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| - Le livre, de format in-seize, relié en maroquin brun janséniste, avec dos à nerfs, tête dorée, encadrements intérieurs d'un jeu d'entrelacs dorés formant des festons timbrés de rosettes, tranches de tête et de pied dorées, contreplats et gardes en moire antique de couleur carmélite, doubles-gardes en satin crème, comprenant un titre avec les armes de Lyon tissées au verso et vingt pages, toutes tissées.
La page de titre indique que le textes, « Les Laboureurs. Poème tiré de Jocelyn » d'« A. de Lamartine » a été « reproduit en caractères tissés/ avec licence des propriétaires éditeurs,. en souvenir de l'Exposition/ de Paris 1878/ par J.-A. Henry/ fabricant à Lyon/ rue du Garet, 3 », avec la « Collaboration », pour la « mise en carte », de « MM. Prignol », pour le « lisage », de « Lespinasse & Paquet », pour le « tissage », de « Vallet ».
Joseph-Alphonse Henry (1836-1913) reprend en 1867 la maison familiale Henry Frères (Alphonse et Charles) et Jouve (Hippolyte), spécialisée dans les ornements d'églises, dorure et soieries pour ameublement, sous la raison commerciale Henry J.-A. Rapidement, la maison Henry J.-A. obtient des distinctions : elle est gratifiée d'une médaille d'argent à l'Exposition universelle de Paris en 1867, d'une médaille d'or à l'Exposition maritime internationale du Havre en 1868, d'une médaille d'honneur à l'Exposition religieuse de Rome en 1870 et à l'Exposition internationale de Lyon en 1872, d'une médaille de progrès et d'une médaille de mérite à l'Exposition universelle de Vienne en 1873. À l'Exposition universelle de Paris de 1878, elle est gratifiée d'une médaille d'or.
Parmi les pièces exposées qui lui valent cette dernière distinction figure un livre tissé. Il s'agit alors de la première expérience de ce type, depuis le fameux Testament de Louis XVI d'Étienne Maisiat, présenté à l'Exposition des produits de l'industrie française de 1827 (inv. MT 7915).
Les pages du livre sont tissées en lampas fond satin double-étoffe comportant deux chaînes, crème et rouge, et deux trames, également crème et rouge. Le tissage est exécuté en un seul chemin pour produire une laize de seize centimètre de large. La finesse de la soie et l'invisibilité des liages, qui donne une grande densité au tissage, permet au fabricant d'éditer son texte en corps 8 typographique avec une lisibilité parfaite. Quatre mises en carte préparant le tissage subsistent dans les archives du fabricant, aujourd'hui conservées par la manufacture Prelle, à Lyon. Ce livre tissé constitue une véritable prouesse technique, dont très peu d'exemplaires ont été exécutés. L'un d'eux, comme en témoigne l'une des mises en carte, était destiné au comte de Paris, Philippe d'Orléans, petit-fils de Louis-Philippe.
Le choix du texte, le poème « Les Laboureurs » tiré de Jocelyn d'Alphonse de Lamartine, peut surprendre de la part d'une maison spécialisée dans les ornements d'église, puisque le Jocelyn de Lamartine avait été mis à l'index par le Vatican par décret du 22 septembre 1836. On y reconnaît, en revanche, l'esprit de Joseph-Alphonse Henry, qui a développé son entreprise par l'innovation : en 1874 était réédité l'ouvrage de Lamartine Jacquard, Gutenberg, biographie de deux héros de l'industrie nationale publiée en 1864.
La prouesse que représente le livre tissé de la maison Henry J.-A. n'est pas passée inaperçue. Durant la séance du 13 septembre 1878 de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, Émile Egger (1813-1885), membre de l'Institut et professeur d'éloquence grecque de la Faculté des lettres de Paris, a soumis deux pages du livre tissé par Joseph-Alphonse Henry à ses confrères. « On avait déjà vu des portraits tissés avec accompagnement de courtes légendes ; mais on a ici les premiers feuillets d'un livre véritable. La typographie n'est pas encore menacée par là d'une concurrence bien redoutable ; cependant, ne fût-ce que comme objet d'art et de curiosité, en attendant l'application utile et pratique, l'œuvre de M. Henry mérite au plus haut degré l'attention des amateurs » (Le Temps, 23 septembre 1878).
Le même Émile Egger, dans son Histoire du livre depuis ses origines jusqu'à nos jours, publiée à Paris en 1878, dans la présentation qu'il donne des livres présentés à l'Exposition universelle de 1878, indique : « Autre variété moins prévue, et qui demande vraiment une place à part : l'industrie de Lyon nous présente un livre tissé en fils de soie. Ces vingt pages, exécutées d'après les procédés de Jacquard, par M. Henry et ses habiles collaborateurs, sont le plus merveilleux produit d'un art tout français. Le célèbre inventeur des machines qui ont transformé la fabrication des tissus ne se doutait pas qu'un jour arriverait où, de perfectionnement en perfectionnement, sa machine deviendrait capable de reproduire des pages entières d'écriture, et de lutter ainsi avec l'art des disciples de Gutenberg » (p. 216-217).
L'exemplaire conservé au musée des Tissus, ainsi que celui conservé à la Bibliothèque nationale de France (qui ne conserve aucun encadrement doré ; cote RESP P- YE- 9) et celui produit pour le comte de Paris, sont les exemplaires originaux créés en 1878. En 1883, Joseph-Alphonse Henry à retissé quelques exemplaires des « Laboureurs », eux aussi reliés en maroquin brun janséniste avec dos à nerfs. Le tissage, en revanche, inclut des filés métalliques argent, chaque page a été enrichie, d'un très riche encadrement floral, le texte est tissé en noir, les contreplats et les gardes tissées, avec encadrement et ornement central. Sur la page de titre figure la date, 1883, mais la mention de l'Exposition universelle de 1878 a disparu, ainsi que les noms des collaborateurs. L'adresse de la maison Henry n'est plus au 3, rue du Garet, mais au 24, rue Lafont.
Trois ans après cette réédition des « Laboureurs », en janvier 1886, Joseph-Alphonse Henry renouvelle l'exploit consistant à tisser un livre tout entier. Il s'adresse au révérend père Jean Hervier (1847-1900), mariste de la communauté de Saint-Chamond, qui s'inspire d'enluminures et de peintures des XIVe, XVe et XVIe siècles pour le manuscrit d'un livre de prières à l'usage des jeunes mariés. Sur cinquante pages, le livre présente les textes de la messe de mariage, les prières du matin et du soir, les prières au Saint-Esprit, à la Vierge, pour la Sainte Communion et lors de l'Adoration du Saint-Sacrement. Les textes sont entourés d'enluminures en camaïeu de gris, les têtes de chapitre sont ornées d'un frontispice, et quatre vignettes en pleine page divisent l'ouvrage, représentant la Nativité, la Mise en Croix, une Vierge à l'Enfant adorée par les anges et la Dispute du Saint-Sacrement. Grâce à la générosité de la famille Truchot, le musée des Tissus a pu faire entrer dans ses collections le manuscrit original du père Hervier (inv. MT 2015.5.57). Le musée conserve également la totalité des mises en carte du livre de prières tissé (inv. MT 49277, MT 49278 et MT 49279), deux exemplaires du livre lui-même (inv. MT 25023 et MT 51294), quinze modèles de dédicaces différentes pour ce livre (inv. MT 42587) et plusieurs feuillets non reliés. Le premier exemplaire du livre de prières, recouvert de soie blanche, a été offert au pape Léon XIII à l'occasion de son jubilé, en 1888.
Contrairement aux « Laboureurs », dont de très rares exemplaires seulement ont été exécutés en 1878 puis en 1883, le livre de prières a fait l'objet de quelques dizaines de réalisations qui lui ont assuré une certaine diffusion. Cet ouvrage, présenté à l'Exposition universelle de Paris, en 1889, a été très remarqué. Il a fait l'objet de plusieurs notices, comme celle du chanoine Claude Comte dans L'Écho de Fourvière, en 1888 (« Les Dons des Lyonnais à l'Exposition Vaticane : le livre de prières tissé », p. 83-84) ou celle de Paul Marais, conservateur-adjoint de la Bibliothèque Mazarine, dans le Bulletin du Bibliophile, en 1889 (p. 163-166). Cette dernière notice donne par ailleurs des indications intéressantes sur la reliure des livres tissés par la maison Henry, qui s'appliquent à l'exemplaire des « Laboureurs » : « Reste un dernier point très délicat également : comment relier un tel ouvrage ? Nous allons donner les quelques renseignements que nous avons pu recueillir [grâce au libraire-éditeur Antoine Roux avec lequel Joseph-Alphonse Henry collaborait]. Les pages sont coupées par deux, et se présentent ainsi à l'œil : la page de gauche est le recto et celle de droite le verso. On encolle légèrement avec de la colle forte l'envers des deux pages, et l'on double l'étoffe avec un papier léger et résistant à la fois, puis on replie la feuille en deux, et elle se trouve ainsi dans la position normale, la page qui était à gauche forme le recto, celle de droite le verso ; les deux marges latérales extrêmes qui sont alors collées l'une sur l'autre forment onglet, et permettent au relieur de coudre. L'opération de la reliure d'un tel livre est très délicate et demande des soins méticuleux, surtout au point de vue de l'encollage ; toute partie de colle qui traverse une page perd cette page en y faisant une tache » (p. 165).
Une autre notice, écrite par Alfred Lailler (Une merveille artistique. Notice sur un livre de prières tissé en soie, Rouen, 1890), rappelle qu'une expérience similaire avait été tentée par Joseph-Alphonse Henry avec le poème « Les Laboureurs » : « Ce n'était pas la première fois que le fabricant lyonnais accomplissait un pareil tour de force. Il s'y était déjà exercé il y a quelques années avec le poème des Laboureurs, de Lamartine ; mais c'était une curiosité dont les rares exemplaires n'ont jamais été mis dans le commerce. L'un d'eux se trouve à la Bibliothèque Mazarine ; un autre, relié dans des conditions uniques, a été offert à M. le Comte de Paris et occupe une place d'honneur à la bibliothèque du château d'Eu. »
En 1895, enfin, Joseph-Alphonse Henry réalise un scapulaire (numéro de patron 2782) sur le métier qui a servi a tisser « Les Laboureurs » et le livre de prières. Sur sa partie gauche, le scapulaire porte l'image de Notre-Dame du Bon Conseil avec l'inscription Mater Boni Consili, à droite, dans le même encadrement, l'injonction Fili acquiesce/ consiliis ejus/ Leo XIII., c'est-à-dire « Fils, suivez ses conseils. Léon XIII », surmontée de la tiare pontificale. Le pape Léon XIII avait ajouté l'invocation Mater Boni Consilii aux litanies de la Sainte Vierge et autorisé les moines augustiniens à porter un scapulaire dédié à Notre-Dame du Bon Conseil avec d'un côté l'image de la Madone de l'église de Genazzano, en Italie, et de l'autre, les inscriptions portées par Henry sur son exemplaire tissé. Aucune indication n'accompagne cependant l'échantillon de scapulaire dans le livre de cartons de la maison Henry conservé dans les archives de la maison Prelle, à Lyon, et il est donc impossible de savoir si cette réalisation correspond à une commande spécifique.
Maximilien Durand (fr)
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