l'ensemble du travail et le tableau fut bientôt remis en place. Le lendemain matin, j'allai faire ma visite à Monsieur Bonnefond, le remercier de cette grande confiance dont il m'avait honoré. Tout cela me poussait à bien faire. J'eus à remercier aussi Monsieur Vibert qui était à l'époque professeur de gravure à l'école du Palais Saint-Pierre pour avoir prêté à Monsieur Didier-Petit un dessin du portrait de Jacquard qui m'a été très utile et il venait de temps en temps voir où en était ce travail et me donner des conseils. La mise en carte étant finie, je demandais à Monsieur Didier-Petit l'autorisation de mettre mon nom en petits caractères, au bas du portrait à droite. Il ne voulut pas, et il me fallut mettre le sien, Didier-Petit. Fin novembre, même année, pour motif d'intérêt, je changeais de maison. Plus tard encore, je changeais ma position et j'organisais un cabinet de dessin. Longtemps après cette époque, j'appris que Monsieur Carquillat, tisseur de Monsieur Didier-Petit, avait cessé de travailler pour lui, c'est-à-dire que la maison n'existait plus et que Monsieur Carquillat était possesseur de la mise en carte du portrait de Jacquard, de mon travail. Je m'empressais d'aller le voir et je lui demandai de la montrer et de me la prêter ce qu'il fit avec beaucoup de plaisir. Nous nous connaissions déjà de la maison Didier-Petit. Ayant chez moi cette mise en carte, je m'empressai de la faire copier, j'y employais quatre de mes dessinateurs la carte étant divisée en deux, dans la longueur, le travail devenait plus facile. Je m'appliquais moi-même à suivre point par point leur travail. J'aurais voulu pouvoir continuer plus longtemps mais cela ne m'a pas été possible. On la réclamait. J'ai cherché de nouveau à savoir de Monsieur Carquillat à qui elle appartenait. Je n'ai pas pu le savoir. J'aurais voulu faire ce travail plus grand. Cela ne m'a pas été possible. » La mise en carte originale est aujourd'hui perdue. Mais la copie réalisée par Moulin lui-même a été donnée par son auteur au musée des Tissus qui la conserve (inv. MT 25800).
Michel-Marie Carquillat (1803-1884) sut mieux tirer profit de l'exceptionnelle publicité assurée à la maison Didier-Petit et Cie par le Portrait de Jacquard. Fils de cultivateurs au Petit-Bornand devenu orphelin, Carquillat arriva à Lyon vers l'âge de douze ans « avec trente centimes en poche. » D'abord apprenti tisseur, puis compagnon, il devint maître-tisseur et dirigeait un atelier de quelques métiers. Il y réalisait le travail que lui confiaient les fabricants comme Didier-Petit et Cie, Verzier-Bonnat ou Mathevon et Bouvard frères. Il reçut l'honneur d'une visite à son atelier du colonel Henri d'Orléans, duc d'Aumale, le 24 août 1841. Ce dernier, au retour d'une campagne en Algérie qu'il avait menée en 1841 à la tête de son régiment, le 17e léger, avait fait un séjour à Lyon du 22 au 26 août. Accompagné du président et du vice-président du Conseil des Prud'hommes, Antoine Riboud et Claude-François-Pascal Arquillière, de Jacques Mathevon père, fabricant, et de quelques autres personnes, il se rendit aux ateliers de la Croix-Rousse. Il vit des métiers pour le tissage des écharpes chez Martinon, des châles en soie chez Goy, avant d'aller chez Carquillat. Deux ans plus tard, le 22 septembre 1843, son frère, le duc de Nemours, visite lui aussi les ateliers en compagnie de son épouse, notamment ceux d'Auburtier, Martinon, Dufour, Dangle et Gringlet. On sait, par un courrier de son secrétaire des Commandements, qu'il se rendit aussi à l'atelier de Carquillat. Le maître-tisseur offrit au prince le Portrait de Jacquard. De retour à Paris, ce dernier lui en exprima sa reconnaissance en faisant envoyer au maître-ouvrier une médaille d'or destinée à lui rappeler « toute sa satisfaction » (archives du musée des Tissus).
Carquillat avait alors déjà conçu le projet d'un singulier tableau qu'il espérait présenter à l'Exposition des produits de l'industrie française de 1844. Il en avait commandé pour cinq cents francs le dessin à Jean-Claude Bonnefond. Le sujet était la visite du duc d'Aumale à son atelier. André Manin (vers 1817-1885), ancien élève de l'École des Beaux-Arts, établi dessinateur à Lyon, fut chargé de la mise en carte. Carquillat réalise une opération d'autopromotion sans précédent. En sollicitant Bonnefond, il choisit un peintre reconnu, qui a déjà garanti le succès du tableau tissé pour la maison Didier-Petit et Cie, réputé, de surcroît, pour être un « orléaniste bon teint. » Le musée des Tissus conserve à la fois les dessins préparatoires à la composition d'ensemble et aux différents personnages de la scène (inv. MT 26506.1 à MT 26506.8 et MAD 3090), et le tableau tissé (inv. MT 24735). Au centre de la composition se tient le duc d'Aumale. Mathevon, à droite, son chapeau haut-de-forme à la main, introduit Carquillat qui déploie le Portrait de Jacquard. Le groupe à gauche est composé du lieutenant-général baron Aymard, du préfet Jayr, du président Riboud et du maire Cabias. Dans le fond un ouvrier travaille au métier. À l'extrême droite, Geneviève Pernollet-Carquillat a fait chercher sa fille qui jouait au cerceau. Un jeune rondier, entré incidamment dans l'atelier, s'arrête et soulève son chapeau avec respect. Tous les détails de l'atelier ont été représentés, la suspente où dort le jeune ouvrier, la mécanique à dévider et l'horloge, qui marque trois heures moins le quart, le métier et sa mécanique Jacquard, la lanterne, le chelut et, à terre, des roquets, des cartons Jacquard et des poulies témoignant que la visite a eu lieu à l'improviste.
Des inscriptions sous l'image en identifient l'auteur — « Peint par C. Bonnefond », à gauche —, le tisseur — « Tissé par Carquillat », au centre — et le metteur en carte — « Dessiné et mis en carte par A. Manin », à droite —, informations qui faisaient défaut sur le Portrait de Jacquard, où seuls étaient cités Bonnefond et la maison Didier-Petit et Cie. Toujours dans la partie inférieure, la ville de Lyon est symbolisée par son emblème, le lion, au-dessus duquel se déploie le titre de la scène : « Visite de Mgr le Duc d'Aumale a la Croix-Rousse, dans l'atelier de M. Carquillat,/ le 24 août 1841 ». À gauche, on lit : « Le général baron AYMARD, commandant de la 7e Don militaire./ M. JAYR Conseiller-d'Etat, Prefet du Rhône./ M. CABIAS, Maire de la Croix-Rousse. », et, à droite, « M. RIBOUD, président du Conseil des Prud'hommes./ M. MATHEVON, membre de la Chambre/ de Commerce de Lyon. » ; en bas, cette instructive dédicace : « Dédié au Roi/ Par Mel Carquillat, en 1844. » Le nom de Carquillat n'apparaît pas moins de trois fois ! Voilà de quoi réparer l'anonymat dans lequel l'avait maintenu la commande de Didier-Petit. Et pour rappeler qu'il a exécuté le Portrait de Jacquard, Carquillat fait de son premier portrait tissé le sujet principal du tableau, déployé au centre de la composition. L'employé dans le fond suspendant son battant pour se tourner vers l'illustre groupe, travaille sur le métier même qui a réalisé le chef-d'œuvre. L'horloge, à l'arrière-plan, marque la minute solennelle qui a vu s'accomplir un événement aussi notable. La commande passée à Bonnefond relève de la peinture d'histoire. Carquillat n'hésite pas à intervenir lui-même dans le portrait collectif. La Visite du duc d'Aumale est le seul autoportrait jamais produit par la Fabrique lyonnaise. Le maître-ouvrier dédie son tableau au roi, comme le font les auteurs ou les graveurs. C'est un autre fait inédit dans l'histoire du portrait tissé.
Carquillat présente La Visite du duc d'Aumale à l'Exposition des produits de l'industrie française de 1844 et c'est en son nom propre qu'il obtient une médaille de bronze. « M. Carquillat, maître-ouvrier, à Lyon (Rhône). A tissé un tableau représentant la visite faite dans son atelier par M. le duc d'Aumale à son retour d'Afrique. Ce tableau reproduit fidèlement treize (sic) personnages, d'après une toile de M. Bonnefond, directeur de l'école de dessin et de peinture de Lyon. L'exécution de ce travail a nécessité la création d'un métier à cinq mécaniques Jacquart (sic) , beaucoup d'intelligence, de soins et d'argent. Rien n'a arrêté M. Carquillat et le succès a couronné ses efforts. Le jury lui décerne la médaille de bronze. »
Le nom de Carquillat est enfin entendu. Le tisseur du Testament de Louis XVI, Pierre Chalet, n'avait pas eu droit à tant d'honneurs : il n'avait reçu qu'une médaille d'encouragement de la Société de lecture et des amis des Arts de Lyon. À partir de cette date, Michel-Marie Carquillat se spécialise dans l'exécution de portraits tissés à l'imitation de la gravure, genre dans lequel il excelle jusqu'à sa mort.
Maximilien Durand (fr)
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| - À l'Exposition des produits de l'industrie française de 1827, Étienne Maisiat (1794-1848) présente deux tableaux tissés qui sont unanimement admirés : le Testament de Louis XVI (inv. MT 7915) et la Lettre de Marie-Antoinette à Madame Élisabeth. Véritable tour de force technique, qui emploie de fines découpures et des liages presque invisibles et nécessite une extrême régularité de battage, ces tableaux imitent à la perfection la gravure en taille-douce. Étienne Maisiat obtient une médaille d'or pour ces tissages, et son procédé imitant la gravure est vite adopté par les fabricants lyonnais.
Après 1830, le fait de proposer une imitation de la gravure en tissage ne suffisait plus à convaincre le jury des Expositions des produits français de l'industrie. Maisiat avait atteint la perfection dans ce domaine, et c'est par d'autres moyens qu'il fallait attirer l'attention des jurés si l'on souhaitait se faire remarquer dans ce domaine. Le Rapport du jury central pour l'Exposition de 1839 est éloquent. La maison Didier-Petit et Cie avait reçu une médaille d'argent dès 1827 dans sa spécialité, les étoffes pour meubles et ornements d'église, confirmée en 1834, alors qu'elle développait parallèlement la production de tissus pour l'exportation. Elle obtient en 1839 un rappel de médaille d'argent pour les mêmes raisons, mais le rapport précise : « Ces fabricants ont aussi exposé un portrait de M. Jacquard d'une grande perfection de tissu. C'est une idée fort heureuse qu'ils ont eue de reproduire son image avec l'ingénieux métier dont il est l'inventeur. Ce portrait, d'une exécution parfaite, fait grand honneur à ces habiles manufacturiers. » Le musée des Tissus possède deux exemplaires originaux de ce portrait (inv. MT 2264 et MT 42157). Il a été exécuté selon le procédé mis au point par Maisiat, et comporte les inscriptions : « D'après le tableau de C. Bonnefond », à gauche ; « Exécuté par Didier-Petit et Cie » à droite ; sous le portrait : « A LA MEMOIRE DE J.-M. JACQUARD./ Né à Lyon le 7 Juillet 1752 Mort le 7 Août 1834/ DIDIER PETIT ET CIE LYON M.DCCC.XXXIX. »
Le Portrait de Jacquard montre une excellente application du procédé de Maisiat et de la mise en carte dite « en taille-douce ». Mais s'il marque un tournant dans l'histoire du portrait tissé, c'est parce que Jacquard est le premier bourgeois à rejoindre le panthéon des hommes illustres figurés en tissage par la Fabrique. Jusqu'à sa réalisation, les modèles étaient des souverains et des princes, appartenant à la famille des Bourbons (Louis XV, inv. MT 45306 ; le comte de Provence, inv. MT 2856 ; la comtesse de Provence, inv. MT 45307 ; le comte d'Artois, inv. MT 2857 ; Madame Royale, duchesse d'Angoulême, inv. MT 46440, MT 2160.2, MT 31508 et MT 2074 ; le duc d'Angoulême, inv. MT 26983 ; Louis XVIII, inv. MT 2160.1 et MT 25687 ; Charles X, inv. MT 30603) ou des Orléans (Louis-Philippe, inv. MT 23121 et MT 30972 ; Marie-Amélie, inv. MT 51092), à l'exception de l'empereur Napoléon Ier (inv. MT 2153, MT 2025, MT 23189, MT 34255) et des souverains étrangers (Catherine II de Russie, inv. MT 2869 ; Frédéric le Grand, inv. MT 2161 et MT 34274.1 ; Louise de Prusse, inv. MT 1149 et MT 34274.4 ; Frédéric-Guillaume III de Prusse, inv. MT 1148 ; Alexandre Ier de Russie, François Ier d'Autriche et Frédéric-Guillaume III de Prusse, inv. MT 24825). Et voici qu'un homme du peuple accède brusquement à la prestigieuse galerie des portraits tissés. À qui doit-on attribuer l'audace d'une telle idée ?
Une correspondance, échangée entre 1895 et 1896 entre le directeur du musée historique des Tissus de Lyon, Antonin Terme, et le dessinateur J.-L. (Jean-Louis ?) Moulin, révèle que c'est le metteur en carte lui-même qui proposa le sujet. Cette correspondance est conservée dans les archives du musée des Tissus. François Didier-Petit (François-Didier Petit de Meurville, 1793-1873) en avait accepté l'idée avec bonheur, imaginant d'en faire une opération publicitaire pour la maison.
Joseph-Marie Jacquard était mort cinq ans auparavant, quelques mois seulement après la vive répression de la deuxième insurrection des canuts d'avril 1834. Il avait déjà connu de son vivant les honneurs de ses concitoyens. En 1832, le maire Victor-Gabriel Prunelle avait d'ailleurs commandé sur les arrérages du legs Grognard son portrait pour la galerie des Lyonnais célèbres. La réalisation en fut confiée au peintre Jean-Claude Bonnefond, alors directeur de l'École des Beaux-Arts. Le tableau, dont le musée des Tissus possède une étude préparatoire au crayon noir (inv. MT 445), était achevé en 1834. Le 10 août, trois jours seulement après la mort de Jacquard, l'article suivant paraissait dans Le Courrier de Lyon : « Tous les Lyonnais qui se trouvaient à Paris ont certainement remarqué à l'exposition du Louvre un très beau portrait du célèbre Jacquard dû au pinceau de M. Bonnefond, directeur de notre école de peinture. Ce portrait également remarquable sous le rapport du dessin et de la couleur et qui était généralement reconnu comme un des meilleurs ouvrages du salon avait en même temps le mérite d'une ressemblance parfaite. Nous apprenons avec plaisir que M. Bonnefond vient de faire un dessin de ce beau portrait, qu'il n'a pas dédaigné de lithographier lui-même ; c'est une heureuse nouvelle pour les amis de la gloire de la ville, pour tous ceux qui ont appris avec tant de douleur la perte immense qu'elle venait de faire. Cette lithographie remarquable, d'une ressemblance on ne peut plus parfaite (...) bientôt, sans doute, (...) fera l'ornement des comptoirs de nos fabricants et de tous nos ateliers. »
Didier-Petit obtint l'autorisation de Bonnefond de reproduire son tableau. En présence du peintre, la toile fut déposée au musée Saint-Pierre, décalquée par Moulin qui travailla deux mois et demi à sa mise en carte, aidé par un dessin de Joseph-Victor Vibert et les conseils de son auteur, alors professeur à l'École des Beaux-Arts de Lyon. Le tissage fut confié au maître-ouvrier Michel-Marie Carquillat.
La fortune du portrait tissé fut immédiate et considérable. On loue d'abord l'imitation parfaite de la gravure, comme on l'avait fait en 1827 quand Maisiat avait présenté Le Testament de Louis XVI et La Lettre de Marie-Antoinette à Madame Élisabeth. Mais la surprise suscitée par l'exceptionnel trompe-l'œil de Maisiat avait rapidement fait place à l'admiration générée par les modifications apportées au métier qui avaient permis cette prouesse. L'exécution du Portrait de Jacquard n'a pas nécessité d'innovation technique remarquable. Les critiques saluent donc la qualité d'exécution du portrait, et l'idée de représenter Jacquard en exploitant la mécanique dont il était l'inventeur. Mais ni le metteur en carte qui eut l'idée de reproduire le tableau de Bonnefond et qui travailla à la transcription de la lithographie de Vibert ni le tisseur qui exécuta le portrait ne sont mentionnés. Moulin, le dessinateur, et Carquillat, regrettèrent amèrement que leur nom ne figure point dans les légendes du Portrait de Jacquard.
Voici le récit que donne J.-L. Moulin de cette affaire : « Monsieur (lettre adressée à Antonin Terme), j'ai l'honneur de vous soumettre ce qui s'est passé dans la maison Didier-Petit au sujet du portrait de Jacquard, et ce que mes souvenirs me permettent d'affirmer. Au commencement de l'année 1839, Monsieur Didier-Petit et ses employés nous cherchions un sujet pour l'Exposition à Paris. J'ai proposé le portrait de Jacquard, d'après le tableau de Monsieur Bonnefond. Mais il fallait bien des choses ! D'abord l'autorisation de Monsieur Bonnefond. Monsieur Didier-Petit l'obtint mais cela ne suffisait pas. Il a fallu que le tableau soit posé d'abord à terre dans le musée même et couvert d'un papier végétal agrandi, avoir des marchepieds suffisants pour calquer ce tableau en haut et en bas. Tout cela me fut accordé. Monsieur Bonnefond était présent, ainsi que la plupart des employés du Palais. Je m'appliquai à relever le plus fidèlement le personnage du tableau, le reste alla très vite, quelques heures suffirent pour l'ensemble du travail et le tableau fut bientôt remis en place. Le lendemain matin, j'allai faire ma visite à Monsieur Bonnefond, le remercier de cette grande confiance dont il m'avait honoré. Tout cela me poussait à bien faire. J'eus à remercier aussi Monsieur Vibert qui était à l'époque professeur de gravure à l'école du Palais Saint-Pierre pour avoir prêté à Monsieur Didier-Petit un dessin du portrait de Jacquard qui m'a été très utile et il venait de temps en temps voir où en était ce travail et me donner des conseils. La mise en carte étant finie, je demandais à Monsieur Didier-Petit l'autorisation de mettre mon nom en petits caractères, au bas du portrait à droite. Il ne voulut pas, et il me fallut mettre le sien, Didier-Petit. Fin novembre, même année, pour motif d'intérêt, je changeais de maison. Plus tard encore, je changeais ma position et j'organisais un cabinet de dessin. Longtemps après cette époque, j'appris que Monsieur Carquillat, tisseur de Monsieur Didier-Petit, avait cessé de travailler pour lui, c'est-à-dire que la maison n'existait plus et que Monsieur Carquillat était possesseur de la mise en carte du portrait de Jacquard, de mon travail. Je m'empressais d'aller le voir et je lui demandai de la montrer et de me la prêter ce qu'il fit avec beaucoup de plaisir. Nous nous connaissions déjà de la maison Didier-Petit. Ayant chez moi cette mise en carte, je m'empressai de la faire copier, j'y employais quatre de mes dessinateurs la carte étant divisée en deux, dans la longueur, le travail devenait plus facile. Je m'appliquais moi-même à suivre point par point leur travail. J'aurais voulu pouvoir continuer plus longtemps mais cela ne m'a pas été possible. On la réclamait. J'ai cherché de nouveau à savoir de Monsieur Carquillat à qui elle appartenait. Je n'ai pas pu le savoir. J'aurais voulu faire ce travail plus grand. Cela ne m'a pas été possible. » La mise en carte originale est aujourd'hui perdue. Mais la copie réalisée par Moulin lui-même a été donnée par son auteur au musée des Tissus qui la conserve (inv. MT 25800).
Michel-Marie Carquillat (1803-1884) sut mieux tirer profit de l'exceptionnelle publicité assurée à la maison Didier-Petit et Cie par le Portrait de Jacquard. Fils de cultivateurs au Petit-Bornand devenu orphelin, Carquillat arriva à Lyon vers l'âge de douze ans « avec trente centimes en poche. » D'abord apprenti tisseur, puis compagnon, il devint maître-tisseur et dirigeait un atelier de quelques métiers. Il y réalisait le travail que lui confiaient les fabricants comme Didier-Petit et Cie, Verzier-Bonnat ou Mathevon et Bouvard frères. Il reçut l'honneur d'une visite à son atelier du colonel Henri d'Orléans, duc d'Aumale, le 24 août 1841. Ce dernier, au retour d'une campagne en Algérie qu'il avait menée en 1841 à la tête de son régiment, le 17e léger, avait fait un séjour à Lyon du 22 au 26 août. Accompagné du président et du vice-président du Conseil des Prud'hommes, Antoine Riboud et Claude-François-Pascal Arquillière, de Jacques Mathevon père, fabricant, et de quelques autres personnes, il se rendit aux ateliers de la Croix-Rousse. Il vit des métiers pour le tissage des écharpes chez Martinon, des châles en soie chez Goy, avant d'aller chez Carquillat. Deux ans plus tard, le 22 septembre 1843, son frère, le duc de Nemours, visite lui aussi les ateliers en compagnie de son épouse, notamment ceux d'Auburtier, Martinon, Dufour, Dangle et Gringlet. On sait, par un courrier de son secrétaire des Commandements, qu'il se rendit aussi à l'atelier de Carquillat. Le maître-tisseur offrit au prince le Portrait de Jacquard. De retour à Paris, ce dernier lui en exprima sa reconnaissance en faisant envoyer au maître-ouvrier une médaille d'or destinée à lui rappeler « toute sa satisfaction » (archives du musée des Tissus).
Carquillat avait alors déjà conçu le projet d'un singulier tableau qu'il espérait présenter à l'Exposition des produits de l'industrie française de 1844. Il en avait commandé pour cinq cents francs le dessin à Jean-Claude Bonnefond. Le sujet était la visite du duc d'Aumale à son atelier. André Manin (vers 1817-1885), ancien élève de l'École des Beaux-Arts, établi dessinateur à Lyon, fut chargé de la mise en carte. Carquillat réalise une opération d'autopromotion sans précédent. En sollicitant Bonnefond, il choisit un peintre reconnu, qui a déjà garanti le succès du tableau tissé pour la maison Didier-Petit et Cie, réputé, de surcroît, pour être un « orléaniste bon teint. » Le musée des Tissus conserve à la fois les dessins préparatoires à la composition d'ensemble et aux différents personnages de la scène (inv. MT 26506.1 à MT 26506.8 et MAD 3090), et le tableau tissé (inv. MT 24735). Au centre de la composition se tient le duc d'Aumale. Mathevon, à droite, son chapeau haut-de-forme à la main, introduit Carquillat qui déploie le Portrait de Jacquard. Le groupe à gauche est composé du lieutenant-général baron Aymard, du préfet Jayr, du président Riboud et du maire Cabias. Dans le fond un ouvrier travaille au métier. À l'extrême droite, Geneviève Pernollet-Carquillat a fait chercher sa fille qui jouait au cerceau. Un jeune rondier, entré incidamment dans l'atelier, s'arrête et soulève son chapeau avec respect. Tous les détails de l'atelier ont été représentés, la suspente où dort le jeune ouvrier, la mécanique à dévider et l'horloge, qui marque trois heures moins le quart, le métier et sa mécanique Jacquard, la lanterne, le chelut et, à terre, des roquets, des cartons Jacquard et des poulies témoignant que la visite a eu lieu à l'improviste.
Des inscriptions sous l'image en identifient l'auteur — « Peint par C. Bonnefond », à gauche —, le tisseur — « Tissé par Carquillat », au centre — et le metteur en carte — « Dessiné et mis en carte par A. Manin », à droite —, informations qui faisaient défaut sur le Portrait de Jacquard, où seuls étaient cités Bonnefond et la maison Didier-Petit et Cie. Toujours dans la partie inférieure, la ville de Lyon est symbolisée par son emblème, le lion, au-dessus duquel se déploie le titre de la scène : « Visite de Mgr le Duc d'Aumale a la Croix-Rousse, dans l'atelier de M. Carquillat,/ le 24 août 1841 ». À gauche, on lit : « Le général baron AYMARD, commandant de la 7e Don militaire./ M. JAYR Conseiller-d'Etat, Prefet du Rhône./ M. CABIAS, Maire de la Croix-Rousse. », et, à droite, « M. RIBOUD, président du Conseil des Prud'hommes./ M. MATHEVON, membre de la Chambre/ de Commerce de Lyon. » ; en bas, cette instructive dédicace : « Dédié au Roi/ Par Mel Carquillat, en 1844. » Le nom de Carquillat n'apparaît pas moins de trois fois ! Voilà de quoi réparer l'anonymat dans lequel l'avait maintenu la commande de Didier-Petit. Et pour rappeler qu'il a exécuté le Portrait de Jacquard, Carquillat fait de son premier portrait tissé le sujet principal du tableau, déployé au centre de la composition. L'employé dans le fond suspendant son battant pour se tourner vers l'illustre groupe, travaille sur le métier même qui a réalisé le chef-d'œuvre. L'horloge, à l'arrière-plan, marque la minute solennelle qui a vu s'accomplir un événement aussi notable. La commande passée à Bonnefond relève de la peinture d'histoire. Carquillat n'hésite pas à intervenir lui-même dans le portrait collectif. La Visite du duc d'Aumale est le seul autoportrait jamais produit par la Fabrique lyonnaise. Le maître-ouvrier dédie son tableau au roi, comme le font les auteurs ou les graveurs. C'est un autre fait inédit dans l'histoire du portrait tissé.
Carquillat présente La Visite du duc d'Aumale à l'Exposition des produits de l'industrie française de 1844 et c'est en son nom propre qu'il obtient une médaille de bronze. « M. Carquillat, maître-ouvrier, à Lyon (Rhône). A tissé un tableau représentant la visite faite dans son atelier par M. le duc d'Aumale à son retour d'Afrique. Ce tableau reproduit fidèlement treize (sic) personnages, d'après une toile de M. Bonnefond, directeur de l'école de dessin et de peinture de Lyon. L'exécution de ce travail a nécessité la création d'un métier à cinq mécaniques Jacquart (sic) , beaucoup d'intelligence, de soins et d'argent. Rien n'a arrêté M. Carquillat et le succès a couronné ses efforts. Le jury lui décerne la médaille de bronze. »
Le nom de Carquillat est enfin entendu. Le tisseur du Testament de Louis XVI, Pierre Chalet, n'avait pas eu droit à tant d'honneurs : il n'avait reçu qu'une médaille d'encouragement de la Société de lecture et des amis des Arts de Lyon. À partir de cette date, Michel-Marie Carquillat se spécialise dans l'exécution de portraits tissés à l'imitation de la gravure, genre dans lequel il excelle jusqu'à sa mort.
Maximilien Durand (fr)
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