. . . "Le fukusa est un morceau d\u2019\u00E9toffe orn\u00E9 et rectangulaire utilis\u00E9 lors de la c\u00E9r\u00E9monie du cadeau au Japon. Elle a lieu, \u00E0 l\u2019origine, dans les familles de samurai et lors d\u2019occasions sp\u00E9ciales (une naissance, par exemple) : un cadeau est offert dans une bo\u00EEte de bois simple, comme le requiert le plus haut niveau de protocole. Cependant, au d\u00E9but de l\u2019\u00E9poque Edo (1600-1868), ces c\u00E9r\u00E9monies se sont multipli\u00E9es et sont devenues plus abouties. La tradition s\u2019est align\u00E9e au niveau de protocole interm\u00E9diaire qui stipule qu\u2019un cadeau doit \u00EAtre pr\u00E9sent\u00E9 sur un plateau de bois (hirobuta) et recouvert d\u2019un fukusa. Les sujets qui le d\u00E9corent sont choisis en fonction de la raison qui anime le geste tandis que la qualit\u00E9 d\u2019ex\u00E9cution d\u00E9termine le statut social de la personne qui offre le cadeau \u2013 de plus, une doublure porte le mon (blason circulaire) de la famille \u00E0 laquelle le fukusa appartient. Une fois le pr\u00E9sent offert, \u00E0 moins que la personne dont il provient d\u00E9cide d\u2019en faire don, le fukusa est retourn\u00E9 \u00E0 sa famille d\u2019origine. \nCelui-ci provient de la collection d\u2019Edmond de Goncourt, collectionneur r\u00E9put\u00E9 d\u2019art japonais \u00E0 la fin du XIXe si\u00E8cle. Un an apr\u00E8s sa mort, en 1897, le collectionneur et marchand d\u2019art extr\u00EAme-oriental Siegfried Bing se charge de la vente de la collection du d\u00E9funt. C\u2019est lors de cet \u00E9v\u00E9nement que la Chambre de Commerce de Lyon acquiert cinq fukusa (MT 26028 \u00E0 MT 26032), un kimono (MT 26033), douze \u00E9chantillons de tissus (MT 26034), deux kakemono (MT 26035 et MT 26037) ainsi qu\u2019un obi \u2013 ceinture servant \u00E0 maintenir un kimono (MT 26038). \nLes deux pi\u00E8ces les plus on\u00E9reuses sont acquises au prix de deux cent quatre-vingt-dix francs et repr\u00E9sentent le tiers du co\u00FBt total de cet achat : il s\u2019agit du kimono et de ce fukusa de velours, d\u00E9crit ainsi par le catalogue de vente : \u00AB Grandes fleurs de pivoines, brod\u00E9es sur velours rouge \u00BB. \nLa Chambre de Commerce de Lyon commence \u00E0 acqu\u00E9rir des pi\u00E8ces chinoises et japonaises d\u00E8s le d\u00E9but des ann\u00E9es 1860 : ces pi\u00E8ces extr\u00EAme-orientales \u00E9tonnent par leur esth\u00E9tique inhabituelle. Au cours de cette d\u00E9cennie, et particuli\u00E8rement gr\u00E2ce aux Expositions universelles, l\u2019art japonais commence \u00E0\u00A0b\u00E9n\u00E9ficier d'une certaine notori\u00E9t\u00E9. Dans le domaine textile, c\u2019est l\u2019Exposition de Vienne en 1873 qui r\u00E9v\u00E9lera le talent du Japon. C\u2019est alors le commencement d\u2019un v\u00E9ritable engouement pour les \u00E9toffes japonaises, qui durera jusqu\u2019au d\u00E9but du si\u00E8cle suivant. \nEn 1878, Paris accueille une nouvelle Exposition universelle. L\u2019art japonais est de plus en plus pr\u00E9sent, et les collections officielles sont concurrenc\u00E9es par des collections priv\u00E9es \u2013 celle de Siegfried Bing, notamment. Les productions fran\u00E7aises sont elles aussi influenc\u00E9es par le japonisme : un certain \u00AB I. G. \u00BB, dans son rapport sur les textiles pr\u00E9sent\u00E9s, souligne la beaut\u00E9 de tissus d\u2019inspiration chinoise et japonaise pr\u00E9sent\u00E9s par la maison lyonnaise Tassinari et Chatel, tandis qu\u2019Ernest Chesneau, dans un autre compte-rendu, d\u00E9plore le nombre de \u00AB pauvres pastiches de l\u2019art japonais \u00BB dont regorgent les \u00E9tals. Qu\u2019elle soit per\u00E7ue comme bonne ou, au contraire, n\u00E9faste, l\u2019influence du Japon est une \u00E9vidence. \nGr\u00E2ce \u00E0 l\u2019intervention de son d\u00E9l\u00E9gu\u00E9 Natalis Rondot, la Chambre de Commerce de Lyon profite de cette Exposition pour acheter trente pi\u00E8ces textiles aupr\u00E8s des maisons K\u014Dcho (MT 23738 \u00E0 23750), Mitsui (MT 23751 \u00E0 MT 23760) et Takaki (MT 23761 \u00E0 23768). Ce grand nombre d\u2019acquisitions textiles permettra alors de nourrir, outre les collections particuli\u00E8res rassembl\u00E9es par des soyeux, la fabrique lyonnaise de l\u2019esth\u00E9tique japonaise. La rapide augmentation de textiles d\u2019inspiration extr\u00EAme-orientale donnera lieu, dans les ann\u00E9es 1880, \u00E0 l\u2019av\u00E8nement d\u2019un style japonais ; tr\u00E8s populaires, ces tissus sont utilis\u00E9s par la Haute Couture parisienne. Ce style affectera \u00E9galement la forme du v\u00EAtement et deviendra le style kimono, qui culminera dans les premi\u00E8res d\u00E9cennies du XXe si\u00E8cle. Le seul g\u00E9nie des artistes japonais n\u2019explique pas \u00E0 lui seul l\u2019engouement qu\u2019il suscite en Europe, et en particulier en France. En effet, l\u2019ouverture du Japon et la diffusion de son art co\u00EFncide avec le tournant naturaliste de l\u2019art au milieu du XIXe si\u00E8cle. \u00C0 la recherche d\u2019un nouveau rapport \u00E0 la nature, les artistes se sont tourn\u00E9s vers des formes moins id\u00E9alis\u00E9es et plus proches du r\u00E9el, ce que propose (en partie) l\u2019art du Japon. C\u2019est \u00E0 l\u2019\u00E9poque un lieu commun que de dire que les Japonais ne font pas qu\u2019imiter la nature : ils la comprennent et sont capables de la reproduire sans l\u2019avoir sous les yeux. \n\u00C0 propos des fabriques de Lyon et de Roubaix, Louis Gonse commente, dans la Revue des Arts d\u00E9coratifs, \u00AB l\u2019art japonais a r\u00E9volutionn\u00E9 les fleurs ; il a r\u00E9volutionn\u00E9 l\u2019art de faire des bouquets. Ces bouquets en forme d\u2019arrosoir, qui faisaient les d\u00E9lices de nos p\u00E8res, ont \u00E9t\u00E9, gr\u00E2ce \u00E0 lui, remplac\u00E9s par une libert\u00E9 de groupement qui est devenue tout \u00E0 fait charmante et se pr\u00EAte sans effort \u00E0 d\u2019infinies combinaisons. \u00BB La fleur, une fois de plus, est au centre du motif textile, mais sous ses attraits originels. Les critiques d\u2019art de l\u2019\u00E9poque d\u00E9gageront de l\u2019art japonais des caract\u00E9ristiques g\u00E9n\u00E9rales qui s\u2019inscrivent dans la logique du rejet de formes id\u00E9alis\u00E9es : asym\u00E9trie des formes et de la composition, variation autour d\u2019une m\u00EAme forme, repr\u00E9sentation des plantes avec leurs tiges, fleurs, feuilles, fruits, etc. Une fleur en particulier trouve une popularit\u00E9 nouvelle car on l\u2019associe au Japon : le chrysanth\u00E8me. \nLa fleur repr\u00E9sent\u00E9e dans ce fukusa n\u2019est pas l\u2019embl\u00E9matique chrysanth\u00E8me, mais il s\u2019agit \u00E9galement d\u2019un motif originairement chinois. La pivoine est un motif que l\u2019on retrouve au Japon d\u00E8s l\u2019\u00E9poque de Kamakura (1185-1333), en particulier sa fleur accompagn\u00E9e de rinceaux \u2013 le motif se nomme alors botan karakusa. C\u2019est \u00E0 ce moment que des pr\u00EAtres Zen voyagent au Japon depuis la Chine ; ils y laissent notamment des kesa, robes port\u00E9es par les moines bouddhistes. Le motif de la pivoine les orne fr\u00E9quemment. C\u2019est ainsi que ce motif est introduit au Japon. La pivoine y conserve ses valeurs symboliques originelles : la richesse et l\u2019honneur (vertu martiale associ\u00E9e \u00E0 la noblesse). \nDans les repr\u00E9sentations les plus anciennes, la pivoine se pr\u00E9sente sous une forme stylis\u00E9e marqu\u00E9e par une esth\u00E9tique sinisante : les p\u00E9tales sont caract\u00E9ris\u00E9s par un onglet spiral\u00E9 et un limbe pointu. Souvent, elle est associ\u00E9e au shishi, lion imaginaire et roi des animaux, issu de la mythologie bouddhiste. En raison des vertus symboliques qui lui sont associ\u00E9es, la pivoine orne souvent des tissus pr\u00E9cieux comme le donsu (brocard) et le kinran (brocard d\u2019or). Tr\u00E8s appr\u00E9ci\u00E9e \u00E9galement pour sa beaut\u00E9 et son raffinement, elle accompagnera, plus tard, le paon \u2013 animal qui, lui non plus, n\u2019est pas originaire du Japon o\u00F9 il est n\u00E9anmoins consid\u00E9r\u00E9 comme le plus beau des oiseaux. C\u2019est par ailleurs le cas d\u2019un kesa datant du XIXe si\u00E8cle conserv\u00E9 au mus\u00E9e des Tissus (inv. MT 32586). \nLes pivoines repr\u00E9sent\u00E9es dans ce fukusa ne tirent pas leur valeur d\u00E9corative de la stylisation Zen. Ici, aucun rinceau : les branches d\u2019un arbuste s\u2019affinent en rameaux au bout desquels poussent des fleurs. Celles-ci pr\u00E9sentent les diff\u00E9rents stades de la floraison : \u00E0 droite, partiellement cach\u00E9 par une fleur pleinement \u00E9panouie, un bouton de fleur laisse poindre quelques p\u00E9tales ; un rameau dans le prolongement de ce bouton se termine par une fleur blanche dont les p\u00E9tales commencent \u00E0 peine \u00E0 s\u2019ouvrir. Les autres pivoines, blanches et roses, sont \u00E9closes. Les feuilles de l\u2019arbuste, qui semblent anim\u00E9es par une brise, pr\u00E9sentent des nuances qui varient entre le bleu fonc\u00E9 et l\u2019ocre ; les tons les plus clairs sont g\u00E9n\u00E9ralement r\u00E9serv\u00E9s \u00E0 la partie inf\u00E9rieure des feuilles. Certaines de ces feuilles sont repr\u00E9sent\u00E9es simplement par leur contour et leur nervure centrale, le velours rouge du fond vient alors colorer leur limbe. L\u2019esth\u00E9tique qui caract\u00E9rise ce fukusa se situe entre r\u00E9alisme et stylisation. L\u2019aspect naturel de l\u2019arbuste est assez proche des pivoines peintes par Hiroshige dans les ann\u00E9es 1830 (notamment une estampe conserv\u00E9e au Fine Arts Museum of San Francisco, inventori\u00E9e sous le num\u00E9ro FASF.22482). Un uchishiki (\u00E9toffe destin\u00E9e \u00E0 orner l\u2019autel bouddhique des temples dans certaines demeures) du mus\u00E9e des Tissus datant de la fin du XVIIIe pr\u00E9sente des pivoines tr\u00E8s semblables dans les coloris et la stylisation, cette derni\u00E8re \u00E9tant n\u00E9anmoins plus pouss\u00E9e (MT 32600). Il est int\u00E9ressant de remarquer que, dans un effet de style, les ond\u00E9s \u00E9pais et marrons dont sont faites les branches de l\u2019arbuste s\u2019affinent \u00E0 mesure que le regard progresse vers la partie inf\u00E9rieure du fukusa, produisant ainsi un d\u00E9grad\u00E9 de forme qui indique que ce que nous voyons ici n\u2019est qu\u2019une ramification d\u2019un arbrisseau bien plus grand. \nLa broderie participe pleinement du style de ces pivoines ; elle est principalement constitu\u00E9e d\u2019\u00E9pais ond\u00E9s de soie couch\u00E9s sur le fond de velours (dont la nuance si particuli\u00E8re de rouge laisse supposer qu\u2019elle a \u00E9t\u00E9 obtenue par la m\u00E9thode traditionnelle ch\u016B beni, qui consiste \u00E0 teindre un textile une premi\u00E8re fois au bois de sappan, puis \u00E0 la fleur de carthame). L\u2019emploi de l\u2019ond\u00E9 permet de varier subtilement les couleurs : cette technique consiste \u00E0 enrouler en spire un fil \u00E9pais autour d\u2019un autre fil plus fin (l\u2019\u00E2me) \u2013 les deux brins employ\u00E9s sont soit de la m\u00EAme couleur, soit chacun d\u2019une couleur diff\u00E9rente. Les effets de nuances sont parfois r\u00E9alis\u00E9s au sein d\u2019un seul fil : la teinte plus fonc\u00E9e et orang\u00E9e du bouton de fleur est due \u00E0 un fil chin\u00E9, c\u2019est-\u00E0-dire qui m\u00EAle des filaments de couleurs diff\u00E9rentes. Ces proc\u00E9d\u00E9s, invisibles de loin, permettent d\u2019apporter des touches de couleurs en combinant les nuances restreintes des fils. Les ond\u00E9s les plus \u00E9pais permettent de couvrir des surfaces et de les colorer, les plus fins sont r\u00E9serv\u00E9s aux contours. Des cordonnets plus fins encore, blancs pour la plupart, rappellent la d\u00E9licatesse des nervures qu\u2019ils tracent sur les feuilles. D\u2019autres, tant\u00F4t dor\u00E9s, tant\u00F4t cuivr\u00E9s, conf\u00E8rent au tissu un aspect pr\u00E9cieux. Eux aussi sont r\u00E9serv\u00E9s aux contours int\u00E9rieurs des feuilles, \u00E0 l\u2019exception du segment d\u2019une tige presqu\u2019enti\u00E8rement dor\u00E9. La broderie permet aussi de rendre les plus menus d\u00E9tails de la plante : des points pass\u00E9s plats ajoutent de fines nervures sur la feuille ocre proche du bord droit du fukusa. Le recours au pass\u00E9 plat donne au c\u0153ur de la fleur blanche pleinement \u00E9close un aspect duveteux ; ses pistils sont repr\u00E9sent\u00E9s par des points lanc\u00E9s et ses \u00E9tamines par du point de n\u0153ud. Si les Occidentaux trouvent que l\u2019int\u00E9r\u00EAt des textiles japonais r\u00E9side dans leur forme (la complexit\u00E9 technique \u00E9tant davantage recherch\u00E9e dans les pi\u00E8ces chinoises), ce fukusa n\u2019en est pas moins une v\u00E9ritable anthologie de la broderie japonaise, tant pour la vari\u00E9t\u00E9 des techniques pr\u00E9sent\u00E9es que pour la richesse de composition de ses fils. \nTout porte \u00E0 croire ici qu\u2019il s\u2019agit d\u2019une pi\u00E8ce authentique : la ma\u00EEtrise d\u2019ex\u00E9cution, la qualit\u00E9 des mat\u00E9riaux (notamment le velours de soie coup\u00E9, tissu rarement employ\u00E9 dans la confection de fukusa en raison de son caract\u00E8re pr\u00E9cieux) ainsi que la pr\u00E9sence de fils de soie blancs sur les bords du tissu, indice qu\u2019une doublure a \u00E9t\u00E9 d\u00E9cousue afin de pouvoir fixer cette pi\u00E8ce sur un panneau de bois. La grande valeur de cette pi\u00E8ce ainsi que son iconographie, \u00E9voquant la noblesse, laisse penser qu\u2019une famille de samurai l\u2019a poss\u00E9d\u00E9e. En t\u00E9moigne l\u2019expression japonaise, \u00AB Le fukusa d\u2019une famille de samurai, le furoshiki d\u2019une famille de roturiers \u00BB : ces deux textiles remplissent la m\u00EAme fonction (\u00E0 ceci pr\u00E8s que le furoshiki sert \u00E0 emballer un cadeau, et non \u00E0 le recouvrir) mais le premier est empreint d\u2019une certaine noblesse. Tandis que le furoshiki est une \u00E9toffe simple de coton ou de chanvre, le fukusa est fait d\u2019un mat\u00E9riau pr\u00E9cieux, la soie, et doubl\u00E9. C\u2019est l\u00E0 l\u2019une des principales diff\u00E9rences entre les fukusa authentiques et ceux destin\u00E9s \u00E0 l\u2019exportation qui, eux, sont d\u00E9pourvus de doublure. Comme les Europ\u00E9ens y voient un objet d\u00E9coratif mural, qui est donc encadr\u00E9, la doublure ne remplit aucune fonction, elle est donc \u00F4t\u00E9e ; ainsi les fukusa sp\u00E9cialement cr\u00E9\u00E9s pour orner les int\u00E9rieurs des Occidentaux n\u2019en ont pas. \nHugo Develly"@fr . "Tableau brod\u00E9 de tiges de pivoines"@fr . . . . . . . . . . . "0.7317"^^ . . . . "13125" . . "Le fukusa est un morceau d\u2019\u00E9toffe orn\u00E9 et rectangulaire utilis\u00E9 lors de la c\u00E9r\u00E9monie du cadeau au Japon. Elle a lieu, \u00E0 l\u2019origine, dans les familles de samurai et lors d\u2019occasions sp\u00E9ciales (une naissance, par exemple) : un cadeau est offert dans une bo\u00EEte de bois simple, comme le requiert le plus haut niveau de protocole. Cependant, au d\u00E9but de l\u2019\u00E9poque Edo (1600-1868), ces c\u00E9r\u00E9monies se sont multipli\u00E9es et sont devenues plus abouties. La tradition s\u2019est align\u00E9e au niveau de protocole interm\u00E9diaire qui stipule qu\u2019un cadeau doit \u00EAtre pr\u00E9sent\u00E9 sur un plateau de bois (hirobuta) et recouvert d\u2019un fukusa. Les sujets qui le d\u00E9corent sont choisis en fonction de la raison qui anime le geste tandis que la qualit\u00E9 d\u2019ex\u00E9cution d\u00E9termine le statut social de la personne qui offre le cadeau \u2013 de plus, une doublure porte le mon (blason circulaire) de la famille \u00E0 laquelle le fukusa appartient. Une fois le pr\u00E9sent offert, \u00E0 moins que la personne dont il provient d\u00E9cide d\u2019en faire don, le fukusa est retourn\u00E9 \u00E0 sa famille d\u2019origine. \nCelui-ci provient de la collection d\u2019Edmond de Goncourt, collectionneur r\u00E9put\u00E9 d\u2019art japonais \u00E0 la fin du XIXe si\u00E8cle. Un an apr\u00E8s sa mort, en 1897, le collectionneur et marchand d\u2019art extr\u00EAme-oriental Siegfried Bing se charge de la vente de la collection du d\u00E9funt. C\u2019est lors de cet \u00E9v\u00E9nement que la Chambre de Commerce de Lyon acquiert cinq fukusa (MT 26028 \u00E0 MT 26032), un kimono (MT 26033), douze \u00E9chantillons de tissus (MT 26034), deux kakemono (MT 26035 et MT 26037) ainsi qu\u2019un obi \u2013 ceinture servant \u00E0 maintenir un kimono (MT 26038). \nLes deux pi\u00E8ces les plus on\u00E9reuses sont acquises au prix de deux cent quatre-vingt-dix francs et repr\u00E9sentent le tiers du co\u00FBt total de cet achat : il s\u2019agit du kimono et de ce fukusa de velours, d\u00E9crit ainsi par le catalogue de vente : \u00AB Grandes fleurs de pivoines, brod\u00E9es sur velours rouge \u00BB. \nLa Chambre de Commerce de Lyon commence \u00E0 acqu\u00E9rir des pi\u00E8ces chinoises et japonaises d\u00E8s le d\u00E9but des ann\u00E9es 1860 : ces pi\u00E8ces extr\u00EAme-orientales \u00E9tonnent par leur esth\u00E9tique inhabituelle. Au cours de cette d\u00E9cennie, et particuli\u00E8rement gr\u00E2ce aux Expositions universelles, l\u2019art japonais commence \u00E0\u00A0b\u00E9n\u00E9ficier d'une certaine notori\u00E9t\u00E9. Dans le domaine textile, c\u2019est l\u2019Exposition de Vienne en 1873 qui r\u00E9v\u00E9lera le talent du Japon. C\u2019est alors le commencement d\u2019un v\u00E9ritable engouement pour les \u00E9toffes japonaises, qui durera jusqu\u2019au d\u00E9but du si\u00E8cle suivant. \nEn 1878, Paris accueille une nouvelle Exposition universelle. L\u2019art japonais est de plus en plus pr\u00E9sent, et les collections officielles sont concurrenc\u00E9es par des collections priv\u00E9es \u2013 celle de Siegfried Bing, notamment. Les productions fran\u00E7aises sont elles aussi influenc\u00E9es par le japonisme : un certain \u00AB I. G. \u00BB, dans son rapport sur les textiles pr\u00E9sent\u00E9s, souligne la beaut\u00E9 de tissus d\u2019inspiration chinoise et japonaise pr\u00E9sent\u00E9s par la maison lyonnaise Tassinari et Chatel, tandis qu\u2019Ernest Chesneau, dans un autre compte-rendu, d\u00E9plore le nombre de \u00AB pauvres pastiches de l\u2019art japonais \u00BB dont regorgent les \u00E9tals. Qu\u2019elle soit per\u00E7ue comme bonne ou, au contraire, n\u00E9faste, l\u2019influence du Japon est une \u00E9vidence. \nGr\u00E2ce \u00E0 l\u2019intervention de son d\u00E9l\u00E9gu\u00E9 Natalis Rondot, la Chambre de Commerce de Lyon profite de cette Exposition pour acheter trente pi\u00E8ces textiles aupr\u00E8s des maisons K\u014Dcho (MT 23738 \u00E0 23750), Mitsui (MT 23751 \u00E0 MT 23760) et Takaki (MT 23761 \u00E0 23768). Ce grand nombre d\u2019acquisitions textiles permettra alors de nourrir, outre les collections particuli\u00E8res rassembl\u00E9es par des soyeux, la fabrique lyonnaise de l\u2019esth\u00E9tique japonaise. La rapide augmentation de textiles d\u2019inspiration extr\u00EAme-orientale donnera lieu, dans les ann\u00E9es 1880, \u00E0 l\u2019av\u00E8nement d\u2019un style japonais ; tr\u00E8s populaires, ces tissus sont utilis\u00E9s par la Haute Couture parisienne. Ce style affectera \u00E9galement la forme du v\u00EAtement et deviendra le style kimono, qui culminera dans les premi\u00E8res d\u00E9cennies du XXe si\u00E8cle. Le seul g\u00E9nie des artistes japonais n\u2019explique pas \u00E0 lui seul l\u2019engouement qu\u2019il suscite en Europe, et en particulier en France. En effet, l\u2019ouverture du Japon et la diffusion de son art co\u00EFncide avec le tournant naturaliste de l\u2019art au milieu du XIXe si\u00E8cle. \u00C0 la recherche d\u2019un nouveau rapport \u00E0 la nature, les artistes se sont tourn\u00E9s vers des formes moins id\u00E9alis\u00E9es et plus proches du r\u00E9el, ce que propose (en partie) l\u2019art du Japon. C\u2019est \u00E0 l\u2019\u00E9poque un lieu commun que de dire que les Japonais ne font pas qu\u2019imiter la nature : ils la comprennent et sont capables de la reproduire sans l\u2019avoir sous les yeux. \n\u00C0 propos des fabriques de Lyon et de Roubaix, Louis Gonse commente, dans la Revue des Arts d\u00E9coratifs, \u00AB l\u2019art japonais a r\u00E9volutionn\u00E9 les fleurs ; il a r\u00E9volutionn\u00E9 l\u2019art de faire des bouquets. Ces bouquets en forme d\u2019arrosoir, qui faisaient les d\u00E9lices de nos p\u00E8res, ont \u00E9t\u00E9, gr\u00E2ce \u00E0 lui, remplac\u00E9s par une libert\u00E9 de groupement qui est devenue tout \u00E0 fait charmante et se pr\u00EAte sans effort \u00E0 d\u2019infinies combinaisons. \u00BB La fleur, une fois de plus, est au centre du motif textile, mais sous ses attraits originels. Les critiques d\u2019art de l\u2019\u00E9poque d\u00E9gageront de l\u2019art japonais des caract\u00E9ristiques g\u00E9n\u00E9rales qui s\u2019inscrivent dans la logique du rejet de formes id\u00E9alis\u00E9es : asym\u00E9trie des formes et de la composition, variation autour d\u2019une m\u00EAme forme, repr\u00E9sentation des plantes avec leurs tiges, fleurs, feuilles, fruits, etc. Une fleur en particulier trouve une popularit\u00E9 nouvelle car on l\u2019associe au Japon : le chrysanth\u00E8me. \nLa fleur repr\u00E9sent\u00E9e dans ce fukusa n\u2019est pas l\u2019embl\u00E9matique chrysanth\u00E8me, mais il s\u2019agit \u00E9galement d\u2019un motif originairement chinois. La pivoine est un motif que l\u2019on retrouve au Japon d\u00E8s l\u2019\u00E9poque de Kamakura (1185-1333), en particulier sa fleur accompagn\u00E9e de rinceaux \u2013 le motif se nomme alors botan karakusa. C\u2019est \u00E0 ce moment que des pr\u00EAtres Zen voyagent au Japon depuis la Chine ; ils y laissent notamment des kesa, robes port\u00E9es par les moines bouddhistes. Le motif de la pivoine les orne fr\u00E9quemment. C\u2019est ainsi que ce motif est introduit au Japon. La pivoine y conserve ses valeurs symboliques originelles : la richesse et l\u2019honneur (vertu martiale associ\u00E9e \u00E0 la noblesse). \nDans les repr\u00E9sentations les plus anciennes, la pivoine se pr\u00E9sente sous une forme stylis\u00E9e marqu\u00E9e par une esth\u00E9tique sinisante : les p\u00E9tales sont caract\u00E9ris\u00E9s par un onglet spiral\u00E9 et un limbe pointu. Souvent, elle est associ\u00E9e au shishi, lion imaginaire et roi des animaux, issu de la mythologie bouddhiste. En raison des vertus symboliques qui lui sont associ\u00E9es, la pivoine orne souvent des tissus pr\u00E9cieux comme le donsu (brocard) et le kinran (brocard d\u2019or). Tr\u00E8s appr\u00E9ci\u00E9e \u00E9galement pour sa beaut\u00E9 et son raffinement, elle accompagnera, plus tard, le paon \u2013 animal qui, lui non plus, n\u2019est pas originaire du Japon o\u00F9 il est n\u00E9anmoins consid\u00E9r\u00E9 comme le plus beau des oiseaux. C\u2019est par ailleurs le cas d\u2019un kesa datant du XIXe si\u00E8cle conserv\u00E9 au mus\u00E9e des Tissus (inv. MT 32586). \nLes pivoines repr\u00E9sent\u00E9es dans ce fukusa ne tirent pas leur valeur d\u00E9corative de la stylisation Zen. Ici, aucun rinceau : les branches d\u2019un arbuste s\u2019affinent en rameaux au bout desquels poussent des fleurs. Celles-ci pr\u00E9sentent les diff\u00E9rents stades de la floraison : \u00E0 droite, partiellement cach\u00E9 par une fleur pleinement \u00E9panouie, un bouton de fleur laisse poindre quelques p\u00E9tales ; un rameau dans le prolongement de ce bouton se termine par une fleur blanche dont les p\u00E9tales commencent \u00E0 peine \u00E0 s\u2019ouvrir. Les autres pivoines, blanches et roses, sont \u00E9closes. Les feuilles de l\u2019arbuste, qui semblent anim\u00E9es par une brise, pr\u00E9sentent des nuances qui varient entre le bleu fonc\u00E9 et l\u2019ocre ; les tons les plus clairs sont g\u00E9n\u00E9ralement r\u00E9serv\u00E9s \u00E0 la partie inf\u00E9rieure des feuilles. Certaines de ces feuilles sont repr\u00E9sent\u00E9es simplement par leur contour et leur nervure centrale, le velours rouge du fond vient alors colorer leur limbe. L\u2019esth\u00E9tique qui caract\u00E9rise ce fukusa se situe entre r\u00E9alisme et stylisation. L\u2019aspect naturel de l\u2019arbuste est assez proche des pivoines peintes par Hiroshige dans les ann\u00E9es 1830 (notamment une estampe conserv\u00E9e au Fine Arts Museum of San Francisco, inventori\u00E9e sous le num\u00E9ro FASF.22482). Un uchishiki (\u00E9toffe destin\u00E9e \u00E0 orner l\u2019autel bouddhique des temples dans certaines demeures) du mus\u00E9e des Tissus datant de la fin du XVIIIe pr\u00E9sente des pivoines tr\u00E8s semblables dans les coloris et la stylisation, cette derni\u00E8re \u00E9tant n\u00E9anmoins plus pouss\u00E9e (MT 32600). Il est int\u00E9ressant de remarquer que, dans un effet de style, les ond\u00E9s \u00E9pais et marrons dont sont faites les branches de l\u2019arbuste s\u2019affinent \u00E0 mesure que le regard progresse vers la partie inf\u00E9rieure du fukusa, produisant ainsi un d\u00E9grad\u00E9 de forme qui indique que ce que nous voyons ici n\u2019est qu\u2019une ramification d\u2019un arbrisseau bien plus grand. \nLa broderie participe pleinement du style de ces pivoines ; elle est principalement constitu\u00E9e d\u2019\u00E9pais ond\u00E9s de soie couch\u00E9s sur le fond de velours (dont la nuance si particuli\u00E8re de rouge laisse supposer qu\u2019elle a \u00E9t\u00E9 obtenue par la m\u00E9thode traditionnelle ch\u016B beni, qui consiste \u00E0 teindre un textile une premi\u00E8re fois au bois de sappan, puis \u00E0 la fleur de carthame). L\u2019emploi de l\u2019ond\u00E9 permet de varier subtilement les couleurs : cette technique consiste \u00E0 enrouler en spire un fil \u00E9pais autour d\u2019un autre fil plus fin (l\u2019\u00E2me) \u2013 les deux brins employ\u00E9s sont soit de la m\u00EAme couleur, soit chacun d\u2019une couleur diff\u00E9rente. Les effets de nuances sont parfois r\u00E9alis\u00E9s au sein d\u2019un seul fil : la teinte plus fonc\u00E9e et orang\u00E9e du bouton de fleur est due \u00E0 un fil chin\u00E9, c\u2019est-\u00E0-dire qui m\u00EAle des filaments de couleurs diff\u00E9rentes. Ces proc\u00E9d\u00E9s, invisibles de loin, permettent d\u2019apporter des touches de couleurs en combinant les nuances restreintes des fils. Les ond\u00E9s les plus \u00E9pais permettent de couvrir des surfaces et de les colorer, les plus fins sont r\u00E9serv\u00E9s aux contours. Des cordonnets plus fins encore, blancs pour la plupart, rappellent la d\u00E9licatesse des nervures qu\u2019ils tracent sur les feuilles. D\u2019autres, tant\u00F4t dor\u00E9s, tant\u00F4t cuivr\u00E9s, conf\u00E8rent au tissu un aspect pr\u00E9cieux. Eux aussi sont r\u00E9serv\u00E9s aux contours int\u00E9rieurs des feuilles, \u00E0 l\u2019exception du segment d\u2019une tige presqu\u2019enti\u00E8rement dor\u00E9. La broderie permet aussi de rendre les plus menus d\u00E9tails de la plante : des points pass\u00E9s plats ajoutent de fines nervures sur la feuille ocre proche du bord droit du fukusa. Le recours au pass\u00E9 plat donne au c\u0153ur de la fleur blanche pleinement \u00E9close un aspect duveteux ; ses pistils sont repr\u00E9sent\u00E9s par des points lanc\u00E9s et ses \u00E9tamines par du point de n\u0153ud. Si les Occidentaux trouvent que l\u2019int\u00E9r\u00EAt des textiles japonais r\u00E9side dans leur forme (la complexit\u00E9 technique \u00E9tant davantage recherch\u00E9e dans les pi\u00E8ces chinoises), ce fukusa n\u2019en est pas moins une v\u00E9ritable anthologie de la broderie japonaise, tant pour la vari\u00E9t\u00E9 des techniques pr\u00E9sent\u00E9es que pour la richesse de composition de ses fils. \nTout porte \u00E0 croire ici qu\u2019il s\u2019agit d\u2019une pi\u00E8ce authentique : la ma\u00EEtrise d\u2019ex\u00E9cution, la qualit\u00E9 des mat\u00E9riaux (notamment le velours de soie coup\u00E9, tissu rarement employ\u00E9 dans la confection de fukusa en raison de son caract\u00E8re pr\u00E9cieux) ainsi que la pr\u00E9sence de fils de soie blancs sur les bords du tissu, indice qu\u2019une doublure a \u00E9t\u00E9 d\u00E9cousue afin de pouvoir fixer cette pi\u00E8ce sur un panneau de bois. La grande valeur de cette pi\u00E8ce ainsi que son iconographie, \u00E9voquant la noblesse, laisse penser qu\u2019une famille de samurai l\u2019a poss\u00E9d\u00E9e. En t\u00E9moigne l\u2019expression japonaise, \u00AB Le fukusa d\u2019une famille de samurai, le furoshiki d\u2019une famille de roturiers \u00BB : ces deux textiles remplissent la m\u00EAme fonction (\u00E0 ceci pr\u00E8s que le furoshiki sert \u00E0 emballer un cadeau, et non \u00E0 le recouvrir) mais le premier est empreint d\u2019une certaine noblesse. Tandis que le furoshiki est une \u00E9toffe simple de coton ou de chanvre, le fukusa est fait d\u2019un mat\u00E9riau pr\u00E9cieux, la soie, et doubl\u00E9. C\u2019est l\u00E0 l\u2019une des principales diff\u00E9rences entre les fukusa authentiques et ceux destin\u00E9s \u00E0 l\u2019exportation qui, eux, sont d\u00E9pourvus de doublure. Comme les Europ\u00E9ens y voient un objet d\u00E9coratif mural, qui est donc encadr\u00E9, la doublure ne remplit aucune fonction, elle est donc \u00F4t\u00E9e ; ainsi les fukusa sp\u00E9cialement cr\u00E9\u00E9s pour orner les int\u00E9rieurs des Occidentaux n\u2019en ont pas. \nHugo Develly"@fr . . . "0.9667"^^ . "Tableau brod\u00E9 de tiges de pivoines"@fr . "0.9473"^^ . . "0.7847"^^ . . . . . . . . . .