"Gaspard Gr\u00E9goire (1751-1846) est l'inventeur d'un proc\u00E9d\u00E9 permettant de r\u00E9aliser des velours de soie imitant la peinture. Il s'agit de velours unis simple corps, dont la cha\u00EEne poil porte la couleur. Pour obtenir une image parfaite, la pr\u00E9paration de cette cha\u00EEne avant le tissage exige plusieurs \u00E9tapes longues et minutieuses. Tout d'abord, on ex\u00E9cute un \u00AB premier tiss\u00E9 \u00BB, soit un taffetas tr\u00E8s peu serr\u00E9 en trame, avec la cha\u00EEne poil d'une tr\u00E8s forte densit\u00E9 et une trame de fond non d\u00E9finitive (de cinq \u00E0 six coups au centim\u00E8tre). La cha\u00EEne poil mesure cinq \u00E0 sept fois plus que le tissu d\u00E9finitif, puisqu'elle sera diminu\u00E9e, au cours du tissage, par l'introduction des fers qui constituent le velours. Afin d'\u00E9viter de peindre un motif trop anamorphos\u00E9, Gaspard Gr\u00E9goire a l'id\u00E9e de multiplier le nombre de fils de cha\u00EEne en largeur en les groupant par quatre \u00E0 six. Ainsi pr\u00E9pare-t-il en une fois les cha\u00EEnes de quatre \u00E0 six tableaux identiques.\nLe premier tiss\u00E9 est ensuite tendu sur un ch\u00E2ssis. L'artiste fait ensuite des rep\u00E9rages\u00A0pour le\u00A0contour du dessin sur les fils de cha\u00EEne en pla\u00E7ant son esquisse initiale derri\u00E8re, comme pour un carton de tapisserie. L'image est peinte, en partant des tons les plus fonc\u00E9s vers les tons les plus clairs. Le pinceau doit \u00EAtre assez mouill\u00E9 pour bien faire p\u00E9n\u00E9trer la couleur. En effet, une fois le velours coup\u00E9, c'est la coupe transversale de la fibre qui va appara\u00EEtre \u00E0 la surface du tissu. Elle doit \u00EAtre r\u00E9guli\u00E8rement color\u00E9e pour \u00E9viter l'effet de blanchiment. Les fils de soie devaient \u00EAtre pr\u00E9par\u00E9s pour s'impr\u00E9gner plus facilement de la couleur. De la m\u00EAme mani\u00E8re, la peinture devait ensuite \u00EAtre fix\u00E9e, mais on ignore les recettes du fabricant. Le mus\u00E9e des Tissus conserve un \u00AB premier tiss\u00E9 \u00BB de la main de Gr\u00E9goire (inv. MT 1150), qui montre une partie de ces \u00E9tapes pr\u00E9paratoires. C'est le seul exemplaire de ce type qui semble avoir \u00E9t\u00E9 pr\u00E9serv\u00E9.\nLe \u00AB premier tiss\u00E9 \u00BB \u00E9tait ensuite d\u00E9tiss\u00E9 pour permettre le montage de la cha\u00EEne poil sur le m\u00E9tier \u00E0 velours. La plupart des velours de Gaspard Gr\u00E9goire sont tiss\u00E9s en serg\u00E9 de 3 lie 1, cha\u00EEne, direction Z, par un et deux coups, mais quelques-uns pr\u00E9sentent \u00E9galement un fond taffetas. La proportion des cha\u00EEnes est g\u00E9n\u00E9ralement de deux \u00E0 quatre fils pi\u00E8ces pour un fil poil multiple. On ne conna\u00EEt qu'un seul exemplaire de velours fris\u00E9 (inv. MT 25424), tous les autres sont des velours coup\u00E9s, qui se distinguent par une tr\u00E8s forte densit\u00E9 de poil, puisqu'on compte dix-huit \u00E0 vingt-et-un fers velours au centim\u00E8tre, ce qui est consid\u00E9rable. Gr\u00E9goire devait utiliser des fers particuli\u00E8rement fins pour \u00EAtre ins\u00E9r\u00E9s en si grand nombre. Ils \u00E9taient aussi peu \u00E9lev\u00E9s pour \u00E9viter un trop grand embuvage (la r\u00E9duction de la cha\u00EEne poil en cours de tissage).\nGaspard Gr\u00E9goire a tr\u00E8s probablement commenc\u00E9 ses premiers essais de velours peints sur cha\u00EEne en 1782. Malgr\u00E9 ses tentatives pour les r\u00E9aliser en grand, il doit admettre, d\u00E8s 1786, que sa technique ne peut \u00EAtre appliqu\u00E9e qu'\u00E0 de petits tissages, tableautins ou objets pr\u00E9cieux destin\u00E9s \u00E0 \u00EAtre pr\u00E9sent\u00E9s encadr\u00E9s, mont\u00E9s dans des m\u00E9daillons, sur des bo\u00EEtes ou sur des bonbonni\u00E8res. La nouveaut\u00E9 du proc\u00E9d\u00E9 et le d\u00E9fi technique qu'il repr\u00E9sente ont r\u00E9guli\u00E8rement \u00E9t\u00E9 salu\u00E9s. Mais Gaspard Gr\u00E9goire n'obtient jamais la reconnaissance qu'il esp\u00E8re avec ses velours. Son travail est salu\u00E9 \u00E0 plusieurs reprises par la Soci\u00E9t\u00E9 d'encouragement pour l'industrie nationale, qui d\u00E9cerne m\u00EAme, en juillet 1807, une m\u00E9daille d'argent de premi\u00E8re classe \u00E0 \u00AB Monsieur Gr\u00E9goire, \u00E0 Paris, (qui) est parvenu \u00E0 tisser des tableaux en velours avec une correction et une perfection qu'il ne paraissait pas possible d'atteindre ; l'imitation est plus parfaite que dans aucun autre tissu. \u00BB Il est log\u00E9 par le gouvernement \u00E0 l'H\u00F4tel de Mortagne, au 47, rue de Charonne, et il obtient, en 1819, \u00E0 l'Exposition des produits de l'industrie fran\u00E7aise, une m\u00E9daille d'argent pour la reproduction en velours de la nature morte de Jan Van Huysum Corbeille de fleurs sur une table de marbre (inv. MT 1146). La Soci\u00E9t\u00E9 pour l'encouragement de l'industrie nationale, le 18 avril 1821, trouve le tableau de fleurs \u00AB d'une rare perfection. \u00BB Gr\u00E9goire le pr\u00E9sente donc \u00E0 l'Exposition de 1823. Il obtient un rappel de m\u00E9daille d'argent. C'est la plus haute distinction dont il ne sera jamais gratifi\u00E9.\nDe la m\u00EAme mani\u00E8re, malgr\u00E9 le succ\u00E8s de ses petits tableaux en velours peint sur cha\u00EEne, Gaspard Gr\u00E9goire ne b\u00E9n\u00E9ficie que d'une seule commande du Mobilier imp\u00E9rial, pass\u00E9e en 1813 : il s'agit de velours pour une garniture de si\u00E8ge pr\u00E9vue pour le Roi de Rome \u2014 de petites dimensions, donc \u2014 \u00E0 Rambouillet. Livr\u00E9s apr\u00E8s la chute de l'Empire, en 1816, ils ne furent jamais utilis\u00E9s. Ils sont conserv\u00E9s au Mobilier national et au mus\u00E9e des Tissus (inv. GMMP 773).\nLe mus\u00E9e des Tissus conserve un rare essai de tissage pour cette commande imp\u00E9riale. Il s'agit du fond de si\u00E8ge. La composition est d\u00E9j\u00E0 en place, avec le motif circulaire centrale, compos\u00E9 d'un bouquet rond, contenu dans une guirlande de fleurs. Mais le fond du velours est brun vert. La plupart des velours peints de Gaspard Gr\u00E9goire, en effet, sont trait\u00E9s sur des fonds de couleur sombre, \u00E0 l'exception de quelques pi\u00E8ces tr\u00E8s remarquables par la qualit\u00E9 des d\u00E9tails, comme le Chardonneret (inv. MT 26813.1) et le Geai des ch\u00EAnes (inv. MT 26813.2), la Branche de prunier d'apr\u00E8s Antoine Berjon (inv. MT 2899), l'\u00C9chiquier en trompe-l'\u0153il (inv. MT 26869) et les livraisons effectu\u00E9es en 1816 du mobilier de Rambouillet, finalement ex\u00E9cut\u00E9es sur fond chamois clair.\nMaximilien Durand"@fr . . . .