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  • En 1909, le musée des Tissus acquiert auprès de l’antiquaire lyonnais Tony Martel « deux chasubles incomplètes comprenant vingt-quatre médaillons en broderie française datés du XVe siècle ». Vingt-deux de ces médaillons sont circulaires, les deux autres adoptent la forme d’un panneau gothique. L’ensemble a été réorganisé, à l’époque moderne, en deux croix de chasuble et deux bandes d’orfroi. Les branches supérieure, droite et gauche des croix latines, destinées au dos des chasubles, comportent chacune un médaillon circulaire, la branche inférieure quatre, tandis que leur intersection est marquée par un panneau gothique. Chacune de ces bandes destinées à l’avant des chasubles est ornée de quatre médaillons circulaires. Dans le Compte rendu des travaux de la Chambre de Commerce de Lyon de cette même année, cet ensemble est publié pour la première fois parmi les vingt-cinq acquisitions les plus importantes réalisées au cours de l’année : « broderies de deux chasubles comprenant 24 médaillons à sujets religieux, France XVe siècle ». En 1914, Raymond Cox, directeur du musée des Tissus, publie chez Armand Guérinet son ouvrage intitulé Le musée historique des Tissus. Soieries & Broderies. Renaissance, Louis XIV, Louis XV, Louis XVI, Directoire, Premier Empire, composé d’une notice ouvrant sur deux cents planches, parmi lesquelles figurent, sur les planches 8 et 9, des reproductions pleine page des orfrois de chasuble montés individuellement sur panneau de velours rouge bordé de galons dorés, indiqués comme un « travail du nord de la France datant du XVIe siècle », sans précision concernant le sujet représenté. Cependant, dans cette publication, il est intéressant de constater que sont regroupées sur une même planche une croix de chasuble et une bande d’orfroi, à savoir sur la planche 8, les œuvres portant les numéros d’inventaire MT 29103.2 et MT 29103.4, puis sur la planche 9, celles numérotées MT 29103.1 et MT 29103.3. En 1919, Louis de Farcy publie le IIe supplément de son ambitieux ouvrage La Broderie du XIe siècle jusqu’à nos jours comprenant quatre-vingt cinq nouvelles planches et textes explicatifs. Sur la planche 236, il choisit de faire figurer ces fameuses broderies avec pour légende : « Deux croix et orfrois formés au XVIIe siècle avec des fronteaux du XIVe siècle », complétée par la note suivante : « Ces belles et fines broderies composaient jadis des fronteaux, consacrés à la vie de différents saints, dans le genre des planches nos 42, 154, 201, 242. On les a mutilées au XVIIe siècle pour en faire des chasubles. M. Duponchel, antiquaire, en possède deux presque semblables, ayant subi la même transformation dans un couvent d’Arras, probablement. » En 1929, cet ensemble est à nouveau publié dans le Catalogue des principales pièces exposées. Cette fois, Henri d’Hennezel, directeur du musée des Tissus et du musée des Arts décoratifs, indique que le travail de broderie est « sans doute flamand » et revient à une datation dans le courant du XVe siècle. En 1930, il réitère son analyse dans son ouvrage Pour comprendre les tissus d’art. Ces quatre pièces, accompagnées de photographies, sont intégrées au chapitre consacré aux broderies flamandes et espagnoles : « Au musée des Tissus, se voient plusieurs œuvres flamandes, dont quelques-unes méritent d’être mises à côté des grandes pièces historiques décrites par les inventaires. Ce sont d’abord deux croix et deux orfrois de chasuble formés d’une suite de médaillons polylobés dans lesquels sont figurés divers épisodes de la vie d’un saint. Les scènes brodées en or et en soies de couleurs se détachent sur des fonds guillochés et sont reliés entre elles par des tiges feuillues, ajoutées à une époque postérieure, lors d’un remaniement de ces broderies ; mais, à part ces retouches, elles ont gardé une finesse de coloris et un charme de composition qui les égalent aux enluminures du XVe siècle, dont elles sont contemporaines. » Cette fois, croix de chasuble et bandes d’orfrois sont dissociées, la numérotation des figures concerne d’abord les croix de chasuble puis les bandes d’orfrois, ce qui correspond à la numérotation suivie des quatre éléments composant l’ensemble, en vigueur aujourd’hui dans le livre d’inventaire. Cet ensemble, dont on voit ici les mentions successives dans des ouvrages de référence ayant eu pour but de présenter les trésors de la production textile acquis par la Chambre de Commerce pour son musée d’Art et d’Industrie, fondé en 1856, devenu en 1890 le musée historique des Tissus, illustre la vie et la légende de saint Martin de Tours, inspirées des écrits de son disciple et premier biographe Sulpice Sévère, complétées par les récits des miracles advenus après sa mort compilés par Grégoire de Tours. La thaumaturgie du saint a, en réalité, été reprise par de nombreux hagiographes parmi lesquels peuvent être cités à côté de Jacques de Voragine, le plus célèbre d’entre eux, Paulin de Périgueux, Venance-Fortunat de Poitiers ; Alcuin ; Radbod, évêque d’Utrecht ; Pseudo-Odon, abbé de Cluny ; Richer de Reims ; Pseudo-Herbernus ; Guibert-Martin de Gembloux ; Vincent de Beauvais ; Péan Gastineau ; Gilles d’Orval. D’autres ouvrages anonymes complètent ce corpus, comme par exemple, les Enquestes de Posthumien, Les beaux miracles de monseigneur sainct Martin, ainsi que de nombreuses compilations appelés Martinades. Fondateur du monachisme chrétien occidental, considéré, en France, comme le treizième apôtre et saint patron des dynasties royales, saint Martin de Tours est élu évêque en 370. Il est né, de parents païens, en 316. Son père, soldat puis tribun militaire, s’installe à Ticinum, aujourd’hui Pavie en Italie, où Martin passe sa jeunesse. C’est à l’âge de dix ans, nous précise Sulpice Sévère, qu’il demande à devenir catéchumène contre l’avis de ses parents. À quinze ans, il est enrôlé comme fils de vétéran dans l’armée romaine. Il sert dans la cavalerie en Italie puis en Gaule d’abord sous Constance II puis sous Julien César. C’est durant cette période, alors qu’il est en garnison à Amiens, qu’un soir d’hiver de l’an 337, il aperçoit à l’une des portes de la ville un homme nécessiteux, implorant vainement la charité des passants. Martin, ne possédant que le manteau (ou paludamentum) dont il était revêtu, le coupe en deux avec son épée et porte secours à l’indigent. Cette scène du partage du manteau ou Charité de saint Martin est la plus populaire de sa légende. La nuit suivante, le Christ lui apparaît en songe revêtu de cette aumône et s’adressant aux anges qui l’entourent, il leur dit : « Martin n’étant encore que catéchumène m’a revêtu de ce manteau. » Le reste de son manteau, appelé capella, a été conservé comme la plus précieuse des reliques par les rois mérovingiens. Suite à cette vision, il reçoit le baptême, il est alors âgé de dix-huit ans. Deux ans plus tard, il quitte l’armée et se rend auprès de saint Hilaire, évêque de Poitiers qui lui confère, Martin ayant souvent refusé par humilité de devenir diacre, la fonction d’exorciste, le plus humble degré de la hiérarchie ecclésiastique. Quelque temps après, Martin retourne visiter ses parents en Pannonie, Dieu lui ayant ordonné en songe de les convertir. À son retour, il traverse l’Illyrie et s’arrête un temps en Italie afin de lutter contre l’arianisme, doctrine reconnue comme une hérésie depuis le concile de Nicée en 325. Persécuté par Auxence, évêque de Milan et chef du parti arien, Martin s’exile sur l’île Gallinara. Échappant par la prière aux effets funestes de l’ellébore qu’il avait ingéré par erreur, Martin se rend à Rome puis s’en retourne à Poitiers auprès de saint Hilaire et fonde l’abbaye de Ligugé. Martin acquiert alors une très grande renommée dans la région en ressuscitant un catéchumène mort avant d’avoir reçu le baptême et un esclave mort par pendaison. En 370, Martin est élu évêque de Tours par vox populi. Sans jamais renoncer à vivre comme un moine, dans la plus humble condition, il fonde l’abbaye de Marmoutier. Ses vingt-six années d’épiscopat, jusqu’à sa mort à Candes le 8 novembre 397, sont marquées par de nombreux épisodes miraculeux, dont Sulpice Sévère n’a retenu que les plus remarquables. Saint Martin, au péril de sa vie, lutta à plusieurs reprises contre le démon, renversa de nombreuses idoles et enseigna l’humilité aux grands de ce monde. L’iconographie très érudite de ce cycle brodé de saint Martin présente un nombre conséquent de trente-sept épisodes brodés de la vie du saint depuis son enfance jusqu’aux miracles advenus après sa mort. C’est en 1968, que Margaret B. Freeman, conservateur émérite du Cloisters Museum à New York, livre la première étude approfondie de ces broderies dans son ouvrage intitulé The St. Martin Embroideries. A Fifteenth-Century Series Illustrating the Life and Legend of St. Martin of Tours, dont le point de départ a été l’examen de quatre médaillons brodés, d’une exécution remarquable, acquis en 1947, lors de la vente de la collection Joseph Brummer par le Cloisters Museum pour son Trésor. Ces quatre médaillons, très proches dans leurs dimensions, appartenaient en réalité à deux cycles distincts : celui de saint Martin de Tours et celui de sainte Catherine d’Alexandrie. Stylistiquement, ils ont été rapprochés à l’époque de l’œuvre de Rogier van der Weyden et de ses associés et donc datés des années 1440. Trente-sept médaillons et panneaux ont été recensés pour le cycle de saint Martin. En plus des vingt-deux médaillons et des deux panneaux du musée des Tissus, six médaillons et un panneau sont aujourd’hui conservés dans les collections du Metropolitan Museum de New York : Saint Martin annonçant à ses parents qu’il veut devenir chrétien, inv. 1975.1.1909 ; L’ordination de saint Martin par saint Hilaire, inv. 1975.1.1908 ; La résurrection à Ligugé par saint Martin d’un catéchumène mort avant d’avoir reçu le baptême, inv. 1975.1.1906 ; Saint Martin présentant la coupe de vin au prêtre, inv. 1975.1.1907 ; Saint Martin et les brigands, The Cloisters collection, inv. 47.101.64 ; L’impératrice prosternée aux pieds de saint Martin (ou peut-être plutôt : Saint Martin convertissant sa mère tandis que son père reste dans l’erreur puisque l’« impératrice » ne porte pas la couronne), The Cloisters Collection, inv. 47.101.63 ; Saint Martin et les soldats se repentant de l’avoir frappé, The Cloisters Collection, inv. 1979.139, deux médaillons au Cooper Hewitt Smithsonian Design Museum de New York : Le baptême de saint Martin, inv. 1962.8.1a ; La guérison d’un aveugle et d’un paralytique contre leur gré, inv. 1962.8.1b, un autre à la Walters Arts Gallery de Baltimore : La mort de saint Martin révélée par un chœur céleste à l’évêque de Cologne saint Séverin, inv. 83.322, tandis qu’un dernier médaillon circulaire ayant appartenu à la collection Alastair Bradley Martin est aujourd’hui non localisé : Saint Martin faisant ses adieux à ses parents avant de rejoindre l’armée romaine. Un quatrième panneau est conservé à Paris depuis 1993 au musée national du Moyen Âge - Thermes et hôtel de Cluny (inv. Cl. 23424) : La guérison d’une aveugle devant le tombeau de saint Martin ou peut-être, comme le propose Nicole Reynaud dans son article « Une broderie de l’histoire de saint Martin : Barthélémy d’Eyck et Pierre du Billant », paru en 1997 dans la Revue du Louvre, Le miracle de la jeune fille de Lisieux, « qui venue en bateau, retrouve la lumière et, voyant la basilique y rend grâce aux saints. » Enfin, Margaret Freeman fait état d’un dernier médaillon, de forme ovale, lié à ce cycle de la vie de saint Martin, aujourd’hui en place sur le chaperon d’un pluvial conservé dans l’église Saint-Michel de Gand (L’argent des impôts revient à Tours ou L’argent de Lycontius offert au monastère de saint Martin en remerciement de la guérison de ses esclaves). L’ensemble de ces médaillons, y compris ceux appartenant au cycle de sainte Catherine dont huit seulement sont aujourd’hui repérés, semblent donc avoir appartenu à un ensemble plus important et ainsi avoir composé un cycle décoratif pour une chapelle, c’est-à-dire, un ensemble ornemental pouvant regrouper devant d’autel, nappes et couvertures, chapes et chasubles ornées d’orfrois, tuniques, dalmatiques, corporaliers, ceintures et souliers, sans qu’il soit possible d’évaluer le nombre total de médaillons réalisés, ni même d’identifier avec certitude commanditaires, artistes et destinataires. L’agencement des médaillons sur les ornements conservés au musée des Tissus ne suit pas de logique narrative, même en considérant le sens de lecture inversé, de bas en haut, qui préside, par exemple, à la lecture des vitraux. Ainsi, se présentent pêle-mêle, les scènes suivantes, traditionnellement reconnues ou nouvellement proposées dans le cadre de cette étude. Sur la croix de chasuble (inv. MT 29103.1), figurent de haut en bas : Saint Martin et la brebis tondue ; Les prisonniers délivrés ; La guérison du muet Mauranus ou peut-être comme le propose Nicole Reynaud L’apaisement des flots (panneau gothique) ; Saint Martin élu évêque de Tours ou plutôt Saint Martin intercédant pour les Priscillianistes ; La destruction de la tombe du faux martyr ; Le trône en flammes de l’empereur Valentinien ; Saint Martin demandant à son archidiacre de vêtir un pauvre ; La guérison d’un lépreux à Paris. Sur la bande d’orfroi correspondante (inv. MT 29103.3), de haut en bas : Le reliquaire de saint Martin sur des tréteaux ou peut-être Le roi de Galice demande des reliques du saint et offre une grande quantité d’or et d’argent en échange de la guérison de son fils ; Soleil et pluie sur un vignoble ou peut-être Un champ délivré de la grêle par un dépôt de cire sanctifiée ; Martin avec son diacre et ses disciples ou plutôt Saint Martin élu évêque de Tours ; Martin avec son diacre ou plutôt Saint Martin bénissant l’abbaye de Marmoutier. La seconde chasuble présente sur la croix (inv. MT 29103.2), de haut en bas : Martin et le démon ou plutôt La guérison de l’esclave possédé ; Saint Martin faisant taire un chien ; Saint Martin sorti de sa solitude par une ruse de Ruricius (panneau gothique) ; La guérison de l’esclave de Tétradius ; Saint Martin voit en songe le Christ revêtu de la moitié de manteau offerte au mendiant ; Saint Martin renonce au métier des armes ; Un homme fortuné devant le reliquaire de saint Martin ou peut-être Des pèlerins, dont peut-être Grégoire de Tours lui-même, se recueillant sur le reliquaire de saint Martin ; Saint Martin sauvant une maison des flammes. Sur la bande d’orfroi associée (inv. MT 29103.4), quatre épisodes sont représentés : Martin et son archidiacre avec un manteau ou plutôt Le démon, sous une forme humaine, se présentant à saint Martin ; La mort de saint Martin ; Un homme pendu est sauvé après avoir invoqué saint Martin ; Saint Martin sauve un lièvre poursuivi par des chiens. La désorganisation du récit, mêlant les divers âges du saint et ses nombreux miracles, incite ici à relever les différentes représentations de saint Martin, reconnaissable entre tous par son nimbe. Saint Martin, à l’instar d’autres grands personnages de la fin de l’Antiquité cités à cette époque, n’est pas représenté dans sa réalité historique. Il est au contraire vêtu à la mode du XVe siècle. Ainsi, lorsqu’il renonce au métier des armes (inv. MT 29103.2), le saint est-il tête nue, laissant apparaître sa chevelure blonde coiffée en écuelle. Il porte une tunique à manches longues ceinturée à la taille, les épaules couvertes d’une pèlerine à haut col. Plus tard, lorsqu’il guérit un lépreux à Paris (inv. MT 29103.1), saint Martin, toujours tête nue, sa chevelure blonde lui coulant dans la nuque, est vêtu d’une tunique de dessus fendue le long des jambes, ceinturée à la taille, sa pèlerine rejetée en arrière. C’est d’ailleurs à la suite de cet épisode que Sulpice Sévère rend compte des guérisons miraculeuses opérées par les fils des vêtements de saint Martin, voire même ceux de son cilice, dont on peut penser qu’il est évoqué dans la scène relatant l’apparition du démon sous forme humaine (inv. MT 29103.4). Saint Martin relève de la main droite sa longue tunique rouge, laissant apparaître une tunique du dessous à manches longues de couleur brune (dont le bas a été entièrement repris lors du réassemblage des médaillons), s’accordant à la couleur de son manteau replié sur les épaules, évoquant peut-être ici l’étoffe de crin, instrument de sa mortification. Dans la scène réputée être l’élection de saint Martin à la fonction d’évêque de Tours (inv. MT 29103.1), le personnage nimbé est vêtu d’un costume civil. Chaussé de bottes collantes et coiffé d’un chaperon à bourrelet, saint Martin porte une jaquette rouge à jupe ample et à manches bouffantes ornées d’un courant d’étoffe découpée en écrevisse. Cependant ce costume civil, peut-être un habit de voyage, ajouté à la composition de la scène elle-même, nous amène à proposer ici de reconnaître l’intercession de saint Martin pour les priscillianistes, épisode qui a eu lieu dans la ville de Trèves. En effet, au centre du médaillon, à la manière d’une scène de justice séculière, pourrait se tenir un magistrat se référant à des textes législatifs, secondé par un officier tenant le rouleau sur lequel pourrait être consigné l’interrogatoire ou la condamnation à mort de Priscillien. La scène de l’élection de saint Martin à la fonction d’évêque de Tours serait alors plutôt visible sur la bande d’orfroi portant le numéro d'inventaire MT 29103.3. Comme sur ce dernier médaillon, saint Martin est le plus souvent représenté vêtu de son costume religieux. Sur la croix de chasuble (inv. MT 29103.1), il est à quatre reprises habillé d’une aube blanche à manches étroites, lui couvrant tout le corps, ceinturée dans la scène de la tonte de la brebis par un cingulum cordé, voire agrémentée d’un parement en partie inférieure, visible lorsqu’il demande à son archidiacre de vêtir un pauvre ou encore lorsqu’il bénit l’abbaye de Marmoutier sur la bande d’orfroi (inv. MT 29103.3). Par-dessus cette longue tunique de lin descendant jusqu’aux chevilles, saint Martin porte un pluvial agrafé sur le poitrail, bordé de galons dorés, voire même de pierreries comme dans la scène de la destruction du tombeau du faux martyr (inv. MT 29103.1). Il est coiffé d’une mitre haute, apparue au XVe siècle, bordée d’or, dont les fanons sont visibles notamment dans la scène du trône en flammes (inv. MT 29103.1). Les mains nues, il tient une crosse à velum, le plus fréquemment, de la main gauche. Cette crosse garnie d’une longue pièce d’étoffe blanche attachée au sommet de la hampe sous la volute est celle d’un abbé. Il est évident que l’iconographie rappelle la glorieuse humilité de saint Martin mais également son œuvre d’inventeur du monachisme occidental. Sur la croix de chasuble (inv. MT 29103.2), dans la scène de la guérison de l’esclave Tétradius, saint Martin apparaît cette fois revêtu du costume épiscopal, composé d’une aube, d’une dalmatique fendue sur les côtés jusqu’à la taille et recouverte d’une chasuble ronde ornée d’une bande dorée évoquant le pallium. Sur la scène du sauvetage de la maison en flammes, l’aube de saint Martin est décorée d’un parement en partie inférieure, la dalmatique a, quant à elle, disparu. Enfin, saint Martin, lorsqu’il est sorti de sa solitude par une ruse de Ruricius (panneau gothique à la croisée des bras de la croix), est habillé d’un garde-corps rouge, fendu de manière à libérer les bras, associé à une pèlerine et une calotte de même couleur. L’agencement des médaillons ne présente apparemment aucune logique. Cependant, il est possible de noter que, de la vision simultanée des scènes, se dégagent pour chaque élément d’orfroi des tonalités dominantes, harmonieusement arrangées à l’échelle des costumes et accentuées par les points de reprises datant du remontage des médaillons. Ainsi, la croix de chasuble (inv. MT 29103.1) et la bande d’orfroi (inv. MT 29103.3) mêlent des rouges et des verts, d’où se détachent les apparitions répétées du saint le plus fréquemment mis d’un blanc vif, tandis que sur la croix de chasuble (inv. MT 29103.2) et la bande d’orfroi (inv. MT 29104.4), la palette s’enrichit de teintes bleutées que les vêtements rouges de saint Martin avivent particulièrement. En outre, sur la bande d’orfroi (inv. MT 29104.4), sont regroupés notamment les trois seuls médaillons présentant un décor de souches d’arbre, qui d’après Margaret Freeman seraient d’un même artiste, compte tenu du soin apporté à ces éléments, tandis qu’elle recense jusqu’à sept mains différentes. L’étude stylistique des médaillons et des panneaux, incluant celle des costumes, en regard des manuscrits, des tableaux, des sculptures et des tapisseries du XVe siècle en France et dans les Flandres, a conduit Margaret Freeman à dater les médaillons circulaires des années 1430-1435 et les panneaux gothiques des années 1440-1445. L’analyse technique des médaillons et panneaux brodés conservés au musée des Tissus a, quant à elle, mis en évidence les supports, les techniques et les matériaux employés, à la fois pour les broderies originales et pour les reprises postérieures, datant du remontage en croix et bandes d’orfroi. Elle a également révélé des similitudes importantes, suggérant l’intervention d’une même main sur les panneaux et au moins un médaillon, ce qui pourrait conduire à resserrer l’intervalle séparant la réalisation de ces éléments. Les médaillons et les panneaux sont brodés sur une toile de lin (chaîne et trame en filé de torsion Z, non teint). Ils sont bordés d’un fil de soie rouge (au point de Boulogne) ayant pu servir à délimiter le périmètre de la surface à broder (ce fil est particulièrement visible sur les médaillons conservés au Metropolitan Museum de New York). Les broderies initiales de soie, de filés métalliques dorés et argentés, sont réalisées au point fendu, en couchures diverses pour les effets de damier losangé, d’imitation d’armure de tissage, ainsi que selon une technique déjà très élaborée inaugurant celle de l’or nué à proprement parler. Ainsi, les sols échiquetés et les fonds guillochés sont-ils obtenus par couchure, technique employée pour fixer des filés métalliques à la surface d’une étoffe. Il s’agit essentiellement d’un filé métallique doré (lame métallique enroulée en S sur âme de soie S, jaune clair) serpentant horizontalement et d’un bord à l’autre du médaillon pour les sols et verticalement, du bord du médaillon à la ligne de sol pour les fonds. Ces lignes parallèles, formées par ce cheminement d’un filé métallique doré, sont maintenues par le passage perpendiculaire de fils de soie, formant des points (partie visible du fil à la surface de l’étoffe) qui selon un schéma répétitif, travaille les lignes de filés métalliques dorés deux par deux, passant sur les deux premières lignes puis sous les deux suivantes, tandis que le fil de soie contigu passe d’abord sous les deux premières lignes avant d’enjamber les deux suivantes, à l’imitation d’une armure toile. Les losanges de couleur sont donc obtenus par la couverture en pointillé des lignes de filés métalliques dorés par les fils de soie, alors que les losanges dorés sont obtenus par flotté sans fixation, c’est-à-dire que les lignes de filés métalliques dorés reposent librement à la surface de l’étoffe. La couchure par les fils de soie peut être de teinte uniforme, comme pour les décors de sols, ou nuancée, c’est-à-dire juxtaposant des lignes de points du plus clair au plus foncé, comme c’est le cas dans le traitement de certains volumes, et notamment celui de la colonne sur le médaillon des prisonniers délivrés (inv. MT 29103.1). Il arrive également que la couchure par les fils de soie diffère le long des lignes formées par le filé métallique, en fonction du décor. Dans le médaillon de la destruction de la tombe du faux martyr (inv. MT 29103.1), une couchure de fils de soie rouge formant les losanges du fond alterne avec une couchure très couvrante de fils de soie jaune pour les arcatures et une couchure nuancée de couleurs brunes pour le mur sur lequel elles reposent. Le démon qui s’échappe de l’autel est en revanche uniquement brodé de fils de soie, le fond or le contourne à dessein. Il arrive également que le filé métallique du fond et celui du sol soient orientés dans le même sens. Cependant leur densité diffère : le filé métallique est plus tassé (si l’on tente une comparaison avec un tissage) en ce qui concerne la représentation du ciel. Ainsi, deux médaillons se prêtent plus particulièrement à ces observations. Le premier d’entre eux relate l’épisode du champ délivré de la grêle (inv. MT 29103.3). Le filé métallique doré forme des lignes parallèles horizontales sur quasiment toute la surface du médaillon, excepté à l’endroit du personnage (sauf sa ceinture). Malgré la forte dégradation de la broderie, la technique originale reste lisible. L’ensemble du décor, plants de vigne, terre et ciel, est constitué par les points de couchure, dont les nuances varient à discrétion pour traduire toutes les couleurs en présence. Seuls les brins de fleurs à tige haute et aux feuilles longues, étroites et recourbées, sont rapportés par des points de broderie ad hoc, comme sur le médaillon relatant la guérison de l’esclave Tétradius (inv. MT 29103 .2). Le second médaillon figurant saint Martin sauvant un lièvre (inv. MT 29103.4) présente une orientation verticale des filés métalliques. En partie inférieure, ils servent de support aux broderies du sol, du lièvre, des chiens et des deux souches encadrant la scène. Là encore, le personnage est contourné par les filés du sol et du fond, excepté pour son nimbe dont la couchure diffère cependant de celle du reste du fond. Cette technique de couchure nuancée créant ces éléments de décor et imitant des armures de tissage (la toile pour le champ délivré par la grêle et le sergé 2 lie 1 trame pour saint Martin sauvant un lièvre) est très proche, dans son rendu par aplats de couleurs, de la mosaïque, dans la mesure où la surface est homogène, sauf pour le personnage, qui, comme sur les autres médaillons, se détache par l’emploi de fils de soie brodés en points fendus. Sur cette scène, on peut relever également une subtilité inédite dans la couchure, au niveau de la souche d’arbre située sur la droite du médaillon, qui fait écho au point fendu nué de l’aube de saint Martin. Les fils de soie utilisés pour la couchure font alterner du bleu, du rouge, de l’ocre, du rouge, du bleu et de l’orange, loin des autres couchures aux couleurs plus naturalistes. Au moment du remontage des médaillons, afin de donner du relief aux éléments signifiants que sont, d’une part, les feuilles de vigne, le nuage, la grêle et le soleil, et d’autre part, la tranche des souches et le nimbe, un filé métallique est venu redessiner leurs contours. Cette couverture très importante du médaillon par le filé métallique doré préfigure une technique de broderie d’une grande complexité que l’on voit introduite ici et que l’on appelle l’« or nué ». Cette technique désigne l’expression la plus raffinée et la plus dense de l’art de la couchure de filés métalliques par des fils de soie. La surface de travail présente un alignement parfait, homogène et très serré de filés métalliques qui serpentent d’un bord à l’autre de la surface à couvrir. Les points de couchure, par leur densité et les tonalités des soies employées, construisent entièrement le décor. Une étude menée par le Metropolitan Museum sur leurs médaillons en 2015, à l’occasion de l’exposition intitulée Scenes from the Life of St. Martin: Franco-Flemish Embroidery from the Met Collection, qui s’est tenue du 11 mai au 25 octobre 2015, livre de précieuses informations concernant la nature des matériaux employés pour la broderie originale, dans la mesure où les médaillons conservés au Metropolitan Museum ont été acquis défaits du montage en croix et bandes d’orfroi. Giulia Chiostrini, dans son article Conserving the Saint Martin Series: Technical Analysis of Fifteenth-Century Embroideries, publie les résultats concernant la composition et la fabrication des filés métalliques, ainsi que l’origine des teintures. Les filés métalliques dorés sont réalisés à partir d’un alliage composé de quatre-vingt-quinze pourcent d’argent et de cinq pourcent de cuivre, laminé en feuille, puis doré sur une face, avant d’être débité en fines bandes enroulées une à une en spirale couvrante autour d’un fil de soie jaune, appelée « âme ». Une exposition des médaillons aux rayons X a confirmé l’ampleur des surfaces couvertes par les filés métalliques et donc la somptuosité de cet ouvrage de broderie. Les teintures des fils de soie sont d’origine végétale. Ainsi, les couleurs primaires sont-elles obtenues à partir de la garance pour le rouge, de la gaude pour le jaune et du pastel pour le bleu. Cette dernière couleur, lorsqu’elle est employée en couchure, est d’ailleurs le plus souvent associée à des filés métalliques argentés confectionnés sur une âme de soie blanche, intensifiant ainsi tout en délicatesse, les tonalités froides du métal. C’est le cas par exemple pour la figuration des portes de Paris dans le médaillon de la guérison du lépreux sur la croix de chasuble (inv. MT 29103.1). Une version plus sophistiquée de couchure de filé métallique argenté est visible sur le panneau gothique, à la croisée des bras de cette même croix, sur le médaillon relatant l’apaisement des flots. En effet, le cours d’eau à la physionomie mouvante est figuré par la couchure d’un filé métallique argenté ondoyant couché par un et deux fils de manière irrégulière, et azuré par de fines lignes de soie nuancée courant dans les interstices ménagés par le cheminement du filé métallique. Sur le flanc de la barque, à l’endroit où les vagues se creusent, l’éclatement aléatoire de l’eau est traduit par quelques points rayonnants réalisés au moyen du filé métallique argenté. Cette technique a été utilisée pour matérialiser la clôture de la solitude de saint Martin et, semble-t-il également, pour environner la guérison de la jeune aveugle sur le panneau de même forme conservé au musée de Cluny. Margaret Freeman, insistant sur le niveau de perfectionnement des techniques de broderie mises en œuvre, ainsi que sur la qualité supérieure du dessin, avait proposé que ces panneaux aient été réalisés plusieurs années après la suite de médaillons circulaires. Or, il existe au moins un de ces médaillons, conservé au musée des Tissus (inv. MT 29103.4) présentant le même soin et les mêmes caractéristiques techniques. Il s’agit du médaillon sur lequel le démon sous forme humaine se présente à saint Martin, identifié par Margaret Freeman comme Martin et son archidiacre avec un manteau. La présence d’une souche d’arbre dans le décor avait aussi conduit l’auteur à proposer qu’il ait été réalisé par le même artiste que celui des médaillons comportant ce détail et regroupés au moment de leur remontage sur la même bande d’orfroi (inv. MT 29103.4) : Un homme pendu est sauvé après avoir invoqué saint Martin et Saint Martin sauve un lièvre poursuivi par des chiens. Or, à considérer de plus près cette souche d’arbre, il apparaît que son écorce sur laquelle s’impriment des plis obliques a été réalisée selon la même technique que celle utilisée pour transcrire le mouvement de l’eau : on trouve, en effet, une couchure de filé métallique par un et deux fils rehaussée de lignes de points fendus alternant des tons clairs et des tons foncés de couleur brune. Le fond du médaillon imitant un entrecroisement oblique de fines bandes dorées proche de la vannerie, par le jeu d’une couchure de fil rouge, est également identique au fond original des deux panneaux cités plus haut, dans la mesure où le réseau losangé piqué d’étoiles, obtenu au point de treillis et au point de croix, sur le panneau de la ruse sortant Martin de sa solitude (inv. MT 29103.2), est dû à une reprise effectuée lors du remontage. En outre, l’observation de ce fond sur le médaillon du démon (inv. MT 29103.4), nous éclaire sur l’identité du personnage au doigt levé. En effet, le fil de couchure rouge ménage l’emplacement de deux cornes recourbées prenant naissance dans sa chevelure dépeignée, voire hirsute. Ce dispositif d’épargne d’une zone tendue de filé métallique, du fond ou du sol, destinée à recevoir des parties de personnages, est visible sur d’autres médaillons comme celui du trône en flamme, au niveau des chaussures (inv. MT 29103.1), ou celui du roi de Galice (inv. MT 29103.3), au niveau de ses bottes et de la main gauche du marchand. Ces deux cornes, aujourd’hui fantomatiques, nous invitent à considérer un événement que nous relate Sulpice Sévère entre saint Martin et Satan, sous forme humaine, ayant eu lieu alors que le saint se rendait auprès de ses parents afin de les convertir. Le biographe place cet épisode après que saint Martin a dépassé Milan. Il est effectivement représenté sur la broderie tournant le dos aux portes d’une ville sur un chemin figuré par une couchure de filé métallique qui exceptionnellement épouse la courbe du médaillon. L’étude plus poussée de la composition des médaillons, généralement scindée par une ligne de sol, a révélé quelques autres hardiesses de la part des brodeurs. Ainsi, par exemple, sur le médaillon des pèlerins se recueillant sur le reliquaire de saint Martin (inv. MT 29103.2), peut-on voir flotter la terrasse sur laquelle prennent place les personnages. Le fond réalisé en couchure se poursuit effectivement en partie inférieure, conférant ainsi à la scène une apparence d’éternité. Et sur les médaillons représentant l’apparition du Christ à saint Martin (inv. MT 29103.2) et la mort de saint Martin (inv. MT 29103.4), dans laquelle le Christ se manifeste également, l’orientation des filés métalliques sur les sols varie à nouveau selon un même schéma. Ces deux médaillons se répondent en réalité à plus d’un titre. Du point de vue de l’iconographie et de la composition, le sommeil et la mort sont évoqués selon un même canevas de dessin, d’une grande proximité avec la peinture de miniature et avec ses plus récentes évolutions. La représentation du saint allongé dans un lit est traitée en raccourci et de trois quarts, et non pas de profil. Ce point de vue permet de surélever la figure du saint afin qu’elle occupe la partie médiane du médaillon et de créer un rapport dynamique entre le saint et la figure du Christ. L’orientation légèrement oblique de la couchure du sol vient soutenir cet effet de perspective. Le lit de saint Martin est lui aussi d’une grande modernité puisqu’il présente tous les éléments constitutifs des couches les plus nobles au moment de la réalisation de ces broderies. Le lit est ainsi garni de deux courtines latérales coulissantes sur des tringles masquées sur l’extérieur par des lambrequins mais visibles à l’intérieur comme cela est figuré dans la scène du songe de saint Martin. Ces longues pentes descendent jusqu’au sol et sont complétées par une courtine tendue derrière le haut chevet du lit. La tête du saint repose sur un polochon et un coussin carré à joue capitonnée. Son corps est recouvert d’un drap et d’une couverture descendant jusqu’au sol. Cet agencement est identique à celui que l’on peut trouver sur certaines miniatures, comme celle d’Olympias et Nectanébo, roi d’Égypte, dans le Speculum historiale de Vincent de Beauvais, enluminé par le Maître du Boccace de Genève, à Angers, vers 1460 (fol. 43). Au regard de la technique, ces deux médaillons sont également très semblables et aussi très proches du médaillon figurant les pèlerins devant le reliquaire de saint Martin (inv. MT 29103.2). Le ciel, les lambrequins et le fond de lit, le chevet et les coussins, ainsi que certains détails comme les nimbes, la mitre du saint évêque, l’orbe du Christ Salvator Mundi, le chaperon à bourrelet, les ceintures et les galons des différents personnages, pour les deux premiers médaillons, le reliquaire, la pèlerine et la bourse, pour le troisième médaillon, sont réalisés selon la technique de l’or nué, c’est-à-dire en couchure très serrée par un fil. L’objectif n’est pas ici d’imiter une armure de tissage par une couchure régulière mais plutôt un effet pictural au rendu « micacé » qui utilise l’or comme le ton le plus lumineux de chaque couleur en présence, de manière à accentuer les contrastes et ainsi la profondeur des images. Un autre point de broderie est commun à ces trois médaillons pour les capitons des oreillers et les ouvertures en verre clair et losangé ménagés sur les faces latérales du reliquaire, il s’agit d’une couchure en croisillon sur un fond tendu de fils de soie. C’est le même principe qui a été utilisé pour les vitraux sur le médaillon de saint Martin bénissant l’abbaye de Marmoutier (inv. MT 29103.3) dont l’effet visible actuellement est une reprise datant du remontage des pièces. Enfin, on remarque deux autres points exécutés avec un filé métallique pour des effets de matière spécifique. Sur le médaillon de saint Martin renonçant au métier des armes (inv. MT 29103.2), la cotte de maille du chevalier situé complètement à droite de la scène est transcrite à l’aide d’un filé métallique argenté travaillé en une sorte de « point de tulle » couché. Sur le médaillon figurant le roi de Galice commandant à un orfèvre une couronne pour orner la châsse de saint Martin (inv. MT 29103.3), on remarque l’emploi d’un point particulier réalisé avec un filé métallique doré au niveau de l’aiguière. Il s’agit d’une couchure horizontale par deux fils, peu tendue et fixé seulement aux extrémités, recouvrant une broderie de fil de soie blanc orientée verticalement à l’endroit de l’objet. Cette sophistication crée un effet de volume intéressant dans la représentation d’une pièce de forme. Elle se retrouve, par comparaison et pour le même type d’objets, sur la table du médaillon conservé au Metropolitan Museum figurant Saint Martin présentant la coupe de vin au prêtre (inv. 1975.1.1907). Grâce à des photographies documentaires du revers des croix et des bandes d’orfroi des pièces conservées au musée des Tissus, de précieuses informations concernant les reprises sont disponibles. En effet, toutes les réparations opérées pour améliorer la lecture et l’appréciation des médaillons ont été réalisées une fois les médaillons placés sur le support découpé en croix et en bandes. Les points de reprises traversent donc le médaillon et la toile de lin de support. C’est aussi la raison pour laquelle les médaillons conservés dans les autres collections, excepté celui conservé sur le chaperon à Gand, ne présentent pas ces types de point dont la technique diffère de la broderie originale, dans la mesure où ils ont été acquis défaits de leur support, ce qui a bien évidemment nécessité de rompre tous les fils de reprises. En revanche, le revers des médaillons est inaccessible sur les pièces conservées au musée des Tissus. Cette restauration, qui a consisté à consolider les filés métalliques dorés, notamment au niveau du ventre des bandes pectorales et à certains endroits sur la broderie en gaufrure des galons, ainsi qu’à renouveler le support d’exposition, a ainsi permis d’accéder en négatif à toutes réparations opérées sur les médaillons eux-mêmes ainsi qu’aux détails de la réalisation de l’ensemble. Les retouches, datées traditionnellement du XVIIe siècle, ont donc eu pour objet de raviver le décor et de reprendre des zones particulièrement endommagées, dans le respect de l’effet initialement recherché par les artistes du XVe siècle. Cependant, les points de broderie employés sont des points d’imitation qui parviennent à recréer de manière illusionniste, à première vue, le décor escamoté. La recherche de la caractérisation de ces reprises a révélé une cartographie des points employés, croix de chasuble par croix de chasuble et bande d’orfroi par bande d’orfroi, comme si chacun de ces quatre éléments avait en plus fait l’objet d’un traitement singulier à leur échelle, ce qui contribue évidemment à leur unité visuelle. Concernant les reprises des différentes couchures de filés métalliques (notamment pour les architectures, comme c’est le cas sur les médaillons de saint Martin faisant taire un chien et de la guérison de Tétradius [inv. MT 29103.2] ; de l'élection de saint Martin à la fonction d'évêque et de la bénédiction de l’abbaye de Marmoutier [inv. MT 29103.3] ; pour le bois de la potence et du tronc d’arbre de l’épisode du lièvre [inv. MT 29103.4], ou encore, semble-t-il, pour les façades des écuries du médaillon ovale conservé sur le chaperon du pluvial à Gand, en se basant sur la reproduction disponible dans l’ouvrage de Margaret Freeman), cette rénovation, très distincte des techniques de couchure originales, produit un effet « grainé » par une broderie en couchure par deux fils, en cordonnet de soie retors, d’un câblé de deux retors, l’un en soie et l’autre en filé métallique doré. La couleur de la soie varie selon les effets de lumière recherchés. Ainsi, par exemple, sur la potence, un ton clair et un ton foncé juxtaposés révèlent-ils la dimension tronconique de l’objet. Cette même technique est employée pour restituer les couchures de filé métallique argenté sur six médaillons circulaires de la croix d’orfroi (inv. MT 29103.2), à la différence que sont utilisés, cette fois pour le câblé, un retors de soie nuancé et un retors de filé métallique argenté. Ces reprises concernent plus particulièrement dans l’ordre des médaillons, de haut en bas, les éléments suivants : la pèlerine du possédé, mêlant successivement au filé métallique argenté, un retors de soie blanche sur l’épaule droite, un retors de soie jaune le long du pan droit de la pèlerine puis un retors de soie verte le long du pan gauche ; la face intérieure et le fanon gauche de la mitre de saint Martin mêlent un retors de soie bleu ciel au filé métallique argenté ; son aube fait alterner un fil de soie blanche et un fil de soie brune pour marquer les plis au niveau de l’épaule, tandis que son velum a été repris par une couchure simple de filé métallique argenté. Sur le médaillon suivant figurant saint Martin faisant taire un chien, l’aube saint Martin, le velum de sa crosse, l’aube du deuxième disciple et la manche gauche de l’aube du troisième disciple sont traités de manière comparable. En revanche, la pèlerine de son premier disciple, le bas de l’aube du troisième disciple ainsi que l’étendue herbeuse sont réalisés avec un câblé réunissant un retors de soie, respectivement de couleur brune, rouge et verte (déclinée en trois tons), et un retors de filé métallique doré. Dans les scènes suivantes, l’aube de saint Martin, le velum de sa crosse, le drap du lit, la moitié de manteau présentée par le Christ, par ailleurs rebrodée de points lancés pour l’hermine, les bottes de saint Martin et les aubes de saint Martin et de son disciple dans la scène du sauvetage de la maison en flammes sont repris selon les techniques évoquées précédemment. L’originalité des points de rénovation réside surtout dans l’emploi d’une couchure tout en soie par trois fils produisant un effet de gaufrure très couvrant, comme c’est le cas sur la tunique du démon se présentant à saint Martin (inv. MT 29103.4). Cette tunique est particulièrement intéressante dans la mesure où elle offre une zone aujourd’hui dégradée traversée de lignes de points de couchure réalisées dans deux teintes de bleu. Une troisième teinte, gris clair, a été fixée par une couchure encore en place de part et d’autre de cette zone. Il semblerait que ces fils retors de soie, bleu ciel et bleu foncé, aient été appliqués verticalement, avant d’être finalement sectionnés puis retirés, peut-être pour des raisons esthétiques. Cette technique de gaufrure, que l’on retrouve par ailleurs traduite en filé métallique doré pour le décor des galons des croix et bandes d’orfroi, a été largement utilisée pour les zones les plus foncées des médaillons, comme les intérieurs de portes et de fenêtres. Sur la croix d’orfroi (inv. MT 29103.1), les reprises les plus nombreuses et les plus importantes concernent les points fendus en fil de soie réalisés à l’origine sur les éléments de costumes. Les aubes de saint Martin et de son disciple dans la scène de la brebis tondue, les bottes hautes et les chaussures des prisonniers, la jupe et l’avant-bras gauche du barreur dans l’apaisement des flots, l’aube, le velum et l’intérieur du pluvial de saint Martin lors de la destruction de la tombe du faux martyr, l’épaule droite de saint Martin et l’hermine du manteau de l’empereur Valentinien, le manteau du pauvre, l’aube et le pluvial de saint Martin, la pèlerine de son disciple à l’arrière plan et le manteau long du lépreux, sont réalisés avec un point fendu très visible, moins tendu et plus épais que l’original, en soie de couleur unie, brune ou blanche le cas échéant. En revanche, un soin plus particulier semble avoir été apporté à la reprise du vêtement du dessus du personnage au centre de la scène de l'intercession de saint Martin pour les priscillianistes. En effet, les points fendus font alterner plusieurs teintes dans un fondu qui rappelle le raffinement de l’aube du personnage s’adressant à saint Martin, réalisé en point fendu à partir d’un fil de soie chiné, associant des tons rose, bleu et rouge. Après avoir considéré les reprises des éléments suggérant la pierre, le bois, le métal et le tissu, il reste une composante essentielle des broderies de saint Martin à examiner qui concerne la représentation plastique des chairs. Sur le médaillon du renoncement aux armes (inv. MT 29103.2), les visages d’origine sont particulièrement bien conservés. Saint Martin, agenouillé devant l’empereur et ses soldats en armes, présente un visage jeune, imberbe, coiffé en écuelle, le regard dirigé dans les yeux de l’empereur. Un cerne de fil de soie brune détache son visage du fond, dessine sa bouche fine, ses paupières supérieures et le contour de son nez qui se prolonge sur son arcade sourcilière. Ses lèvres sont ourlées d’un fil de soie couleur chair, de même que la peau de ses paupières. Un fil de soie, de teinte plus saumonée, lui rosit les joues tandis que ses cheveux sont nuancés de deux teintes, blonde et rousse, cette dernière lui dessinant également les sourcils. La broderie est cependant lacunaire, la toile de fond en lin non teint transparaît. Sur la plupart des médaillons, les carnations ont disparu, sans qu’il y ait eu véritablement de reprises au moment du remontage de ces médaillons, sauf sur la croix de chasuble (inv. MT 29103.2), où quelques touches réalisées au point fendu de soie blanche viennent les rehausser. On pourrait croire alors qu’au moment du remontage, la couleur de la toile de fond a semblé satisfaisante pour apprécier les pièces, mais il pourrait aussi s’agir d’une forme de respect pour la broderie originale à ces endroits qui témoignent d’une grande maîtrise technique, d’un grand raffinement et d’un excellent travail de coloriste dont la finesse n’a peut-être pas pu être concurrencée par les matériaux et les techniques mis en œuvre au moment du remontage. Les reprises concernent enfin des éléments linéaires, des contours, voire même des effets de matières duveteuses. Les nimbes, les hampes et les volutes de crosse, les mitres, les couronnes, les reliquaires, les éléments d’architecture et de mobilier, les galons des vêtements, les ceintures des personnages, les colliers des chiens, les contours des souches, des feuilles, des fleurs, de la crécelle du lépreux, des flammes du trône de l’empereur sont surlignés d’une couchure par un fil d’un filé métallique doré, aujourd’hui malheureusement très dégradé, parfois doublée d’un gros cordonnet obtenu par un câblé Z de deux filés métalliques dorés sur âme de soie jaune. La couchure de filé métallique vient aussi consolider et rehausser les fonds d’or fragilisés en les parcourant sous la forme de réseaux losangés parsemés d’étoiles, qui peuvent être obtenus, comme sur le médaillon de saint Martin renonçant au métier des armes (inv. MT 29103.2), par un treillis de deux filés métalliques dorés, maintenus par un point de Boulogne et frappé au cœur des losanges par un point lancé étoilé. Dans certains cas, la volute de la crosse de saint Martin, le contour de son velum et des vêtements de ces disciples sont redessinés par une couchure par un fil de soie blanche d’un filé métallique argenté, également utilisée pour figurer l’effet bouclé de la laine de la brebis en train d’être tondue (inv. MT 29103.1) ou celui, plus cotonneux, du nuage chargé de grêle (inv. MT 29103.3). D’autres points réalisés en fil de soie sont visibles aujourd’hui en certains endroits du fond ou du sol des médaillons comme sous le pilori des prisonniers délivrés (inv. MT 29103 .1) où la couchure du sol a été refixée au moyen d’un fil brun dont les points forment une ligne de losanges respectant le dessin original. Le remontage des médaillons en croix de chasuble et bandes d’orfrois a, quant à lui, nécessité la création d’un décor, entièrement brodé autour des médaillons. Les deux croix de chasuble et les deux bandes d’orfroi ont été taillées dans une toile de lin servant de support à la fois aux médaillons, au satin de soie rouge et à son décor feuillagé. Il apparaît que deux satins de soie différents ont été utilisés, ce qui permet d’identifier les décors respectifs de chacune des deux chasubles démontées. Une première croix de chasuble (inv. MT 29103.1) et une bande d’orfroi (inv. 29103.3) ont été confectionnées avec un satin de 5, tandis que la seconde (inv. MT 29103.2) et l’autre bande d’orfroi (inv. MT 29103.4) l’ont été avec un satin de 8. Ces deux satins sont de teintes légèrement différentes, le satin de 5 est moins violacé que le satin de 8. Cette analyse permet d’associer à nouveau croix et bande d’orfroi et de retrouver ainsi la présentation proposée par Raymond Cox en 1914. Le satin de 5 est également plus élimé, laissant apparaître sa trame blanchâtre au niveau des bourrelets horizontaux dus aux tensions exercées par la combinaison des différents éléments formant le décor. Les deux bandes d’orfroi présentent, en partie centrale, les usures les plus importantes au niveau du satin mais également au niveau des médaillons, témoignant ainsi de l’utilisation de ces chasubles. Ces traces d’usage se situent, en effet, à l’endroit où l’officiant, en prière, joignait ses mains. Les deux satins sont certainement des étoffes réemployées. En effet, ils ne sont pas d’une seule pièce dans les deux croix de chasuble. Ils sont indifféremment positionnés sens trame ou sens chaîne entre les médaillons. Sur la croix de chasuble (inv. MT 29103.1), à l’angle supérieur droit du médaillon illustrant la seconde charité de saint Martin, une couture associe même deux pièces de satin orientées autrement. Sur la même croix de chasuble, à l’angle inférieur gauche de l’élection de saint Martin à la fonction d’évêque de Tours, une pièce de satin fixée au point d’ourlet en recouvre au moins partiellement une autre. Il n’est donc pas certain que le satin recouvre entièrement la toile de lin servant de support à ces croix à l’endroit des médaillons. L’envers des pièces révèle également que les galons dorés soulignant leur contour et sertissant chacun des médaillons d’une couronne polylobée d’où jaillissent des enroulements ornés de feuilles lobées et lancéolées, sont contemporains du remontage. Ces galons sont réalisés en broderie. Il s’agit d’une gaufrure en damier obtenue par des filés métalliques argentés dorés couchés par trois selon un rythme dérivé du taffetas. Ce galon est lui-même encadré par un câblé de deux fins cordonnets verts. Il apparaît que sur tout le pourtour des croix de chasuble et des bandes d’orfrois, ces galons recouvrent en partie le satin et se poursuivent sur la toile du support en lin. Le satin est également parsemé de feuilles lobées et lancéolées distribuées symétriquement par rapport à l’axe longitudinal de chacune des croix et bandes d’orfroi. Elles sont également réalisées en broderie, mais contrairement aux galons dorés, elles sont en partie rapportées. En effet, l’intérieur des feuilles est réalisé en couchure par deux fils sur une toile de lin avant d’être appliqué sur le satin. Quelques macules blanchâtres sur le satin rouge, à proximité des feuilles, trahissent certainement un épanchement de colle. Ces éléments feuillagés ont été ensuite rehaussés d’une couchure par deux filés frisés, formant leur pétiole, soulignant leur contour et leur nervure centrale avant de se terminer en enroulement. Un dernier élément finit de compléter le décor des satins. La bande d’orfroi (inv. MT 29103.4) présente en partie inférieure un motif végétal unique dans cette série, un motif double de palmier, également brodé sur une toile de lin puis rapporté par collage puis par broderie sur le satin. Le tronc est annelé. L’effet est obtenu par un filé métallique argenté posé en aller-retour et nué par deux ou trois avec deux fils de soie bleu et blanc formant comme des hachures donnant une apparence de volume. Les feuilles sont réalisées selon la même technique d’aller-retour nué à la naissance des feuilles par un fil vert et au sommet par un fil jaune. Les médaillons ont donc été appliqués sur un satin de soie rouge. L’ensemble a été fixé sur une toile de lin servant de support aux nouvelles broderies, à savoir : les broderies en gaufrure formant les galons, les décors feuillagés s’épanouissant sur le fond et les retouches des altérations des médaillons d’origine. Il paraît évident que les modifications des broderies originelles ont bien eu lieu au moment du remontage de ces pièces. Le médaillon ovale conservé dans l’église Saint-Michel de Gand présente un traitement de retouche semblable, visible sur les façades des écuries qui portent, en outre, les dates de 1561, sur les façades du premier plan, et de 1761, sur la façade de l’église au second plan. Ces dates, que l’on aurait pu prendre pour des indications concernant le remontage des broderies puisqu’elles sont brodées au-dessus de cet effet « grainé » caractéristique, sont en réalité de toute autre nature. En effet, dans le catalogue de l’exposition Gent. Duizend Jaar Kunst en Cultuur, qui s’est tenue à Gand en 1975, la notice de ce médaillon ovale nous informe que ces dates ont été modifiées au moment de la restauration de cette pièce (probablement au XIXe siècle), par la manufacture Van Severen de Sinkt-Niklaas, spécialisée dans les ornements gothiques : « Het borduurwerk werd slecht gerestaureerd door die firma Van Severen te Sinkt-Niklaas. Bij die gelegenheid wer de datum 1461 op de zijgebouwtjes en op het gebouw op de achtergrond in 1761 veranderd. Naderhand werd op de zijgebouwen dat jaar in 1561 veranderd ; op de achtergrond bleef het jaartal 1761 staan. » Ainsi, le médaillon intitulé dans le catalogue « Koorkap met scenes uit het leven van de heilige Martinus (?) » est-il daté, vers 1461, ce qui ajoute une troisième datation à l’ensemble des broderies de saint Martin, si l’on considère que ce médaillon en fait partie malgré les doutes émis. En effet, Colin Eisler, dans son article paru en octobre 1967, indique dans ses notes que ce médaillon a été précédemment décrit comme relatant un épisode de la vie de saint Bavon à l’occasion de deux autres expositions en 1951 et en 1961. Il rappelle qu’à cette occasion, Antoine Schryver avait suggéré que les dates 1561 et 1761 pouvaient être dues à une mauvaise lecture du chiffre 4, se basant sur la graphie confuse de ce chiffre dans un inventaire. Colin Eisler suppose que la série des broderies de saint Martin a pu faire partie des ornements endommagés par la crise iconoclaste huguenote qui détruisit une grande partie du trésor de Saint-Martin de Tours en 1561 et 1562, et que cette date a pu faire référence à une première restauration de ces pièces. On peut ajouter que cette date de 1561 n’est pas non plus tout à fait anodine pour les Flandres puisqu’elle correspond à la création par le pape Pie VI de l’évêché de Gand et de l’érection de la collégiale Saint-Bavon en église cathédrale. La mention de l’atelier Van Severen est également très intéressante puisqu’elle permettrait de dater l'état actuel du remontage des pièces conservées au musée des Tissus de la seconde moitié du XIXe siècle. Elle permet aussi d’envisager la réunion d’un point de vue matériel, toujours au XIXe siècle au moins, des médaillons des cycles de saint Martin et de sainte Catherine répartis sur deux croix de chasubles présentées à l’exposition de Crefeld de 1887, l’Ausstellung kirchlicher Kunstwebereien und Stickereien der Vergangenheit, dont deux photographies publiées par Margaret Freeman témoignent de ce même décor de galon brodé et de rinceaux feuillagés, également visible sur le chaperon du pluvial conservé dans l’église Saint-Michel de Gand. Enfin, ce même galon brodé se retrouve sur un autre panneau lui aussi de forme gothique, au ciel d’or guilloché, réalisé à l’or nué et au passé plat, présentant une façade d’édifice à l’effet grainé, appliqué au centre d’une croix de chasuble dont la photographie a été publiée par Carl Claes sur Internet dans le cadre de ses recherches menées sur l’atelier Van Severen. Ce panneau illustre une scène de procession d’un cercueil couvert d’un voile frappé d’une croix, porté par des pleurants et salué par la foule en prière. Ce panneau, sans qu’il soit possible de déterminer son origine, est particulièrement intéressant dans la mesure où il pourrait évoquer le transport du corps de saint Martin à Tours après son décès intervenu à Candes. On peut, à ce titre, rappeler que cette rénovation d’ornements liturgiques intervient dans un contexte de renouveau du culte de saint Martin, suite à la redécouverte de son tombeau dans la cave d’une maison construite sur l’emplacement de l’ancienne basilique, le 14 décembre 1860, « jour de la fête de la Reversio ou fête du Retour de saint Martin parmi les Tourangeaux », comme le rappelle May Vieillard-Troiekouroff dans son article « Le tombeau de saint Martin retrouvé en 1860 », dans la Revue d’histoire de l’Église de France, publié en 1961. Ces broderies sont ainsi remarquables à plus d’un titre. D’abord, le dessin des médaillons rivalise avec l’art du livre, dont les images parfaites ont trouvé écho dans d’autres formes d’expressions artistiques, comme le vitrail. Leur dessin a pu être attribué à des peintres de renom au service des princes souverains, à l’instar d’autres productions prestigieuses, comme celle de la chapelle dite « de l’ordre de la Toison d’Or », composée d’un antependium, de trois chapes, d’une chasuble, d’une dalmatique et d’une tunique aujourd’hui conservée dans le Trésor impérial du Kunsthistorisches Museum de Vienne, commandée entre 1430 et 1440 par Philippe III de Bourgogne à son brodeur d’origine parisienne, Thierry de Chastel, d’après des dessins attribués dans l’entourage des frères Van Eyck, à Robert Campin, dit « le maître de Flémalle ». Le style de ces broderies, du fait de l’origine flamande de ces peintres qui produisent au contact de la cour du duc de Bourgogne un art original, est dit « burgondo-flamand ». Les broderies de saint Martin contemporaines de ces échanges sont, pour les mêmes raisons, qualifiées de « franco-flamand ». Colin Eisler, dans son article « Two Early Franco-Flemish Embroideries - Suggestions for their Settings » paru en octobre 1967 dans The Burlington Magazine, fut le premier à proposer que ces broderies, d’après leur étude stylistique, aient été réalisées dans le premier tiers du XVe siècle, ce qui permettrait d’évoquer plus particulièrement deux commanditaires : Martin V, élu pape à Constance le 11 novembre 1417, jour de l’inhumation de saint Martin, et Charles VII, roi de France de 1422 à 1461, dont la vénération pour le saint était très grande. Il aurait ainsi commandé ces broderies, soit pour célébrer le jubilé du pape en 1423, soit pour proclamer sa nouvelle soumission au pape en 1425. Concernant plus particulièrement les panneaux gothiques, différentes études ont insisté sur l’intervention d’un peintre dans leur création. Probablement d’origine flamande, compte tenu de sa manière, l’auteur des cartons aurait évolué en France au service des plus grands dignitaires du royaume. En 1997, Nicole de Reynaud rappelle à propos du panneau de la vie de saint Martin conservé au musée de Cluny, sa précédente analyse ainsi que celle de Marie-Claude Léonelli concernant les broderies du musée des Tissus, publiée en 1984 dans la Revue de l’Art, dans son article « Barthélémy d’Eyck avant 1450 » qui propose d’attribuer la création des panneaux brodés du cycle de saint Martin à un « tandem », associant le peintre Barthélémy d’Eyck, d’origine flamande, au brodeur Pierre du Billant, son beau-père, qui fut également peintre à la cour du roi René, et de dater son exécution en 1444 pour Saint-Martin de Tours dans le cadre du mariage de la fille de ce dernier, Marguerite, avec Henri VI d’Angleterre. En effet, les éléments singuliers qui caractérisent la broderie des panneaux la convainquent de l’intervention d’un peintre pour leur dessin : « Paradoxalement, plus la broderie est prestigieuse et par conséquent a demandé l’intervention d’un brodeur au talent hors de pair, plus elle a de chances d’avoir été exécutée sur le patron d’un peintre reconnu et non du brodeur, si bien que c’est quand la virtuosité du brodeur est la plus saisissante, comme ici, qu’il faut le plus soupçonner l’intervention initiale d’un peintre. […] Ce qui frappe aussi dans les deux scènes de Lyon, saisissantes de vie sensible, c’est le mouvement dramatique, la finesse dans l’observation des situations, le rendu de l’instant fugitif. Quoi de plus rare, en ce milieu du XVe siècle, que l’envol des manteaux, des écharpes et des chaperons dans la tempête, que le geste brusque du batelier retenant son turban et s’agrippant à sa gaffe, ou les cheveux rebroussés par le miraculé ? ». Elle retrace également la réception de ces broderies « qui furent manifestement célèbres, de leur temps même, en tant qu’œuvres d’art, elles ou leurs patrons. En effet, on possède deux dessins du XVe siècle, à la pointe d’argent sur papier préparé en blanc, qui recopient soigneusement deux des sujets des panneaux conservés (Uppsala, bibliothèque de l’Université) : celui de la femme aveugle et celui de saint Martin avec l’âne. L’œil connaisseur de Max Jacob Friedländer avait parfaitement reconnu que les broderies sont ‟supérieures et antérieures aux dessins” en question, opinion que partage à juste titre Margaret Freeman. Ce ne peuvent être en effet des dessins préparatoires pour les broderies […] Mais, ce sont sans doute des copies, à grandeur exacte, d’après les patrons faits pour les elles. [..] Ce serait là l’indice de la réputation de ces patrons et du cartonnier peintre. » Cette attribution a été reprise par Rose-Marie Ferré, dans son article intitulé « Barthélémy d’Eyck », dans le catalogue d’exposition Splendeur de l’enluminure. Le roi René et les livres au château d'Angers, 2009-2010. Elle rappelle que Barthélémy d’Eyck est le fils d’Ydria Exters, « originaire de la région de Maaseyck (diocèse de Liège) qui épousa en secondes noces le brodeur attitré et valet de chambre de René d’Anjou, Pierre du Billant, lui aussi néerlandais » et « si le corpus à ce jour connu des œuvres de l’artiste concerne essentiellement la peinture de manuscrits, force est aussi de constater la polyvalence de ses compétences. Celles-ci s’exercent autant dans la fourniture de cartons pour des ouvrages de broderies - Les miracles de saint Martin - que dans le domaine de la peinture sur toile ou sur panneau ». Cependant en 1998, dans la Gazette des Beaux-Arts, Albert Châtelet publie un article titré de manière abrupte « Pour en finir avec Barthélémy d’Eyck » dans lequel il rappelle la tardive fortune critique de l’artiste, dont les archives mentionnent une proximité avec le roi René au mieux un peu avant 1447 et un titre de valet de chambre datant de juin 1449. En revanche, « archives et publications anciennes ne permettent absolument pas de tenir de manière certaine Barthélémy d’Eyck pour un peintre, encore moins un grand peintre ». Concernant les broderies de saint Martin attribuées par Marie-Claude Leonelli et, à sa suite, Nicole Reynaud, il insiste sur le fait qu’ « aucun indice historique ne les rapproche de Barthélémy. Saint Martin étant le personnage principal, il est très probable qu’il s’agit de débris de l’extraordinaire collection de chapelles de Saint-Martin de Tours, saisie, détruite ou dépecée par les Huguenots en 1562. Nicole Reynaud a très justement tenu pour probable cette origine, mais a pensé à un don du roi René à l’occasion du mariage de sa fille Marguerite, en mai 1444, avec le roi d’Angleterre. Le compte concernant les travaux menés pour cette fête mentionne bien des interventions de Pierre du Billant, mais pour des travaux occasionnels. S’il fallait retenir cette hypothèse, c’est donc à celui-ci et non à son beau-fils qu’il faudrait attribuer la création des broderies puisqu’il est à la fois peintre et brodeur. Aussi faut-il plutôt songer à un peintre du centre de la France et, compte-tenu de la somptuosité d’une telle commande, peut-être à une commande royale. […] Peut-être pourrait-on songer à Henry de Vulcop, peintre de la reine Marie d’Anjou, mais ce n’est là qu’une piste qu’il faudrait explorer. » Cette dernière proposition placerait la réalisation des broderies après 1450, date à laquelle l’artiste, également d’origine néerlandaise, commence à être documenté, voire même plus tard, si l’on considère qu’il est au service de la reine Marie d'Anjou dans les années 1454-1455, puis au service de son fils Charles de France en 1463 et 1464. En mai 2005 dans le la revue Dossier de l’Art, Albert Châtelet, dans un nouvel article intitulé « Le roi René et l’art flamand. Un amateur plutôt qu’un mécène » confirme Pierre du Billant comme le brodeur du cycle de saint Martin. On aperçoit ici toute la difficulté et les incertitudes qui président à une attribution formelle. Cependant, en s’intéressant à la question du trésor de Saint-Martin de Tours et de son inventaire disponible dans le Procès-verbal du pillage par les Huguenots des reliques et joyaux de Saint-Martin-de-Tours en mai et juin 1562, publié par Charles de Grandmaison en 1863 et cité par Albert Châtelet en note dans son article, on trouve mention de plusieurs dizaines d'ornements relevés en broderies, malheureusement, sans qu'aucune ne permette de reconnaître le cycle des broderies de saint Martin. Néanmoins, l’histoire de la basilique, telle qu’elle a été publiée par Nicolas Gervaise en 1699 dans son ouvrage La Vie de saint Martin,... avec l'histoire de la fondation de son église, et ce qui s'y est passé de plus considérable jusqu'à présent, fournit d’autres renseignements qui pourraient être une source d’explication quant aux circonstances de la commande de ces broderies. En effet, l’auteur relate les différentes étapes de la conservation et de l’exposition du corps de saint Martin. Ainsi, nous précise-t-il que, après une première ouverture du tombeau de saint Martin survenue sous le règne de Charles le Bel, afin d’en extraire le chef et de le placer dans un reliquaire d’or en forme de buste, le corps fut à nouveau retiré de son tombeau en 1453 « pour être mis dans une châsse d’or, beaucoup plus magnifique que celle où il avait reposé jusqu’alors. Le roi Charles VII fit une partie de la dépense, et le chapitre fournit le reste. Les rois qui le suivirent, l’enrichirent de joyaux de très grand prix. La translation s’en fit par Louis d’Harcourt, archevêque de Narbonne, aidé des évêques d’Angoulême et de Malzais, le 10 mars de cette même année, en présence de plusieurs autres évêques, du chancelier de France, représentant la personne du Roi, du duc d’Orléans, du connétable, et de beaucoup d’autres seigneurs. Quatre mois après cette châsse fut placée au-dessus du tombeau, sur une estrade d’argent fort large, qu’on avait posée sous la coupole ; et à côté d’elle, on mit le chef d’or du saint, et autour les chasses d’or et d’argent, où étaient renfermés les corps des saint évêques de Tours, Brice, Perpet, Grégoire, Eustoche, et Eufrone, avec celles de saint Epain Martyr, et de plusieurs autres saints et saintes. » Cette dernière translation est certainement l’une des plus importantes puisqu’elle permet une exposition de l’ensemble des reliques de saint Martin et de ses éminents successeurs, dans un contexte de fin de guerre de Cent Ans, à un moment où la monarchie française souhaite manifester sa légitimité retrouvée. On peut imaginer que cet événement ait pu engendrer un renouvellement des ornements solennels pour la célébration des messes liées au culte du saint, dans la mesure aussi où sont présents sur le cycle brodé des reliquaires en forme d’architecture gothique et non de buste, ainsi que des miracles opérés au contact des reliques de saint Martin. Concernant les prodigalités de Charles VII à l’égard de Saint-Martin, nous pouvons citer, à titre d’illustration, l’article de Pierre Mesnard « La collégiale de Saint-Martin à l’époque des Valois », publié en 1961 dans la Revue d’histoire de l’Église de France, qui rappelle que « dès 1430 Charles VII avait promis une nouvelle châsse ; en 1450 il exécute sa promesse, et le 9 mars 1453 la translation des reliques dans leur nouvel habitacle d’or donne lieu à une magnifique cérémonie, à laquelle participent les plus hauts dignitaires du royaume. […] Charles VII fit encore au chapitre de Saint-Martin quelques présents de qualité : en 1459 une cloche invitant les chanoines à prier pour sa santé et en 1460 à sa guérison un reliquaire d’or, volé comme tout le reste lors du pillage de 1562. Aussi le service solennel à la mémoire du roi donateur fut-il célébré avec un éclat tout particulier le 5 août 1461, tous les assistants revêtus de la chape noire. » Les broderies de saint Martin conservées au musée des Tissus, remontées certainement en même temps qu’au moins deux autres croix de chasuble à l’époque moderne en deux ornements complets de chasubles, témoignent de la production somptuaire du XVe siècle en France, dans un contexte artistique de style international dans lequel se mêlent innovations picturales et techniques, dans l’entourage des souverains et des princes. L’ensemble du musée des Tissus a, dès son acquisition en 1909, suscité l’admiration des spécialistes. Les études successives menées sur cet ensemble remarquable ont livré tour à tour des conclusions nous permettant aujourd’hui d’apprécier pleinement la portée de cet ouvrage, et ce, malgré l’absence d’archives connues et en dépit des difficultés concernant son attribution et sa datation. L’analyse technique, portant uniquement sur les médaillons du musée des Tissus, a révélé une possible réalisation concomitante des médaillons circulaires et des panneaux de forme gothique, ainsi que la variété et la maîtrise des techniques de broderie, du point fendu à l’or nué, mises en œuvre par plusieurs brodeurs d’un même atelier, sans monotonie et sans discordance. Le remontage postérieur a permis d’apprécier le travail de reprise d’une broderie gothique, aussi bien dans le choix des techniques mises en œuvre que dans la délimitation des zones de reprises. Toutes ces observations ne font que confirmer le caractère exceptionnel de ces pièces, certainement réalisées dans l’entourage de la personne du roi de France pour le sanctuaire de saint Martin, au plus tard, à l’occasion de la dernière translation des reliques du saint. Claire Berthommier (fr)
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