. . "Le panneau a \u00E9t\u00E9 donn\u00E9 au mus\u00E9e d'Art et d'Industrie par la maison B\u00E9rard et Ferrand. Il s'agit du premier don conc\u00E9d\u00E9 par\u00A0la maison, \u00E9tablie sous cette raison commerciale depuis l'association, en 1870, d'Ernest B\u00E9rard et de Pierre-Joseph Ferrand. Le si\u00E8ge de la maison \u00E9tait au 2, quai de Retz. Elle succ\u00E9dait \u00E0 la maison B\u00E9rard, Poncet et Cie puis Poncet, Papillon et Girodon, dont les productions avaient \u00E9t\u00E9 remarqu\u00E9es aux Expositions universelles ou internationales de Paris, en 1855, de Londres, en 1862, de Paris, en 1867 et du Havre, en 1868.\nLe panneau de velours avait pr\u00E9cis\u00E9ment \u00E9t\u00E9 pr\u00E9sent\u00E9 \u00E0 l'Exposition universelle de Londres, en 1862. Alfred Darcel, qui commente l'\u00E9v\u00E9nement\u00A0pour L'Illustration, lui r\u00E9serve m\u00EAme quelques lignes\u00A0: \u00AB Le syst\u00E8me de trompe-l'\u0153il s'exag\u00E8re encore, dans la magnifique exposition de MM. B\u00E9rard, Poncet et Cie. Apr\u00E8s avoir fait quelques r\u00E9serves, que l'on a d\u00FB pressentir d\u00E9j\u00E0, en faveur du go\u00FBt absolu que doit guider la raison, nous avouons tr\u00E8s volontiers que nous consid\u00E9rons comme des chefs-d'\u0153uvre de fabrication les robes expos\u00E9es par ces messieurs. Ainsi, il y a une robe en taffetas bleu orn\u00E9e de rubans de dentelle rattach\u00E9s par des volubilis broch\u00E9s en couleurs\u00A0avec feuilles de velours noir ; puis une autre robe en gros de Tours jaune, recouverte d'une dentelle blanche avec attaches de volubilis noirs et de fleurs de couleur, obtenues ainsi du premier coup au m\u00E9tier, et qui d\u00E9passent tout ce que l'on peut concevoir comme effets de tissage\u00A0\u00BB (p. 131).\nC'est Ernest B\u00E9rard lui-m\u00EAme qui a probablement souhait\u00E9 faire don de cet exemple prestigieux de sa propre production, qu'il a accompagn\u00E9 des indications relatives aux circonstances de sa cr\u00E9ation : la laize avait \u00E9t\u00E9 command\u00E9e \u00E0 la maison B\u00E9rard, Poncet et Cie par la maison Bonnet, Thomas fr\u00E8res et Julmasse de Paris, successeurs de la maison Delisle, \u00E9tablis 13, rue de Grammont et 12, rue de Choiseul, \u00AB fournisseurs-brevet\u00E9s de S. M. l'Imp\u00E9ratrice et de S. M. la Reine d'Angleterre \u00BB, comme le pr\u00E9cise l'Almanach de la Cour, de la Ville et des d\u00E9partements pour 1861, publi\u00E9 \u00E0 Paris en 1860.\nLe 24 janvier 1855, Jacques-Isidore Bonnet, n\u00E9gociant, Martial-Camille Thomas et son fr\u00E8re, Jean-Baptiste-Prosper Thomas, tous deux\u00A0commis-n\u00E9gociants, Jean-Marie Gulielmazi, dit Julmasse, n\u00E9gociant, s'associaient sous la raison sociale Bonnet, Thomas fr\u00E8res et Julmasse pour l'exploitation du fonds de commerce de nouveaut\u00E9s, \u00E0 Paris, 13, rue de Grammont, connu sous le nom de maison Delisle et Cie. Cette derni\u00E8re avait \u00E9t\u00E9 \u00E9tablie le 1er juillet 1837, par Ang\u00E9lique-Am\u00E9lie Esnault-Pelterie, veuve de Jean-Armand Delisle, n\u00E9gociant demeurant au 13, rue de Grammont, avec Charles-Joseph Pussey, n\u00E9gociant demeurant au 15, rue de Choiseul, et avec Fran\u00E7ois Delisle, fils de la veuve Delisle, pour l'exploitation de la maison de nouveaut\u00E9s connue sous le nom de maison Delisle et portant pour enseigne \u00C0 Sainte Anne. Cette maison, fond\u00E9e en 1813 par Jean-Armand Delisle, a\u00A0ouvert en 1836 de\u00A0nouveaux magasins\u00A0vers le boulevard des Capucines, rue de Grammont. Elle s'est d\u00E8s lors\u00A0impos\u00E9e comme l'une des premi\u00E8res enseignes de nouveaut\u00E9 comme l'indique la vicomtesse de Renneville \u2014 Olympe Vall\u00E9e, \u00E9pouse Paul Descubes de Lascaux \u2014, c\u00E9l\u00E8bre chroniqueuse de mode, dans le Courrier de la Mode\u00A0: \u00AB La maison Delisle, en plantant son drapeau industriel au centre\u00A0le plus luxueux et le plus aristocratique de Paris, et sur l'emplacement de l'ancien h\u00F4tel Osmond, a conquis tout d'un coup une nouvelle importance et une nouvelle splendeur.\nQuand le si\u00E8cle marche et que les habitudes d'\u00E9l\u00E9gance changent de niveau et se transforment, il faut aussi aller en avant et chercher le progr\u00E8s, l'intelligence et la lumi\u00E8re. C'est ce qu'a fait la maison Delisle. Ses nouveaux magasins du boulevard des Capucines sont \u00E0 la hauteur de sa renomm\u00E9e. Cette ancienne maison n'avait pas besoin d'\u00E9blouir la foule par l'\u00E9clat des dorures et d'un luxe trompeur. Elle est rest\u00E9e fid\u00E8le \u00E0 sa devise : simplicit\u00E9 et \u00E9l\u00E9gance.\nLe d\u00E9cor des magasins est d'une sobri\u00E9t\u00E9 de style qui d\u00E9c\u00E8le un certain orgueil. Que vient-on chercher, en effet, dans la maison Delisle ? Sont-ce des frises dor\u00E9es, des fresques ou des cand\u00E9labres support\u00E9s par des nymphes ? Non, certes.\nOn lui demande, \u00E0 chaque renouvellement de saison, la nouveaut\u00E9 la plus riche et du meilleur go\u00FBt. On attend ses d\u00E9crets pour choisir telle robe, tel tissu ou telle confection.\nIl s'agissait donc d'\u00E9difier une ornementation simple et s\u00E9v\u00E8re, qui f\u00FBt en rapport avec ses titres de noblesse. Le ch\u00EAne, le noyer, le palissandre et l'\u00E9b\u00E8ne sont les bois qui d\u00E9corent chaque salon et qui leur donne un cachet unique. Les d\u00E9coupures en ch\u00EAne ont la l\u00E9g\u00E8ret\u00E9 de la guipure. On dirait que chaque panneau est surmont\u00E9 d'un gracieux volant.\nJe ne sais rien de plus coquet que le salon tout en \u00E9b\u00E8ne destin\u00E9 aux dentelles. Ce salon est une merveille, une grande dame en ferait son boudoir. L'Alen\u00E7on, le Bruxelles et le Chantilly s'y reposent, en reines qu'elles sont.\nD'autres salons non moins remarquables, en bois de palissandre, sont r\u00E9serv\u00E9s aux cachemires. On peut hautement les consid\u00E9rer comme le premier comptoir indien en France, car la maison Delisle a pour associ\u00E9 l'un des plus riches n\u00E9gociants de Lahore, M. Peer Burkhehs, qui a affranchi le cachemire des Indes de la banalit\u00E9 courante, en lui donnant toute la fantaisie du go\u00FBt parisien.\nNotez, je vous prie, que je dis salons, en parlant des magasins de la maison Delisle.\nOn n'y voit pas ces longues et tristes galeries sentant le bazar, en rentrant, dans l'infortunit\u00E9 des autres maisons de nouveaut\u00E9s. Chaque sp\u00E9cialit\u00E9 est chez elle.\nRien que l'entr\u00E9e des magasins, sur le boulevard, indique chez qui l'on va. D'\u00E9l\u00E9gantes colonnes supportent une esp\u00E8ce de portique. On pressent presque le palais grec ; mais de radieuses vitrines \u00E9talent avec magnificence toutes les primeurs de la saison d'automne, et l'art s'efface devant l'industrie.\nOn est, chez Delisle, dans le Parth\u00E9non de la mode.\nPlus tard, une seconde entr\u00E9e se trouvera rue Lafayette, alors que les projets grandioses du plan de Paris seront r\u00E9alis\u00E9s, et que cette ligne importante sera trac\u00E9e.\nFid\u00E8le \u00E0 ses traditions, la maison Delisle s'est restreinte aux sp\u00E9cialit\u00E9s qui ont \u00E9tabli sa gloire et sa vogue, et n'a pas voulu changer le genre aristocratique de ses affaires, en \u00E9tablissant de nouveaux comptoirs, qui eussent \u00E9t\u00E9 ind\u00E9pendants du go\u00FBt, de la toilette et de la mode. En concentrant tous ses capitaux et toutes ses forces intelligentes sur les soieries, les ch\u00E2les, les dentelles, les robes de bal et de ville, les tissus de fantaisie, la confection et la lingerie, la maison Delisle leur a donn\u00E9 une valeur centuple et pr\u00E9cieuse, au point de vue de la fabrication, de la distinction, du go\u00FBt et du prix d'achat.\nTout article compris et fabriqu\u00E9 sur une tr\u00E8s grande \u00E9chelle commerciale co\u00FBte n\u00E9cessairement moins cher, en raison de la quantit\u00E9 produite, et offre en outre un choix plus \u00E9tendu et plus vari\u00E9 de marchandises. De cette sage entente des affaires, il r\u00E9sulte que la maison Delisle, tout en continuant \u00E0 \u00E9diter les plus beaux articles de nouveaut\u00E9 luxueuse, qui lui ont acquis une r\u00E9putation universelle, compl\u00E8te \u00E9galement son \u0153uvre progressive, en mettant en vente des \u00E9toffes simplettes en rapport avec toutes les bourses et toutes les positions sociales. On aura donc pour rien, d\u00E9sormais, le cachet et la signature de la maison Delisle.\nJ'aurais bien voulu pouvoir d\u00E9crire la riche simplicit\u00E9 de chaque salon, mais c'e\u00FBt \u00E9t\u00E9 presque un petit voyage \u00E0 entreprendre dans l'Empire de la fantaisie.\u00A0(...) Je me suis content\u00E9e aujourd'hui d'appeler l'attention g\u00E9n\u00E9reuse sur cette maison, qui m\u00E9rite d'\u00EAtre visit\u00E9e, comme on visite un mus\u00E9e contenant des objets d'art, n'ayant pas deux exemplaires.\u00A0\u00BB\nBonnet, Thomas fr\u00E8res et Julmasse, successeurs de la maison Delisle, ont continu\u00E9 de s'adresser aux meilleurs fabricants pour satisfaire les plus exigeantes des \u00E9l\u00E9gantes, notamment l'imp\u00E9ratrice Eug\u00E9nie et la reine Victoria. C'est pour cette derni\u00E8re qu'ils s'adressent \u00E0 la maison B\u00E9rard, Poncet et Cie\u00A0de Lyon, et Ernest B\u00E9rard lui-m\u00EAme fournit le dessin. N\u00E9 \u00E0 Lyon le 20 octobre 1829, d'un p\u00E8re commis-n\u00E9gociant \u00E0 Lyon, Denis-Joseph-Ernest B\u00E9rard \u00E9tudie \u00E0 l'\u00C9cole des Beaux-Arts de Lyon, puis aupr\u00E8s du peintre Louis-Jean-Baptiste Guy (1824-1888). Il travaille comme dessinateur de fabrique, notamment pour des \u00E9toffes d'ameublement, des ornements d'\u00E9glise et des articles pour le Levant. Ernest B\u00E9rard est certainement une personnalit\u00E9 hors du commun, comme le prouve le travail qu'il accomplit d'abord sous diverses raisons sociales, puis au sein\u00A0de sa\u00A0maison B\u00E9rard et Ferrand. \u00C0 l'Exposition universelle de 1889, \u00E0 Paris,\u00A0celle-ci confirme le succ\u00E8s qu'elle avait rencontr\u00E9 depuis 1870 et triomphe par la qualit\u00E9 de ses fa\u00E7onn\u00E9s. Parall\u00E8lement \u00E0 son activit\u00E9 de dessinateur et de fabricant,\u00A0Ernest B\u00E9rard\u00A0a\u00A0aussi men\u00E9 une carri\u00E8re de peintre en\u00A0exposant r\u00E9guli\u00E8rement des toiles aux Salons lyonnais, entre 1878 et 1903, qui repr\u00E9sentent essentiellement des vues de l'Ain, du Dauphin\u00E9 ou des pays orientaux dans lesquels il a accompli de nombreux voyages commerciaux, pour d\u00E9velopper le march\u00E9 du Levant, cr\u00E9ant des succursales \u00E0 Bagdad, Smyrne et Bombay. Il mena\u00A0en outre\u00A0une importante carri\u00E8re politique. R\u00E9publicain en 1848, il milita \u00E0 Lyon sous l'Empire comme membre de l'association phalanst\u00E9rienne et, sous la R\u00E9publique, fut \u00E9lu Conseiller municipal du sixi\u00E8me arrondissement de Lyon en 1884 et en 1888, d\u00E9put\u00E9 du Rh\u00F4ne en 1889, r\u00E9\u00E9lu en 1893. Il si\u00E9gea \u00E0 la gauche radicale et fit partie de diverses Commissions, notamment de la Commission d'enqu\u00EAte sur l'affaire de Panama (en 1892 et 1893), de la Commission de r\u00E9vision de la loi sur les prot\u00EAts, de la Commission d'examen des propositions sur la participation des ouvriers aux b\u00E9n\u00E9fices, enfin de la Commission charg\u00E9e d'examiner les projets relatifs aux colonies. Il d\u00E9posa en 1890 une proposition de loi sur la retraite des ouvriers de l'agriculture et de l'industrie et, en 1898, une proposition de loi relative \u00E0 la cr\u00E9ation de livrets de travail et d'\u00E9pargne. Il r\u00E9clama aussi la bonification des pensions et retraites liquid\u00E9es pour incapacit\u00E9 de travail pr\u00E9matur\u00E9e. Il intervint dans la discussion de projets relatifs aux expositions internationales de Lyon, d'Anvers, de Bruxelles et d'un projet concernant des encouragements sp\u00E9ciaux accord\u00E9s \u00E0 la s\u00E9riciculture et \u00E0 la filature de la soie. Il ne fut pas r\u00E9\u00E9lu en 1898. Il mourut \u00E0 Lyon le 8 f\u00E9vrier 1914.\nLa laize r\u00E9alis\u00E9e pour la reine Victoria est un exemple pr\u00E9coce de ces \u00E9toffes riches, pour robe, qui ont confirm\u00E9 la supr\u00E9matie lyonnaise dans le domaine de l'habillement. La technique elle-m\u00EAme est remarquable \u2014 le livre d'inventaire du mus\u00E9e indique, en 1872, que cette \u00E9toffe est \u00AB d'une curieuse fabrication \u00BB \u2014 puisqu'il s'agit d'un velours cisel\u00E9 quatre corps, nuanc\u00E9, sur un fond taffetas, qui\u00A0figure en trompe-l'\u0153il des volants de dentelle,\u00A0maintenus en forme de draperies par des bouquets de fleurs au naturel, qui s'enroulent autour de guirlandes\u00A0noires de volubilis. Le velours fris\u00E9 et le velours coup\u00E9 jouent sur le fond de taffetas cr\u00E8me pour donner l'illusion du relief et faire jouer la lumi\u00E8re. Destin\u00E9e \u00E0 la confection d'une robe, cette \u00E9toffe doit \u00E9videmment \u00EAtre envisag\u00E9e en mouvement pour\u00A0en appr\u00E9cier le raffinement et l'originalit\u00E9. Pourtant, la composition et l'imitation de dentelle rappellent les mod\u00E8les du XVIIIe si\u00E8cle\u00A0qu'Ernest B\u00E9rard connaissait parfaitement bien.\nCette laize annonce les productions qui feront la gloire de la maison B\u00E9rard et Ferrand. En 1883, elle tisse le riche manteau broch\u00E9 d'or de Maria Feodorovna, n\u00E9e princesse Dagmar de Danemark, pour la c\u00E9r\u00E9monie de son couronnement et de celui du tsar Alexandre III. La m\u00EAme ann\u00E9e, les fabricants sont gratifi\u00E9s d'un dipl\u00F4me d'honneur \u00E0 l'Exposition d'Amsterdam, et, par d\u00E9cret du 26 septembre 1883, Ernest B\u00E9rard est nomm\u00E9 chevalier de la L\u00E9gion d'Honneur.\u00A0\u00C0 l'Exposition des Arts d\u00E9coratifs de Lyon, en 1884, la maison B\u00E9rard et Ferrand pr\u00E9sente plusieurs \u00E9toffes fa\u00E7onn\u00E9es qui proclament le grand renouvellement de la soierie lyonnaise. \u00C0 l'Exposition de 1889, elle est r\u00E9compens\u00E9e d'un Grand prix.\n\u00C0 la demande d'\u00C9douard Aynard, alors vice-pr\u00E9sident de la Chambre de Commerce de Lyon, elle offre au mus\u00E9e d'Art et d'Industrie vingt-trois \u00E9toffes pr\u00E9sent\u00E9es lors de cet \u00E9v\u00E9nement (inv. MT 24987 \u00E0 MT 25009). Elles sont\u00A0toutes conserv\u00E9es au mus\u00E9e des Tissus. Avec la pente de robe pour la reine Victoria, elles\u00A0constituent un ensemble unique\u00A0; elles rendent surtout hommage \u00E0 Ernest B\u00E9rard, qui contribua grandement \u00E0 renouveler la production des \u00E9toffes fa\u00E7onn\u00E9es \u00E0 Lyon dans la seconde moiti\u00E9 du XIXe si\u00E8cle, notamment par la grande inventivit\u00E9 de ses dessins et par les prouesses techniques qu'il a su accomplir au sein de ses ateliers.\nMaximilien Durand"@fr . .