. "2021-02-10T00:00:00"^^ . "La Chambre de Commerce de Lyon acquiert ce fukusa en 1897 lors de la vente qui fait suite \u00E0 la mort d\u2019Edmond de Goncourt, collectionneur et japoniste de renom. C\u2019est un objet tr\u00E8s populaire en Europe, tant et si bien que le Japon, conscient de l\u2019int\u00E9r\u00EAt lucratif qu\u2019il repr\u00E9sente, en produit en masse en vue de les exporter ; on trouvera d\u00E8s 1873, lors de l\u2019Exposition universelle de Vienne, de nombreux textiles (parmi lesquels des fukusa) copiant ou imitant les pi\u00E8ces traditionnelles que des Occidentaux en qu\u00EAte d\u2019exotisme s\u2019arracheront. Si les japonistes accordent de l\u2019importance \u00E0 la question de l\u2019authenticit\u00E9, rares sont ceux qui peuvent r\u00E9ellement distinguer une \u0153uvre originale d\u2019une reproduction, l\u2019\u00E9tude de l\u2019art japonais \u00E9tant alors encore naissante. \nEdmond de Goncourt, bien que passionn\u00E9, n\u2019\u00E9tait pas de ces quelques experts. N\u00E9anmoins, sa collection contenait bien des pi\u00E8ces authentiques : l\u2019ensemble de fukusa (MT 26028 \u00E0 MT 26032) acquis par la Chambre de Commerce de Lyon en contient, et c\u2019est le cas de cette \u0153uvre. Le catalogue mentionne, \u00E0 propos du lot num\u00E9ro 1099 qu\u2019elle constituait, \u00AB Hotei et les enfants, brod\u00E9s sur soie bleue damass\u00E9e. \u00BB La figure de Hotei n\u2019est pas inconnue en Europe o\u00F9 elle est parfois confondue avec celle de Bouddha. C\u2019est un homme \u00E0 l\u2019air perp\u00E9tuellement r\u00E9joui dont le faci\u00E8s lunaire d\u00E9peint une bonhomie certaine. Son cr\u00E2ne est d\u00E9garni, son front court, et, indice de sa grande spiritualit\u00E9, le lobe de ses oreilles est particuli\u00E8rement \u00E9tir\u00E9, \u00E0 l\u2019instar de Bouddha. Ses joues non ras\u00E9es lui donnent une allure n\u00E9glig\u00E9e, toutefois sympathique, qui caract\u00E9rise ce personnage. De m\u00EAme, sa robe toujours ouverte exhibe un ventre pro\u00E9minent \u2013 en Chine, l\u2019estomac est consid\u00E9r\u00E9 comme le si\u00E8ge de l\u2019\u00E2me ; c\u2019est donc le signe de son grand c\u0153ur. Peu enclin \u00E0 accumuler les richesses mat\u00E9rielles, il est chichement v\u00EAtu. Au Japon, Hotei est tr\u00E8s populaire ; il est fr\u00E9quemment repr\u00E9sent\u00E9 dans les arts d\u00E9coratifs ou picturaux, et pour cause : c\u2019est l\u2019un des Shishi Fukujin (les Sept Divinit\u00E9s du Bonheur, dont chacune est associ\u00E9e \u00E0 une vertu). Ce panth\u00E9on est le r\u00E9sultat du syncr\u00E9tisme des traditions shint\u014D, bouddhiste et tao\u00EFste. Il s\u2019en d\u00E9gage trois favoris : Ebisu (divinit\u00E9 shint\u014D, dieu de l\u2019oc\u00E9an et de la prosp\u00E9rit\u00E9, associ\u00E9 \u00E0 l\u2019honn\u00EAtet\u00E9), Daikokuten (divinit\u00E9 d\u2019origine hindoue, dieu de l\u2019agriculture et de la terre, associ\u00E9 \u00E0 la chance) et Hotei. \nSous ses allures de moine paillard, c\u2019est en v\u00E9rit\u00E9 un homme profond\u00E9ment spirituel. Hotei est \u00E0 l\u2019origine un moine bouddhiste chinois du IXe si\u00E8cle (mort en 905 ou 916) emprunt\u00E9 \u00E0 la tradition tao\u00EFste ; son existence tout enti\u00E8re est aur\u00E9ol\u00E9e de l\u00E9gendes et sa biographie recompos\u00E9e fourmille d\u2019anecdotes si bien qu\u2019il est d\u00E9sormais impossible de d\u00E9m\u00EAler le fait historique du fait mythique. Son nom bouddhiste est Qici, mais il sera plus connu de son surnom Putai (ou Budai), ce qui signifie litt\u00E9ralement \u00AB sac en toile de jute \u00BB, en raison de l\u2019immense sac qui l\u2019accompagne. \nC\u2019est une figure marginale qui va et vient dans la r\u00E9gion ; il n\u2019habite nulle part. S\u2019il a sommeil, il s\u2019assoit et s\u2019endort simplement \u00E0 l\u2019endroit o\u00F9 il se trouve, fut-ce dans la neige : son corps semble insensible aux variations de la temp\u00E9rature. Il collecte dans son sac, toujours rempli \u00E0 ras-bord, des pierres, du bois, parfois de la nourriture, et les aum\u00F4nes qu\u2019il qu\u00E9mande aux habitants de la r\u00E9gion qui le croisent. Ces derniers le consultent fr\u00E9quemment pour conna\u00EEtre leur destin car il est r\u00E9put\u00E9 infaillible dans ses pr\u00E9dictions, tant pour leur contenu que pour le moment de leur r\u00E9alisation. Quelques minutes avant sa mort, on raconte qu\u2019il s\u2019est assis, en tailleur, sur une pierre plate en contre-bas de la v\u00E9randa est du monast\u00E8re de Yuelinsi pour r\u00E9citer quelques vers qui d\u00E9livrent une le\u00E7on \u00E0 propos de Maitreya \u2013 le prochain Bouddha \u00E0 venir, un Bouddha bienveillant qui orientera le monde vers l\u2019\u00C9veil. Il sera consid\u00E9r\u00E9, plus tard, comme l\u2019incarnation m\u00EAme de Maitreya car certains pr\u00E9tendirent, apr\u00E8s sa mort, l\u2019avoir vu d\u00E9ambulant et portant sur le dos son sac, comme de son vivant. Il ne tarde pas \u00E0 int\u00E9grer l\u2019iconographie bouddhiste : on mentionne des peintures du moine d\u00E8s la fin du Xe si\u00E8cle dans la province de Zhejiang. \nEn Chine, puis au Japon, les premi\u00E8res repr\u00E9sentations du moine fixent dans l\u2019iconographie les caract\u00E9ristiques physiques que l\u2019on lui conna\u00EEt aujourd\u2019hui ; \u00E9tant des \u0153uvres de l\u2019art Zen, elles insistent en revanche davantage sur le message spirituel qu\u2019il incarne. Outre son d\u00E9tachement des choses mat\u00E9rielles, Hotei cultive un go\u00FBt pour le paradoxe dans les le\u00E7ons qu\u2019il d\u00E9livre. Ainsi, il est souvent peint debout, l\u2019index lev\u00E9 en direction du ciel. Un po\u00E8te du XVIe si\u00E8cle, T\u014Dkei D\u014Djin, dit \u00E0 ce propos : \u00AB Ne cherchez pas ce qu\u2019il pointe du doigt. \u00BB Il faut comprendre alors qu\u2019en d\u00E9signant du doigt un espace vide, Hotei met en garde ses disciples contre la recherche consciente de l\u2019\u00C9veil pour l\u2019\u00C9veil. Cependant, aux antipodes d\u2019autres figures, asc\u00E9tiques et aust\u00E8res, repr\u00E9sentant la secte Zen du bouddhisme, Hotei est \u00E9galement caract\u00E9ris\u00E9 par sa vitalit\u00E9, son humour et son anticonformisme \u2013 on se souviendra de lui comme le \u00AB Bouddha rieur \u00BB. Il fait ainsi partie de ces personnages r\u00E9interpr\u00E9t\u00E9s, d\u00E9plac\u00E9s de leur mythologie originelle pour les s\u00E9culariser, et qui deviennent, d\u2019avatars de la spiritualit\u00E9, des figures plus famili\u00E8res, plus terrestres. Hotei devient alors, au Japon, le dieu du bonheur, la vertu qui lui est associ\u00E9e est la magnanimit\u00E9 ; il est aussi la divinit\u00E9 tut\u00E9laire des enfants. \nC\u2019est surtout \u00E0 partir de l\u2019\u00E9poque Edo (1600-1868) qu\u2019il sera repr\u00E9sent\u00E9 dans ce r\u00F4le, et c\u2019est le cas dans ce fukusa. Hotei est accompagn\u00E9 ici, \u00E0 sa droite, de deux karako \u2013 figures communes de l\u2019iconographie japonaise repr\u00E9sentant des enfants chinois que l\u2019on reconna\u00EEt gr\u00E2ce \u00E0 leur costume et \u00E0 leur coiffure ; leur cr\u00E2ne est habituellement ras\u00E9, \u00E0 l\u2019exception de deux touffes de cheveux laiss\u00E9es de part et d\u2019autre \u2013 ce n\u2019est pas le cas ici, peut-\u00EAtre faut-il y voir une fa\u00E7on de leur attribuer un sexe. L\u2019enfant \u00E0 droite serait une fillette, et celui \u00E0 gauche, un gar\u00E7on. Le premier karako sollicite le moine en le tirant par la manche. Sa robe rouge est orn\u00E9e de m\u00E9daillons de deux ph\u00E9nix (h\u014D\u014D, animal mythique que les japonais ont import\u00E9 de Chine) superpos\u00E9s dessin\u00E9s par un fil\u00E9 dor\u00E9 tr\u00E8s fin. On reconna\u00EEt, sur le costume du second, un autre motif chinois : des fleurs de pivoine sont trac\u00E9es par un ond\u00E9 orange. De fa\u00E7on plut\u00F4t paradoxale, l\u2019envers de son col rabattu est orn\u00E9 du motif japonais seigaiha qui repr\u00E9sente des vagues semblables \u00E0 des \u00E9cailles. L\u2019enfant joue avec un orizuru, grue en origami, qui rappelle que cet art est, lui aussi, d\u2019origine chinoise. Les rinceaux et fleurs du fond damass\u00E9 d\u00E9corent la robe de Hotei, leur contour est soulign\u00E9 d\u2019un fin fil\u00E9 dor\u00E9 afin d\u2019accentuer leur aspect d\u00E9coratif ; les vrilles sont \u00E9galement reproduites en broderie sur le pantalon du second karako. Ainsi, le fond orn\u00E9 participe-t-il au d\u00E9cor des costumes ; il est, lui aussi, le reflet d\u2019une esth\u00E9tique sinisante. La forme particuli\u00E8re de ces rinceaux est caract\u00E9ristique de l\u2019art chinois ; de m\u00EAme, les chrysanth\u00E8mes, pivoines et grenades qui poussent sur ces sarments sont des motifs import\u00E9s de Chine. \nHotei appara\u00EEt ici en tant que Divinit\u00E9 du Bonheur, on le reconna\u00EEt gr\u00E2ce aux trois attributs qui lui sont associ\u00E9s au Japon \u2013 on en trouve deux ici (le h\u014Dju, joyaux qui permet de r\u00E9aliser les v\u0153ux, est absent). Dans sa main gauche, et reposant au creux de son cou, le moine tient un tansui, long b\u00E2ton de bois dont l\u2019utilit\u00E9 premi\u00E8re est de mesurer la profondeur d\u2019un cours d\u2019eau lors d\u2019un passage \u00E0 gu\u00E9. Dans la religion bouddhiste, ce b\u00E2ton permet de mesurer les progr\u00E8s d\u2019un disciple au cours de son entra\u00EEnement \u00E0 l\u2019aune de son potentiel. Dans son autre main, il tient un \u00E9ventail rigide. Sa forme, proche de l\u2019\u00E9cran \u00E0 main occidental, rappelle le gunbai \u2013 \u00E9ventail de guerre et symbole de l\u2019autorit\u00E9. Peu fr\u00E9quent dans l\u2019iconographie japonaise, on lui pr\u00E9f\u00E8re l\u2019aristocratique \u014Dgi (\u00E9ventail bris\u00E9) ou bien, plus populaire, l\u2019uchiwa (\u00E9ventail rigide et rond) ; il subsiste principalement en tant qu\u2019attribut de Hotei, en raison de son origine chinoise. Les deux karako s\u2019amusent visiblement aux c\u00F4t\u00E9s du moine gras qui leur sourit avec bienveillance. Frapp\u00E9s par l\u2019image de ce gros moine toujours entour\u00E9 d\u2019enfants heureux, les Occidentaux verront en lui le \u00AB saint Nicolas japonais \u00BB. Cette repr\u00E9sentation occulte presque int\u00E9gralement la signification spirituelle premi\u00E8re attach\u00E9e \u00E0 la figure de Hotei, qui est une figure majeure de la branche Zen du bouddhisme. En effet, son symbolisme se nourrit du paradoxe entre le vide qu\u2019il pointe du doigt, et le sac plein et rond qu\u2019il porte sur son dos (ici, son extr\u00E9mit\u00E9 est nou\u00E9e sur son b\u00E2ton) ; or cet attribut est presque enti\u00E8rement masqu\u00E9 par la corpulence du moine et par le karako en robe rouge. Il est n\u00E9anmoins int\u00E9ressant de remarquer ici l\u2019influence de la peinture Zen sur la repr\u00E9sentation japonaise de Hotei. En effet, les broderies de soie floche ou les cordonn\u00E9s dor\u00E9s qui dessinent les plis des v\u00EAtements jouent sur des effets d\u2019\u00E9paisseur, imitant ainsi les variations des contours trac\u00E9s \u00E0 l\u2019encre de Chine. Aux traditions picturales, l\u2019esth\u00E9tique de ce fukusa m\u00EAle \u00E9galement un certain r\u00E9alisme trouv\u00E9 dans les effets de mati\u00E8re et de relief : les touffes de cheveux des enfants, le nez et l\u2019oreille de Hotei, ainsi que son b\u00E2ton. De m\u00EAme, le treillis losang\u00E9 couch\u00E9 appliqu\u00E9 \u00E0 la doublure de sa robe (qui appara\u00EEt ici en blanc) lui donne un effet capitonn\u00E9 tr\u00E8s r\u00E9aliste. L\u2019iconographie de ce fukusa t\u00E9moigne d\u2019une certaine \u00AB d\u00E9mocratisation \u00BB de l\u2019usage de ces tissus au cours de l\u2019\u00E9poque Edo. On peut en mentionner un autre, probablement contemporain de celui du mus\u00E9e des Tissus, conserv\u00E9 \u00E0 la Dennosuke Miyai Fukusa and Furoshiki Collection (inv. 1001), qui pr\u00E9sente une iconographie comparable, avec Hotei et des karako. Les motifs ornant les fukusa permettent de conf\u00E9rer du sens au pr\u00E9sent qu\u2019ils accompagnent : ils donnent des indications sur la raison qui anime le geste, et leur complexit\u00E9 permet de d\u00E9terminer la qualit\u00E9 et le rang social du donneur ; la doublure est l\u2019endroit utilis\u00E9 par les familles pour y apposer leur sceau. Il s\u2019agit ici d\u2019un motif populaire : Hotei est une divinit\u00E9 connue de tous et qui n\u2019est pas repr\u00E9sent\u00E9e ici sous une forme symbolique ou complexe. Il est ainsi possible de d\u00E9duire que ce fukusa a pu \u00EAtre utilis\u00E9 par une famille qui n\u2019\u00E9tait pas n\u00E9cessairement de haute extraction, mais n\u00E9anmoins ais\u00E9e, comme des marchands. Qui plus est, la figure de Hotei sur un fukusa est particuli\u00E8rement appropri\u00E9e pour c\u00E9l\u00E9brer la mise en place de la poutre fa\u00EEti\u00E8re d\u2019une nouvelle demeure pour apporter prosp\u00E9rit\u00E9 aux habitants, ou bien pour souhaiter du succ\u00E8s dans les affaires d\u2019une nouvelle entreprise ou \u00E9choppe \u2013 ce qui confirme l\u2019hypoth\u00E8se \u00E9voqu\u00E9e plus haut. Cependant, l\u2019emploi de la figure de Hotei ne se limite pas au cadre s\u00E9culier : lors d\u2019un culte bouddhiste, un tel fukusa peut \u00EAtre d\u00E9pos\u00E9 sur des offrandes afin de souhaiter une vie meilleure gr\u00E2ce \u00E0 un comportement vertueux. \nHugo Develly"@fr . .