. "0.54420000314712524414"^^ . . . . "20082" . . . . . . . "0.47479999065399169922"^^ . . . . "0.44789999723434448242"^^ . . . . . . . . "Sur l\u2019initiative d\u2019Ulysse Pila, Lyon organise en 1894 une Exposition universelle, internationale et coloniale. Cette Exposition a lieu au moment o\u00F9 la ville de Lyon observe avec int\u00E9r\u00EAt les productions des colonies d\u2019Extr\u00EAme-Orient (la Cochinchine et le Tonkin en particulier) qui, dans la perspective de la s\u00E9riculture, semblent prometteuses. Si les regards sont davantage tourn\u00E9s vers les colonies, l\u2019int\u00E9r\u00EAt pour le Japon n\u2019a pas faibli : il suffit de voir le catalogue d\u2019exposition dont la couverture de cuir gaufr\u00E9 et peint est orn\u00E9e de mon (blasons japonais circulaires) de toutes tailles. On n\u2019h\u00E9site pas d\u2019ailleurs \u00E0 dire de la ville de Ky\u014Dto, sp\u00E9cialis\u00E9e dans la production de soieries, qu\u2019elle est \u00AB le Lyon Oriental \u00BB. \nDe la m\u00EAme fa\u00E7on que dans les Expositions pr\u00E9c\u00E9dentes, les collections officielles du Japon doivent rivaliser avec les collections particuli\u00E8res ; on retrouve \u00E0 Lyon, sans surprise, la collection personnelle de Siegfried Bing, mais \u00E9galement de nouvelles, comme celle de la compagnie d\u2019import-export Pohl Fr\u00E8res qui se distingue notamment par quatre vases \u00E0 taille humaine en \u00E9mail cloisonn\u00E9. La Chambre de Commerce de Lyon y remarquera deux pi\u00E8ces textiles et en fera l\u2019acquisition, pour la somme de cinq cent cinquante francs, afin d\u2019enrichir les collections du mus\u00E9e historique des Tissus. Il s\u2019agit de deux \u00AB tableaux brod\u00E9s \u00BB, comme l\u2019indique la correspondance entre la Chambre et la compagnie, l\u2019un chinois en \u00AB velours \u00E9pingl\u00E9 \u00BB (MT 25856), l\u2019autre, japonais, brod\u00E9 d\u2019un \u00AB blaireau \u00BB. Ce dernier est en r\u00E9alit\u00E9 un fukusa orn\u00E9 d\u2019un animal proche du blaireau : le tanuki. \nDe tous les animaux auxquels le folklore japonais a attribu\u00E9 des pouvoirs sp\u00E9ciaux, il en est deux qui se distinguent par leur popularit\u00E9 : le renard et le chien viverrin \u2013 ou tanuki, canid\u00E9 proche du raton laveur et du blaireau. Le tanuki est investi tr\u00E8s t\u00F4t de pouvoirs surnaturels dont le principal est le don de m\u00E9tamorphose. Dans l\u2019ancien r\u00E9cit mythique Nihon Shoki, datant de 720, il est mention d\u2019un soir extraordinaire o\u00F9 cet animal aurait chant\u00E9 d\u2019une voix cristalline avant de se changer en jolie jeune femme \u2013 de fait, cette histoire repose sur l\u2019anecdote d\u2019une demoiselle qui, la nuit tomb\u00E9e, s\u2019est couverte d\u2019une peau de blaireau (\u00E0 l\u2019\u00E9poque, aucune diff\u00E9rence n\u2019est faite entre le blaireau mujina et le tanuki) afin de retrouver son amant, bravant ainsi le couvre-feu qui lui \u00E9tait impos\u00E9. \nCe n\u2019est cependant qu\u2019\u00E0 partir du XIVe si\u00E8cle que les l\u00E9gendes entourant le tanuki se sont \u00E9tendues \u00E0 l\u2019ensemble du territoire japonais. Il est, aujourd\u2019hui encore, une figure tr\u00E8s populaire associ\u00E9e \u00E0 la fertilit\u00E9 et \u00E0 la prosp\u00E9rit\u00E9 du commerce : on le retrouve fr\u00E9quemment devant les \u00E9choppes, sous une forme anthropomorphe. Le tanuki fait partie du grand cort\u00E8ge des y\u014Dkai, esprits frappeurs japonais ; c\u2019est un animal enclin \u00E0 jouer des tours aux humains qui tiennent de l\u2019espi\u00E8glerie mais dont l\u2019issue peut \u00EAtre tragique. Il n\u2019est cependant pas limit\u00E9 \u00E0 ce r\u00F4le : si du tort lui a \u00E9t\u00E9 fait, il se montrera cruel et n\u2019h\u00E9sitera pas \u00E0 recourir \u00E0 la torture ou au meurtre pour se venger. \u00C0 l\u2019inverse, c\u2019est un alli\u00E9 particuli\u00E8rement bienveillant et serviable si un service lui a \u00E9t\u00E9 rendu. On dit aussi de lui qu\u2019il est capable de voir les vies ant\u00E9rieures des \u00EAtres qu\u2019il croise, de pr\u00E9dire leur avenir ou bien le moment de leur mort. En revanche, si la subtilit\u00E9 caract\u00E9rise son homologue renard, le tanuki fait souvent preuve de bouffonnerie, voire de maladresse. Ainsi, il arrive que ses tours se retournent contre lui. Un homme intelligent saura d\u00E9celer sa pr\u00E9sence et \u00E9viter ses supercheries : comme tous les y\u014Dkai, il est entour\u00E9 d\u2019un halo particulier quand il rev\u00EAt une forme autre qu\u2019animale. Outre son go\u00FBt pour le travestissement, le tanuki peut prendre la forme de tout objet. Rien n\u2019amuse plus le tanuki que de singer les humains. Ainsi, un homme qui pensera avoir conquis une femme s\u00E9duisante un soir et qui se r\u00E9veillera au petit jour sur un lit de feuilles d\u00E9compos\u00E9es au milieu d\u2019une for\u00EAt inconnue aura \u00E9t\u00E9 victime des fac\u00E9ties de l\u2019animal. La s\u00E9duction n\u2019est cependant pas le jeu qui le caract\u00E9rise. Les personnages qu\u2019il incarne sont plut\u00F4t farcesques : on retrouve, dans son registre, la m\u00E9g\u00E8re borgne, l\u2019officiel grincheux venu relever des taxes inconnues, ou bien l\u2019ivrogne bruyant qui d\u00E9cha\u00EEne son ire contre le mobilier \u2013 faut-il pr\u00E9ciser que, de tous les animaux surnaturels qui aiment le sak\u00E9, il est celui qui en consomme le plus ? Son incroyable don de m\u00E9tamorphose semble lui venir de l\u2019\u00E9lasticit\u00E9, pas moins incroyable, de son scrotum dont la l\u00E9gende dit qu\u2019il peut couvrir l\u2019\u00E9tendue de huit tapis, soit l\u2019\u00E9quivalent d\u2019une pi\u00E8ce d\u2019une maison. Filet, \u00E9tal, cape, capuche, baluchon : cet attribut prendra toutes les formes possibles et sera abondamment illustr\u00E9 dans les ukiyo-e de l\u2019\u00E9poque Edo o\u00F9 il sera au sommet de sa popularit\u00E9. Il int\u00E9grera m\u00EAme le registre Ky\u014Dgen, th\u00E9\u00E2tre comique et populaire, sous la plume de Ii Naosuke dans la pi\u00E8ce Tanuki no hara tsuzumi (le tanuki qui joue du tambour sur son ventre) \u2013 c\u2019est cette l\u00E9gende qui est illustr\u00E9e ici : il arrive, certaines nuits, que les tanuki se rassemblent afin de donner des \u00AB concerts \u00BB. Lors de ces f\u00EAtes, ils enflent leur ventre jusqu\u2019\u00E0 ce qu\u2019il atteigne la taille d\u2019une \u00E9norme sph\u00E8re, puis le frappent de leurs pattes ou de mailloches, ce qui produit ce son : Taketen-teketen-teketen/ Dokodon-dokon-dokon. Ils accompagnent ces percussions du chant rythm\u00E9 pom-poko pom, pom-poko pom. Ceux qui voudraient espionner ces c\u00E9l\u00E9brations seraient envo\u00FBt\u00E9s par la musique des tanuki et se perdront alors dans les mar\u00E9cages o\u00F9 elles ont ordinairement lieu. \nCe fukusa repr\u00E9sente cette sc\u00E8ne nocturne : sur un fond de satin noir, un tanuki brod\u00E9 est assis sur ses pattes post\u00E9rieures ; sa patte ant\u00E9rieure droite repose sur son abdomen rebondi. \u00C9clair\u00E9 par la lune, il fixe cette derni\u00E8re, \u00E0 demi voil\u00E9e par des nuages vaporeux qui semblent appara\u00EEtre ou dispara\u00EEtre du fukusa selon l\u2019endroit o\u00F9 se situe le spectateur. Le paysage autour de l\u2019animal est sugg\u00E9r\u00E9 de fa\u00E7on succincte par quelques herbes parmi lesquelles on trouve de rares plantes aux fleurs bleues et d\u00E9licates. Le r\u00E9alisme photographique de cette composition est en rupture avec les repr\u00E9sentations traditionnelles du tanuki, si ce n\u2019est la pr\u00E9sence du motif de la lune qui lui est souvent associ\u00E9 (c\u2019est un animal nocturne, et les y\u014Dkai commettent g\u00E9n\u00E9ralement leurs m\u00E9faits de nuit). C\u2019est sa posture, plus que son ventre l\u00E9g\u00E8rement bomb\u00E9, qui nous indique qu\u2019il s\u2019agit du tanuki no hara tsuzumi. Si le tanuki est un sujet tr\u00E8s populaire des ukiyo-e ou des netsuke \u2013 ces arts d\u00E9coratifs se pr\u00EAtent d\u2019ailleurs particuli\u00E8rement \u00E0 la repr\u00E9sentation caricaturale correspondant \u00E0 son caract\u00E8re bouffon, on ne le voit jamais orner les pi\u00E8ces textiles et \u00E0 plus forte raison les fukusa car ce n\u2019est pas un motif porteur de sens. \nL\u2019enjeu de ce fukusa n\u2019est pas de pr\u00E9senter les coutumes ou l\u2019art traditionnel japonais mais au contraire de montrer les progr\u00E8s techniques effectu\u00E9s au cours du si\u00E8cle. Il ne faut pas chercher ici une repr\u00E9sentation id\u00E9alis\u00E9e d\u2019un Japon f\u00E9odal mais la virtuosit\u00E9 toute moderne dont sont capables les artisans japonais au tournant du si\u00E8cle, incarn\u00E9e ici dans le recours au sh\u016Bga, litt\u00E9ralement \u00AB peinture \u00E0 l\u2019aiguille \u00BB, technique dont le nom illustre parfaitement le degr\u00E9 de pr\u00E9cision des d\u00E9tails de cette broderie. La superposition de fils de nuances proches et vari\u00E9es conf\u00E8re au pelage du chien viverrin des effets de couleur et de texture qui ne sont ordinairement pas attribu\u00E9s \u00E0 la broderie japonaise. \nAu contact de l\u2019Europe, le Japon a pu importer des technologies et techniques qui ont contribu\u00E9 \u00E0 l\u2019am\u00E9lioration de leur production textile. Les mutations de l\u2019art textile japonais ont conditionn\u00E9 sa c\u00E9l\u00E9bration \u00E0 l\u2019\u00E9chelle internationale. Le fukusa d\u00E9signe, \u00E0 l\u2019origine, une pi\u00E8ce textile caract\u00E9ris\u00E9e davantage par une fonction que par un format : son r\u00F4le est de couvrir, lors de la c\u00E9r\u00E9monie du cadeau, le pr\u00E9sent offert et le plateau de bois sur lequel ce dernier repose. Sa transformation en bien d\u2019exportation (et, par cons\u00E9quent, en objet ornemental) commence en 1872 au Japon quand le comit\u00E9 charg\u00E9 de pr\u00E9parer les collections \u00E0 pr\u00E9senter lors de l\u2019Exposition universelle de Vienne l\u2019ann\u00E9e suivante d\u00E9cide d\u2019acheter aux artisans de Nishijin plus de sept cents fukusa, dans le seul but de les vendre aux Occidentaux. \nLe succ\u00E8s commercial de cette op\u00E9ration conduit les Japonais \u00E0 cr\u00E9er davantage de ces pi\u00E8ces textiles pour les Europ\u00E9ens en s\u2019adaptant au nouvel usage qu\u2019elles trouvent en Europe o\u00F9 elles deviennent des ornements muraux. Cela implique que l\u2019ornementation devient plus importante que la signification qui lui est associ\u00E9e, et donc une plus grande libert\u00E9 dans le choix des sujets repr\u00E9sent\u00E9s. D\u2019objet porteur de sens, le fukusa se change en objet purement d\u00E9coratif entre les mains des Occidentaux. La deuxi\u00E8me moiti\u00E9 de l\u2019\u00E8re Meiji (\u00E0 partir de 1880) voit la production textile japonaise changer : de grandes pi\u00E8ces sont utilis\u00E9es comme cadeaux diplomatiques et pr\u00E9sent\u00E9es aux Expositions afin de faire conna\u00EEtre le g\u00E9nie et l\u2019habilet\u00E9 japonais (la virtuosit\u00E9 exig\u00E9e par ces pi\u00E8ces peut demander deux ou trois ans de travail cons\u00E9cutifs par plusieurs artisans sp\u00E9cialis\u00E9s dans des techniques et domaines diff\u00E9rents). Outre le rayonnement de sa production \u00E0 l\u2019\u00E9chelle internationale, l\u2019une des ambitions du Japon est d\u2019imposer les th\u00E8ses d\u2019Okakura Tenshin selon lesquelles aucune diff\u00E9rence ne devrait \u00EAtre faite entre les Beaux-Arts et les arts appliqu\u00E9s \u00E0 l\u2019industrie. Cet effort a abouti en 1893, lors de l\u2019Exposition de Chicago o\u00F9, pour la premi\u00E8re fois, le Japon a pu concourir dans la section Beaux-Arts avec ses pi\u00E8ces textiles. Le sommet de la r\u00E9putation de cet art textile est atteint en 1900 : pendant l\u2019Exposition de Paris, l\u2019actrice Sarah Bernhardt s\u2019entiche d\u2019une grande tenture de velours coup\u00E9 teint en r\u00E9serve repr\u00E9sentant un vol de b\u00E9casses au-dessus de la mer au cr\u00E9puscule, v\u00E9ritable chef-d\u2019\u0153uvre d\u2019exposition pr\u00E9sent\u00E9 par l\u2019entreprise Iida. Voulant en quelque sorte l\u2019essayer sur ses murs, Sarah Bernhardt l\u2019emporte chez elle avec l\u2019accord de la firme, mais ne la rapportera pas, pensant que l\u2019entreprise se ferait un honneur de lui offrir un pr\u00E9sent. Bien embarrass\u00E9, Iida Shinshichi n\u2019ose pas r\u00E9clamer de paiement \u00E0 cette grande dame de peur d\u2019avoir l\u2019air offensant \u2013 c\u2019est finalement l\u2019un des protecteurs de l\u2019actrice qui s\u2019acquittera de la facture. Plus grave : l\u2019entrepreneur ne peut pas non plus recevoir de prix pour cette tenture qui a pourtant \u00E9t\u00E9 cr\u00E9\u00E9e \u00E0 ces fins. Ce n\u2019est paradoxalement pas un grand prix mais la presse, qui ach\u00E8vera de parfaire la r\u00E9putation des textiles de la firme : quand le bruit court que la grande actrice a acquis une tenture japonaise pour d\u00E9corer son int\u00E9rieur, toute dame digne de ce nom voudra, elle aussi, en avoir une. \nHugo Develly"@fr . . . "Sur l\u2019initiative d\u2019Ulysse Pila, Lyon organise en 1894 une Exposition universelle, internationale et coloniale. Cette Exposition a lieu au moment o\u00F9 la ville de Lyon observe avec int\u00E9r\u00EAt les productions des colonies d\u2019Extr\u00EAme-Orient (la Cochinchine et le Tonkin en particulier) qui, dans la perspective de la s\u00E9riculture, semblent prometteuses. Si les regards sont davantage tourn\u00E9s vers les colonies, l\u2019int\u00E9r\u00EAt pour le Japon n\u2019a pas faibli : il suffit de voir le catalogue d\u2019exposition dont la couverture de cuir gaufr\u00E9 et peint est orn\u00E9e de mon (blasons japonais circulaires) de toutes tailles. On n\u2019h\u00E9site pas d\u2019ailleurs \u00E0 dire de la ville de Ky\u014Dto, sp\u00E9cialis\u00E9e dans la production de soieries, qu\u2019elle est \u00AB le Lyon Oriental \u00BB. \nDe la m\u00EAme fa\u00E7on que dans les Expositions pr\u00E9c\u00E9dentes, les collections officielles du Japon doivent rivaliser avec les collections particuli\u00E8res ; on retrouve \u00E0 Lyon, sans surprise, la collection personnelle de Siegfried Bing, mais \u00E9galement de nouvelles, comme celle de la compagnie d\u2019import-export Pohl Fr\u00E8res qui se distingue notamment par quatre vases \u00E0 taille humaine en \u00E9mail cloisonn\u00E9. La Chambre de Commerce de Lyon y remarquera deux pi\u00E8ces textiles et en fera l\u2019acquisition, pour la somme de cinq cent cinquante francs, afin d\u2019enrichir les collections du mus\u00E9e historique des Tissus. Il s\u2019agit de deux \u00AB tableaux brod\u00E9s \u00BB, comme l\u2019indique la correspondance entre la Chambre et la compagnie, l\u2019un chinois en \u00AB velours \u00E9pingl\u00E9 \u00BB (MT 25856), l\u2019autre, japonais, brod\u00E9 d\u2019un \u00AB blaireau \u00BB. Ce dernier est en r\u00E9alit\u00E9 un fukusa orn\u00E9 d\u2019un animal proche du blaireau : le tanuki. \nDe tous les animaux auxquels le folklore japonais a attribu\u00E9 des pouvoirs sp\u00E9ciaux, il en est deux qui se distinguent par leur popularit\u00E9 : le renard et le chien viverrin \u2013 ou tanuki, canid\u00E9 proche du raton laveur et du blaireau. Le tanuki est investi tr\u00E8s t\u00F4t de pouvoirs surnaturels dont le principal est le don de m\u00E9tamorphose. Dans l\u2019ancien r\u00E9cit mythique Nihon Shoki, datant de 720, il est mention d\u2019un soir extraordinaire o\u00F9 cet animal aurait chant\u00E9 d\u2019une voix cristalline avant de se changer en jolie jeune femme \u2013 de fait, cette histoire repose sur l\u2019anecdote d\u2019une demoiselle qui, la nuit tomb\u00E9e, s\u2019est couverte d\u2019une peau de blaireau (\u00E0 l\u2019\u00E9poque, aucune diff\u00E9rence n\u2019est faite entre le blaireau mujina et le tanuki) afin de retrouver son amant, bravant ainsi le couvre-feu qui lui \u00E9tait impos\u00E9. \nCe n\u2019est cependant qu\u2019\u00E0 partir du XIVe si\u00E8cle que les l\u00E9gendes entourant le tanuki se sont \u00E9tendues \u00E0 l\u2019ensemble du territoire japonais. Il est, aujourd\u2019hui encore, une figure tr\u00E8s populaire associ\u00E9e \u00E0 la fertilit\u00E9 et \u00E0 la prosp\u00E9rit\u00E9 du commerce : on le retrouve fr\u00E9quemment devant les \u00E9choppes, sous une forme anthropomorphe. Le tanuki fait partie du grand cort\u00E8ge des y\u014Dkai, esprits frappeurs japonais ; c\u2019est un animal enclin \u00E0 jouer des tours aux humains qui tiennent de l\u2019espi\u00E8glerie mais dont l\u2019issue peut \u00EAtre tragique. Il n\u2019est cependant pas limit\u00E9 \u00E0 ce r\u00F4le : si du tort lui a \u00E9t\u00E9 fait, il se montrera cruel et n\u2019h\u00E9sitera pas \u00E0 recourir \u00E0 la torture ou au meurtre pour se venger. \u00C0 l\u2019inverse, c\u2019est un alli\u00E9 particuli\u00E8rement bienveillant et serviable si un service lui a \u00E9t\u00E9 rendu. On dit aussi de lui qu\u2019il est capable de voir les vies ant\u00E9rieures des \u00EAtres qu\u2019il croise, de pr\u00E9dire leur avenir ou bien le moment de leur mort. En revanche, si la subtilit\u00E9 caract\u00E9rise son homologue renard, le tanuki fait souvent preuve de bouffonnerie, voire de maladresse. Ainsi, il arrive que ses tours se retournent contre lui. Un homme intelligent saura d\u00E9celer sa pr\u00E9sence et \u00E9viter ses supercheries : comme tous les y\u014Dkai, il est entour\u00E9 d\u2019un halo particulier quand il rev\u00EAt une forme autre qu\u2019animale. Outre son go\u00FBt pour le travestissement, le tanuki peut prendre la forme de tout objet. Rien n\u2019amuse plus le tanuki que de singer les humains. Ainsi, un homme qui pensera avoir conquis une femme s\u00E9duisante un soir et qui se r\u00E9veillera au petit jour sur un lit de feuilles d\u00E9compos\u00E9es au milieu d\u2019une for\u00EAt inconnue aura \u00E9t\u00E9 victime des fac\u00E9ties de l\u2019animal. La s\u00E9duction n\u2019est cependant pas le jeu qui le caract\u00E9rise. Les personnages qu\u2019il incarne sont plut\u00F4t farcesques : on retrouve, dans son registre, la m\u00E9g\u00E8re borgne, l\u2019officiel grincheux venu relever des taxes inconnues, ou bien l\u2019ivrogne bruyant qui d\u00E9cha\u00EEne son ire contre le mobilier \u2013 faut-il pr\u00E9ciser que, de tous les animaux surnaturels qui aiment le sak\u00E9, il est celui qui en consomme le plus ? Son incroyable don de m\u00E9tamorphose semble lui venir de l\u2019\u00E9lasticit\u00E9, pas moins incroyable, de son scrotum dont la l\u00E9gende dit qu\u2019il peut couvrir l\u2019\u00E9tendue de huit tapis, soit l\u2019\u00E9quivalent d\u2019une pi\u00E8ce d\u2019une maison. Filet, \u00E9tal, cape, capuche, baluchon : cet attribut prendra toutes les formes possibles et sera abondamment illustr\u00E9 dans les ukiyo-e de l\u2019\u00E9poque Edo o\u00F9 il sera au sommet de sa popularit\u00E9. Il int\u00E9grera m\u00EAme le registre Ky\u014Dgen, th\u00E9\u00E2tre comique et populaire, sous la plume de Ii Naosuke dans la pi\u00E8ce Tanuki no hara tsuzumi (le tanuki qui joue du tambour sur son ventre) \u2013 c\u2019est cette l\u00E9gende qui est illustr\u00E9e ici : il arrive, certaines nuits, que les tanuki se rassemblent afin de donner des \u00AB concerts \u00BB. Lors de ces f\u00EAtes, ils enflent leur ventre jusqu\u2019\u00E0 ce qu\u2019il atteigne la taille d\u2019une \u00E9norme sph\u00E8re, puis le frappent de leurs pattes ou de mailloches, ce qui produit ce son : Taketen-teketen-teketen/ Dokodon-dokon-dokon. Ils accompagnent ces percussions du chant rythm\u00E9 pom-poko pom, pom-poko pom. Ceux qui voudraient espionner ces c\u00E9l\u00E9brations seraient envo\u00FBt\u00E9s par la musique des tanuki et se perdront alors dans les mar\u00E9cages o\u00F9 elles ont ordinairement lieu. \nCe fukusa repr\u00E9sente cette sc\u00E8ne nocturne : sur un fond de satin noir, un tanuki brod\u00E9 est assis sur ses pattes post\u00E9rieures ; sa patte ant\u00E9rieure droite repose sur son abdomen rebondi. \u00C9clair\u00E9 par la lune, il fixe cette derni\u00E8re, \u00E0 demi voil\u00E9e par des nuages vaporeux qui semblent appara\u00EEtre ou dispara\u00EEtre du fukusa selon l\u2019endroit o\u00F9 se situe le spectateur. Le paysage autour de l\u2019animal est sugg\u00E9r\u00E9 de fa\u00E7on succincte par quelques herbes parmi lesquelles on trouve de rares plantes aux fleurs bleues et d\u00E9licates. Le r\u00E9alisme photographique de cette composition est en rupture avec les repr\u00E9sentations traditionnelles du tanuki, si ce n\u2019est la pr\u00E9sence du motif de la lune qui lui est souvent associ\u00E9 (c\u2019est un animal nocturne, et les y\u014Dkai commettent g\u00E9n\u00E9ralement leurs m\u00E9faits de nuit). C\u2019est sa posture, plus que son ventre l\u00E9g\u00E8rement bomb\u00E9, qui nous indique qu\u2019il s\u2019agit du tanuki no hara tsuzumi. Si le tanuki est un sujet tr\u00E8s populaire des ukiyo-e ou des netsuke \u2013 ces arts d\u00E9coratifs se pr\u00EAtent d\u2019ailleurs particuli\u00E8rement \u00E0 la repr\u00E9sentation caricaturale correspondant \u00E0 son caract\u00E8re bouffon, on ne le voit jamais orner les pi\u00E8ces textiles et \u00E0 plus forte raison les fukusa car ce n\u2019est pas un motif porteur de sens. \nL\u2019enjeu de ce fukusa n\u2019est pas de pr\u00E9senter les coutumes ou l\u2019art traditionnel japonais mais au contraire de montrer les progr\u00E8s techniques effectu\u00E9s au cours du si\u00E8cle. Il ne faut pas chercher ici une repr\u00E9sentation id\u00E9alis\u00E9e d\u2019un Japon f\u00E9odal mais la virtuosit\u00E9 toute moderne dont sont capables les artisans japonais au tournant du si\u00E8cle, incarn\u00E9e ici dans le recours au sh\u016Bga, litt\u00E9ralement \u00AB peinture \u00E0 l\u2019aiguille \u00BB, technique dont le nom illustre parfaitement le degr\u00E9 de pr\u00E9cision des d\u00E9tails de cette broderie. La superposition de fils de nuances proches et vari\u00E9es conf\u00E8re au pelage du chien viverrin des effets de couleur et de texture qui ne sont ordinairement pas attribu\u00E9s \u00E0 la broderie japonaise. \nAu contact de l\u2019Europe, le Japon a pu importer des technologies et techniques qui ont contribu\u00E9 \u00E0 l\u2019am\u00E9lioration de leur production textile. Les mutations de l\u2019art textile japonais ont conditionn\u00E9 sa c\u00E9l\u00E9bration \u00E0 l\u2019\u00E9chelle internationale. Le fukusa d\u00E9signe, \u00E0 l\u2019origine, une pi\u00E8ce textile caract\u00E9ris\u00E9e davantage par une fonction que par un format : son r\u00F4le est de couvrir, lors de la c\u00E9r\u00E9monie du cadeau, le pr\u00E9sent offert et le plateau de bois sur lequel ce dernier repose. Sa transformation en bien d\u2019exportation (et, par cons\u00E9quent, en objet ornemental) commence en 1872 au Japon quand le comit\u00E9 charg\u00E9 de pr\u00E9parer les collections \u00E0 pr\u00E9senter lors de l\u2019Exposition universelle de Vienne l\u2019ann\u00E9e suivante d\u00E9cide d\u2019acheter aux artisans de Nishijin plus de sept cents fukusa, dans le seul but de les vendre aux Occidentaux. \nLe succ\u00E8s commercial de cette op\u00E9ration conduit les Japonais \u00E0 cr\u00E9er davantage de ces pi\u00E8ces textiles pour les Europ\u00E9ens en s\u2019adaptant au nouvel usage qu\u2019elles trouvent en Europe o\u00F9 elles deviennent des ornements muraux. Cela implique que l\u2019ornementation devient plus importante que la signification qui lui est associ\u00E9e, et donc une plus grande libert\u00E9 dans le choix des sujets repr\u00E9sent\u00E9s. D\u2019objet porteur de sens, le fukusa se change en objet purement d\u00E9coratif entre les mains des Occidentaux. La deuxi\u00E8me moiti\u00E9 de l\u2019\u00E8re Meiji (\u00E0 partir de 1880) voit la production textile japonaise changer : de grandes pi\u00E8ces sont utilis\u00E9es comme cadeaux diplomatiques et pr\u00E9sent\u00E9es aux Expositions afin de faire conna\u00EEtre le g\u00E9nie et l\u2019habilet\u00E9 japonais (la virtuosit\u00E9 exig\u00E9e par ces pi\u00E8ces peut demander deux ou trois ans de travail cons\u00E9cutifs par plusieurs artisans sp\u00E9cialis\u00E9s dans des techniques et domaines diff\u00E9rents). Outre le rayonnement de sa production \u00E0 l\u2019\u00E9chelle internationale, l\u2019une des ambitions du Japon est d\u2019imposer les th\u00E8ses d\u2019Okakura Tenshin selon lesquelles aucune diff\u00E9rence ne devrait \u00EAtre faite entre les Beaux-Arts et les arts appliqu\u00E9s \u00E0 l\u2019industrie. Cet effort a abouti en 1893, lors de l\u2019Exposition de Chicago o\u00F9, pour la premi\u00E8re fois, le Japon a pu concourir dans la section Beaux-Arts avec ses pi\u00E8ces textiles. Le sommet de la r\u00E9putation de cet art textile est atteint en 1900 : pendant l\u2019Exposition de Paris, l\u2019actrice Sarah Bernhardt s\u2019entiche d\u2019une grande tenture de velours coup\u00E9 teint en r\u00E9serve repr\u00E9sentant un vol de b\u00E9casses au-dessus de la mer au cr\u00E9puscule, v\u00E9ritable chef-d\u2019\u0153uvre d\u2019exposition pr\u00E9sent\u00E9 par l\u2019entreprise Iida. Voulant en quelque sorte l\u2019essayer sur ses murs, Sarah Bernhardt l\u2019emporte chez elle avec l\u2019accord de la firme, mais ne la rapportera pas, pensant que l\u2019entreprise se ferait un honneur de lui offrir un pr\u00E9sent. Bien embarrass\u00E9, Iida Shinshichi n\u2019ose pas r\u00E9clamer de paiement \u00E0 cette grande dame de peur d\u2019avoir l\u2019air offensant \u2013 c\u2019est finalement l\u2019un des protecteurs de l\u2019actrice qui s\u2019acquittera de la facture. Plus grave : l\u2019entrepreneur ne peut pas non plus recevoir de prix pour cette tenture qui a pourtant \u00E9t\u00E9 cr\u00E9\u00E9e \u00E0 ces fins. Ce n\u2019est paradoxalement pas un grand prix mais la presse, qui ach\u00E8vera de parfaire la r\u00E9putation des textiles de la firme : quand le bruit court que la grande actrice a acquis une tenture japonaise pour d\u00E9corer son int\u00E9rieur, toute dame digne de ce nom voudra, elle aussi, en avoir une. \nHugo Develly"@fr . . . . . "0.37959998846054077148"^^ . . . . . . . . "Fukusa \u00E0 d\u00E9cor de blaireau au clair de lune (Tanuki no hara tsuzumi)"@fr . "Fukusa \u00E0 d\u00E9cor de blaireau au clair de lune (Tanuki no hara tsuzumi)"@fr . "0.66289997100830078125"^^ . "0.34689998626708984375"^^ . . . . . . . . . . . . "0.47209998965263366699"^^ . . . . . .