. "Raoul Dufy na\u00EEt au Havre en 1877. Apr\u00E8s des \u00E9tudes \u00E0 l\u2019\u00C9cole municipale des beaux-arts, il re\u00E7oit une bourse pour partir \u00E0 Paris en 1900. Paul Poiret, alors particuli\u00E8rement en vogue et admir\u00E9 pour ses audaces de couturier, trouve chez Dufy un go\u00FBt commun pour les arts d\u00E9coratifs, et l\u2019emploie dans l\u2019atelier parisien qu'il vient d\u2019ouvrir en 1911, \u00AB La Petite Usine \u00BB. L\u2019exp\u00E9rience qu\u2019y acquiert Dufy en mati\u00E8re de colorants et techniques d\u2019impression sur tissu sert de laboratoire \u00E0 sa cr\u00E9ation, et met en germe le talent de l\u2019artiste-d\u00E9corateur que Charles Bianchini, responsable de la maison de soieries lyonnaise Atuyer-Bianchini-F\u00E9rier, ne tarde pas \u00E0 rep\u00E9rer. L\u2019engagement de Raoul Dufy est le fruit d\u2019une attention particuli\u00E8re port\u00E9e par Bianchini aux nouvelles orientations qui se manifestaient dans les arts d\u00E9coratifs. D\u00E8s 1910, la production prend un nouveau tournant avec les cr\u00E9ations de fleurs stylis\u00E9es fournies par Raoul Dufy et Paul Iribe, qui deviennent quantitativement aussi nombreuses que les repr\u00E9sentations florales traditionnelles. Parall\u00E8lement, les couleurs deviennent plus vives. Dufy signe finalement un contrat d\u2019exclusivit\u00E9 avec la maison Atuyer-Bianchini-F\u00E9rier\u00A0le 1er mars 1912 : toute composition cr\u00E9\u00E9e pendant la dur\u00E9e de ce contrat de trois ans reste la propri\u00E9t\u00E9 de la maison de soieries. Il travaille alors dans les studios parisiens de la maison lyonnaise, avenue de l\u2019Op\u00E9ra. Il d\u00E9m\u00E9nage impasse de Guelma en 1919, et signe un nouveau contrat avec le soyeux qui ne prend fin qu\u2019en 1928. \nLes premi\u00E8res inspirations des textiles de Dufy sont les bois grav\u00E9s qu\u2019il a r\u00E9alis\u00E9s en 1910-1911 pour illustrer le Bestiaire ou Cort\u00E8ge d\u2019Orph\u00E9e, de Guillaume Apollinaire. Les gravures, de format carr\u00E9, sont consacr\u00E9es chacune \u00E0 un animal du bestiaire. Dufy est le seul \u00E0 avoir choisi l\u2019\u00E9l\u00E9phant comme ornement dans la p\u00E9riode d\u2019avant-guerre, mais entre 1918 et 1923, quinze tissus fa\u00E7onn\u00E9s \u00E9dit\u00E9s par Bianchini-F\u00E9rier (la raison sociale de la maison a chang\u00E9 \u00E0 la mort, en 1912, de Fran\u00E7ois Atuyer, l'un des fondateurs) et compos\u00E9s par diff\u00E9rents dessinateurs repr\u00E9sentent cet animal. Ce motif s\u2019inscrit quatre fois dans la largeur du l\u00E9. Dufy a con\u00E7u un dessin dont le rapport permettrait de tisser un motif \u00E0 quatre chemins suivis, suivant les recommandations de Bianchini : \u00AB les fabricants de tissus pour ameublement font presque tous leurs dessins sur le m\u00EAme montage \u00E0 une corde qui donne au maximum quatre chemins suivis. [\u2026] Avec ces montages ils peuvent faire tous leurs articles, quelles que soient les armures. Ils \u00E9vitent ainsi des frais consid\u00E9rables et une grande perte de temps. \u00BB Ce tissu fa\u00E7onn\u00E9 \u00E9tait destin\u00E9 \u00E0 l\u2019ameublement ; l\u2019artiste a repr\u00E9sent\u00E9 un \u00E9l\u00E9phant d\u2019Asie en marche, alternativement dirig\u00E9 vers la droite ou la gauche, la t\u00EAte lev\u00E9e dans cette derni\u00E8re direction. La dynamique de l\u2019animal est accentu\u00E9e par l\u2019arabesque de sa trompe qui \u00E9pouse la courbe form\u00E9e par les trois feuilles de palmier d\u00E9ploy\u00E9es en \u00E9ventail derri\u00E8re son dos. Il s\u2019inscrit dans un losange dont les quatre angles sont mat\u00E9rialis\u00E9s par une panth\u00E8re, les pattes \u00E9cart\u00E9es au-dessus de la t\u00EAte de l\u2019\u00E9l\u00E9phant. Les lignes sinueuses de branches feuillues guident le regard le long du tissu, dans le sens de la longueur, formant de grandes obliques qui structurent l'ensemble. Un oiseau de paradis compl\u00E8te le tout, sa silhouette n\u2019apparaissant qu\u2019un registre sur deux permet de faire le lien entre deux f\u00E9lins. Le pr\u00E9dateur domine ainsi la faune qui l\u2019environne, tout en \u00E9tant plus discret que l\u2019\u00E9l\u00E9ment principal, l\u2019\u00E9l\u00E9phant. \nLe th\u00E8me des animaux affront\u00E9s est tr\u00E8s courant en Orient, sur les tissus persans notamment, que Dufy a pu \u00E9tudier au mus\u00E9e des Tissus, dans les collections des mus\u00E9es Guimet et des Arts d\u00E9coratifs \u00E0 Paris, ou dans les archives de Bianchini. Plusieurs gravures du Bestiaire s\u2019inspirent aussi des planches botaniques de l\u2019Encyclop\u00E9die des arts d\u00E9coratifs de l\u2019Orient, publi\u00E9e en 1883. La disposition des \u00E9l\u00E9ments en losanges permettrait de faire le lien avec les productions persanes, tandis que le motif de la palmette stylis\u00E9e se rapproche de celui d\u2019un dessus de coussin turc, produit \u00E0 la fin du XVIe si\u00E8cle et conserv\u00E9 au mus\u00E9e des Tissus (inv. MT 28079). Une comparaison avec l\u2019\u00AB \u00C9l\u00E9phant \u00BB du Bestiaire permet de voir que Dufy a \u00E9norm\u00E9ment all\u00E9g\u00E9 la composition d\u2019origine. Il ne reprend que le motif de feuillage se trouvant \u00E0 gauche de l\u2019animal sur la gravure, pour \u00E9voquer la jungle sur le tissu. Il semblerait que le dessin de La Jungle ait d\u2019abord \u00E9t\u00E9 con\u00E7u pour l\u2019impression, comme le sugg\u00E8rent deux toiles de Tournon produites en 1914. L\u2019essentiel est d\u00E9j\u00E0 en place, mais Dufy a d\u00FB revoir quelques d\u00E9tails lorsqu\u2019il a adapt\u00E9 le dessin pour le fa\u00E7onn\u00E9. Sur les toiles de coton, la panth\u00E8re n\u2019est pas repr\u00E9sent\u00E9e dans la m\u00EAme position sur chacun des registres, et la trompe de l\u2019\u00E9l\u00E9phant attrape une branche au-dessus de lui. En revanche, Dufy et Bianchini conservent le principe de trichromie qui caract\u00E9rise les tissus pour l\u2019ameublement de la maison. \nLa force de l\u2019artiste est d\u2019adapter son vocabulaire, r\u00E9solument neuf dans le style comme dans l\u2019iconographie ici, tout en conservant la structure typique d\u2019un tissu du XVIIIe ou du XIXe si\u00E8cle. H\u00E9ritier de Philippe de Lassalle, et des grands principes qui avaient fait la gloire de la production de soierie lyonnaise, Dufy retient des compositions ant\u00E9rieures les lignes sinueuses qui conduisent le regard le long du tissu, r\u00E9interpr\u00E8te les rubans ponctu\u00E9s de fleurs en feuillages peupl\u00E9s d\u2019oiseaux de paradis ; et les paniers de roses deviennent des \u00E9l\u00E9phants.\nD\u00E8s 1920, il existe plusieurs versions du motif \u00E9dit\u00E9 en satin fa\u00E7onn\u00E9 ou imprim\u00E9, comme le prouvent les nombreuses reproductions dans la presse et les planches d\u2019impression conserv\u00E9es datant de 1919. Les publications dans La Gazette du bon ton (reproduction d\u2019un lampas jaune, noir et ocre l\u2019ann\u00E9e 1920), Art et d\u00E9coration (reproduction d\u2019un lampas trois couleurs en juillet-d\u00E9cembre 1920), et le rapport g\u00E9n\u00E9ral de l\u2019Exposition internationale des Arts d\u00E9coratifs et industriels modernes, qui s\u2019est tenue \u00E0 Paris en 1925, suffisent \u00E0 d\u00E9montrer le succ\u00E8s de ce motif \u00E0 travers les \u00AB ann\u00E9es folles \u00BB. En 1924, la maison r\u00E9\u00E9dite La Jungle sur un lampas destin\u00E9 \u00E0 l\u2019ameublement. Il est utilis\u00E9 par les nouveaux d\u00E9corateurs des ann\u00E9es vingt, comme ceux de la maison Dominique. Le tissu s\u2019adapte parfaitement \u00E0 l\u2019esprit des int\u00E9rieurs modernes, comme parure de lit, tenture, ou couverture de fauteuil. Il est appr\u00E9ci\u00E9 pour ses coloris chatoyant et ses lignes flexueuses autant que pour ses motifs exub\u00E9rant qui adoucissent les lignes droites et les angles aigus des meubles Art d\u00E9co. \nL\u2019\u0153uvre de Dufy refl\u00E8te le go\u00FBt de l\u2019exotisme et l\u2019envie d\u2019\u00E9vasion de l\u2019\u00E9poque. Henri Clouzot en parle lui-m\u00EAme dans un article publi\u00E9 dans La soierie de Lyon en 1923 : \u00AB Il y avait au Salon d\u2019automne des fauteuils de fumoir recouverts de la Jungle, o\u00F9 l\u2019on aurait aim\u00E9 s\u2019asseoir en r\u00EAvant d\u2019un voyage au grandes Indes. \u00BB\u00A0La Jungle a aussi \u00E9t\u00E9 \u00E9dit\u00E9 en tissu pour la haute nouveaut\u00E9. En 1926, la maison produit un fa\u00E7onn\u00E9 avec des fils d\u2019or, sur lequel les \u00E9l\u00E9phants dor\u00E9s se confondent sur le fond satin jaune. Le camouflage est donc ici produit par le choix des couleurs au moment du tissage, et parait plus adapt\u00E9 \u00E0 la conception d\u2019une robe ou d\u2019un manteau. Le succ\u00E8s de Dufy est manifeste, les seuls tissus de Bianchini-F\u00E9rier reproduits alors dans la presse sp\u00E9cialis\u00E9e sont souvent les siens. En 1925, L\u00E9on Moussinac, dans un ouvrage consacr\u00E9 aux \u00E9toffes d\u2019ameublement tiss\u00E9es et broch\u00E9es, ne mentionne que Dufy parmi les dessinateurs-textile les plus novateurs de l\u2019\u00E9poque. En l\u2019engageant, Bianchini reconnaissait chez l\u2019artiste un style graphique et color\u00E9 qui convenait \u00E0 la conception de motifs pour le tissu ; et c\u2019est d\u2019ailleurs ce qui avait conquis Poiret. La fabrique lyonnaise restait encore tr\u00E8s en prise avec la tradition des si\u00E8cles pr\u00E9c\u00E9dents. \nHenri Clouzot, conservateur du mus\u00E9e Galliera, d\u00E9clare dans un article consacr\u00E9 aux tissus modernes de Raoul Dufy : \u00AB C\u2019est le plus bel effort de nouveaut\u00E9 que nous ayons encore rencontr\u00E9 dans le dessin des tissus, o\u00F9 le modernisme s\u2019est surtout manifest\u00E9 jusqu\u2019ici par le coloris. \u00BB L\u2019engagement d\u2019un artiste ind\u00E9pendant d\u00E9j\u00E0 renomm\u00E9 passe donc, selon l\u2019expression de Pierre Vernus, historien de la maison Bianchini-F\u00E9rier, pour un \u00AB coup de ma\u00EEtre \u00BB. Le g\u00E9nie de l\u2019artiste est d\u2019avoir su adapter son vocabulaire nouveau \u00E0 la grammaire des styles anciens. Pr\u00E9sent\u00E9 au Salon de la soierie \u00E0 la Foire de Lyon du 5 au 17 mars 1923, cette pi\u00E8ce a \u00E9t\u00E9 donn\u00E9e par la maison Bianchini-F\u00E9rier au mus\u00E9e historique des Tissus apr\u00E8s commission du 3 mai 1923. Une lettre dat\u00E9e du 20 mars 1923, adress\u00E9e par le Pr\u00E9sident du Syndicat des Fabricants de soieries de Lyon au Pr\u00E9sident de la Chambre de Commerce de la ville, stipule que la demande du mus\u00E9e \u00E0 recevoir en don des sp\u00E9cimens expos\u00E9s au Salon de la Soierie a \u00E9t\u00E9 re\u00E7ue par le bureau syndical, et pr\u00E9cise que les maisons int\u00E9ress\u00E9es \u00AB ne refuseront pas d\u2019en faire don au mus\u00E9e \u00BB. Le directeur du mus\u00E9e historique,\u00A0Henri d\u2019Hennezel, a \u00E9t\u00E9 invit\u00E9 \u00E0 faire un choix parmi les soieries expos\u00E9es, et la collection des tissus d\u2019apr\u00E8s Raoul Dufy s\u2019est alors enrichie de dix pi\u00E8ces, dont Les El\u00E9phants (inv. MT 30372). Le tissu \u00E9tait expos\u00E9 \u00E0 c\u00F4t\u00E9 d\u2019une autre cr\u00E9ation de Dufy, Les Fruits (inv. MT 30194)\u00A0\u00E9galement conserv\u00E9 au mus\u00E9e. Ils faisaient tous deux partie d\u2019un ensemble de riches tissus en pi\u00E8ces \u00AB o\u00F9 se trouvaient rassembl\u00E9es les plus belles reproductions des styles anciens et les productions les plus s\u00E9duisantes des artisans modernes \u00BB, d\u2019apr\u00E8s La soierie de Lyon. Premier ensemble de tissus d\u2019apr\u00E8s Raoul Dufy faits par Bianchini-F\u00E9rier \u00E0 entrer dans les collections, et le plus important, il comportait d\u2019autres pi\u00E8ces dont les motifs \u00E9taient tir\u00E9s du Bestiaire, comme La ch\u00E8vre du Tibet (inv. MT 30186), et le Cort\u00E8ge d\u2019Orph\u00E9e (inv. MT 30187), ainsi que des compositions tr\u00E8s connues de l\u2019artiste : Les Arums (inv. MT 30196)\u00A0et Longchamp (inv. MT 30192). \nCl\u00E9mentine Marcelli"@fr . . . . . "Raoul Dufy na\u00EEt au Havre en 1877. Apr\u00E8s des \u00E9tudes \u00E0 l\u2019\u00C9cole municipale des beaux-arts, il re\u00E7oit une bourse pour partir \u00E0 Paris en 1900. Paul Poiret, alors particuli\u00E8rement en vogue et admir\u00E9 pour ses audaces de couturier, trouve chez Dufy un go\u00FBt commun pour les arts d\u00E9coratifs, et l\u2019emploie dans l\u2019atelier parisien qu'il vient d\u2019ouvrir en 1911, \u00AB La Petite Usine \u00BB. L\u2019exp\u00E9rience qu\u2019y acquiert Dufy en mati\u00E8re de colorants et techniques d\u2019impression sur tissu sert de laboratoire \u00E0 sa cr\u00E9ation, et met en germe le talent de l\u2019artiste-d\u00E9corateur que Charles Bianchini, responsable de la maison de soieries lyonnaise Atuyer-Bianchini-F\u00E9rier, ne tarde pas \u00E0 rep\u00E9rer. L\u2019engagement de Raoul Dufy est le fruit d\u2019une attention particuli\u00E8re port\u00E9e par Bianchini aux nouvelles orientations qui se manifestaient dans les arts d\u00E9coratifs. D\u00E8s 1910, la production prend un nouveau tournant avec les cr\u00E9ations de fleurs stylis\u00E9es fournies par Raoul Dufy et Paul Iribe, qui deviennent quantitativement aussi nombreuses que les repr\u00E9sentations florales traditionnelles. Parall\u00E8lement, les couleurs deviennent plus vives. Dufy signe finalement un contrat d\u2019exclusivit\u00E9 avec la maison Atuyer-Bianchini-F\u00E9rier\u00A0le 1er mars 1912 : toute composition cr\u00E9\u00E9e pendant la dur\u00E9e de ce contrat de trois ans reste la propri\u00E9t\u00E9 de la maison de soieries. Il travaille alors dans les studios parisiens de la maison lyonnaise, avenue de l\u2019Op\u00E9ra. Il d\u00E9m\u00E9nage impasse de Guelma en 1919, et signe un nouveau contrat avec le soyeux qui ne prend fin qu\u2019en 1928. \nLes premi\u00E8res inspirations des textiles de Dufy sont les bois grav\u00E9s qu\u2019il a r\u00E9alis\u00E9s en 1910-1911 pour illustrer le Bestiaire ou Cort\u00E8ge d\u2019Orph\u00E9e, de Guillaume Apollinaire. Les gravures, de format carr\u00E9, sont consacr\u00E9es chacune \u00E0 un animal du bestiaire. Dufy est le seul \u00E0 avoir choisi l\u2019\u00E9l\u00E9phant comme ornement dans la p\u00E9riode d\u2019avant-guerre, mais entre 1918 et 1923, quinze tissus fa\u00E7onn\u00E9s \u00E9dit\u00E9s par Bianchini-F\u00E9rier (la raison sociale de la maison a chang\u00E9 \u00E0 la mort, en 1912, de Fran\u00E7ois Atuyer, l'un des fondateurs) et compos\u00E9s par diff\u00E9rents dessinateurs repr\u00E9sentent cet animal. Ce motif s\u2019inscrit quatre fois dans la largeur du l\u00E9. Dufy a con\u00E7u un dessin dont le rapport permettrait de tisser un motif \u00E0 quatre chemins suivis, suivant les recommandations de Bianchini : \u00AB les fabricants de tissus pour ameublement font presque tous leurs dessins sur le m\u00EAme montage \u00E0 une corde qui donne au maximum quatre chemins suivis. [\u2026] Avec ces montages ils peuvent faire tous leurs articles, quelles que soient les armures. Ils \u00E9vitent ainsi des frais consid\u00E9rables et une grande perte de temps. \u00BB Ce tissu fa\u00E7onn\u00E9 \u00E9tait destin\u00E9 \u00E0 l\u2019ameublement ; l\u2019artiste a repr\u00E9sent\u00E9 un \u00E9l\u00E9phant d\u2019Asie en marche, alternativement dirig\u00E9 vers la droite ou la gauche, la t\u00EAte lev\u00E9e dans cette derni\u00E8re direction. La dynamique de l\u2019animal est accentu\u00E9e par l\u2019arabesque de sa trompe qui \u00E9pouse la courbe form\u00E9e par les trois feuilles de palmier d\u00E9ploy\u00E9es en \u00E9ventail derri\u00E8re son dos. Il s\u2019inscrit dans un losange dont les quatre angles sont mat\u00E9rialis\u00E9s par une panth\u00E8re, les pattes \u00E9cart\u00E9es au-dessus de la t\u00EAte de l\u2019\u00E9l\u00E9phant. Les lignes sinueuses de branches feuillues guident le regard le long du tissu, dans le sens de la longueur, formant de grandes obliques qui structurent l'ensemble. Un oiseau de paradis compl\u00E8te le tout, sa silhouette n\u2019apparaissant qu\u2019un registre sur deux permet de faire le lien entre deux f\u00E9lins. Le pr\u00E9dateur domine ainsi la faune qui l\u2019environne, tout en \u00E9tant plus discret que l\u2019\u00E9l\u00E9ment principal, l\u2019\u00E9l\u00E9phant. \nLe th\u00E8me des animaux affront\u00E9s est tr\u00E8s courant en Orient, sur les tissus persans notamment, que Dufy a pu \u00E9tudier au mus\u00E9e des Tissus, dans les collections des mus\u00E9es Guimet et des Arts d\u00E9coratifs \u00E0 Paris, ou dans les archives de Bianchini. Plusieurs gravures du Bestiaire s\u2019inspirent aussi des planches botaniques de l\u2019Encyclop\u00E9die des arts d\u00E9coratifs de l\u2019Orient, publi\u00E9e en 1883. La disposition des \u00E9l\u00E9ments en losanges permettrait de faire le lien avec les productions persanes, tandis que le motif de la palmette stylis\u00E9e se rapproche de celui d\u2019un dessus de coussin turc, produit \u00E0 la fin du XVIe si\u00E8cle et conserv\u00E9 au mus\u00E9e des Tissus (inv. MT 28079). Une comparaison avec l\u2019\u00AB \u00C9l\u00E9phant \u00BB du Bestiaire permet de voir que Dufy a \u00E9norm\u00E9ment all\u00E9g\u00E9 la composition d\u2019origine. Il ne reprend que le motif de feuillage se trouvant \u00E0 gauche de l\u2019animal sur la gravure, pour \u00E9voquer la jungle sur le tissu. Il semblerait que le dessin de La Jungle ait d\u2019abord \u00E9t\u00E9 con\u00E7u pour l\u2019impression, comme le sugg\u00E8rent deux toiles de Tournon produites en 1914. L\u2019essentiel est d\u00E9j\u00E0 en place, mais Dufy a d\u00FB revoir quelques d\u00E9tails lorsqu\u2019il a adapt\u00E9 le dessin pour le fa\u00E7onn\u00E9. Sur les toiles de coton, la panth\u00E8re n\u2019est pas repr\u00E9sent\u00E9e dans la m\u00EAme position sur chacun des registres, et la trompe de l\u2019\u00E9l\u00E9phant attrape une branche au-dessus de lui. En revanche, Dufy et Bianchini conservent le principe de trichromie qui caract\u00E9rise les tissus pour l\u2019ameublement de la maison. \nLa force de l\u2019artiste est d\u2019adapter son vocabulaire, r\u00E9solument neuf dans le style comme dans l\u2019iconographie ici, tout en conservant la structure typique d\u2019un tissu du XVIIIe ou du XIXe si\u00E8cle. H\u00E9ritier de Philippe de Lassalle, et des grands principes qui avaient fait la gloire de la production de soierie lyonnaise, Dufy retient des compositions ant\u00E9rieures les lignes sinueuses qui conduisent le regard le long du tissu, r\u00E9interpr\u00E8te les rubans ponctu\u00E9s de fleurs en feuillages peupl\u00E9s d\u2019oiseaux de paradis ; et les paniers de roses deviennent des \u00E9l\u00E9phants.\nD\u00E8s 1920, il existe plusieurs versions du motif \u00E9dit\u00E9 en satin fa\u00E7onn\u00E9 ou imprim\u00E9, comme le prouvent les nombreuses reproductions dans la presse et les planches d\u2019impression conserv\u00E9es datant de 1919. Les publications dans La Gazette du bon ton (reproduction d\u2019un lampas jaune, noir et ocre l\u2019ann\u00E9e 1920), Art et d\u00E9coration (reproduction d\u2019un lampas trois couleurs en juillet-d\u00E9cembre 1920), et le rapport g\u00E9n\u00E9ral de l\u2019Exposition internationale des Arts d\u00E9coratifs et industriels modernes, qui s\u2019est tenue \u00E0 Paris en 1925, suffisent \u00E0 d\u00E9montrer le succ\u00E8s de ce motif \u00E0 travers les \u00AB ann\u00E9es folles \u00BB. En 1924, la maison r\u00E9\u00E9dite La Jungle sur un lampas destin\u00E9 \u00E0 l\u2019ameublement. Il est utilis\u00E9 par les nouveaux d\u00E9corateurs des ann\u00E9es vingt, comme ceux de la maison Dominique. Le tissu s\u2019adapte parfaitement \u00E0 l\u2019esprit des int\u00E9rieurs modernes, comme parure de lit, tenture, ou couverture de fauteuil. Il est appr\u00E9ci\u00E9 pour ses coloris chatoyant et ses lignes flexueuses autant que pour ses motifs exub\u00E9rant qui adoucissent les lignes droites et les angles aigus des meubles Art d\u00E9co. \nL\u2019\u0153uvre de Dufy refl\u00E8te le go\u00FBt de l\u2019exotisme et l\u2019envie d\u2019\u00E9vasion de l\u2019\u00E9poque. Henri Clouzot en parle lui-m\u00EAme dans un article publi\u00E9 dans La soierie de Lyon en 1923 : \u00AB Il y avait au Salon d\u2019automne des fauteuils de fumoir recouverts de la Jungle, o\u00F9 l\u2019on aurait aim\u00E9 s\u2019asseoir en r\u00EAvant d\u2019un voyage au grandes Indes. \u00BB\u00A0La Jungle a aussi \u00E9t\u00E9 \u00E9dit\u00E9 en tissu pour la haute nouveaut\u00E9. En 1926, la maison produit un fa\u00E7onn\u00E9 avec des fils d\u2019or, sur lequel les \u00E9l\u00E9phants dor\u00E9s se confondent sur le fond satin jaune. Le camouflage est donc ici produit par le choix des couleurs au moment du tissage, et parait plus adapt\u00E9 \u00E0 la conception d\u2019une robe ou d\u2019un manteau. Le succ\u00E8s de Dufy est manifeste, les seuls tissus de Bianchini-F\u00E9rier reproduits alors dans la presse sp\u00E9cialis\u00E9e sont souvent les siens. En 1925, L\u00E9on Moussinac, dans un ouvrage consacr\u00E9 aux \u00E9toffes d\u2019ameublement tiss\u00E9es et broch\u00E9es, ne mentionne que Dufy parmi les dessinateurs-textile les plus novateurs de l\u2019\u00E9poque. En l\u2019engageant, Bianchini reconnaissait chez l\u2019artiste un style graphique et color\u00E9 qui convenait \u00E0 la conception de motifs pour le tissu ; et c\u2019est d\u2019ailleurs ce qui avait conquis Poiret. La fabrique lyonnaise restait encore tr\u00E8s en prise avec la tradition des si\u00E8cles pr\u00E9c\u00E9dents. \nHenri Clouzot, conservateur du mus\u00E9e Galliera, d\u00E9clare dans un article consacr\u00E9 aux tissus modernes de Raoul Dufy : \u00AB C\u2019est le plus bel effort de nouveaut\u00E9 que nous ayons encore rencontr\u00E9 dans le dessin des tissus, o\u00F9 le modernisme s\u2019est surtout manifest\u00E9 jusqu\u2019ici par le coloris. \u00BB L\u2019engagement d\u2019un artiste ind\u00E9pendant d\u00E9j\u00E0 renomm\u00E9 passe donc, selon l\u2019expression de Pierre Vernus, historien de la maison Bianchini-F\u00E9rier, pour un \u00AB coup de ma\u00EEtre \u00BB. Le g\u00E9nie de l\u2019artiste est d\u2019avoir su adapter son vocabulaire nouveau \u00E0 la grammaire des styles anciens. Pr\u00E9sent\u00E9 au Salon de la soierie \u00E0 la Foire de Lyon du 5 au 17 mars 1923, cette pi\u00E8ce a \u00E9t\u00E9 donn\u00E9e par la maison Bianchini-F\u00E9rier au mus\u00E9e historique des Tissus apr\u00E8s commission du 3 mai 1923. Une lettre dat\u00E9e du 20 mars 1923, adress\u00E9e par le Pr\u00E9sident du Syndicat des Fabricants de soieries de Lyon au Pr\u00E9sident de la Chambre de Commerce de la ville, stipule que la demande du mus\u00E9e \u00E0 recevoir en don des sp\u00E9cimens expos\u00E9s au Salon de la Soierie a \u00E9t\u00E9 re\u00E7ue par le bureau syndical, et pr\u00E9cise que les maisons int\u00E9ress\u00E9es \u00AB ne refuseront pas d\u2019en faire don au mus\u00E9e \u00BB. Le directeur du mus\u00E9e historique,\u00A0Henri d\u2019Hennezel, a \u00E9t\u00E9 invit\u00E9 \u00E0 faire un choix parmi les soieries expos\u00E9es, et la collection des tissus d\u2019apr\u00E8s Raoul Dufy s\u2019est alors enrichie de dix pi\u00E8ces, dont Les El\u00E9phants (inv. MT 30372). Le tissu \u00E9tait expos\u00E9 \u00E0 c\u00F4t\u00E9 d\u2019une autre cr\u00E9ation de Dufy, Les Fruits (inv. MT 30194)\u00A0\u00E9galement conserv\u00E9 au mus\u00E9e. Ils faisaient tous deux partie d\u2019un ensemble de riches tissus en pi\u00E8ces \u00AB o\u00F9 se trouvaient rassembl\u00E9es les plus belles reproductions des styles anciens et les productions les plus s\u00E9duisantes des artisans modernes \u00BB, d\u2019apr\u00E8s La soierie de Lyon. Premier ensemble de tissus d\u2019apr\u00E8s Raoul Dufy faits par Bianchini-F\u00E9rier \u00E0 entrer dans les collections, et le plus important, il comportait d\u2019autres pi\u00E8ces dont les motifs \u00E9taient tir\u00E9s du Bestiaire, comme La ch\u00E8vre du Tibet (inv. MT 30186), et le Cort\u00E8ge d\u2019Orph\u00E9e (inv. MT 30187), ainsi que des compositions tr\u00E8s connues de l\u2019artiste : Les Arums (inv. MT 30196)\u00A0et Longchamp (inv. MT 30192). \nCl\u00E9mentine Marcelli"@fr . . . . "0.8251"^^ . "La Jungle (num\u00E9ro de patron B. F. 13287)"@fr . . . . . "0.8688"^^ . . "La Jungle (num\u00E9ro de patron B. F. 13287)"@fr . . . "1386" . . .