"2021-02-10T00:00:00"^^ . . . "La tenture est compos\u00E9e des deux laizes de satin ciel cousues ensemble. Une large application de tricot-cha\u00EEne \u00E0 jours (ou \u00AB tricot-dentelle \u00BB) en soie cr\u00E8me, \u00E0 mailles fines hexagonales, d\u00E9coup\u00E9, simule une draperie, dont la bordure sup\u00E9rieure est compos\u00E9e d'incrustations de satin cr\u00E8me brod\u00E9es. Le d\u00E9cor est ex\u00E9cut\u00E9 au moyen de soie polychrome, de cordonnet de soie cr\u00E8me, de chenille de soie (divers tons de brun, rouge, orange, cr\u00E8me et beige ros\u00E9), de fil\u00E9 m\u00E9tallique dor\u00E9 (lame enroul\u00E9e en S sur une \u00E2me de soie), de c\u00E2bl\u00E9 de fil\u00E9s m\u00E9talliques dor\u00E9s, de fil\u00E9 m\u00E9tallique argent (lame enroul\u00E9e en S sur une \u00E2me de soie Z, blanche), de cannetille dor\u00E9e, de cannetille et de cannetille fris\u00E9e argent, de sorbec (lame m\u00E9tallique enroul\u00E9e \u00E0 demi-couverte sur une \u00E2me de soie ocre), au point de tige, point lanc\u00E9, point de n\u0153ud, pass\u00E9 plat, pass\u00E9 en relief sur support de carton et pass\u00E9 sur paillon.\u00A0Il int\u00E8gre \u00E9galement des clinquants m\u00E9talliques dor\u00E9s et des\u00A0applications de taffetas lam\u00E9 or.\u00A0\u00A0\u00A0\nLa partie sup\u00E9rieure de la draperie est brod\u00E9e, dans le fond, d'un sem\u00E9 de motifs floraux stylis\u00E9s, ton sur ton. En partie inf\u00E9rieure, entre deux bordures ornementales trait\u00E9es en cr\u00E8me et noir, la surface est anim\u00E9e par un autre sem\u00E9 plus dense, lui aussi cr\u00E8me et noir, de plumes stylis\u00E9es. Des franges en trompe-l'\u0153il, le long de la bordure inf\u00E9rieure de la draperie,\u00A0accentuent l'effet de chute de cette derni\u00E8re. La bordure sup\u00E9rieure orn\u00E9e d'un motif de grecque ou de palmette donne l'illusion\u00A0que la draperie est suspendue.\u00A0Les points de suspension de la draperie retiennent \u00E9galement des courants de fleurs, convolvulus ou roses,\u00A0trait\u00E9s au naturel, qui suivent les lisi\u00E8res des laizes du satin\u00A0ciel. Ils retiennent deux grandes guirlandes de fleurs\u00A0dispos\u00E9es en feston qui\u00A0s'\u00E9panouissent sur la partie inf\u00E9rieure de la draperie.\u00A0Cette derni\u00E8re accueille,\u00A0entre les courants de convolvulus ou de roses, une lyre et un thyrse pos\u00E9s sur une terrasse fleurie et un nid contenant des \u0153ufs, veill\u00E9s par un couple d'oiseaux et abrit\u00E9s par une touffe de chardons.\u00A0Des guirlandes de lierre dor\u00E9 sont suspendues en festons \u00E0 ces motifs. D'autres guirlandes\u00A0v\u00E9g\u00E9tales, associ\u00E9es \u00E0 des rangs de perles ou \u00E0 des bouquets de pens\u00E9es, sont suspendues le long de la bordure sup\u00E9rieure.\nLes mat\u00E9riaux employ\u00E9s, la diversit\u00E9 des techniques employ\u00E9es, la science de la composition et le dessin des diff\u00E9rents \u00E9l\u00E9ments, fleurs au naturel comme ornements, d\u00E9signent ici le travail de Jean-Fran\u00E7ois Bony (1754-1825), dessinateur de fabrique, brodeur, fabricant et occasionnellement peintre de fleurs. Le mus\u00E9e des Tissus conserve un fonds exceptionnellement riche d'\u0153uvres de sa main ou issues de ses ateliers qui permettent de retracer avec pr\u00E9cision la prolifique carri\u00E8re de celui qui fut une des figures les plus \u00E9minentes de la Fabrique lyonnaise \u00E0 partir du r\u00E8gne de Louis XVI et jusqu'aux premi\u00E8res ann\u00E9es de la Restauration.\nJean-Fran\u00E7ois Bony \u00E9tait avant tout dessinateur. C'est lui qui a fourni les dessins des meubles les plus remarquables fabriqu\u00E9s par Marie-Olivier Desfarges ou\u00A0Camille Pernon, notamment. Parall\u00E8lement \u00E0 son activit\u00E9 de dessinateur de fabrique et \u00E0 ses quelques tentatives comme peintre de fleurs, il a exerc\u00E9, tout au cours de sa carri\u00E8re, une importante activit\u00E9 de brodeur pour l'habillement et pour l'ameublement. Il s'est aussi associ\u00E9 ponctuellement, entre 1811 et 1816, aux cousins\u00A0Andr\u00E9 et Jean-Pierre Bissardon, sous la raison commerciale Bissardon, Cousin et Bony, pour r\u00E9pondre aux grandes commandes annonc\u00E9es par l'Empereur Napol\u00E9on Ier pour Versailles.\nDans le cadre de ces grandes commandes, pr\u00E9cis\u00E9ment, la maison Bissardon, Cousin et Bony a \u00E9t\u00E9 commissionn\u00E9e pour l'ex\u00E9cution d'un exceptionnel meuble en satin blanc brod\u00E9 en soie et chenille de diverses nuances et dans les diff\u00E9rents genres de broderie \u00E0 l'aiguille, en pass\u00E9 et au crochet, avec des applications en \u00E9toffe et quelques parties en dorure pour un salon du Petit Appartement de l'Imp\u00E9ratrice Marie-Louise. La commande, envisag\u00E9e au mois de novembre 1811, fut approuv\u00E9e en d\u00E9cembre suivant. Elle comprenait quinze panneaux de tenture de trois cent sept centim\u00E8tres de haut sur soixante-quatorze centim\u00E8tres de large (Paris, Mobilier national, inv. GMMP 28), trente-quatre m\u00E8tres soixante-quinze de bordure courantes neuf pouces six lignes (vingt-cinq centim\u00E8tres et demi) pour les montants et traverses des panneaux de tenture (inv. GMMP 29), vingt \u00E9cussons pour les panneaux de tenture (inv. GMMP 31), quarante-sept m\u00E8tres seize pour bordures courantes cinq pouces (treize centim\u00E8tres) pour les montants et traverses des rideaux (inv. GMMP 30), huit \u00E9cussons pour les angles des rideaux (inv. GMMP 32), trente-deux m\u00E8tres pour bordures courantes cinq pouces (treize centim\u00E8tres) pour l'encadrement des draperies (inv. GMMP 30), ainsi que les \u00E9toffes n\u00E9cessaires pour un canap\u00E9 et deux berg\u00E8res (carreaux, dossiers, joues, manchettes, coussins et plates-bandes), huit fauteuils (dessus de si\u00E8ge, dossiers, manchettes et plates-bandes), six chaises (dessus de si\u00E8ges, dossiers et plates-bandes), deux tabourets de pieds et un \u00E9cran de chemin\u00E9e (inv. GMMP 33), ainsi que cent cinq m\u00E8tres de satin blanc liser\u00E9 en blanc pour quatre paires de rideaux de crois\u00E9e et draperies (inv. GMMP 1658/2).\nLe mus\u00E9e des Arts d\u00E9coratifs de Lyon a nagu\u00E8re fait l'acquisition de deux projets \u00E0 la gouache pour\u00A0cette commande (inv. MAD 2012.2.1 et MAD 2012.2.2), qui est la mieux document\u00E9e\u00A0en ce qui concerne l'activit\u00E9 de Jean-Fran\u00E7ois Bony comme brodeur pour l'ameublement.\u00A0Ces projets pr\u00E9sentent d'ailleurs des analogies avec le panneau de tenture brod\u00E9e conserv\u00E9 au mus\u00E9e des Tissus. On retrouve, par exemple, l'id\u00E9e d'une draperie en trompe-l'\u0153il, rehauss\u00E9e par des courants de fleurs au naturel, ainsi que les guirlandes suspendues en festons. \nLe mus\u00E9e des Tissus conserve un grand projet \u00E0 la gouache pour tenture, ex\u00E9cut\u00E9 \u00E0 l'\u00E9chelle,\u00A0de la main de Jean-Fran\u00E7ois Bony (inv. MT 1125), qui montre \u00E9galement de grandes similitudes, dans le r\u00E9pertoire d\u00E9coratif et dans la composition, avec la tenture brod\u00E9e. Sur un fond ciel orn\u00E9, en partie sup\u00E9rieure, d'un vol d'oiseaux exotiques, se d\u00E9tachent des guirlandes de fleurs dispos\u00E9es en festons, entre lesquelles se trouvent une lyre dor\u00E9e et une ruche, environn\u00E9e par un essaim d'abeilles. Des guirlandes dor\u00E9es sont suspendues, \u00E9galement en festons, \u00E0 ces \u00E9l\u00E9ments.\nOn ignore malheureusement \u00E0 quelle commande peut correspondre la tenture brod\u00E9e ou le projet \u00E0 l'\u00E9chelle pour une tenture, elle aussi brod\u00E9e. Mais ces deux \u00E9l\u00E9ments permettent, avec le meuble command\u00E9 pour un salon des Petits Appartements de Marie-Louise \u00E0 Versailles, d'appr\u00E9cier le raffinement et la qualit\u00E9 des tentures produites dans les ateliers de broderie de Jean-Fran\u00E7ois Bony durant l'Empire, et plus particuli\u00E8rement autour des ann\u00E9es 1810. D'autres exemples de broderies d'ameublement de l'artiste sont conserv\u00E9es au mus\u00E9e des Tissus, pour tentures (inv. MT 2829, MT 8611 et MT 26959.1), pour bordure (inv. MT 1294) ou pour \u00E9crans (inv. MT 3019 et MT 3020), ainsi que diff\u00E9rents dessins ou projets \u00E0 la gouache sur lesquels\u00A0se retrouvent la plupart des \u00E9l\u00E9ments d\u00E9coratifs qui figurent sur la tenture brod\u00E9e (inv. MT 1135, MT 24497.5, MT 24497.7, MT 2014.0.5, MT 2015.0.2). Ces motifs r\u00E9currents\u00A0dans la production de Jean-Fran\u00E7ois Bony constituent, au m\u00EAme titre que les mat\u00E9riaux employ\u00E9s ou les points de broderie mis en \u0153uvre, une v\u00E9ritable signature.\nLa tenture brod\u00E9e a \u00E9t\u00E9 pr\u00E9sent\u00E9e, durant l'Exposition universelle de Paris en 1900, dans l'Exposition centennale de la Classe 83 \u00AB Soie et tissus de soie. \u00BB Cet \u00E9v\u00E9nement comprenait deux parties, que les organisateurs avaient tenu \u00E0 rendre absolument distinctes. La premi\u00E8re, r\u00E9trospective, sans classement m\u00E9thodique, montrait diff\u00E9rents sp\u00E9cimens de l'art de d\u00E9corer les tissus au dix-huiti\u00E8me si\u00E8cle. La seconde, install\u00E9e chronologiquement, entrant\u00A0plus directement dans le programme des mus\u00E9es centennaux de l'Exposition universelle, racontait les diff\u00E9rentes \u00E9volutions de l'industrie de la soie depuis la R\u00E9volution jusqu'en 1900. Lyon, presqu'exclusivement, fournit les mat\u00E9riaux de cette exposition. La partie r\u00E9trospective de l'Exposition centennale avait \u00E9t\u00E9 install\u00E9e par les soins des maisons Chatel et Tassinari, Hamot et Cie\u00A0ou Lamy et Gautier. Le mus\u00E9e des Tissus avait \u00E9galement contribu\u00E9, par des pr\u00EAts, \u00E0 cette exposition. \u00C0 l'issue de l'Exposition universelle, plusieurs pi\u00E8ces historiques, conserv\u00E9es dans les archives des maisons de soierie et qui figuraient dans la manifestation, ont \u00E9t\u00E9 acquises par le mus\u00E9e des Tissus. C'est le cas de la tenture brod\u00E9e par Jean-Fran\u00E7ois Bony,\u00A0acquise aupr\u00E8s d'\u00C9douard Lamy avec un ensemble d'\u00E9toffes r\u00E9alis\u00E9es par la maison Bissardon, Cousin et Bony ou par la maison Chuard et\u00A0Cie sous l'Empire et les premi\u00E8res ann\u00E9es de la Restauration. \nOn sait que Pierre-Toussaint D\u00E9chazelle avait c\u00E9d\u00E9 son fonds, \u00E0 une date inconnue, \u00E0 Charles Corderier qui s'associa sous l'Empire \u00E0 Marie-Jacques Lemire. Entre 1829 et 1834, Corderier et Lemire reprirent la fabrique de Chuard, qui lui-m\u00EAme avait repris le fonds Bissardon, enrichi des archives de Marie-Olivier Desfarges. Lemire poursuivit son activit\u00E9 sous la raison sociale Lemire et Cie, puis Lemire p\u00E8re et fils. En 1865, la manufacture connaissant des difficult\u00E9s, elle fut vendue, avec tout son fonds d'archives, \u00E0 Antoine Lamy et Auguste Giraud. En 1900, \u00C9douard Lamy, fils d'Antoine, s'associait \u00E0 Romain Gautier. On ne s'\u00E9tonnera donc pas que plusieurs \u00E9toffes cr\u00E9\u00E9es par la maison Bissardon, Cousin et Bony entre 1811 et 1815 aient rejoint les collections du mus\u00E9e des Tissus, par le truchement de la maison Lamy et Gautier. C'est le cas, par exemple, de la laize de velours cisel\u00E9 bleu lam\u00E9 or \u00E0 rosaces et plantes imp\u00E9riales command\u00E9e en 1811 pour le deuxi\u00E8me salon d'appartement d'honneur au Palais de Versailles (inv. MT 26957) acquis, lui aussi, apr\u00E8s l'Exposition universelle de 1900.\nMaximilien Durand"@fr .