. . "0.40369999408721923828"^^ . . . . . "0.4609000086784362793"^^ . . . "0.67040002346038818359"^^ . "\u00C0 l'Exposition des produits de l'industrie fran\u00E7aise de 1827, \u00C9tienne Maisiat (1794-1848) pr\u00E9sente deux tableaux tiss\u00E9s qui sont unanimement admir\u00E9s : le Testament de Louis XVI (inv. MT 7915) et la Lettre de Marie-Antoinette \u00E0 Madame \u00C9lisabeth. V\u00E9ritable tour de force technique, qui emploie de fines d\u00E9coupures\u00A0et des liages presque invisibles et n\u00E9cessite une extr\u00EAme r\u00E9gularit\u00E9 de battage, ces tableaux imitent \u00E0 la perfection la gravure en taille-douce. \u00C9tienne Maisiat obtient une m\u00E9daille d'or pour ces tissages, et son proc\u00E9d\u00E9 imitant la gravure est vite adopt\u00E9 par les fabricants lyonnais.\nApr\u00E8s 1830, le fait de proposer une imitation de la gravure en tissage ne suffisait plus \u00E0 convaincre le jury des Expositions des produits fran\u00E7ais de l'industrie. Maisiat avait atteint la perfection dans ce domaine, et c'est par d'autres moyens qu'il fallait attirer l'attention des jur\u00E9s si l'on souhaitait se faire remarquer dans ce domaine. Le Rapport du jury central pour l'Exposition de 1839 est \u00E9loquent. La maison Didier-Petit et Cie avait re\u00E7u une m\u00E9daille d'argent d\u00E8s 1827 dans sa sp\u00E9cialit\u00E9, les \u00E9toffes pour meubles et ornements d'\u00E9glise, confirm\u00E9e en 1834, alors qu'elle d\u00E9veloppait parall\u00E8lement la production de tissus pour l'exportation. Elle obtient en 1839 un rappel de m\u00E9daille d'argent pour les m\u00EAmes raisons, mais le rapport pr\u00E9cise : \u00AB Ces fabricants ont aussi expos\u00E9 un portrait de M. Jacquard d'une grande perfection de tissu. C'est une id\u00E9e fort heureuse qu'ils ont eue de reproduire son image avec l'ing\u00E9nieux m\u00E9tier dont il est l'inventeur. Ce portrait, d'une ex\u00E9cution parfaite, fait grand honneur \u00E0 ces habiles manufacturiers. \u00BB Le mus\u00E9e des Tissus poss\u00E8de deux exemplaires originaux de ce portrait (inv. MT 2264 et MT 42157). Il a \u00E9t\u00E9 ex\u00E9cut\u00E9 selon le proc\u00E9d\u00E9 mis au point par Maisiat, et comporte les inscriptions : \u00AB D'apr\u00E8s le tableau de C. Bonnefond \u00BB, \u00E0 gauche ; \u00AB Ex\u00E9cut\u00E9 par Didier-Petit et Cie \u00BB \u00E0 droite ; sous le portrait : \u00AB A LA MEMOIRE DE J.-M. JACQUARD./ N\u00E9 \u00E0 Lyon le 7 Juillet 1752 Mort le 7 Ao\u00FBt 1834/ DIDIER PETIT ET CIE LYON M.DCCC.XXXIX. \u00BB\nLe Portrait de Jacquard montre une excellente application du proc\u00E9d\u00E9 de Maisiat et de la mise en carte dite \u00AB en taille-douce \u00BB. Mais s'il marque un tournant dans l'histoire du portrait tiss\u00E9, c'est parce que Jacquard est le premier bourgeois \u00E0 rejoindre le panth\u00E9on des hommes illustres figur\u00E9s en tissage par la Fabrique. Jusqu'\u00E0 sa r\u00E9alisation, les mod\u00E8les \u00E9taient des souverains et des princes, appartenant \u00E0 la famille des Bourbons (Louis XV, inv. MT 45306 ; le comte de Provence, inv. MT 2856 ; la comtesse de Provence, inv. MT 45307 ; le comte d'Artois, inv. MT 2857 ; Madame Royale, duchesse d'Angoul\u00EAme, inv. MT 46440, MT 2160.2, MT 31508 et MT 2074 ; le duc d'Angoul\u00EAme, inv. MT 26983 ; Louis XVIII, inv. MT 2160.1 et MT 25687 ; Charles X, inv. MT 30603) ou des Orl\u00E9ans (Louis-Philippe, inv. MT 23121 et MT 30972 ; Marie-Am\u00E9lie, inv. MT 51092), \u00E0 l'exception de l'empereur Napol\u00E9on Ier (inv. MT 2153, MT 2025, MT 23189, MT 34255) et des souverains \u00E9trangers (Catherine II de Russie, inv. MT 2869 ; Fr\u00E9d\u00E9ric le Grand, inv. MT 2161 et MT 34274.1 ; Louise de Prusse, inv. MT 1149 et MT 34274.4 ; Fr\u00E9d\u00E9ric-Guillaume III de Prusse, inv. MT 1148 ; Alexandre Ier de Russie, Fran\u00E7ois Ier d'Autriche et Fr\u00E9d\u00E9ric-Guillaume III de Prusse, inv. MT 24825). Et voici qu'un homme du peuple acc\u00E8de brusquement \u00E0 la prestigieuse galerie des portraits tiss\u00E9s. \u00C0 qui doit-on attribuer l'audace d'une telle id\u00E9e ?\nUne correspondance, \u00E9chang\u00E9e entre 1895 et 1896 entre le directeur du mus\u00E9e historique des Tissus de Lyon, Antonin Terme, et le dessinateur J.-L. (Jean-Louis ?) Moulin, r\u00E9v\u00E8le que c'est le metteur en carte lui-m\u00EAme qui proposa le sujet. Cette correspondance est conserv\u00E9e dans les archives du mus\u00E9e des Tissus.\u00A0Fran\u00E7ois Didier-Petit (Fran\u00E7ois-Didier Petit de Meurville, 1793-1873) en avait accept\u00E9 l'id\u00E9e avec bonheur, imaginant d'en faire une op\u00E9ration publicitaire pour la maison.\nJoseph-Marie Jacquard \u00E9tait mort cinq ans auparavant, quelques mois seulement apr\u00E8s la vive r\u00E9pression de la deuxi\u00E8me insurrection des canuts d'avril 1834. Il avait d\u00E9j\u00E0 connu de son vivant les honneurs de ses concitoyens. En 1832, le maire Victor-Gabriel Prunelle avait d'ailleurs command\u00E9 sur les arr\u00E9rages du legs Grognard son portrait pour la galerie des Lyonnais c\u00E9l\u00E8bres. La r\u00E9alisation en fut confi\u00E9e au peintre Jean-Claude Bonnefond, alors directeur de l'\u00C9cole des Beaux-Arts. Le tableau, dont le mus\u00E9e des Tissus poss\u00E8de une \u00E9tude pr\u00E9paratoire au crayon noir (inv. MT 445), \u00E9tait achev\u00E9 en 1834. Le 10 ao\u00FBt, trois jours seulement apr\u00E8s la mort de Jacquard, l'article suivant paraissait dans Le Courrier de Lyon : \u00AB Tous les Lyonnais qui se trouvaient \u00E0 Paris ont certainement remarqu\u00E9 \u00E0 l'exposition du Louvre un tr\u00E8s beau portrait du c\u00E9l\u00E8bre Jacquard d\u00FB au pinceau de M. Bonnefond, directeur de notre \u00E9cole de peinture. Ce portrait \u00E9galement remarquable sous le rapport du dessin et de la couleur et qui \u00E9tait g\u00E9n\u00E9ralement reconnu comme un des meilleurs ouvrages du salon avait en m\u00EAme temps le m\u00E9rite d'une ressemblance parfaite. Nous apprenons avec plaisir que M. Bonnefond vient de faire un dessin de ce beau portrait, qu'il n'a pas d\u00E9daign\u00E9 de lithographier lui-m\u00EAme ; c'est une heureuse nouvelle pour les amis de la gloire de la ville, pour tous ceux qui ont appris avec tant de douleur la perte immense qu'elle venait de faire. Cette lithographie remarquable, d'une ressemblance on ne peut plus parfaite (...) bient\u00F4t, sans doute, (...) fera l'ornement des comptoirs de nos fabricants et de tous nos ateliers. \u00BB\nDidier-Petit obtint l'autorisation de Bonnefond de reproduire son tableau. En pr\u00E9sence du peintre, la toile fut d\u00E9pos\u00E9e au mus\u00E9e Saint-Pierre, d\u00E9calqu\u00E9e par Moulin qui travailla deux mois et demi \u00E0 sa mise en carte, aid\u00E9 par\u00A0un dessin de Joseph-Victor Vibert et les conseils de son auteur, alors professeur \u00E0 l'\u00C9cole des Beaux-Arts de Lyon. Le tissage fut confi\u00E9 au ma\u00EEtre-ouvrier Michel-Marie Carquillat.\nLa fortune du portrait tiss\u00E9 fut imm\u00E9diate et consid\u00E9rable. On loue d'abord l'imitation parfaite de la gravure, comme on l'avait fait en 1827 quand Maisiat avait pr\u00E9sent\u00E9 Le Testament de Louis XVI et La Lettre de Marie-Antoinette \u00E0 Madame \u00C9lisabeth. Mais la surprise suscit\u00E9e par l'exceptionnel trompe-l'\u0153il de Maisiat avait rapidement fait place \u00E0 l'admiration g\u00E9n\u00E9r\u00E9e par les modifications apport\u00E9es au m\u00E9tier qui avaient permis cette prouesse. L'ex\u00E9cution du Portrait de Jacquard n'a pas n\u00E9cessit\u00E9 d'innovation technique remarquable. Les critiques saluent donc la qualit\u00E9 d'ex\u00E9cution du portrait, et l'id\u00E9e de repr\u00E9senter Jacquard en exploitant la m\u00E9canique dont il \u00E9tait l'inventeur. Mais ni le metteur en carte qui eut l'id\u00E9e de reproduire le tableau de Bonnefond et qui travailla \u00E0 la transcription de la lithographie de Vibert ni le tisseur qui ex\u00E9cuta le portrait ne sont mentionn\u00E9s. Moulin, le dessinateur, et Carquillat, regrett\u00E8rent am\u00E8rement que leur nom ne figure point dans les l\u00E9gendes du Portrait de Jacquard.\nVoici le r\u00E9cit que donne J.-L. Moulin de cette affaire : \u00AB Monsieur (lettre adress\u00E9e \u00E0 Antonin Terme), j'ai l'honneur de vous soumettre ce qui s'est pass\u00E9 dans la maison Didier-Petit au sujet du portrait de Jacquard, et ce que mes souvenirs me permettent d'affirmer. Au commencement de l'ann\u00E9e 1839, Monsieur Didier-Petit et ses employ\u00E9s nous cherchions un sujet pour l'Exposition \u00E0 Paris. J'ai propos\u00E9 le portrait de Jacquard, d'apr\u00E8s le tableau de Monsieur Bonnefond. Mais il fallait bien des choses ! D'abord l'autorisation de Monsieur Bonnefond. Monsieur Didier-Petit l'obtint mais cela ne suffisait pas. Il a fallu que le tableau soit pos\u00E9 d'abord \u00E0 terre dans le mus\u00E9e m\u00EAme et couvert d'un papier v\u00E9g\u00E9tal agrandi, avoir des marchepieds suffisants pour calquer ce tableau en haut et en bas. Tout cela me fut accord\u00E9. Monsieur Bonnefond \u00E9tait pr\u00E9sent, ainsi que la plupart des employ\u00E9s du Palais. Je m'appliquai \u00E0 relever le plus fid\u00E8lement le personnage du tableau, le reste alla tr\u00E8s vite, quelques heures suffirent pour l'ensemble du travail et le tableau fut bient\u00F4t remis en place. Le lendemain matin, j'allai faire ma visite \u00E0 Monsieur Bonnefond, le remercier de cette grande confiance dont il m'avait honor\u00E9. Tout cela me poussait \u00E0 bien faire. J'eus \u00E0 remercier aussi Monsieur Vibert qui \u00E9tait \u00E0 l'\u00E9poque professeur de gravure \u00E0 l'\u00E9cole du Palais Saint-Pierre pour avoir pr\u00EAt\u00E9 \u00E0 Monsieur Didier-Petit un dessin du portrait de Jacquard qui m'a \u00E9t\u00E9 tr\u00E8s utile et il venait de temps en temps voir o\u00F9 en \u00E9tait ce travail et me donner des conseils. La mise en carte \u00E9tant finie, je demandais \u00E0 Monsieur Didier-Petit l'autorisation de mettre mon nom en petits caract\u00E8res, au bas du portrait \u00E0 droite. Il ne voulut pas, et il me fallut mettre le sien, Didier-Petit. Fin novembre, m\u00EAme ann\u00E9e, pour motif d'int\u00E9r\u00EAt, je changeais de maison. Plus tard encore, je changeais ma position et j'organisais un cabinet de dessin. Longtemps apr\u00E8s cette \u00E9poque, j'appris que Monsieur Carquillat, tisseur de Monsieur Didier-Petit, avait cess\u00E9 de travailler pour lui, c'est-\u00E0-dire que la maison n'existait plus et que Monsieur Carquillat \u00E9tait possesseur de la mise en carte du portrait de Jacquard, de mon travail. Je m'empressais d'aller le voir et je lui demandai de la montrer et de me la pr\u00EAter ce qu'il fit avec beaucoup de plaisir. Nous nous connaissions d\u00E9j\u00E0 de la maison Didier-Petit. Ayant chez moi cette mise en carte, je m'empressai de la faire copier, j'y employais quatre de mes dessinateurs la carte \u00E9tant divis\u00E9e en deux, dans la longueur, le travail devenait plus facile. Je m'appliquais moi-m\u00EAme \u00E0 suivre point par point leur travail. J'aurais voulu pouvoir continuer plus longtemps mais cela ne m'a pas \u00E9t\u00E9 possible. On la r\u00E9clamait. J'ai cherch\u00E9 de nouveau \u00E0 savoir de Monsieur Carquillat \u00E0 qui elle appartenait. Je n'ai pas pu le savoir. J'aurais voulu faire ce travail plus grand. Cela ne m'a pas \u00E9t\u00E9 possible. \u00BB La mise en carte originale est aujourd'hui perdue. Mais la copie r\u00E9alis\u00E9e par Moulin lui-m\u00EAme a \u00E9t\u00E9 donn\u00E9e par son auteur au mus\u00E9e des Tissus qui la conserve (inv. MT 25800).\nMichel-Marie Carquillat (1803-1884) sut mieux tirer profit de l'exceptionnelle publicit\u00E9 assur\u00E9e \u00E0 la maison Didier-Petit et Cie par le Portrait de Jacquard. Fils de cultivateurs au Petit-Bornand devenu orphelin, Carquillat arriva \u00E0 Lyon vers l'\u00E2ge de douze ans \u00AB avec trente centimes en poche. \u00BB D'abord apprenti tisseur, puis compagnon, il devint ma\u00EEtre-tisseur et dirigeait un atelier de quelques m\u00E9tiers. Il y r\u00E9alisait le travail que lui confiaient les fabricants comme Didier-Petit et Cie, Verzier-Bonnat ou Mathevon et Bouvard fr\u00E8res. Il re\u00E7ut l'honneur d'une visite \u00E0 son atelier du colonel Henri d'Orl\u00E9ans, duc d'Aumale, le 24 ao\u00FBt 1841. Ce dernier, au retour d'une campagne en Alg\u00E9rie qu'il avait men\u00E9e en 1841 \u00E0 la t\u00EAte de son r\u00E9giment, le 17e l\u00E9ger, avait fait un s\u00E9jour \u00E0 Lyon du 22 au 26 ao\u00FBt. Accompagn\u00E9 du pr\u00E9sident et du vice-pr\u00E9sident du Conseil des Prud'hommes, Antoine Riboud et Claude-Fran\u00E7ois-Pascal Arquilli\u00E8re, de Jacques Mathevon p\u00E8re, fabricant, et de quelques autres personnes, il se rendit aux ateliers de la Croix-Rousse. Il vit des m\u00E9tiers pour le tissage des \u00E9charpes chez Martinon, des ch\u00E2les en soie chez Goy, avant d'aller chez Carquillat. Deux ans plus tard, le 22 septembre 1843, son fr\u00E8re, le duc de Nemours, visite lui aussi les ateliers en compagnie de son \u00E9pouse, notamment ceux d'Auburtier, Martinon, Dufour, Dangle et Gringlet. On sait, par un courrier de son secr\u00E9taire des Commandements, qu'il se rendit aussi \u00E0 l'atelier de Carquillat. Le ma\u00EEtre-tisseur offrit au prince le Portrait de Jacquard. De retour \u00E0 Paris, ce dernier lui en exprima sa reconnaissance en faisant envoyer au ma\u00EEtre-ouvrier une m\u00E9daille d'or destin\u00E9e \u00E0 lui rappeler \u00AB toute sa satisfaction \u00BB (archives du mus\u00E9e des Tissus).\nCarquillat avait alors d\u00E9j\u00E0 con\u00E7u le projet d'un singulier tableau qu'il esp\u00E9rait pr\u00E9senter \u00E0 l'Exposition des produits de l'industrie fran\u00E7aise de 1844. Il en avait command\u00E9 pour cinq cents francs le dessin \u00E0 Jean-Claude Bonnefond. Le sujet \u00E9tait la visite du duc d'Aumale \u00E0 son atelier. Andr\u00E9 Manin (vers 1817-1885), ancien \u00E9l\u00E8ve de l'\u00C9cole des Beaux-Arts, \u00E9tabli dessinateur \u00E0 Lyon, fut charg\u00E9 de la mise en carte. Carquillat r\u00E9alise une op\u00E9ration d'autopromotion sans pr\u00E9c\u00E9dent. En sollicitant Bonnefond, il choisit un peintre reconnu, qui a d\u00E9j\u00E0 garanti le succ\u00E8s du tableau tiss\u00E9 pour la maison Didier-Petit et Cie, r\u00E9put\u00E9, de surcro\u00EEt, pour \u00EAtre un \u00AB orl\u00E9aniste bon teint. \u00BB Le mus\u00E9e des Tissus conserve \u00E0 la fois les dessins pr\u00E9paratoires \u00E0 la composition d'ensemble et aux diff\u00E9rents personnages de la sc\u00E8ne (inv. MT 26506.1 \u00E0 MT 26506.8 et MAD 3090), et le tableau tiss\u00E9 (inv. MT 24735). Au centre de la composition se tient le duc d'Aumale. Mathevon, \u00E0 droite, son chapeau haut-de-forme \u00E0 la main, introduit Carquillat qui d\u00E9ploie le Portrait de Jacquard. Le groupe \u00E0 gauche est compos\u00E9 du lieutenant-g\u00E9n\u00E9ral baron Aymard, du pr\u00E9fet Jayr, du pr\u00E9sident Riboud et du maire Cabias. Dans le fond un ouvrier travaille au m\u00E9tier. \u00C0 l'extr\u00EAme droite, Genevi\u00E8ve Pernollet-Carquillat a fait chercher sa fille qui jouait au cerceau. Un jeune rondier, entr\u00E9 incidamment dans l'atelier, s'arr\u00EAte et soul\u00E8ve son chapeau avec respect. Tous les d\u00E9tails de l'atelier ont \u00E9t\u00E9 repr\u00E9sent\u00E9s, la suspente o\u00F9 dort le jeune ouvrier, la m\u00E9canique \u00E0 d\u00E9vider et l'horloge, qui marque trois heures moins le quart, le m\u00E9tier et sa m\u00E9canique Jacquard, le chelut et, \u00E0 terre, des roquets, des cartons Jacquard et des poulies t\u00E9moignant que la visite a eu lieu \u00E0 l'improviste.\nDes inscriptions sous l'image en identifie l'auteur \u2014 \u00AB Peint par C. Bonnefond \u00BB, \u00E0 gauche \u2014, le tisseur \u2014 \u00AB Tiss\u00E9 par Carquillat \u00BB, au centre \u2014 et le metteur en carte \u2014 \u00AB Dessin\u00E9 et mis en carte par A. Manin \u00BB, \u00E0 droite \u2014, informations qui faisaient d\u00E9faut sur le Portrait de Jacquard, o\u00F9 seuls \u00E9taient cit\u00E9s Bonnefond et la maison Didier-Petit et Cie. Toujours dans la partie inf\u00E9rieure, la ville de Lyon est symbolis\u00E9e par son embl\u00E8me, le lion, au-dessus duquel se d\u00E9ploie le titre de la sc\u00E8ne : \u00AB Visite de Mgr le Duc d'Aumale a la Croix-Rousse, dans l'atelier de M. Carquillat,/ le 24 ao\u00FBt 1841 \u00BB. \u00C0 gauche, on lit : \u00AB Le g\u00E9n\u00E9ral baron AYMARD, commandant de la 7e Don militaire./ M. JAYR Conseiller-d'Etat, Prefet du Rh\u00F4ne./ M. CABIAS, Maire de la Croix-Rousse. \u00BB, et, \u00E0 droite, \u00AB M. RIBOUD, pr\u00E9sident du Conseil des Prud'hommes./ M. MATHEVON, membre de la Chambre/ de Commerce de Lyon. \u00BB ; en bas, cette instructive d\u00E9dicace : \u00AB D\u00E9di\u00E9 au Roi/ Par Mel Carquillat, en 1844. \u00BB Le nom de Carquillat n'appara\u00EEt pas moins de trois fois ! Voil\u00E0 de quoi r\u00E9parer l'anonymat dans lequel l'avait maintenu la commande de Didier-Petit. Et pour rappeler qu'il a ex\u00E9cut\u00E9 le Portrait de Jacquard, Carquillat fait de son premier portrait tiss\u00E9 le sujet principal du tableau, d\u00E9ploy\u00E9 au centre de la composition. L'employ\u00E9 dans le fond suspendant son battant pour se tourner vers l'illustre groupe, travaille sur le m\u00E9tier m\u00EAme qui a r\u00E9alis\u00E9 le chef-d'\u0153uvre. L'horloge, \u00E0 l'arri\u00E8re-plan, marque la minute solennelle qui a vu s'accomplir un \u00E9v\u00E9nement aussi notable. La commande pass\u00E9e \u00E0 Bonnefond rel\u00E8ve de la peinture d'histoire. Carquillat n'h\u00E9site pas \u00E0 intervenir lui-m\u00EAme dans le portrait collectif. La Visite du duc d'Aumale est le seul autoportrait jamais produit par la Fabrique lyonnaise. Le ma\u00EEtre-ouvrier d\u00E9die son tableau au roi, comme le font les auteurs ou les graveurs. C'est un autre fait in\u00E9dit dans l'histoire du portrait tiss\u00E9.\nCarquillat pr\u00E9sente La Visite du duc d'Aumale \u00E0 l'Exposition des produits de l'industrie fran\u00E7aise de 1844 et c'est en son nom propre qu'il obtient une m\u00E9daille de bronze. \u00AB M. Carquillat, ma\u00EEtre-ouvrier, \u00E0 Lyon (Rh\u00F4ne). A tiss\u00E9 un tableau repr\u00E9sentant la visite faite dans son atelier par M. le duc d'Aumale \u00E0 son retour d'Afrique. Ce tableau reproduit fid\u00E8lement treize (sic) personnages, d'apr\u00E8s une toile de M. Bonnefond, directeur de l'\u00E9cole de dessin et de peinture de Lyon. L'ex\u00E9cution de ce travail a n\u00E9cessit\u00E9 la cr\u00E9ation d'un m\u00E9tier \u00E0 cinq m\u00E9caniques Jacquart (sic) , beaucoup d'intelligence, de soins et d'argent. Rien n'a arr\u00EAt\u00E9 M. Carquillat et le succ\u00E8s a couronn\u00E9 ses efforts. Le jury lui d\u00E9cerne la m\u00E9daille de bronze. \u00BB\nLe nom de Carquillat est enfin entendu. Le tisseur du Testament de Louis XVI, Pierre Chalet, n'avait pas eu droit \u00E0 tant d'honneurs : il n'avait re\u00E7u qu'une m\u00E9daille d'encouragement de la Soci\u00E9t\u00E9 de lecture et des amis des Arts de Lyon. \u00C0 partir de cette date, Michel-Marie Carquillat se sp\u00E9cialise dans l'ex\u00E9cution de portraits tiss\u00E9s \u00E0 l'imitation de la gravure, genre dans lequel il excelle jusqu'\u00E0 sa mort.\nMaximilien Durand"@fr . . . . . "Portrait de Jacquard"@fr . . . . "0.4909000098705291748"^^ . "Portrait de Jacquard"@fr . . . . . . . . . . . . . . "\u00C0 l'Exposition des produits de l'industrie fran\u00E7aise de 1827, \u00C9tienne Maisiat (1794-1848) pr\u00E9sente deux tableaux tiss\u00E9s qui sont unanimement admir\u00E9s : le Testament de Louis XVI (inv. MT 7915) et la Lettre de Marie-Antoinette \u00E0 Madame \u00C9lisabeth. V\u00E9ritable tour de force technique, qui emploie de fines d\u00E9coupures\u00A0et des liages presque invisibles et n\u00E9cessite une extr\u00EAme r\u00E9gularit\u00E9 de battage, ces tableaux imitent \u00E0 la perfection la gravure en taille-douce. \u00C9tienne Maisiat obtient une m\u00E9daille d'or pour ces tissages, et son proc\u00E9d\u00E9 imitant la gravure est vite adopt\u00E9 par les fabricants lyonnais.\nApr\u00E8s 1830, le fait de proposer une imitation de la gravure en tissage ne suffisait plus \u00E0 convaincre le jury des Expositions des produits fran\u00E7ais de l'industrie. Maisiat avait atteint la perfection dans ce domaine, et c'est par d'autres moyens qu'il fallait attirer l'attention des jur\u00E9s si l'on souhaitait se faire remarquer dans ce domaine. Le Rapport du jury central pour l'Exposition de 1839 est \u00E9loquent. La maison Didier-Petit et Cie avait re\u00E7u une m\u00E9daille d'argent d\u00E8s 1827 dans sa sp\u00E9cialit\u00E9, les \u00E9toffes pour meubles et ornements d'\u00E9glise, confirm\u00E9e en 1834, alors qu'elle d\u00E9veloppait parall\u00E8lement la production de tissus pour l'exportation. Elle obtient en 1839 un rappel de m\u00E9daille d'argent pour les m\u00EAmes raisons, mais le rapport pr\u00E9cise : \u00AB Ces fabricants ont aussi expos\u00E9 un portrait de M. Jacquard d'une grande perfection de tissu. C'est une id\u00E9e fort heureuse qu'ils ont eue de reproduire son image avec l'ing\u00E9nieux m\u00E9tier dont il est l'inventeur. Ce portrait, d'une ex\u00E9cution parfaite, fait grand honneur \u00E0 ces habiles manufacturiers. \u00BB Le mus\u00E9e des Tissus poss\u00E8de deux exemplaires originaux de ce portrait (inv. MT 2264 et MT 42157). Il a \u00E9t\u00E9 ex\u00E9cut\u00E9 selon le proc\u00E9d\u00E9 mis au point par Maisiat, et comporte les inscriptions : \u00AB D'apr\u00E8s le tableau de C. Bonnefond \u00BB, \u00E0 gauche ; \u00AB Ex\u00E9cut\u00E9 par Didier-Petit et Cie \u00BB \u00E0 droite ; sous le portrait : \u00AB A LA MEMOIRE DE J.-M. JACQUARD./ N\u00E9 \u00E0 Lyon le 7 Juillet 1752 Mort le 7 Ao\u00FBt 1834/ DIDIER PETIT ET CIE LYON M.DCCC.XXXIX. \u00BB\nLe Portrait de Jacquard montre une excellente application du proc\u00E9d\u00E9 de Maisiat et de la mise en carte dite \u00AB en taille-douce \u00BB. Mais s'il marque un tournant dans l'histoire du portrait tiss\u00E9, c'est parce que Jacquard est le premier bourgeois \u00E0 rejoindre le panth\u00E9on des hommes illustres figur\u00E9s en tissage par la Fabrique. Jusqu'\u00E0 sa r\u00E9alisation, les mod\u00E8les \u00E9taient des souverains et des princes, appartenant \u00E0 la famille des Bourbons (Louis XV, inv. MT 45306 ; le comte de Provence, inv. MT 2856 ; la comtesse de Provence, inv. MT 45307 ; le comte d'Artois, inv. MT 2857 ; Madame Royale, duchesse d'Angoul\u00EAme, inv. MT 46440, MT 2160.2, MT 31508 et MT 2074 ; le duc d'Angoul\u00EAme, inv. MT 26983 ; Louis XVIII, inv. MT 2160.1 et MT 25687 ; Charles X, inv. MT 30603) ou des Orl\u00E9ans (Louis-Philippe, inv. MT 23121 et MT 30972 ; Marie-Am\u00E9lie, inv. MT 51092), \u00E0 l'exception de l'empereur Napol\u00E9on Ier (inv. MT 2153, MT 2025, MT 23189, MT 34255) et des souverains \u00E9trangers (Catherine II de Russie, inv. MT 2869 ; Fr\u00E9d\u00E9ric le Grand, inv. MT 2161 et MT 34274.1 ; Louise de Prusse, inv. MT 1149 et MT 34274.4 ; Fr\u00E9d\u00E9ric-Guillaume III de Prusse, inv. MT 1148 ; Alexandre Ier de Russie, Fran\u00E7ois Ier d'Autriche et Fr\u00E9d\u00E9ric-Guillaume III de Prusse, inv. MT 24825). Et voici qu'un homme du peuple acc\u00E8de brusquement \u00E0 la prestigieuse galerie des portraits tiss\u00E9s. \u00C0 qui doit-on attribuer l'audace d'une telle id\u00E9e ?\nUne correspondance, \u00E9chang\u00E9e entre 1895 et 1896 entre le directeur du mus\u00E9e historique des Tissus de Lyon, Antonin Terme, et le dessinateur J.-L. (Jean-Louis ?) Moulin, r\u00E9v\u00E8le que c'est le metteur en carte lui-m\u00EAme qui proposa le sujet. Cette correspondance est conserv\u00E9e dans les archives du mus\u00E9e des Tissus.\u00A0Fran\u00E7ois Didier-Petit (Fran\u00E7ois-Didier Petit de Meurville, 1793-1873) en avait accept\u00E9 l'id\u00E9e avec bonheur, imaginant d'en faire une op\u00E9ration publicitaire pour la maison.\nJoseph-Marie Jacquard \u00E9tait mort cinq ans auparavant, quelques mois seulement apr\u00E8s la vive r\u00E9pression de la deuxi\u00E8me insurrection des canuts d'avril 1834. Il avait d\u00E9j\u00E0 connu de son vivant les honneurs de ses concitoyens. En 1832, le maire Victor-Gabriel Prunelle avait d'ailleurs command\u00E9 sur les arr\u00E9rages du legs Grognard son portrait pour la galerie des Lyonnais c\u00E9l\u00E8bres. La r\u00E9alisation en fut confi\u00E9e au peintre Jean-Claude Bonnefond, alors directeur de l'\u00C9cole des Beaux-Arts. Le tableau, dont le mus\u00E9e des Tissus poss\u00E8de une \u00E9tude pr\u00E9paratoire au crayon noir (inv. MT 445), \u00E9tait achev\u00E9 en 1834. Le 10 ao\u00FBt, trois jours seulement apr\u00E8s la mort de Jacquard, l'article suivant paraissait dans Le Courrier de Lyon : \u00AB Tous les Lyonnais qui se trouvaient \u00E0 Paris ont certainement remarqu\u00E9 \u00E0 l'exposition du Louvre un tr\u00E8s beau portrait du c\u00E9l\u00E8bre Jacquard d\u00FB au pinceau de M. Bonnefond, directeur de notre \u00E9cole de peinture. Ce portrait \u00E9galement remarquable sous le rapport du dessin et de la couleur et qui \u00E9tait g\u00E9n\u00E9ralement reconnu comme un des meilleurs ouvrages du salon avait en m\u00EAme temps le m\u00E9rite d'une ressemblance parfaite. Nous apprenons avec plaisir que M. Bonnefond vient de faire un dessin de ce beau portrait, qu'il n'a pas d\u00E9daign\u00E9 de lithographier lui-m\u00EAme ; c'est une heureuse nouvelle pour les amis de la gloire de la ville, pour tous ceux qui ont appris avec tant de douleur la perte immense qu'elle venait de faire. Cette lithographie remarquable, d'une ressemblance on ne peut plus parfaite (...) bient\u00F4t, sans doute, (...) fera l'ornement des comptoirs de nos fabricants et de tous nos ateliers. \u00BB\nDidier-Petit obtint l'autorisation de Bonnefond de reproduire son tableau. En pr\u00E9sence du peintre, la toile fut d\u00E9pos\u00E9e au mus\u00E9e Saint-Pierre, d\u00E9calqu\u00E9e par Moulin qui travailla deux mois et demi \u00E0 sa mise en carte, aid\u00E9 par\u00A0un dessin de Joseph-Victor Vibert et les conseils de son auteur, alors professeur \u00E0 l'\u00C9cole des Beaux-Arts de Lyon. Le tissage fut confi\u00E9 au ma\u00EEtre-ouvrier Michel-Marie Carquillat.\nLa fortune du portrait tiss\u00E9 fut imm\u00E9diate et consid\u00E9rable. On loue d'abord l'imitation parfaite de la gravure, comme on l'avait fait en 1827 quand Maisiat avait pr\u00E9sent\u00E9 Le Testament de Louis XVI et La Lettre de Marie-Antoinette \u00E0 Madame \u00C9lisabeth. Mais la surprise suscit\u00E9e par l'exceptionnel trompe-l'\u0153il de Maisiat avait rapidement fait place \u00E0 l'admiration g\u00E9n\u00E9r\u00E9e par les modifications apport\u00E9es au m\u00E9tier qui avaient permis cette prouesse. L'ex\u00E9cution du Portrait de Jacquard n'a pas n\u00E9cessit\u00E9 d'innovation technique remarquable. Les critiques saluent donc la qualit\u00E9 d'ex\u00E9cution du portrait, et l'id\u00E9e de repr\u00E9senter Jacquard en exploitant la m\u00E9canique dont il \u00E9tait l'inventeur. Mais ni le metteur en carte qui eut l'id\u00E9e de reproduire le tableau de Bonnefond et qui travailla \u00E0 la transcription de la lithographie de Vibert ni le tisseur qui ex\u00E9cuta le portrait ne sont mentionn\u00E9s. Moulin, le dessinateur, et Carquillat, regrett\u00E8rent am\u00E8rement que leur nom ne figure point dans les l\u00E9gendes du Portrait de Jacquard.\nVoici le r\u00E9cit que donne J.-L. Moulin de cette affaire : \u00AB Monsieur (lettre adress\u00E9e \u00E0 Antonin Terme), j'ai l'honneur de vous soumettre ce qui s'est pass\u00E9 dans la maison Didier-Petit au sujet du portrait de Jacquard, et ce que mes souvenirs me permettent d'affirmer. Au commencement de l'ann\u00E9e 1839, Monsieur Didier-Petit et ses employ\u00E9s nous cherchions un sujet pour l'Exposition \u00E0 Paris. J'ai propos\u00E9 le portrait de Jacquard, d'apr\u00E8s le tableau de Monsieur Bonnefond. Mais il fallait bien des choses ! D'abord l'autorisation de Monsieur Bonnefond. Monsieur Didier-Petit l'obtint mais cela ne suffisait pas. Il a fallu que le tableau soit pos\u00E9 d'abord \u00E0 terre dans le mus\u00E9e m\u00EAme et couvert d'un papier v\u00E9g\u00E9tal agrandi, avoir des marchepieds suffisants pour calquer ce tableau en haut et en bas. Tout cela me fut accord\u00E9. Monsieur Bonnefond \u00E9tait pr\u00E9sent, ainsi que la plupart des employ\u00E9s du Palais. Je m'appliquai \u00E0 relever le plus fid\u00E8lement le personnage du tableau, le reste alla tr\u00E8s vite, quelques heures suffirent pour l'ensemble du travail et le tableau fut bient\u00F4t remis en place. Le lendemain matin, j'allai faire ma visite \u00E0 Monsieur Bonnefond, le remercier de cette grande confiance dont il m'avait honor\u00E9. Tout cela me poussait \u00E0 bien faire. J'eus \u00E0 remercier aussi Monsieur Vibert qui \u00E9tait \u00E0 l'\u00E9poque professeur de gravure \u00E0 l'\u00E9cole du Palais Saint-Pierre pour avoir pr\u00EAt\u00E9 \u00E0 Monsieur Didier-Petit un dessin du portrait de Jacquard qui m'a \u00E9t\u00E9 tr\u00E8s utile et il venait de temps en temps voir o\u00F9 en \u00E9tait ce travail et me donner des conseils. La mise en carte \u00E9tant finie, je demandais \u00E0 Monsieur Didier-Petit l'autorisation de mettre mon nom en petits caract\u00E8res, au bas du portrait \u00E0 droite. Il ne voulut pas, et il me fallut mettre le sien, Didier-Petit. Fin novembre, m\u00EAme ann\u00E9e, pour motif d'int\u00E9r\u00EAt, je changeais de maison. Plus tard encore, je changeais ma position et j'organisais un cabinet de dessin. Longtemps apr\u00E8s cette \u00E9poque, j'appris que Monsieur Carquillat, tisseur de Monsieur Didier-Petit, avait cess\u00E9 de travailler pour lui, c'est-\u00E0-dire que la maison n'existait plus et que Monsieur Carquillat \u00E9tait possesseur de la mise en carte du portrait de Jacquard, de mon travail. Je m'empressais d'aller le voir et je lui demandai de la montrer et de me la pr\u00EAter ce qu'il fit avec beaucoup de plaisir. Nous nous connaissions d\u00E9j\u00E0 de la maison Didier-Petit. Ayant chez moi cette mise en carte, je m'empressai de la faire copier, j'y employais quatre de mes dessinateurs la carte \u00E9tant divis\u00E9e en deux, dans la longueur, le travail devenait plus facile. Je m'appliquais moi-m\u00EAme \u00E0 suivre point par point leur travail. J'aurais voulu pouvoir continuer plus longtemps mais cela ne m'a pas \u00E9t\u00E9 possible. On la r\u00E9clamait. J'ai cherch\u00E9 de nouveau \u00E0 savoir de Monsieur Carquillat \u00E0 qui elle appartenait. Je n'ai pas pu le savoir. J'aurais voulu faire ce travail plus grand. Cela ne m'a pas \u00E9t\u00E9 possible. \u00BB La mise en carte originale est aujourd'hui perdue. Mais la copie r\u00E9alis\u00E9e par Moulin lui-m\u00EAme a \u00E9t\u00E9 donn\u00E9e par son auteur au mus\u00E9e des Tissus qui la conserve (inv. MT 25800).\nMichel-Marie Carquillat (1803-1884) sut mieux tirer profit de l'exceptionnelle publicit\u00E9 assur\u00E9e \u00E0 la maison Didier-Petit et Cie par le Portrait de Jacquard. Fils de cultivateurs au Petit-Bornand devenu orphelin, Carquillat arriva \u00E0 Lyon vers l'\u00E2ge de douze ans \u00AB avec trente centimes en poche. \u00BB D'abord apprenti tisseur, puis compagnon, il devint ma\u00EEtre-tisseur et dirigeait un atelier de quelques m\u00E9tiers. Il y r\u00E9alisait le travail que lui confiaient les fabricants comme Didier-Petit et Cie, Verzier-Bonnat ou Mathevon et Bouvard fr\u00E8res. Il re\u00E7ut l'honneur d'une visite \u00E0 son atelier du colonel Henri d'Orl\u00E9ans, duc d'Aumale, le 24 ao\u00FBt 1841. Ce dernier, au retour d'une campagne en Alg\u00E9rie qu'il avait men\u00E9e en 1841 \u00E0 la t\u00EAte de son r\u00E9giment, le 17e l\u00E9ger, avait fait un s\u00E9jour \u00E0 Lyon du 22 au 26 ao\u00FBt. Accompagn\u00E9 du pr\u00E9sident et du vice-pr\u00E9sident du Conseil des Prud'hommes, Antoine Riboud et Claude-Fran\u00E7ois-Pascal Arquilli\u00E8re, de Jacques Mathevon p\u00E8re, fabricant, et de quelques autres personnes, il se rendit aux ateliers de la Croix-Rousse. Il vit des m\u00E9tiers pour le tissage des \u00E9charpes chez Martinon, des ch\u00E2les en soie chez Goy, avant d'aller chez Carquillat. Deux ans plus tard, le 22 septembre 1843, son fr\u00E8re, le duc de Nemours, visite lui aussi les ateliers en compagnie de son \u00E9pouse, notamment ceux d'Auburtier, Martinon, Dufour, Dangle et Gringlet. On sait, par un courrier de son secr\u00E9taire des Commandements, qu'il se rendit aussi \u00E0 l'atelier de Carquillat. Le ma\u00EEtre-tisseur offrit au prince le Portrait de Jacquard. De retour \u00E0 Paris, ce dernier lui en exprima sa reconnaissance en faisant envoyer au ma\u00EEtre-ouvrier une m\u00E9daille d'or destin\u00E9e \u00E0 lui rappeler \u00AB toute sa satisfaction \u00BB (archives du mus\u00E9e des Tissus).\nCarquillat avait alors d\u00E9j\u00E0 con\u00E7u le projet d'un singulier tableau qu'il esp\u00E9rait pr\u00E9senter \u00E0 l'Exposition des produits de l'industrie fran\u00E7aise de 1844. Il en avait command\u00E9 pour cinq cents francs le dessin \u00E0 Jean-Claude Bonnefond. Le sujet \u00E9tait la visite du duc d'Aumale \u00E0 son atelier. Andr\u00E9 Manin (vers 1817-1885), ancien \u00E9l\u00E8ve de l'\u00C9cole des Beaux-Arts, \u00E9tabli dessinateur \u00E0 Lyon, fut charg\u00E9 de la mise en carte. Carquillat r\u00E9alise une op\u00E9ration d'autopromotion sans pr\u00E9c\u00E9dent. En sollicitant Bonnefond, il choisit un peintre reconnu, qui a d\u00E9j\u00E0 garanti le succ\u00E8s du tableau tiss\u00E9 pour la maison Didier-Petit et Cie, r\u00E9put\u00E9, de surcro\u00EEt, pour \u00EAtre un \u00AB orl\u00E9aniste bon teint. \u00BB Le mus\u00E9e des Tissus conserve \u00E0 la fois les dessins pr\u00E9paratoires \u00E0 la composition d'ensemble et aux diff\u00E9rents personnages de la sc\u00E8ne (inv. MT 26506.1 \u00E0 MT 26506.8 et MAD 3090), et le tableau tiss\u00E9 (inv. MT 24735). Au centre de la composition se tient le duc d'Aumale. Mathevon, \u00E0 droite, son chapeau haut-de-forme \u00E0 la main, introduit Carquillat qui d\u00E9ploie le Portrait de Jacquard. Le groupe \u00E0 gauche est compos\u00E9 du lieutenant-g\u00E9n\u00E9ral baron Aymard, du pr\u00E9fet Jayr, du pr\u00E9sident Riboud et du maire Cabias. Dans le fond un ouvrier travaille au m\u00E9tier. \u00C0 l'extr\u00EAme droite, Genevi\u00E8ve Pernollet-Carquillat a fait chercher sa fille qui jouait au cerceau. Un jeune rondier, entr\u00E9 incidamment dans l'atelier, s'arr\u00EAte et soul\u00E8ve son chapeau avec respect. Tous les d\u00E9tails de l'atelier ont \u00E9t\u00E9 repr\u00E9sent\u00E9s, la suspente o\u00F9 dort le jeune ouvrier, la m\u00E9canique \u00E0 d\u00E9vider et l'horloge, qui marque trois heures moins le quart, le m\u00E9tier et sa m\u00E9canique Jacquard, le chelut et, \u00E0 terre, des roquets, des cartons Jacquard et des poulies t\u00E9moignant que la visite a eu lieu \u00E0 l'improviste.\nDes inscriptions sous l'image en identifie l'auteur \u2014 \u00AB Peint par C. Bonnefond \u00BB, \u00E0 gauche \u2014, le tisseur \u2014 \u00AB Tiss\u00E9 par Carquillat \u00BB, au centre \u2014 et le metteur en carte \u2014 \u00AB Dessin\u00E9 et mis en carte par A. Manin \u00BB, \u00E0 droite \u2014, informations qui faisaient d\u00E9faut sur le Portrait de Jacquard, o\u00F9 seuls \u00E9taient cit\u00E9s Bonnefond et la maison Didier-Petit et Cie. Toujours dans la partie inf\u00E9rieure, la ville de Lyon est symbolis\u00E9e par son embl\u00E8me, le lion, au-dessus duquel se d\u00E9ploie le titre de la sc\u00E8ne : \u00AB Visite de Mgr le Duc d'Aumale a la Croix-Rousse, dans l'atelier de M. Carquillat,/ le 24 ao\u00FBt 1841 \u00BB. \u00C0 gauche, on lit : \u00AB Le g\u00E9n\u00E9ral baron AYMARD, commandant de la 7e Don militaire./ M. JAYR Conseiller-d'Etat, Prefet du Rh\u00F4ne./ M. CABIAS, Maire de la Croix-Rousse. \u00BB, et, \u00E0 droite, \u00AB M. RIBOUD, pr\u00E9sident du Conseil des Prud'hommes./ M. MATHEVON, membre de la Chambre/ de Commerce de Lyon. \u00BB ; en bas, cette instructive d\u00E9dicace : \u00AB D\u00E9di\u00E9 au Roi/ Par Mel Carquillat, en 1844. \u00BB Le nom de Carquillat n'appara\u00EEt pas moins de trois fois ! Voil\u00E0 de quoi r\u00E9parer l'anonymat dans lequel l'avait maintenu la commande de Didier-Petit. Et pour rappeler qu'il a ex\u00E9cut\u00E9 le Portrait de Jacquard, Carquillat fait de son premier portrait tiss\u00E9 le sujet principal du tableau, d\u00E9ploy\u00E9 au centre de la composition. L'employ\u00E9 dans le fond suspendant son battant pour se tourner vers l'illustre groupe, travaille sur le m\u00E9tier m\u00EAme qui a r\u00E9alis\u00E9 le chef-d'\u0153uvre. L'horloge, \u00E0 l'arri\u00E8re-plan, marque la minute solennelle qui a vu s'accomplir un \u00E9v\u00E9nement aussi notable. La commande pass\u00E9e \u00E0 Bonnefond rel\u00E8ve de la peinture d'histoire. Carquillat n'h\u00E9site pas \u00E0 intervenir lui-m\u00EAme dans le portrait collectif. La Visite du duc d'Aumale est le seul autoportrait jamais produit par la Fabrique lyonnaise. Le ma\u00EEtre-ouvrier d\u00E9die son tableau au roi, comme le font les auteurs ou les graveurs. C'est un autre fait in\u00E9dit dans l'histoire du portrait tiss\u00E9.\nCarquillat pr\u00E9sente La Visite du duc d'Aumale \u00E0 l'Exposition des produits de l'industrie fran\u00E7aise de 1844 et c'est en son nom propre qu'il obtient une m\u00E9daille de bronze. \u00AB M. Carquillat, ma\u00EEtre-ouvrier, \u00E0 Lyon (Rh\u00F4ne). A tiss\u00E9 un tableau repr\u00E9sentant la visite faite dans son atelier par M. le duc d'Aumale \u00E0 son retour d'Afrique. Ce tableau reproduit fid\u00E8lement treize (sic) personnages, d'apr\u00E8s une toile de M. Bonnefond, directeur de l'\u00E9cole de dessin et de peinture de Lyon. L'ex\u00E9cution de ce travail a n\u00E9cessit\u00E9 la cr\u00E9ation d'un m\u00E9tier \u00E0 cinq m\u00E9caniques Jacquart (sic) , beaucoup d'intelligence, de soins et d'argent. Rien n'a arr\u00EAt\u00E9 M. Carquillat et le succ\u00E8s a couronn\u00E9 ses efforts. Le jury lui d\u00E9cerne la m\u00E9daille de bronze. \u00BB\nLe nom de Carquillat est enfin entendu. Le tisseur du Testament de Louis XVI, Pierre Chalet, n'avait pas eu droit \u00E0 tant d'honneurs : il n'avait re\u00E7u qu'une m\u00E9daille d'encouragement de la Soci\u00E9t\u00E9 de lecture et des amis des Arts de Lyon. \u00C0 partir de cette date, Michel-Marie Carquillat se sp\u00E9cialise dans l'ex\u00E9cution de portraits tiss\u00E9s \u00E0 l'imitation de la gravure, genre dans lequel il excelle jusqu'\u00E0 sa mort.\nMaximilien Durand"@fr . . . . . "222" . . . . "0.48919999599456787109"^^ . . .