. . "Le kesa, port\u00E9 par les moines bouddhistes, est un v\u00EAtement de dessus, de forme rectangulaire, caract\u00E9ris\u00E9 par des divisions verticales et horizontales dont le nombre de bandes (j\u00F4), toujours impair, varie de\u00A0cinq \u00E0\u00A0vingt-cinq ; cette construction symbolise le cosmos et l\u2019enseignement bouddhique. Il existe plusieurs types de kesa, chacun avec une fonction particuli\u00E8re. Le plus courant, qui comporte sept bandes, comme celui-ci, est destin\u00E9 aux moines pour des occasions formelles \u00E0 l\u2019int\u00E9rieur du temple. Le kesa \u00E0 cinq bandes, plus petit, est rev\u00EAtu au quotidien. Il se pr\u00E9sente sous deux formes. Tel un kesa miniature (d\u2019environ 30 x 35 cm), le rakusu, muni d\u2019une bretelle pass\u00E9e autour du cou, est port\u00E9 sur le devant. L\u2019autre mod\u00E8le, l\u00E9g\u00E8rement plus grand (d\u2019environ 50 x 130 cm), comprend une longue bride qui permet de le placer horizontalement autour de la taille d\u2019o\u00F9 son nom de yokogesa, yoko signifiant horizontal. Les kesa de\u00A0neuf \u00E0\u00A0vingt-cinq bandes sont r\u00E9serv\u00E9s \u00E0 des c\u00E9r\u00E9monies particuli\u00E8res pour les moines de plus haut rang. Ce v\u00EAtement est transmis au moine lors de la c\u00E9r\u00E9monie de l'ordination. \nLe kesa trouverait son origine en Inde avec la l\u00E9gende du Prince Siddh\u00E2rtha au VIe si\u00E8cle avant J.-C. Apr\u00E8s une enfance dor\u00E9e et prot\u00E9g\u00E9e, ce prince d\u00E9couvre la souffrance et la douleur. Il d\u00E9cide alors de quitter son palais et de vivre en asc\u00E8te. Apr\u00E8s plusieurs \u00E9preuves, il atteint l\u2019Illumination et prend le nom de Bouddha (l\u2019\u00C9veill\u00E9). D\u00E8s sa vie d\u2019ermite, il se couvre d\u2019un simple v\u00EAtement confectionn\u00E9 avec des tissus de rebut, les plus humbles, pour en faire le v\u00EAtement le plus pr\u00E9cieux. Puis le kesa adopte une construction g\u00E9om\u00E9trique, inspir\u00E9e des plans d\u2019une rizi\u00E8re. En effet, de nombreux \u00E9crits relatent que Bouddha, lors d'une promenade avec ses disciples, aurait souhait\u00E9 un v\u00EAtement structur\u00E9 comme ce paysage. \n Le terme kesa en japonais, vient du sanskrit kashaya \u00AB couleur de terre \u00BB, \u00AB brun-rouge \u00BB, teinte neutre choisie ensuite pour uniformiser les diff\u00E9rents tissus qui le composent. Il est nomm\u00E9 jiasha en Chine. Les premiers exemples conserv\u00E9s au Japon, dans le Tr\u00E9sor du Sh\u00F4s\u00F4-in \u00E0 Nara, dat\u00E9s du VIIIe si\u00E8cle, sont de type funzo-e, soit confectionn\u00E9s de nombreux fragments de tissus de r\u00E9cup\u00E9ration, superpos\u00E9s, assembl\u00E9s et surpiqu\u00E9s. La composition qui s'organise peu \u00E0 peu, symbolise le mandala, vision cosmique du monde et de la loi bouddhique. Le cadre d\u00E9limite la pi\u00E8ce rectangulaire. Les quatre carr\u00E9s aux angles (shiten) repr\u00E9sentent les quatre dieux-rois (shitenn\u00F4), gardiens de l'ordre cosmique dans les quatre r\u00E9gions cardinales, situ\u00E9s de part et d'autre de l'axe du monde (le mont Sumeru), repr\u00E9sent\u00E9 par la bande centrale du kesa. Celle -ci est elle-m\u00EAme prot\u00E9g\u00E9e par un rectangle de chaque c\u00F4t\u00E9, niten, figurant chacun une divinit\u00E9. Le port du kesa varie selon la c\u00E9r\u00E9monie pour laquelle il est destin\u00E9. Port\u00E9 au dessus d\u2019un kimono \u00E0 longues manches (kolomo), il est le plus souvent drap\u00E9 sous l\u2019aisselle droite et recouvre l\u2019\u00E9paule gauche (mani\u00E8re hentan uken). Il est parfois rev\u00EAtu sur les deux \u00E9paules (mani\u00E8re tsuken). Dans les deux cas, la bande centrale du kesa, symbole de l'axe du monde et de l'enseignement bouddhique, se trouve au milieu du dos. Au fil des si\u00E8cles, le kesa devient moins sobre, surtout lorsqu'il est confectionn\u00E9 dans des \u00E9toffes pr\u00E9cieuses offertes aux moines ou au temple en signe de v\u00E9n\u00E9ration.\n Ce kesa, dont le fond est un tissu richement orn\u00E9, r\u00E9sulte d\u2019une prouesse technique de tissage et d\u2019assemblage. Comme Alan Kennedy le d\u00E9crit dans Manteau de nuages, Kesa japonais (catalogue de l'exposition de Lyon, mus\u00E9e des Tissus, 1991, et de Paris, mus\u00E9e national des Arts asiatiques-Guimet,\u00A01992, p. 70-71), son d\u00E9cor est compos\u00E9 d\u2019oiseaux \u00E0 longue queue (onaga-dori), variante ult\u00E9rieure du H\u00F4-\u00F4, l'oie bouddhique. Ils s'inscrivent par deux en m\u00E9daillons, \u00E9voquant la forme du yin et du yang sur un fond de lignes sinueuses entrecrois\u00E9es (fund\u00F4). L'ensemble correspond \u00E0 un calcul pr\u00E9cis, au pr\u00E9alable, de la coupe et de l\u2019assemblage des sept bandes et du cadre. En effet, pour que les quatorze m\u00E9daillons et le fund\u00F4 soient complets et uniformes, il a fallu les tisser en plus grand nombre, en tenant compte du tissu \u00E0 replier pour les besoins de la couture. Au final, il comprend trente-neuf pi\u00E8ces de tissu, soit cinq pour chaque bande, et quatre pour le cadre. Chacun des m\u00E9daillons complets traverse cinq parties diff\u00E9rentes du kesa : le cadre, les interbandes horizontales (yokoy\u00F4), les interbandes verticales (tatey\u00F4) et les pi\u00E8ces longues et courtes des bandes. De plus, les m\u00E9daillons pr\u00E9sentent des variantes de couleur : vert, orange, violet, blanc, or, bleu clair et bleu fonc\u00E9. Il a fallu en respecter l'ordre. Le tissage lui-m\u00EAme en serg\u00E9 fa\u00E7onn\u00E9 (lanc\u00E9 et broch\u00E9) pr\u00E9sente des subtilit\u00E9s dans le passage des trames de soie de diff\u00E9rentes couleurs en alternance, imitant la tapisserie, pour donner du model\u00E9 au plumage. Comme souvent dans les \u00E9toffes japonaises d'un certain prix, il a aussi une trame en lamelle de papier dor\u00E9 (kinran). Selon la tradition, ce kesa comprend bien les quatre carr\u00E9s protecteurs shiten, aux angles int\u00E9rieurs du cadre, et les deux niten de part et d'autre de la bande centrale. Dans ce cas, ils sont symbolis\u00E9s par l'application d'un tissu diff\u00E9rent du fond, fa\u00E7onn\u00E9 d'images de divinit\u00E9s protectrices. Au coin sup\u00E9rieur gauche est plac\u00E9 K\u00F4moku-ten (\u00AB aux yeux monstrueux \u00BB), qui repr\u00E9sente l'Ouest, en haut \u00E0 droite, se trouve Z\u00F4cho-ten (\u00AB celui qui s'est accru \u00BB), le Sud, directement en dessous, Jikoku-ten (\u00AB qui prot\u00E8ge le pays \u00BB), l'Est, et au coin inf\u00E9rieur gauche, Tamon-ten (dieu important), le Nord. Les figures tiss\u00E9es des niten sont moins pr\u00E9cises mais ont l'apparence de dieux gardiens protecteurs, f\u00FB-d\u00F4. En comparant l'emplacement de tels shiten avec celui d'autres kesa connus (notamment celui de l'ancienne collection Riboud, conserv\u00E9 au mus\u00E9e national des Arts asiatiques-Guimet \u00E0 Paris, inv. MA 9510) et l'\u00E9tude des sculptures bouddhiques du panth\u00E9on par Bernard Frank (Le panth\u00E9on bouddhique au Japon. Collections d'\u00C9mile Guimet, Paris, 1991), on remarque un ordre inhabituel. Au coin sup\u00E9rieur gauche, c'est g\u00E9n\u00E9ralement l'emplacement du gardien du Nord (Tamon-ten) et non celui de l'Ouest (K\u00F4moku-ten) ;\u00A0au coin sup\u00E9rieur droit c'est le gardien de l'Est (Jikoku-ten) et non celui du Sud (Z\u00F4ch\u00F4-ten) ; au coin inf\u00E9rieur droit ce serait le gardien du Sud et non de l'Est ;\u00A0au coin inf\u00E9rieur gauche, ce serait celui l'Ouest, et non celui du Nord. Il y a donc une inversion de l'emplacement des shiten sup\u00E9rieurs et inf\u00E9rieurs dans ce kesa mais la sym\u00E9trie est respect\u00E9e. \nCe type de kesa, compos\u00E9 de nombreux\u00A0morceaux de tissus, n\u00E9cessite un soin particulier pour leur assemblage. Selon les \u00E9coles bouddhiques, la couture r\u00E9alis\u00E9e par le moine ou des disciples peut faire partie de la transmission de l'enseignement. Dans l'\u00E9cole S\u00F4t\u00F4 Zen, par exemple, le point utilis\u00E9 est d'une grande importance. Il s'agit d'un point arri\u00E8re, kaeshi bari, qui a la particularit\u00E9 d'\u00EAtre en oblique ce qui le rend plus solide. Ainsi, l'aiguille est-elle plant\u00E9e \u00E0 l'envers du tissu, ressortant \u00E0 l'endroit, puis revenant en arri\u00E8re l\u00E9g\u00E8rement au dessous du d\u00E9but du point, ce qui \u00E9vite que l'aiguille ne repique le tissu au m\u00EAme endroit au point suivant, afin de ne pas affaiblir l'\u00E9toffe. La taille du point sur l'endroit, sur l'envers et l'espace entre les points doivent \u00EAtre fins et r\u00E9guliers. Dans l\u2019exemple \u00E9tudi\u00E9, il s\u2019agit bien de ce point arri\u00E8re caract\u00E9ristique de la couture enseign\u00E9e dans la pratique S\u00F4t\u00F4 Zen. \u00C0 l\u2019endroit, il est espac\u00E9 de 0,4 \u00E0 0,5 cm, soit la taille d\u2019un grain de riz comme le disent certains moines, et est r\u00E9alis\u00E9 \u00E0 l\u2019aide d\u2019un fin cordonnet de soie selon la tradition. Dans une \u00E9tude ant\u00E9rieure sur une quarantaine de pi\u00E8ces, les m\u00EAmes observations avaient pu \u00EAtre faites\u00A0(voir Marie-H\u00E9l\u00E8ne Guelton, \u00AB La couture du kesa \u00BB Manteaus de nuages, Kesa japonais, op. cit., p. 116-119). Le kesa du\u00A0mus\u00E9e des Tissus\u00A0comprend, comme souvent, une doublure int\u00E9rieure en toile de coton assez grossi\u00E8re et une doublure en taffetas de soie orange. Des trous d'aiguille au dos du shiten sup\u00E9rieur gauche indiquent l'emplacement d'une ancienne attache. Une lani\u00E8re (attache), du m\u00EAme tissu que la doublure ext\u00E9rieure, est encore pr\u00E9sente mais n'est plus dans sa position initiale. Elle est plac\u00E9e \u00E0 l'horizontale plut\u00F4t qu'\u00E0 la verticale au dos du niten droit et est cousue \u00E0 larges points en croisillons comme on peut le constater dans d'autres exemples de kesa. \nAinsi, la conception, le tissage, la coupe et la couture de cette \u0153uvre r\u00E9sultent-ils d'un travail tr\u00E8s m\u00E9ticuleux et on\u00E9reux. Ce kesa, par son originalit\u00E9 et son prix a d\u00FB \u00EAtre offert \u00E0 un moine ou \u00E0 un temple par un disciple pour une comm\u00E9moration ou un hommage important. \nMarie-H\u00E9l\u00E8ne Guelton avec la collaboration d\u2019Alan Kennedy"@fr . "2021-02-10T00:00:00"^^ .