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| - La Chambre de Commerce de Lyon acquiert ce fukusa en 1897 lors de la vente qui fait suite à la mort d’Edmond de Goncourt, collectionneur et japoniste de renom. C’est un objet très populaire en Europe, tant et si bien que le Japon, conscient de l’intérêt lucratif qu’il représente, en produit en masse en vue de les exporter ; on trouvera dès 1873, lors de l’Exposition universelle de Vienne, de nombreux textiles (parmi lesquels des fukusa) copiant ou imitant les pièces traditionnelles que des Occidentaux en quête d’exotisme s’arracheront. Si les japonistes accordent de l’importance à la question de l’authenticité, rares sont ceux qui peuvent réellement distinguer une œuvre originale d’une reproduction, l’étude de l’art japonais étant alors encore naissante.
Edmond de Goncourt, bien que passionné, n’était pas de ces quelques experts. Néanmoins, sa collection contenait bien des pièces authentiques : l’ensemble de fukusa (MT 26028 à MT 26032) acquis par la Chambre de Commerce de Lyon en contient, et c’est le cas de cette œuvre. Le catalogue mentionne, à propos du lot numéro 1099 qu’elle constituait, « Hotei et les enfants, brodés sur soie bleue damassée. » La figure de Hotei n’est pas inconnue en Europe où elle est parfois confondue avec celle de Bouddha. C’est un homme à l’air perpétuellement réjoui dont le faciès lunaire dépeint une bonhomie certaine. Son crâne est dégarni, son front court, et, indice de sa grande spiritualité, le lobe de ses oreilles est particulièrement étiré, à l’instar de Bouddha. Ses joues non rasées lui donnent une allure négligée, toutefois sympathique, qui caractérise ce personnage. De même, sa robe toujours ouverte exhibe un ventre proéminent – en Chine, l’estomac est considéré comme le siège de l’âme ; c’est donc le signe de son grand cœur. Peu enclin à accumuler les richesses matérielles, il est chichement vêtu. Au Japon, Hotei est très populaire ; il est fréquemment représenté dans les arts décoratifs ou picturaux, et pour cause : c’est l’un des Shishi Fukujin (les Sept Divinités du Bonheur, dont chacune est associée à une vertu). Ce panthéon est le résultat du syncrétisme des traditions shintō, bouddhiste et taoïste. Il s’en dégage trois favoris : Ebisu (divinité shintō, dieu de l’océan et de la prospérité, associé à l’honnêteté), Daikokuten (divinité d’origine hindoue, dieu de l’agriculture et de la terre, associé à la chance) et Hotei.
Sous ses allures de moine paillard, c’est en vérité un homme profondément spirituel. Hotei est à l’origine un moine bouddhiste chinois du IXe siècle (mort en 905 ou 916) emprunté à la tradition taoïste ; son existence tout entière est auréolée de légendes et sa biographie recomposée fourmille d’anecdotes si bien qu’il est désormais impossible de démêler le fait historique du fait mythique. Son nom bouddhiste est Qici, mais il sera plus connu de son surnom Putai (ou Budai), ce qui signifie littéralement « sac en toile de jute », en raison de l’immense sac qui l’accompagne.
C’est une figure marginale qui va et vient dans la région ; il n’habite nulle part. S’il a sommeil, il s’assoit et s’endort simplement à l’endroit où il se trouve, fut-ce dans la neige : son corps semble insensible aux variations de la température. Il collecte dans son sac, toujours rempli à ras-bord, des pierres, du bois, parfois de la nourriture, et les aumônes qu’il quémande aux habitants de la région qui le croisent. Ces derniers le consultent fréquemment pour connaître leur destin car il est réputé infaillible dans ses prédictions, tant pour leur contenu que pour le moment de leur réalisation. Quelques minutes avant sa mort, on raconte qu’il s’est assis, en tailleur, sur une pierre plate en contre-bas de la véranda est du monastère de Yuelinsi pour réciter quelques vers qui délivrent une leçon à propos de Maitreya – le prochain Bouddha à venir, un Bouddha bienveillant qui orientera le monde vers l’Éveil. Il sera considéré, plus tard, comme l’incarnation même de Maitreya car certains prétendirent, après sa mort, l’avoir vu déambulant et portant sur le dos son sac, comme de son vivant. Il ne tarde pas à intégrer l’iconographie bouddhiste : on mentionne des peintures du moine dès la fin du Xe siècle dans la province de Zhejiang.
En Chine, puis au Japon, les premières représentations du moine fixent dans l’iconographie les caractéristiques physiques que l’on lui connaît aujourd’hui ; étant des œuvres de l’art Zen, elles insistent en revanche davantage sur le message spirituel qu’il incarne. Outre son détachement des choses matérielles, Hotei cultive un goût pour le paradoxe dans les leçons qu’il délivre. Ainsi, il est souvent peint debout, l’index levé en direction du ciel. Un poète du XVIe siècle, Tōkei Dōjin, dit à ce propos : « Ne cherchez pas ce qu’il pointe du doigt. » Il faut comprendre alors qu’en désignant du doigt un espace vide, Hotei met en garde ses disciples contre la recherche consciente de l’Éveil pour l’Éveil. Cependant, aux antipodes d’autres figures, ascétiques et austères, représentant la secte Zen du bouddhisme, Hotei est également caractérisé par sa vitalité, son humour et son anticonformisme – on se souviendra de lui comme le « Bouddha rieur ». Il fait ainsi partie de ces personnages réinterprétés, déplacés de leur mythologie originelle pour les séculariser, et qui deviennent, d’avatars de la spiritualité, des figures plus familières, plus terrestres. Hotei devient alors, au Japon, le dieu du bonheur, la vertu qui lui est associée est la magnanimité ; il est aussi la divinité tutélaire des enfants.
C’est surtout à partir de l’époque Edo (1600-1868) qu’il sera représenté dans ce rôle, et c’est le cas dans ce fukusa. Hotei est accompagné ici, à sa droite, de deux karako – figures communes de l’iconographie japonaise représentant des enfants chinois que l’on reconnaît grâce à leur costume et à leur coiffure ; leur crâne est habituellement rasé, à l’exception de deux touffes de cheveux laissées de part et d’autre – ce n’est pas le cas ici, peut-être faut-il y voir une façon de leur attribuer un sexe. L’enfant à droite serait une fillette, et celui à gauche, un garçon. Le premier karako sollicite le moine en le tirant par la manche. Sa robe rouge est ornée de médaillons de deux phénix (hōō, animal mythique que les japonais ont importé de Chine) superposés dessinés par un filé doré très fin. On reconnaît, sur le costume du second, un autre motif chinois : des fleurs de pivoine sont tracées par un ondé orange. De façon plutôt paradoxale, l’envers de son col rabattu est orné du motif japonais seigaiha qui représente des vagues semblables à des écailles. L’enfant joue avec un orizuru, grue en origami, qui rappelle que cet art est, lui aussi, d’origine chinoise. Les rinceaux et fleurs du fond damassé décorent la robe de Hotei, leur contour est souligné d’un fin filé doré afin d’accentuer leur aspect décoratif ; les vrilles sont également reproduites en broderie sur le pantalon du second karako. Ainsi, le fond orné participe-t-il au décor des costumes ; il est, lui aussi, le reflet d’une esthétique sinisante. La forme particulière de ces rinceaux est caractéristique de l’art chinois ; de même, les chrysanthèmes, pivoines et grenades qui poussent sur ces sarments sont des motifs importés de Chine.
Hotei apparaît ici en tant que Divinité du Bonheur, on le reconnaît grâce aux trois attributs qui lui sont associés au Japon – on en trouve deux ici (le hōju, joyaux qui permet de réaliser les vœux, est absent). Dans sa main gauche, et reposant au creux de son cou, le moine tient un tansui, long bâton de bois dont l’utilité première est de mesurer la profondeur d’un cours d’eau lors d’un passage à gué. Dans la religion bouddhiste, ce bâton permet de mesurer les progrès d’un disciple au cours de son entraînement à l’aune de son potentiel. Dans son autre main, il tient un éventail rigide. Sa forme, proche de l’écran à main occidental, rappelle le gunbai – éventail de guerre et symbole de l’autorité. Peu fréquent dans l’iconographie japonaise, on lui préfère l’aristocratique ōgi (éventail brisé) ou bien, plus populaire, l’uchiwa (éventail rigide et rond) ; il subsiste principalement en tant qu’attribut de Hotei, en raison de son origine chinoise. Les deux karako s’amusent visiblement aux côtés du moine gras qui leur sourit avec bienveillance. Frappés par l’image de ce gros moine toujours entouré d’enfants heureux, les Occidentaux verront en lui le « saint Nicolas japonais ». Cette représentation occulte presque intégralement la signification spirituelle première attachée à la figure de Hotei, qui est une figure majeure de la branche Zen du bouddhisme. En effet, son symbolisme se nourrit du paradoxe entre le vide qu’il pointe du doigt, et le sac plein et rond qu’il porte sur son dos (ici, son extrémité est nouée sur son bâton) ; or cet attribut est presque entièrement masqué par la corpulence du moine et par le karako en robe rouge. Il est néanmoins intéressant de remarquer ici l’influence de la peinture Zen sur la représentation japonaise de Hotei. En effet, les broderies de soie floche ou les cordonnés dorés qui dessinent les plis des vêtements jouent sur des effets d’épaisseur, imitant ainsi les variations des contours tracés à l’encre de Chine. Aux traditions picturales, l’esthétique de ce fukusa mêle également un certain réalisme trouvé dans les effets de matière et de relief : les touffes de cheveux des enfants, le nez et l’oreille de Hotei, ainsi que son bâton. De même, le treillis losangé couché appliqué à la doublure de sa robe (qui apparaît ici en blanc) lui donne un effet capitonné très réaliste. L’iconographie de ce fukusa témoigne d’une certaine « démocratisation » de l’usage de ces tissus au cours de l’époque Edo. On peut en mentionner un autre, probablement contemporain de celui du musée des Tissus, conservé à la Dennosuke Miyai Fukusa and Furoshiki Collection (inv. 1001), qui présente une iconographie comparable, avec Hotei et des karako. Les motifs ornant les fukusa permettent de conférer du sens au présent qu’ils accompagnent : ils donnent des indications sur la raison qui anime le geste, et leur complexité permet de déterminer la qualité et le rang social du donneur ; la doublure est l’endroit utilisé par les familles pour y apposer leur sceau. Il s’agit ici d’un motif populaire : Hotei est une divinité connue de tous et qui n’est pas représentée ici sous une forme symbolique ou complexe. Il est ainsi possible de déduire que ce fukusa a pu être utilisé par une famille qui n’était pas nécessairement de haute extraction, mais néanmoins aisée, comme des marchands. Qui plus est, la figure de Hotei sur un fukusa est particulièrement appropriée pour célébrer la mise en place de la poutre faîtière d’une nouvelle demeure pour apporter prospérité aux habitants, ou bien pour souhaiter du succès dans les affaires d’une nouvelle entreprise ou échoppe – ce qui confirme l’hypothèse évoquée plus haut. Cependant, l’emploi de la figure de Hotei ne se limite pas au cadre séculier : lors d’un culte bouddhiste, un tel fukusa peut être déposé sur des offrandes afin de souhaiter une vie meilleure grâce à un comportement vertueux.
Hugo Develly (fr)
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| - La Chambre de Commerce de Lyon acquiert ce fukusa en 1897 lors de la vente qui fait suite à la mort d’Edmond de Goncourt, collectionneur et japoniste de renom. C’est un objet très populaire en Europe, tant et si bien que le Japon, conscient de l’intérêt lucratif qu’il représente, en produit en masse en vue de les exporter ; on trouvera dès 1873, lors de l’Exposition universelle de Vienne, de nombreux textiles (parmi lesquels des fukusa) copiant ou imitant les pièces traditionnelles que des Occidentaux en quête d’exotisme s’arracheront. Si les japonistes accordent de l’importance à la question de l’authenticité, rares sont ceux qui peuvent réellement distinguer une œuvre originale d’une reproduction, l’étude de l’art japonais étant alors encore naissante.
Edmond de Goncourt, bien que passionné, n’était pas de ces quelques experts. Néanmoins, sa collection contenait bien des pièces authentiques : l’ensemble de fukusa (MT 26028 à MT 26032) acquis par la Chambre de Commerce de Lyon en contient, et c’est le cas de cette œuvre. Le catalogue mentionne, à propos du lot numéro 1099 qu’elle constituait, « Hotei et les enfants, brodés sur soie bleue damassée. » La figure de Hotei n’est pas inconnue en Europe où elle est parfois confondue avec celle de Bouddha. C’est un homme à l’air perpétuellement réjoui dont le faciès lunaire dépeint une bonhomie certaine. Son crâne est dégarni, son front court, et, indice de sa grande spiritualité, le lobe de ses oreilles est particulièrement étiré, à l’instar de Bouddha. Ses joues non rasées lui donnent une allure négligée, toutefois sympathique, qui caractérise ce personnage. De même, sa robe toujours ouverte exhibe un ventre proéminent – en Chine, l’estomac est considéré comme le siège de l’âme ; c’est donc le signe de son grand cœur. Peu enclin à accumuler les richesses matérielles, il est chichement vêtu. Au Japon, Hotei est très populaire ; il est fréquemment représenté dans les arts décoratifs ou picturaux, et pour cause : c’est l’un des Shishi Fukujin (les Sept Divinités du Bonheur, dont chacune est associée à une vertu). Ce panthéon est le résultat du syncrétisme des traditions shintō, bouddhiste et taoïste. Il s’en dégage trois favoris : Ebisu (divinité shintō, dieu de l’océan et de la prospérité, associé à l’honnêteté), Daikokuten (divinité d’origine hindoue, dieu de l’agriculture et de la terre, associé à la chance) et Hotei.
Sous ses allures de moine paillard, c’est en vérité un homme profondément spirituel. Hotei est à l’origine un moine bouddhiste chinois du IXe siècle (mort en 905 ou 916) emprunté à la tradition taoïste ; son existence tout entière est auréolée de légendes et sa biographie recomposée fourmille d’anecdotes si bien qu’il est désormais impossible de démêler le fait historique du fait mythique. Son nom bouddhiste est Qici, mais il sera plus connu de son surnom Putai (ou Budai), ce qui signifie littéralement « sac en toile de jute », en raison de l’immense sac qui l’accompagne.
C’est une figure marginale qui va et vient dans la région ; il n’habite nulle part. S’il a sommeil, il s’assoit et s’endort simplement à l’endroit où il se trouve, fut-ce dans la neige : son corps semble insensible aux variations de la température. Il collecte dans son sac, toujours rempli à ras-bord, des pierres, du bois, parfois de la nourriture, et les aumônes qu’il quémande aux habitants de la région qui le croisent. Ces derniers le consultent fréquemment pour connaître leur destin car il est réputé infaillible dans ses prédictions, tant pour leur contenu que pour le moment de leur réalisation. Quelques minutes avant sa mort, on raconte qu’il s’est assis, en tailleur, sur une pierre plate en contre-bas de la véranda est du monastère de Yuelinsi pour réciter quelques vers qui délivrent une leçon à propos de Maitreya – le prochain Bouddha à venir, un Bouddha bienveillant qui orientera le monde vers l’Éveil. Il sera considéré, plus tard, comme l’incarnation même de Maitreya car certains prétendirent, après sa mort, l’avoir vu déambulant et portant sur le dos son sac, comme de son vivant. Il ne tarde pas à intégrer l’iconographie bouddhiste : on mentionne des peintures du moine dès la fin du Xe siècle dans la province de Zhejiang.
En Chine, puis au Japon, les premières représentations du moine fixent dans l’iconographie les caractéristiques physiques que l’on lui connaît aujourd’hui ; étant des œuvres de l’art Zen, elles insistent en revanche davantage sur le message spirituel qu’il incarne. Outre son détachement des choses matérielles, Hotei cultive un goût pour le paradoxe dans les leçons qu’il délivre. Ainsi, il est souvent peint debout, l’index levé en direction du ciel. Un poète du XVIe siècle, Tōkei Dōjin, dit à ce propos : « Ne cherchez pas ce qu’il pointe du doigt. » Il faut comprendre alors qu’en désignant du doigt un espace vide, Hotei met en garde ses disciples contre la recherche consciente de l’Éveil pour l’Éveil. Cependant, aux antipodes d’autres figures, ascétiques et austères, représentant la secte Zen du bouddhisme, Hotei est également caractérisé par sa vitalité, son humour et son anticonformisme – on se souviendra de lui comme le « Bouddha rieur ». Il fait ainsi partie de ces personnages réinterprétés, déplacés de leur mythologie originelle pour les séculariser, et qui deviennent, d’avatars de la spiritualité, des figures plus familières, plus terrestres. Hotei devient alors, au Japon, le dieu du bonheur, la vertu qui lui est associée est la magnanimité ; il est aussi la divinité tutélaire des enfants.
C’est surtout à partir de l’époque Edo (1600-1868) qu’il sera représenté dans ce rôle, et c’est le cas dans ce fukusa. Hotei est accompagné ici, à sa droite, de deux karako – figures communes de l’iconographie japonaise représentant des enfants chinois que l’on reconnaît grâce à leur costume et à leur coiffure ; leur crâne est habituellement rasé, à l’exception de deux touffes de cheveux laissées de part et d’autre – ce n’est pas le cas ici, peut-être faut-il y voir une façon de leur attribuer un sexe. L’enfant à droite serait une fillette, et celui à gauche, un garçon. Le premier karako sollicite le moine en le tirant par la manche. Sa robe rouge est ornée de médaillons de deux phénix (hōō, animal mythique que les japonais ont importé de Chine) superposés dessinés par un filé doré très fin. On reconnaît, sur le costume du second, un autre motif chinois : des fleurs de pivoine sont tracées par un ondé orange. De façon plutôt paradoxale, l’envers de son col rabattu est orné du motif japonais seigaiha qui représente des vagues semblables à des écailles. L’enfant joue avec un orizuru, grue en origami, qui rappelle que cet art est, lui aussi, d’origine chinoise. Les rinceaux et fleurs du fond damassé décorent la robe de Hotei, leur contour est souligné d’un fin filé doré afin d’accentuer leur aspect décoratif ; les vrilles sont également reproduites en broderie sur le pantalon du second karako. Ainsi, le fond orné participe-t-il au décor des costumes ; il est, lui aussi, le reflet d’une esthétique sinisante. La forme particulière de ces rinceaux est caractéristique de l’art chinois ; de même, les chrysanthèmes, pivoines et grenades qui poussent sur ces sarments sont des motifs importés de Chine.
Hotei apparaît ici en tant que Divinité du Bonheur, on le reconnaît grâce aux trois attributs qui lui sont associés au Japon – on en trouve deux ici (le hōju, joyaux qui permet de réaliser les vœux, est absent). Dans sa main gauche, et reposant au creux de son cou, le moine tient un tansui, long bâton de bois dont l’utilité première est de mesurer la profondeur d’un cours d’eau lors d’un passage à gué. Dans la religion bouddhiste, ce bâton permet de mesurer les progrès d’un disciple au cours de son entraînement à l’aune de son potentiel. Dans son autre main, il tient un éventail rigide. Sa forme, proche de l’écran à main occidental, rappelle le gunbai – éventail de guerre et symbole de l’autorité. Peu fréquent dans l’iconographie japonaise, on lui préfère l’aristocratique ōgi (éventail brisé) ou bien, plus populaire, l’uchiwa (éventail rigide et rond) ; il subsiste principalement en tant qu’attribut de Hotei, en raison de son origine chinoise. Les deux karako s’amusent visiblement aux côtés du moine gras qui leur sourit avec bienveillance. Frappés par l’image de ce gros moine toujours entouré d’enfants heureux, les Occidentaux verront en lui le « saint Nicolas japonais ». Cette représentation occulte presque intégralement la signification spirituelle première attachée à la figure de Hotei, qui est une figure majeure de la branche Zen du bouddhisme. En effet, son symbolisme se nourrit du paradoxe entre le vide qu’il pointe du doigt, et le sac plein et rond qu’il porte sur son dos (ici, son extrémité est nouée sur son bâton) ; or cet attribut est presque entièrement masqué par la corpulence du moine et par le karako en robe rouge. Il est néanmoins intéressant de remarquer ici l’influence de la peinture Zen sur la représentation japonaise de Hotei. En effet, les broderies de soie floche ou les cordonnés dorés qui dessinent les plis des vêtements jouent sur des effets d’épaisseur, imitant ainsi les variations des contours tracés à l’encre de Chine. Aux traditions picturales, l’esthétique de ce fukusa mêle également un certain réalisme trouvé dans les effets de matière et de relief : les touffes de cheveux des enfants, le nez et l’oreille de Hotei, ainsi que son bâton. De même, le treillis losangé couché appliqué à la doublure de sa robe (qui apparaît ici en blanc) lui donne un effet capitonné très réaliste. L’iconographie de ce fukusa témoigne d’une certaine « démocratisation » de l’usage de ces tissus au cours de l’époque Edo. On peut en mentionner un autre, probablement contemporain de celui du musée des Tissus, conservé à la Dennosuke Miyai Fukusa and Furoshiki Collection (inv. 1001), qui présente une iconographie comparable, avec Hotei et des karako. Les motifs ornant les fukusa permettent de conférer du sens au présent qu’ils accompagnent : ils donnent des indications sur la raison qui anime le geste, et leur complexité permet de déterminer la qualité et le rang social du donneur ; la doublure est l’endroit utilisé par les familles pour y apposer leur sceau. Il s’agit ici d’un motif populaire : Hotei est une divinité connue de tous et qui n’est pas représentée ici sous une forme symbolique ou complexe. Il est ainsi possible de déduire que ce fukusa a pu être utilisé par une famille qui n’était pas nécessairement de haute extraction, mais néanmoins aisée, comme des marchands. Qui plus est, la figure de Hotei sur un fukusa est particulièrement appropriée pour célébrer la mise en place de la poutre faîtière d’une nouvelle demeure pour apporter prospérité aux habitants, ou bien pour souhaiter du succès dans les affaires d’une nouvelle entreprise ou échoppe – ce qui confirme l’hypothèse évoquée plus haut. Cependant, l’emploi de la figure de Hotei ne se limite pas au cadre séculier : lors d’un culte bouddhiste, un tel fukusa peut être déposé sur des offrandes afin de souhaiter une vie meilleure grâce à un comportement vertueux.
Hugo Develly (fr)
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