"Lorsqu\u2019il est engag\u00E9 en 1912 comme dessinateur par la maison de soieries lyonnaise Atuyer, Bianchini et F\u00E9rier, Raoul Dufy est d\u00E9j\u00E0 initi\u00E9 aux principes du d\u00E9cor textile. En 1910, il fait la connaissance de Paul Poiret, dont le succ\u00E8s et l\u2019influence en tant que couturier sont plus importants que jamais. Dufy s\u2019\u00E9tait aussi engag\u00E9 \u00E0 r\u00E9aliser une s\u00E9rie de lithographies afin d\u2019illustrer le recueil de Guillaume Apollinaire, Le Bestiaire ou Cort\u00E8ge d\u2019Orph\u00E9e, paru le 11 mars 1911. Depuis quelque temps, il s\u2019\u00E9tait initi\u00E9 \u00E0 la gravure sur bois de fil, qui lui permettait d\u2019exp\u00E9rimenter ses recherches cubistes entam\u00E9es en peinture, du fait des possibilit\u00E9s graphiques limit\u00E9es par la technique. \nLa n\u00E9cessit\u00E9 de composer avec les fibres du bois donne aux images un style qui les rapprochent de l\u2019imagerie populaire ; l\u2019artiste simplifie et minimise le trait, jouant avec les vides et les pleins pour figurer la lumi\u00E8re et donner du volume. Ce sont les figures d\u00E9coratives et simplifi\u00E9es du Bestiaire qui int\u00E9ressent Poiret lorsqu\u2019il d\u00E9couvre le travail du peintre. \u00C0 cette \u00E9poque, le couturier cherche dans les arts d\u00E9coratifs modernes le moyen de raviver la palette des tissus lyonnais dans laquelle dominent surtout les tons pastel. Il estime aussi que les d\u00E9corateurs ont perdu leur audace \u00E0 force de vouloir imiter les mod\u00E8les du pass\u00E9, et s\u2019int\u00E9resse aux recherches de la Wiener Werkst\u00E4tte. \nAu d\u00E9but des ann\u00E9es 1910, les productions lyonnaises sont encore\u00A0tr\u00E8s attach\u00E9es \u00E0 la tradition. Les fleurs surtout, restent le motif privil\u00E9gi\u00E9 des d\u00E9corateurs : pastich\u00E9es dans le style Louis XV ou Louis XVI, elles ont beaucoup perdu de leur spontan\u00E9it\u00E9 d\u2019antan et leur repr\u00E9sentation naturaliste ne s\u2019est pas renouvel\u00E9e. \nLe couturier ambitionne de r\u00E9volutionner l\u2019art du textile. Il est convaincu que le changement sera l\u2019\u0153uvre des peintres avant-gardistes, et s\u2019entoure de nombreux artistes qu\u2019il encourage \u00E0 cr\u00E9er dans le nouveau style moderne. En fournissant \u00E0 Dufy la premi\u00E8re occasion de s\u2019exprimer sur le textile, Poiret s'engage d\u00E9j\u00E0 dans le mouvement qui donnera naissance au style Art D\u00E9co. \nLe couturier s\u2019associe au peintre pour monter un petit atelier d\u2019impression sur \u00E9toffe surnomm\u00E9 la \u00AB Petite Usine \u00BB. Dufy est charg\u00E9 de la r\u00E9alisation de courts m\u00E9trages de soie qu\u2019il imprime \u00E0 l\u2019aide de planches grav\u00E9es et peint \u00E0 la main. Il doit auparavant produire les maquettes de ses motifs et se trouve ainsi confront\u00E9 aux probl\u00E8mes de mise au net et de raccord de dessin. Il apprend, avec un chimiste engag\u00E9 par le couturier, les principes de la teinture localis\u00E9e et des fixatifs chimiques. Les tissus ainsi r\u00E9alis\u00E9s sont ensuite utilis\u00E9s par Poiret pour ses mod\u00E8les de Couture. \nNe pouvant, faute de moyens, r\u00E9aliser des m\u00E9trages d\u2019\u00E9toffe importants, les deux associ\u00E9s font r\u00E9guli\u00E8rement appel \u00E0 la maison de soieries Atuyer, Bianchini et F\u00E9rier, fond\u00E9e \u00E0 la fin de l'ann\u00E9e 1888, qui r\u00E9alise pour eux des tissus fa\u00E7onn\u00E9s dans le \u00AB genre Dufy \u00BB (tel que les mentionnent les archives de la maison). Rep\u00E9r\u00E9 par Charles Bianchini \u2014 repr\u00E9sentant \u00E0 Paris de la maison de soieries \u2014, Dufy se voit proposer un contrat de d\u00E9corateur-textile affili\u00E9 \u00E0 la fabrique. En plus d\u2019un salaire r\u00E9gulier plus \u00E9lev\u00E9 que ce que peut lui offrir Poiret, Bianchini met \u00E0 disposition de l\u2019artiste les moyens de l\u2019industrie et la perspective d\u2019une diffusion de ses tissus \u00E0 plus grande \u00E9chelle. \nLe 1er mars 1912, le peintre signe avec le soyeux un premier contrat d\u2019exclusivit\u00E9 de trois ans. Toute composition cr\u00E9\u00E9e pendant cette dur\u00E9e devient la propri\u00E9t\u00E9 exclusive de la maison. Mobilis\u00E9 en 1915, Dufy n\u2019est plus affili\u00E9 \u00E0 la fabrique mais continue cependant d\u2019exercer le m\u00E9tier de dessinateur-textile ind\u00E9pendant. Il propose r\u00E9guli\u00E8rement ses dessins \u00E0 Charles Bianchini pendant la Guerre. Ce n\u2019est qu\u2019en 1919 que le soyeux lui propose un nouveau contrat de dessinateur associ\u00E9 ; la collaboration de Dufy pour la maison lyonnaise ne prend fin qu\u2019en 1928. Cette composition, Les Alth\u00E9as, date de 1917, p\u00E9riode durant laquelle Dufy n\u2019\u00E9tait plus rattach\u00E9 \u00E0 la fabrique. Elle repr\u00E9sente un sem\u00E9 de t\u00EAtes de fleurs dans les tons rose, jaune, orange et vert. Les alth\u00E9as occupent toute la surface du tissu, aucune place n\u2019est laiss\u00E9e au vide. Leurs larges corolles aux bords festonn\u00E9s sont trait\u00E9es avec une \u00E9tonnante simplicit\u00E9, sans sacrifier \u00E0 leur beaut\u00E9. Le peintre \u00E9vite la monotonie en changeant l\u00E9g\u00E8rement la direction dans laquelle sont dirig\u00E9s leur pistil, et les teintes de couleur sont soigneusement dispos\u00E9es pour \u00E9viter d\u2019entrer en interaction les unes avec les autres. Con\u00E7u de cette fa\u00E7on, le motif peut se draper facilement sur le tissu d\u2019une robe sans que sa lecture n'en soit alt\u00E9r\u00E9e.\nPour ses compositions pour l\u2019habillement, Charles Bianchini recommandait au peintre de privil\u00E9gier les petits dessins dont les rapports r\u00E9duits permettaient de les regarder dans tous les sens ; ces motifs r\u00E9p\u00E9t\u00E9s se vendaient mieux que les grands dessins directionnels qu\u2019affectionnait l\u2019artiste. \nComme dans beaucoup des compositions textiles du go\u00FBt Art D\u00E9co \u00E0 l\u2019\u00E9poque, le trait est r\u00E9duit \u00E0 l\u2019essentiel et la couleur est pos\u00E9e en aplat. Le motif floral stylis\u00E9 est v\u00E9ritablement le poncif de l\u2019art de la d\u00E9cennie. Avant 1920, la fleur s\u2019assimile encore \u00E0 la r\u00E9duction de ses formes complexes suivant des lignes courbes, dans une vis\u00E9e d\u00E9corative. Dufy r\u00E9utilise ce motif ch\u00E9ri de l\u2019avant-guerre, comme pour dissiper la tristesse et la d\u00E9sillusion de ces ann\u00E9es funestes. Apr\u00E8s la signature de l\u2019Armistice, la production de la Fabrique lyonnaise reprend tant bien que mal, et les dessins qui rencontraient du succ\u00E8s avant 1914 sont largement r\u00E9employ\u00E9s dans les ann\u00E9es vingt. \nEn 1925, les tissus croulent sous les semis et les bouquets de fleurs stylis\u00E9s \u00E0 l\u2019Exposition internationale des Arts d\u00E9coratifs et industriels modernes de Paris. Les roses que dessinent Dufy sont alors moins strictes, il dissocie la couleur du trait qu\u2019il assouplit pour donner plus de naturel \u00E0 ses repr\u00E9sentations. Le mus\u00E9e des Tissus de Lyon conserve, \u00E0 titre d\u2019exemple,\u00A0l'esquisse d\u2019une composition pour l\u2019habillement, Les Clochettes, ex\u00E9cut\u00E9e par l\u2019artiste en 1925 (inv. MT 40353) sur lequel on observe que le peintre traite les fleurs avec plus de facilit\u00E9 et de l\u00E9g\u00E8ret\u00E9. Apr\u00E8s 1925, sous l\u2019influence du cubisme, le motif se g\u00E9om\u00E9trise de plus en plus chez de nombreux dessinateurs. \nLes fleurs ont \u00E9t\u00E9 un motif privil\u00E9gi\u00E9 par l\u2019artiste dans toute son \u0153uvre. Il les utilise beaucoup plus dans ses compositions pour l\u2019habillement que pour l\u2019ameublement. Il commence \u00E0 cr\u00E9er ses premiers motifs floraux \u00E0 la \u00AB Petite Usine \u00BB. Les restrictions graphiques engendr\u00E9es par la technique de la gravure entra\u00EEnent alors la simplification du trait et limite le nombre de couleurs pouvant \u00EAtre utilis\u00E9es. Dufy conserve \u00E0 dessein ces principes quand il cr\u00E9\u00E9 pour Bianchini-F\u00E9rier (la maison change de raison sociale \u00E0 la mort de Pierre-Fran\u00E7ois Atuyer le 26 d\u00E9cembre 1912). Il se d\u00E9marque ainsi des impressions de fleurs naturalistes riches en nuances encore produites par la fabrique ; celle-ci appartiennent \u00E0 la tradition du XVIIIe si\u00E8cle, remise au go\u00FBt du jour par l\u2019Imp\u00E9ratrice Eug\u00E9nie sous le Second Empire. \nLes premiers dessins qu\u2019il con\u00E7oit pour Bianchini-F\u00E9rier sont donc particuli\u00E8rement stylis\u00E9s, tout en \u00E9tant marqu\u00E9s par son go\u00FBt de l\u2019arabesque si caract\u00E9ristique ; ils s\u2019inspirent plus de ses gravures que de sa peinture, mais ils conservent de cette derni\u00E8re l\u2019amour de la couleur et la science de la composition. \nLes Alth\u00E9as est un tissu imprim\u00E9, il a \u00E9t\u00E9 produit dans les usines de la maison \u00E0 Tournon, en Ard\u00E8che. Les premi\u00E8res toiles de Dufy datent de 1912-1914, mais un grand nombre d\u2019entre elles ont aussi \u00E9t\u00E9 fabriqu\u00E9es apr\u00E8s 1918. Le contexte de la Guerre favorise la production d\u2019\u00E9toffes imprim\u00E9es, moins co\u00FBteuses et plus faciles \u00E0 r\u00E9aliser que les riches et lourds tissus fa\u00E7onn\u00E9s. Leur succ\u00E8s est consomm\u00E9 dans les ann\u00E9es vingt, quand l\u2019impression conquiert toutes les cat\u00E9gories de tissu gr\u00E2ce aux am\u00E9liorations des teintures et des colorants. Pour l\u2019impression comme pour les tissus fa\u00E7onn\u00E9s, les dessinateurs r\u00E9alisent des esquisses qui sont achet\u00E9es par les soyeux et sont destin\u00E9es \u00E0 \u00EAtre traduites en tissus \u00E0 Lyon. Elles sont donc transpos\u00E9es en gravures puis imprim\u00E9es au rouleau, \u00E0 la main ou au cadre \u00AB \u00E0 la lyonnaise \u00BB (cette derni\u00E8re technique n\u2019appara\u00EEt qu\u2019\u00E0 partir de 1920). Les premi\u00E8res r\u00E9alisations de Dufy pour l\u2019impression sont directement tir\u00E9es des planches du Bestiaire et marquent la filiation\u00A0qui existe avec ses bois grav\u00E9s. Le succ\u00E8s des imprim\u00E9s favorise l\u2019engouement pour les dessins modernes, les jeux de fond, les motifs serr\u00E9s qui rendent le raccord de dessin invisible. \nLe mus\u00E9e des Tissus de Lyon conserve un important corpus textile d\u2019\u0153uvres de Dufy ex\u00E9cut\u00E9es par Bianchini-F\u00E9rier. Le premier don de la maison fait suite au Salon de la Soierie qui s\u2019est tenu dans le cadre de la Foire des Tissus de Lyon du 5 au 17 mars 1923. Une lettre dat\u00E9e du 20 mars 1923, adress\u00E9e par le pr\u00E9sident du Syndicat des Fabricants de soieries de Lyon au pr\u00E9sident de la Chambre de Commerce de la ville, stipule que la demande du mus\u00E9e des Tissus \u00E0 recevoir en don des sp\u00E9cimens expos\u00E9s lors de cet \u00E9v\u00E9nement a \u00E9t\u00E9 re\u00E7ue par le bureau syndical, et pr\u00E9cise que les maisons int\u00E9ress\u00E9es \u00AB ne refuseront pas d\u2019en faire don au mus\u00E9e \u00BB. Le directeur du mus\u00E9e historique, Henri d\u2019Hennezel, a \u00E9t\u00E9 invit\u00E9 \u00E0 faire un choix parmi les soieries expos\u00E9es permettant \u00E0 l\u2019institution de se doter d\u2019une part importante de la production lyonnaise de tissus modernes du d\u00E9but du XXe si\u00E8cle. Dix \u0153uvres textiles de Dufy purent int\u00E9grer les collections cette ann\u00E9e l\u00E0 ; parmi elles se trouvaient des compositions d\u00E9j\u00E0 c\u00E9l\u00E8bres du peintre, traduites en tissu pour l\u2019habillement ou l\u2019ameublement (inv. MT 30184 \u00E0 MT 30196), ainsi que Les Alth\u00E9as. \u00A0\nCl\u00E9mentine Marcelli"@fr . "2021-02-10T00:00:00"^^ . . .