. . . . . "0.8728"^^ . . . . . . "34112" . . "0.7811"^^ . "La composition des Fruits pour ce tissu fa\u00E7onn\u00E9 reprend l\u2019une des gravures du Bestiaire ou Cort\u00E8ge d\u2019Orph\u00E9e, recueil de po\u00E8mes de Guillaume Apollinaire illustr\u00E9 par Raoul Dufy en 1911. Cette \u0153uvre, fondamentale dans la vie du peintre, d\u00E9termine une grande partie de sa carri\u00E8re textile ult\u00E9rieure. Certaines de ces gravures sont les premi\u00E8res inspirations de Dufy pour les tissus imprim\u00E9s \u00E0 la \u00AB Petite Usine \u00BB, que Paul Poiret ouvre en 1911. Elles lui donnent une notion de la r\u00E9partition \u00E9quilibr\u00E9e entre les pleins et les vides, particuli\u00E8rement pr\u00E9cieuse dans la conception de dessins pour le textile. La cr\u00E9ation d\u2019\u00E9toffes \u00E0 la \u00AB Petite Usine \u00BB permet \u00E0 Dufy d\u2019acqu\u00E9rir une ma\u00EEtrise de l\u2019impression \u00E0 la planche et au peint main sur le tissu. Il cr\u00E9\u00E9 seul, avec l\u2019aide d\u2019un chimiste nomm\u00E9 Edouard Zifferlin, que Poiret a recrut\u00E9 au moment de l\u2019ouverture de l\u2019entreprise. Dufy contr\u00F4le l\u2019ensemble de la production depuis la conception des bois grav\u00E9s, jusqu\u2019\u00E0 l\u2019impression sur le tissu. N\u00E9anmoins, l\u2019impossibilit\u00E9 de produire \u00E0 la \u00AB Petite Usine \u00BB des \u00E9toffes aux ornements fa\u00E7onn\u00E9s et des m\u00E9trages imprim\u00E9s importants, conduit Poiret et Dufy \u00E0 faire r\u00E9aliser par la maison Atuyer-Bianchini-F\u00E9rier certains motifs cr\u00E9\u00E9s en prototypes. \nEn 1912, Charles Bianchini, ayant rep\u00E9r\u00E9 le talent de Dufy pour les arts d\u00E9coratifs, lui fait signer un contrat d\u2019exclusivit\u00E9 de trois ans, \u00E0 dater du\u00A01er mars. Il lui propose dans un premier temps de r\u00E9utiliser les planches du Bestiaire pour la fabrication de toiles imprim\u00E9es dans son usine \u00E0 Tournon. Les moyens dont dispose alors Dufy lui permettent d\u2019accorder plus de temps \u00E0 sa cr\u00E9ation, puisqu\u2019il n\u2019est plus oblig\u00E9 de surveiller toutes les \u00E9tapes de la fabrication de ses \u00E9toffes. En 1919 Bianchini-F\u00E9rier (la maison a chang\u00E9 de raison sociale \u00E0 la mort de Pierre-Fran\u00E7ois Atuyer le 26 d\u00E9cembre 1912), alors au fa\u00EEte de sa gloire, d\u00E9cide d\u2019ouvrir un rayon d\u2019\u00E9toffes pour l\u2019ameublement ; les compositions de Dufy adapt\u00E9es du Bestiaire conviennent parfaitement \u00E0 de larges rapports de dessin, conviant tout \u00E0 la fois fruits, fleurs et animaux pour en \u00E9gayer les surfaces. \nLes fruits d\u00E9corant ce tissu d\u00E9rivent directement de la transformation de la gravure de La Souris. En imaginant ce motif pour le textile, Dufy a fait dispara\u00EEtre l\u2019animal qui risquait fort de d\u00E9plaire \u00E0 une client\u00E8le f\u00E9minine, ainsi que le citron du premier plan, traditionnellement symbole de vanit\u00E9. Il le dit lui-m\u00EAme : \u00AB Il y a souvent pas mal de choses qui font bien et qui font encore mieux quand on les a supprim\u00E9es \u00BB (Lettre de Dufy \u00E0 Karjinsky, publi\u00E9e dans\u00A0Lettre \u00E0 mon peintre, par Marcelle Oury, 1965). \n\u00C9dit\u00E9 \u00E0 la fin de l\u2019ann\u00E9e 1919 sous la forme d\u2019un satin damass\u00E9 destin\u00E9 \u00E0 l\u2019ameublement, le dessin figure une citrouille, entour\u00E9e de gerbes de bl\u00E9, de fraises, de trois poires et d\u2019une grappe de raisin. Le tout est dispos\u00E9 comme une nature morte et l\u2019on distingue \u00E0 peine l\u2019indication d\u2019un monticule \u00E0 l\u2019arri\u00E8re-plan. L\u2019ensemble \u00E9voque les restes d\u2019un pique-nique ou un tableau de nature laiss\u00E9e \u00E0 l\u2019\u00E9tat brut, la flore de ces diff\u00E9rentes saisons symbolisant l\u2019abondance. La composition est inscrite dans un demi-cercle form\u00E9 par un oiseau de paradis au long panache de plumes, et l\u2019arabesque d\u2019une branche aux feuilles cordiformes, dans le pur style de Dufy. Les motifs sont dispos\u00E9s en quinconce dans la longueur du tissu et sont invers\u00E9s \u00E0 chaque registre. Une seule nuance de\u00A0soie\u00A0rouge permet de rendre les ombres et le volume par jeu avec le fond satin jaune en coton. \nLe m\u00EAme trait laconique caract\u00E9rise la composition des Arums, dont le mus\u00E9e des Tissus conserve un exemplaire dat\u00E9 de 1920 (inv. MT 30196). \u00AB Voici des fruits et des oiseaux trait\u00E9s d\u2019une fa\u00E7on particuli\u00E8rement d\u00E9corative. C\u2019est \u00E9voqu\u00E9, l\u2019abondance de la moisson. Le jaune citron et le vert chartreuse dominent. Cette \u00E9toffe convient \u00E0 une salle \u00E0 manger. \u00BB Telle est la description qu\u2019en offre le magazine Vogue (Paris) \u00E0 ses lectrices, dans un article consacr\u00E9 aux \u00AB Tissus d\u00E9coratifs de l\u2019\u00C9cole fran\u00E7aise moderne \u00BB, publi\u00E9 dans le num\u00E9ro de janvier 1926. \nPlusieurs versions des Fruits jalonnent la production des \u00E9toffes de Dufy, depuis les ann\u00E9es de sa collaboration avec Paul Poiret jusqu\u2019\u00E0 la fin d\u00E9finitive de son contrat avec Bianchini-F\u00E9rier en 1928. Si Dufy choisit tr\u00E8s t\u00F4t d\u2019adapter La Souris pour l\u2019impression textile, c\u2019est qu\u2019il ne souhaite pas reprendre textuellement les illustrations compos\u00E9es pour le livre\u00A0\u2014 de peur d\u2019en d\u00E9poss\u00E9der Apollinaire \u2014 et que celle-ci ne fait pas partie des gravures majeures du recueil. C\u2019est n\u00E9anmoins un leitmotiv de son \u0153uvre. \nLa nature morte r\u00E9apparait \u00E0 une toute autre \u00E9chelle dans ses compositions peintes ou d\u00E9cors muraux \u00E9voquant la nature champ\u00EAtre, car, comme il l\u2019a un jour \u00E9crit, \u00AB d\u00E9coration et peinture se d\u00E9salt\u00E8rent \u00E0 la m\u00EAme source \u00BB. En 1912, il est fait mention dans les archives de la maison lyonnaise d\u2019une toile de Tournon imprim\u00E9e des Fruits (r\u00E9f. 1159). Beaucoup plus complet que sur l\u2019exemplaire fa\u00E7onn\u00E9 du mus\u00E9e des Tissus, cette toile montre que dans un premier temps, la gravure initiale avait subi peu de modifications, hormis celles concernant la disparition de la souris et du citron. L\u2019engouement que suscite le motif traduit l\u2019\u00E9volution des go\u00FBts d\u2019une \u00E9poque. Jusque-l\u00E0, le d\u00E9cor floral restait largement majoritaire. Avec Dufy, le traitement de la nature dans ses plus simples aspects devient mati\u00E8re \u00E0 des compositions vivantes. Quand il r\u00E9utilise le motif pour le fa\u00E7onn\u00E9, il arrive \u00E0 d\u00E9jouer la monotonie induite par l\u2019adaptation du dessin en tissage, en introduisant d\u2019autres \u00E9l\u00E9ments, o\u00F9 en les transformant. L\u2019\u00E9vocation d\u2019une nature champ\u00EAtre et campagnarde, loin des mises en sc\u00E8ne extr\u00EAmement raffin\u00E9es de Philippe de Lasalle, revisitant les corbeilles de fruit de Jean-Fran\u00E7ois Bony, rappelle plut\u00F4t les gravures d\u2019imagerie populaire. L\u2019interpr\u00E9tation que fait l\u2019artiste de ces natures mortes diff\u00E8re \u00E9galement de celles de ses contemporains comme Louis S\u00FCe et Andr\u00E9 Mare, dont les compositions pour l\u2019ameublement traduisent en les stylisant, les motifs sym\u00E9triques des tentures Empire. \nProduit par Bianchini-F\u00E9rier en damas pour l\u2019ameublement en 1919, Les Fruits sont r\u00E9\u00E9dit\u00E9s quelques ann\u00E9es plus tard dans la cat\u00E9gorie de tissus haute nouveaut\u00E9. Poiret semblait attach\u00E9 \u00E0 ce motif ; une photographie dat\u00E9e de mars 1921 repr\u00E9sente\u00A0Mme Paul Poiret \u00E0 Saint-Gervais, v\u00EAtue d\u2019une robe en velours imprim\u00E9 Les Fruits d\u2019Europe, con\u00E7u par Dufy \u00E0 la \u00AB Petite Usine \u00BB. L\u2019artiste fabriquait alors pour chaque mod\u00E8le quelques m\u00E8tres de tissu, car Poiret n\u2019en utilisait gu\u00E8re plus. Ce dernier reprend le m\u00EAme motif pour la confection d\u2019une robe de chambre en broch\u00E9 de laine violette, actuellement conserv\u00E9e au mus\u00E9e Galliera (inv. GAL. 1985 173.4). Sur celle-ci, la composition est strictement similaire \u00E0 l\u2019exemplaire du mus\u00E9e (seules les couleurs et la technique de tissage changent). \nLe succ\u00E8s du dessin ne semble pas d\u00FB uniquement \u00E0 l\u2019utilisation qu\u2019en a faite Poiret, puisque la presse sp\u00E9cialis\u00E9e le reproduit plusieurs fois, \u00E0 partir de 1920. Henri Cluzot, conservateur au mus\u00E9e Galliera, lui consacre un article dans le magazine Art et d\u00E9coration : \u00AB Les \u201CTissus modernes\u201D de Raoul Dufy \u00BB, publi\u00E9 en d\u00E9cembre 1920. L\u2019une des planches l\u00E9gend\u00E9e Les Fruits reproduit une \u00AB brocatelle deux tons \u00BB ; la m\u00EAme ann\u00E9e, La Gazette du Bon Ton reproduit le m\u00EAme tissu simplement titr\u00E9 Brocatelle. La revue, que Bianchini-F\u00E9rier finance en partie, consacre un article entier aux cr\u00E9ations de Dufy, pr\u00E9sentant les plus connus des mod\u00E8les de brocatelle et toile de Tournon (\u00AB Toiles de Tournon, lampas, brocarts et brocatelles dessin\u00E9s par Raoul Dufy ex\u00E9cut\u00E9s par Bianchini et F\u00E9rier \u00BB). Les couturiers sont aussi plus nombreux apr\u00E8s-guerre \u00E0 choisir les tissus dessin\u00E9s par Dufy parmi ceux propos\u00E9s par la maison, bien qu\u2019ils ne sachent pas toujours qui en est l\u2019auteur. Poiret en revanche sait les reconna\u00EEtre, et nombreuses sont ses cr\u00E9ations qui utilisent les plus audacieuses des compositions de Dufy, comme Le Cort\u00E8ge d\u2019Orph\u00E9e, \u00E9dit\u00E9 en damas par Bianchini-F\u00E9rier en 1913 et dont il tire une robe en 1919 ; Les \u00C9l\u00E9phants, un cr\u00EApe rose et or \u00E9dit\u00E9 en 1922, qu\u2019il fa\u00E7onne en manteau. \nLes tissus de l\u2019artiste, par leur verve et leur coloris, conviennent \u00E0 l\u2019esprit original du couturier : \u00AB Dufy a dessin\u00E9 pour moi et sculpt\u00E9 dans le bois des blocs tir\u00E9s de son Bestiaire. Il en a fait des \u00E9toffes somptueuses, dont j\u2019ai tir\u00E9 des robes qui, j\u2019esp\u00E8re, n\u2019ont jamais \u00E9t\u00E9 d\u00E9truites. Il doit y avoir quelque part des amateurs qui conservent ces reliques \u00BB (Paul Poiret, En habillant l\u2019\u00C9poque, 1930). \nLe mus\u00E9e des Tissus conserve une autre version des Fruits (inv. MT 30194) : pr\u00E9sent\u00E9e au Salon de la soierie \u00E0 la Foire des tissus de Lyon du 5 au 17 mars 1923, cette pi\u00E8ce a \u00E9t\u00E9 donn\u00E9e par la maison Bianchini-F\u00E9rier au mus\u00E9e historique des Tissus apr\u00E8s commission du 3 mai 1923. Une lettre dat\u00E9e du 20 mars 1923, adress\u00E9e par le pr\u00E9sident du Syndicat des Fabricants de soieries de Lyon au pr\u00E9sident de la Chambre de Commerce de la ville, stipule que la demande du mus\u00E9e des Tissus \u00E0 recevoir en don des sp\u00E9cimens expos\u00E9s au Salon de la Soierie a \u00E9t\u00E9 re\u00E7ue par le bureau syndical, et pr\u00E9cise que les maisons int\u00E9ress\u00E9es \u00AB ne refuseront pas d\u2019en faire don au mus\u00E9e \u00BB. Le directeur du mus\u00E9e historique, Henri d\u2019Hennezel, a \u00E9t\u00E9 invit\u00E9 \u00E0 faire un choix parmi les soieries expos\u00E9es, faisant ainsi entrer dans les collections les premiers tissus d\u2019apr\u00E8s Raoul Dufy fabriqu\u00E9s par Bianchini-F\u00E9rier. Ce premier don tr\u00E8s important comportait dix lots, parmi lesquels se trouvaient les compositions d\u00E9j\u00E0 c\u00E9l\u00E8bres du peintre, traduites en tissu pour l\u2019habillement ou l\u2019ameublement : La Jungle (inv. MT 30184)\u2014 \u00E0 c\u00F4t\u00E9 duquel \u00E9taient pr\u00E9sent\u00E9s Les Fruits lors de la Foire \u2014, Le Cort\u00E8ge d\u2019Orph\u00E9e (inv. MT 30187), Longchamp (inv. MT 30192) ou Les Arums\u00A0(inv. MT 30196). \nCl\u00E9mentine Marcelli"@fr . . . . . "Les Fruits ou Fruits d'Europe (num\u00E9ro de patron B. F. 14936)"@fr . . "Les Fruits ou Fruits d'Europe (num\u00E9ro de patron B. F. 14936)"@fr . . "La composition des Fruits pour ce tissu fa\u00E7onn\u00E9 reprend l\u2019une des gravures du Bestiaire ou Cort\u00E8ge d\u2019Orph\u00E9e, recueil de po\u00E8mes de Guillaume Apollinaire illustr\u00E9 par Raoul Dufy en 1911. Cette \u0153uvre, fondamentale dans la vie du peintre, d\u00E9termine une grande partie de sa carri\u00E8re textile ult\u00E9rieure. Certaines de ces gravures sont les premi\u00E8res inspirations de Dufy pour les tissus imprim\u00E9s \u00E0 la \u00AB Petite Usine \u00BB, que Paul Poiret ouvre en 1911. Elles lui donnent une notion de la r\u00E9partition \u00E9quilibr\u00E9e entre les pleins et les vides, particuli\u00E8rement pr\u00E9cieuse dans la conception de dessins pour le textile. La cr\u00E9ation d\u2019\u00E9toffes \u00E0 la \u00AB Petite Usine \u00BB permet \u00E0 Dufy d\u2019acqu\u00E9rir une ma\u00EEtrise de l\u2019impression \u00E0 la planche et au peint main sur le tissu. Il cr\u00E9\u00E9 seul, avec l\u2019aide d\u2019un chimiste nomm\u00E9 Edouard Zifferlin, que Poiret a recrut\u00E9 au moment de l\u2019ouverture de l\u2019entreprise. Dufy contr\u00F4le l\u2019ensemble de la production depuis la conception des bois grav\u00E9s, jusqu\u2019\u00E0 l\u2019impression sur le tissu. N\u00E9anmoins, l\u2019impossibilit\u00E9 de produire \u00E0 la \u00AB Petite Usine \u00BB des \u00E9toffes aux ornements fa\u00E7onn\u00E9s et des m\u00E9trages imprim\u00E9s importants, conduit Poiret et Dufy \u00E0 faire r\u00E9aliser par la maison Atuyer-Bianchini-F\u00E9rier certains motifs cr\u00E9\u00E9s en prototypes. \nEn 1912, Charles Bianchini, ayant rep\u00E9r\u00E9 le talent de Dufy pour les arts d\u00E9coratifs, lui fait signer un contrat d\u2019exclusivit\u00E9 de trois ans, \u00E0 dater du\u00A01er mars. Il lui propose dans un premier temps de r\u00E9utiliser les planches du Bestiaire pour la fabrication de toiles imprim\u00E9es dans son usine \u00E0 Tournon. Les moyens dont dispose alors Dufy lui permettent d\u2019accorder plus de temps \u00E0 sa cr\u00E9ation, puisqu\u2019il n\u2019est plus oblig\u00E9 de surveiller toutes les \u00E9tapes de la fabrication de ses \u00E9toffes. En 1919 Bianchini-F\u00E9rier (la maison a chang\u00E9 de raison sociale \u00E0 la mort de Pierre-Fran\u00E7ois Atuyer le 26 d\u00E9cembre 1912), alors au fa\u00EEte de sa gloire, d\u00E9cide d\u2019ouvrir un rayon d\u2019\u00E9toffes pour l\u2019ameublement ; les compositions de Dufy adapt\u00E9es du Bestiaire conviennent parfaitement \u00E0 de larges rapports de dessin, conviant tout \u00E0 la fois fruits, fleurs et animaux pour en \u00E9gayer les surfaces. \nLes fruits d\u00E9corant ce tissu d\u00E9rivent directement de la transformation de la gravure de La Souris. En imaginant ce motif pour le textile, Dufy a fait dispara\u00EEtre l\u2019animal qui risquait fort de d\u00E9plaire \u00E0 une client\u00E8le f\u00E9minine, ainsi que le citron du premier plan, traditionnellement symbole de vanit\u00E9. Il le dit lui-m\u00EAme : \u00AB Il y a souvent pas mal de choses qui font bien et qui font encore mieux quand on les a supprim\u00E9es \u00BB (Lettre de Dufy \u00E0 Karjinsky, publi\u00E9e dans\u00A0Lettre \u00E0 mon peintre, par Marcelle Oury, 1965). \n\u00C9dit\u00E9 \u00E0 la fin de l\u2019ann\u00E9e 1919 sous la forme d\u2019un satin damass\u00E9 destin\u00E9 \u00E0 l\u2019ameublement, le dessin figure une citrouille, entour\u00E9e de gerbes de bl\u00E9, de fraises, de trois poires et d\u2019une grappe de raisin. Le tout est dispos\u00E9 comme une nature morte et l\u2019on distingue \u00E0 peine l\u2019indication d\u2019un monticule \u00E0 l\u2019arri\u00E8re-plan. L\u2019ensemble \u00E9voque les restes d\u2019un pique-nique ou un tableau de nature laiss\u00E9e \u00E0 l\u2019\u00E9tat brut, la flore de ces diff\u00E9rentes saisons symbolisant l\u2019abondance. La composition est inscrite dans un demi-cercle form\u00E9 par un oiseau de paradis au long panache de plumes, et l\u2019arabesque d\u2019une branche aux feuilles cordiformes, dans le pur style de Dufy. Les motifs sont dispos\u00E9s en quinconce dans la longueur du tissu et sont invers\u00E9s \u00E0 chaque registre. Une seule nuance de\u00A0soie\u00A0rouge permet de rendre les ombres et le volume par jeu avec le fond satin jaune en coton. \nLe m\u00EAme trait laconique caract\u00E9rise la composition des Arums, dont le mus\u00E9e des Tissus conserve un exemplaire dat\u00E9 de 1920 (inv. MT 30196). \u00AB Voici des fruits et des oiseaux trait\u00E9s d\u2019une fa\u00E7on particuli\u00E8rement d\u00E9corative. C\u2019est \u00E9voqu\u00E9, l\u2019abondance de la moisson. Le jaune citron et le vert chartreuse dominent. Cette \u00E9toffe convient \u00E0 une salle \u00E0 manger. \u00BB Telle est la description qu\u2019en offre le magazine Vogue (Paris) \u00E0 ses lectrices, dans un article consacr\u00E9 aux \u00AB Tissus d\u00E9coratifs de l\u2019\u00C9cole fran\u00E7aise moderne \u00BB, publi\u00E9 dans le num\u00E9ro de janvier 1926. \nPlusieurs versions des Fruits jalonnent la production des \u00E9toffes de Dufy, depuis les ann\u00E9es de sa collaboration avec Paul Poiret jusqu\u2019\u00E0 la fin d\u00E9finitive de son contrat avec Bianchini-F\u00E9rier en 1928. Si Dufy choisit tr\u00E8s t\u00F4t d\u2019adapter La Souris pour l\u2019impression textile, c\u2019est qu\u2019il ne souhaite pas reprendre textuellement les illustrations compos\u00E9es pour le livre\u00A0\u2014 de peur d\u2019en d\u00E9poss\u00E9der Apollinaire \u2014 et que celle-ci ne fait pas partie des gravures majeures du recueil. C\u2019est n\u00E9anmoins un leitmotiv de son \u0153uvre. \nLa nature morte r\u00E9apparait \u00E0 une toute autre \u00E9chelle dans ses compositions peintes ou d\u00E9cors muraux \u00E9voquant la nature champ\u00EAtre, car, comme il l\u2019a un jour \u00E9crit, \u00AB d\u00E9coration et peinture se d\u00E9salt\u00E8rent \u00E0 la m\u00EAme source \u00BB. En 1912, il est fait mention dans les archives de la maison lyonnaise d\u2019une toile de Tournon imprim\u00E9e des Fruits (r\u00E9f. 1159). Beaucoup plus complet que sur l\u2019exemplaire fa\u00E7onn\u00E9 du mus\u00E9e des Tissus, cette toile montre que dans un premier temps, la gravure initiale avait subi peu de modifications, hormis celles concernant la disparition de la souris et du citron. L\u2019engouement que suscite le motif traduit l\u2019\u00E9volution des go\u00FBts d\u2019une \u00E9poque. Jusque-l\u00E0, le d\u00E9cor floral restait largement majoritaire. Avec Dufy, le traitement de la nature dans ses plus simples aspects devient mati\u00E8re \u00E0 des compositions vivantes. Quand il r\u00E9utilise le motif pour le fa\u00E7onn\u00E9, il arrive \u00E0 d\u00E9jouer la monotonie induite par l\u2019adaptation du dessin en tissage, en introduisant d\u2019autres \u00E9l\u00E9ments, o\u00F9 en les transformant. L\u2019\u00E9vocation d\u2019une nature champ\u00EAtre et campagnarde, loin des mises en sc\u00E8ne extr\u00EAmement raffin\u00E9es de Philippe de Lasalle, revisitant les corbeilles de fruit de Jean-Fran\u00E7ois Bony, rappelle plut\u00F4t les gravures d\u2019imagerie populaire. L\u2019interpr\u00E9tation que fait l\u2019artiste de ces natures mortes diff\u00E8re \u00E9galement de celles de ses contemporains comme Louis S\u00FCe et Andr\u00E9 Mare, dont les compositions pour l\u2019ameublement traduisent en les stylisant, les motifs sym\u00E9triques des tentures Empire. \nProduit par Bianchini-F\u00E9rier en damas pour l\u2019ameublement en 1919, Les Fruits sont r\u00E9\u00E9dit\u00E9s quelques ann\u00E9es plus tard dans la cat\u00E9gorie de tissus haute nouveaut\u00E9. Poiret semblait attach\u00E9 \u00E0 ce motif ; une photographie dat\u00E9e de mars 1921 repr\u00E9sente\u00A0Mme Paul Poiret \u00E0 Saint-Gervais, v\u00EAtue d\u2019une robe en velours imprim\u00E9 Les Fruits d\u2019Europe, con\u00E7u par Dufy \u00E0 la \u00AB Petite Usine \u00BB. L\u2019artiste fabriquait alors pour chaque mod\u00E8le quelques m\u00E8tres de tissu, car Poiret n\u2019en utilisait gu\u00E8re plus. Ce dernier reprend le m\u00EAme motif pour la confection d\u2019une robe de chambre en broch\u00E9 de laine violette, actuellement conserv\u00E9e au mus\u00E9e Galliera (inv. GAL. 1985 173.4). Sur celle-ci, la composition est strictement similaire \u00E0 l\u2019exemplaire du mus\u00E9e (seules les couleurs et la technique de tissage changent). \nLe succ\u00E8s du dessin ne semble pas d\u00FB uniquement \u00E0 l\u2019utilisation qu\u2019en a faite Poiret, puisque la presse sp\u00E9cialis\u00E9e le reproduit plusieurs fois, \u00E0 partir de 1920. Henri Cluzot, conservateur au mus\u00E9e Galliera, lui consacre un article dans le magazine Art et d\u00E9coration : \u00AB Les \u201CTissus modernes\u201D de Raoul Dufy \u00BB, publi\u00E9 en d\u00E9cembre 1920. L\u2019une des planches l\u00E9gend\u00E9e Les Fruits reproduit une \u00AB brocatelle deux tons \u00BB ; la m\u00EAme ann\u00E9e, La Gazette du Bon Ton reproduit le m\u00EAme tissu simplement titr\u00E9 Brocatelle. La revue, que Bianchini-F\u00E9rier finance en partie, consacre un article entier aux cr\u00E9ations de Dufy, pr\u00E9sentant les plus connus des mod\u00E8les de brocatelle et toile de Tournon (\u00AB Toiles de Tournon, lampas, brocarts et brocatelles dessin\u00E9s par Raoul Dufy ex\u00E9cut\u00E9s par Bianchini et F\u00E9rier \u00BB). Les couturiers sont aussi plus nombreux apr\u00E8s-guerre \u00E0 choisir les tissus dessin\u00E9s par Dufy parmi ceux propos\u00E9s par la maison, bien qu\u2019ils ne sachent pas toujours qui en est l\u2019auteur. Poiret en revanche sait les reconna\u00EEtre, et nombreuses sont ses cr\u00E9ations qui utilisent les plus audacieuses des compositions de Dufy, comme Le Cort\u00E8ge d\u2019Orph\u00E9e, \u00E9dit\u00E9 en damas par Bianchini-F\u00E9rier en 1913 et dont il tire une robe en 1919 ; Les \u00C9l\u00E9phants, un cr\u00EApe rose et or \u00E9dit\u00E9 en 1922, qu\u2019il fa\u00E7onne en manteau. \nLes tissus de l\u2019artiste, par leur verve et leur coloris, conviennent \u00E0 l\u2019esprit original du couturier : \u00AB Dufy a dessin\u00E9 pour moi et sculpt\u00E9 dans le bois des blocs tir\u00E9s de son Bestiaire. Il en a fait des \u00E9toffes somptueuses, dont j\u2019ai tir\u00E9 des robes qui, j\u2019esp\u00E8re, n\u2019ont jamais \u00E9t\u00E9 d\u00E9truites. Il doit y avoir quelque part des amateurs qui conservent ces reliques \u00BB (Paul Poiret, En habillant l\u2019\u00C9poque, 1930). \nLe mus\u00E9e des Tissus conserve une autre version des Fruits (inv. MT 30194) : pr\u00E9sent\u00E9e au Salon de la soierie \u00E0 la Foire des tissus de Lyon du 5 au 17 mars 1923, cette pi\u00E8ce a \u00E9t\u00E9 donn\u00E9e par la maison Bianchini-F\u00E9rier au mus\u00E9e historique des Tissus apr\u00E8s commission du 3 mai 1923. Une lettre dat\u00E9e du 20 mars 1923, adress\u00E9e par le pr\u00E9sident du Syndicat des Fabricants de soieries de Lyon au pr\u00E9sident de la Chambre de Commerce de la ville, stipule que la demande du mus\u00E9e des Tissus \u00E0 recevoir en don des sp\u00E9cimens expos\u00E9s au Salon de la Soierie a \u00E9t\u00E9 re\u00E7ue par le bureau syndical, et pr\u00E9cise que les maisons int\u00E9ress\u00E9es \u00AB ne refuseront pas d\u2019en faire don au mus\u00E9e \u00BB. Le directeur du mus\u00E9e historique, Henri d\u2019Hennezel, a \u00E9t\u00E9 invit\u00E9 \u00E0 faire un choix parmi les soieries expos\u00E9es, faisant ainsi entrer dans les collections les premiers tissus d\u2019apr\u00E8s Raoul Dufy fabriqu\u00E9s par Bianchini-F\u00E9rier. Ce premier don tr\u00E8s important comportait dix lots, parmi lesquels se trouvaient les compositions d\u00E9j\u00E0 c\u00E9l\u00E8bres du peintre, traduites en tissu pour l\u2019habillement ou l\u2019ameublement : La Jungle (inv. MT 30184)\u2014 \u00E0 c\u00F4t\u00E9 duquel \u00E9taient pr\u00E9sent\u00E9s Les Fruits lors de la Foire \u2014, Le Cort\u00E8ge d\u2019Orph\u00E9e (inv. MT 30187), Longchamp (inv. MT 30192) ou Les Arums\u00A0(inv. MT 30196). \nCl\u00E9mentine Marcelli"@fr .