. "Cette\u00A0laize correspond \u00E0 une \u00E9toffe d\u2019ameublement, en satin brod\u00E9 \u00E0 la chenille et au cordonnet de soie, avec application de velours peint apr\u00E8s tissage. Cette particularit\u00E9 technique remarquable indique l\u2019importance de sa destination. On trouve les premi\u00E8res mentions de velours peints apr\u00E8s tissage en 1809 : dans la s\u00E9ance du 4 janvier de cette ann\u00E9e, un rapport fut pr\u00E9sent\u00E9 \u00E0 la Soci\u00E9t\u00E9 d\u2019encouragement sur les velours peints invent\u00E9s par Antoine Vauchelet. Ce fabricant, \u00E9tabli \u00E0 Paris, d\u00E9pose un brevet de cinq ann\u00E9es pour son invention le 7 f\u00E9vrier 1810. Les \u00AB Rapport et observations du Mobilier de la Couronne du 12 9bre 1810 sur les ouvrages de peinture sur \u00E9toffes \u00BB, conserv\u00E9s aux Archives nationales (AN.O2535), d\u00E9taillent la technique \u00E9labor\u00E9e par Vauchelet, \u00E0 qui l\u2019on doit probablement les parties de notre \u00E9toffe trait\u00E9es de cette mani\u00E8re. Le motif qui orne la laize appartient au vocabulaire ornemental du c\u00E9l\u00E8bre dessinateur Jean-Fran\u00E7ois Bony (1754-1825?), actif d\u00E8s le r\u00E8gne de Louis XVI et jusqu\u2019\u00E0 la Restauration. Ce vocabulaire, compos\u00E9 en grande partie d\u2019arabesques \u00E0 l\u2019antique g\u00E9n\u00E9ralement form\u00E9es de rinceaux et de palmes \u2013 qu\u2019on retrouve ici \u2013 se situe dans la continuation de celui de la seconde moiti\u00E9 du XVIIIe si\u00E8cle, et notamment de celui des piran\u00E9siens fran\u00E7ais et anglais. On peut rapprocher ce tissu, en particulier, de certains dessins contenus dans un carnet de croquis de Bony, conserv\u00E9 au mus\u00E9e des Tissus (inv. MT 27638) : les arabesques esquiss\u00E9es dans celui-ci (aux fol. 55, 134, 135 et 136) sont parfois presque identiques \u00E0 celles de notre \u00E9toffe. Et surtout, l\u2019\u00E9l\u00E9ment distinctif de cette derni\u00E8re \u2013 le rhyton \u2013 est quelquefois altern\u00E9, dans ces dessins (aux fol. 111 et 122), avec des arabesques. Ces similarit\u00E9s remarquables permettent de confirmer l\u2019attribution de notre \u0153uvre \u00E0 Bony. Dans le motif de l\u2019\u00E9toffe et les deux dessins cit\u00E9s, on remarquera surtout le motif craact\u00E9ristique du rhyton. Les arabesques de Bony et des dessinateurs qui le pr\u00E9c\u00E8dent sont toujours structur\u00E9es d\u2019une mani\u00E8re qui tient compte de la gravit\u00E9 : chaque \u00E9l\u00E9ment est soutenu par \u2013 et jaillit de \u2013 celui qui lui est imm\u00E9diatement inf\u00E9rieur (cette gravit\u00E9 est \u00E9videmment symbolique, puisque de fines branches peuvent par exemple supporter de lourdes urnes). Les dessins se forment donc autour d\u2019une tige. Cependant, les rhytons \u00E9tant asym\u00E9triques, ils ne se pr\u00EAtent pas \u00E0 cette structuration. Dans un des deux dessins de Bony que nous avons rapproch\u00E9s de l\u2019\u0153uvre qui nous int\u00E9resse (au fol. 122), ce probl\u00E8me est contourn\u00E9 en pla\u00E7ant les rhytons dans des couronnes, qui d\u00E9finissent un espace non-gravitationnel. Dans l\u2019autre (au fol. 111), le rhyton est pos\u00E9 sur une barre : c\u2019est la solution qui sera adopt\u00E9e dans l\u2019\u00E9toffe ex\u00E9cut\u00E9e, \u00E0 la diff\u00E9rence pr\u00E8s que cette barre sera soutenue par des branches int\u00E9gr\u00E9es \u00E0 l\u2019arabesque, alors que dans le dessin ce r\u00F4le structurel est tenu par une guirlande ; dans notre tenture, les flambeaux du croquis disparaissent aussi. Mais de mani\u00E8re g\u00E9n\u00E9rale ces deux ornementations sont tr\u00E8s similaires, et cette comparaison permet de voir dans ce dessin un projet pour l\u2019\u00E9toffe. Sur celle-ci, le rhyton\u00A0est orn\u00E9\u00A0de g\u00E9nies ail\u00E9s, dont le corps, en partie inf\u00E9rieure, forme des rinceaux v\u00E9g\u00E9taux, qui tiennent une coupe de raisins. Le vase lui-m\u00EAme\u00A0se termine\u00A0par une\u00A0hure de sanglier. Sur une tenture plus vaste au motif identique, conserv\u00E9e au Metropolitan Museum of Art (inv. 2011.232), on aper\u00E7oit des\u00A0t\u00EAtes de sanglier, mais aussi de loups et de cerfs. L\u2019iconographie\u00A0\u00E9voque donc le monde de la chasse.\nMais il est bien possible que le rhyton corresponde ici \u00E0 un \u00AB J \u00BB, chiffre de l\u2019imp\u00E9ratrice Jos\u00E9phine. On le retrouve dans un autre dessin ornemental du m\u00EAme carnet de croquis (au fol. 84) et dans une esquisse d\u2019un fauteuil (au fol. 124) dont les accotoirs\u00A0sont constitu\u00E9s de cornes d\u2019abondance, forme tr\u00E8s proche du rhyton (d\u2019ailleurs, le rhyton rempli de fruits et le panier de fleurs qui figurent dans notre \u00E9toffe symbolisent eux aussi la prosp\u00E9rit\u00E9). Un rhyton surtout figure de mani\u00E8re isol\u00E9e sur un croquis (au fol. 149) repr\u00E9sentant un panneau suspendu \u00E0 un arc, lui-m\u00EAme port\u00E9 par un aigle, symbole imp\u00E9rial \u00E9vident. Cet isolement fait clairement de ce rhyton un chiffre (comme sur les \u00E9toffes d\u2019autres fabricants, tels le brocart pour les si\u00E8ges du Troisi\u00E8me Salon de l\u2019Imp\u00E9ratrice au Palais de Compi\u00E8gne, livr\u00E9 par la maison Grand fr\u00E8res en 1809, conserv\u00E9 au Mobilier national, inv. MN 6, GMMP 58, 61), plut\u00F4t que la simple repr\u00E9sentation d\u2019un objet. Des\u00A0rinceaux d'ornements jaillissent en outre des branches de laurier,\u00A0symbole imp\u00E9rial,\u00A0ou des tiges de lierre, qui d\u00E9signe traditionnellement l'attachement et l'amiti\u00E9.\u00A0\nDans ce contexte, le rhyton indique probablement que cette \u00E9toffe \u00E9tait destin\u00E9e \u00E0 Jos\u00E9phine, permettant de dater l\u2019\u0153uvre\u00A0des ann\u00E9es durant lesquelles elle fut imp\u00E9ratrice douairi\u00E8re (1809-1814). On ne semble pas en trouver de trace parmi les commandes officielles pour les principaux palais ni parmi les \u00E9toffes de la p\u00E9riode imp\u00E9riale conserv\u00E9es au Mobilier national, ce qui n\u2019a rien d\u2019\u00E9tonnant si elle fut effectivement livr\u00E9e apr\u00E8s le divorce imp\u00E9rial. Il se pourrait donc qu\u2019il s\u2019agisse d\u2019une tenture pour un domaine priv\u00E9 comme Malmaison, le ch\u00E2teau de Navarre ou celui de Laeken, conserv\u00E9s par Jos\u00E9phine apr\u00E8s 1809.\nDesmond-Bryan Kraege"@fr . . .