"2021-02-10T00:00:00"^^ . . . "En 1909 d\u00E9bute \u00E0 Paris la saison des Ballets russes. Ces repr\u00E9sentations vont \u00EAtre la cause de grands bouleversements esth\u00E9tiques dans la mode et les arts d\u00E9coratifs contemporains. Le 29 mai 1912, L\u2019apr\u00E8s-midi d\u2019un faune est cr\u00E9\u00E9e au Th\u00E9\u00E2tre du Ch\u00E2telet. Inspir\u00E9 par un th\u00E8me antique, comme Narcisse (cr\u00E9\u00E9 en 1911) ou Daphnis et Chlo\u00E9 (cr\u00E9\u00E9 la m\u00EAme ann\u00E9e), ce ballet chor\u00E9graphi\u00E9 par Vaslav Nijinsky met en sc\u00E8ne un faune et des m\u00E9nades dont la gestuelle et les costumes \u2014 dessin\u00E9s par L\u00E9on Bakst \u2014 s\u2019inspirent des figures peintes sur les vases grecs antiques. En 1912 Paul Poiret, c\u00E9l\u00E8bre couturier du d\u00E9but du XXe si\u00E8cle, organise une f\u00EAte intitul\u00E9e La f\u00EAte de Bacchus, au cours de laquelle il se d\u00E9guise, avec sa femme Denise, en Bacchus accompagn\u00E9 d\u2019Ariane. \nCes \u00E9v\u00E9nements contribuent \u00E0 consacrer \u00E0 la ville la mode des v\u00EAtements et des motifs inspir\u00E9s de l\u2019Antiquit\u00E9. Cort\u00E8ge d\u2019Orph\u00E9e est un motif con\u00E7u par Raoul Dufy pour le tissu d\u2019ameublement, \u00E9dit\u00E9 en satin par la maison de soieries lyonnaise Bianchini-F\u00E9rier en 1921. Il repr\u00E9sente, organis\u00E9es en registres s\u00E9par\u00E9s par des branches d\u2019olivier, des frises de jeunes hommes et de jeunes femmes dansants. Comme sur les vases grecs \u00E0 figures rouges, Dufy respecte les conventions des couleurs, qui veulent que les femmes aient la peau claire, et les hommes la peau fonc\u00E9e. Ces derniers sont v\u00EAtus de chitons blancs, tandis que les femmes portent des p\u00E9plos sombres. Ils sont repr\u00E9sent\u00E9s de profil dans des postures vari\u00E9es. Les jeunes hommes sont pourvus des diff\u00E9rents attributs qui les rattachent au thiase de Dionysos, dieu du vin et du th\u00E9\u00E2tre dans la mythologie antique. L\u2019un joue de l\u2019aulos (la double fl\u00FBte) et fait danser ses compagnons ; les autres portent chacun dans leurs mains : le thyrse (b\u00E2ton surmont\u00E9 d\u2019une pomme de pin), le faon (plus traditionnellement \u00E9voqu\u00E9 par sa peau), et la torche, avec laquelle le dadouque (le porteur de flambeau) r\u00E9veillait les femmes dans la nuit pour les inviter \u00E0 danser lors des f\u00EAtes consacr\u00E9es au dieu. Les M\u00E9nades sont transies par le son de l\u2019aulos jou\u00E9 par l\u2019une d\u2019elles. Les gestes de ces personnages rappellent autant les vases grecs que la chor\u00E9graphie de Nijinsky dans L\u2019Apr\u00E8s-midi d\u2019un faune. \nRaoul Dufy arrive \u00E0 Paris en 1900. Il fait ses \u00E9tudes \u00E0 l\u2019\u00C9cole des Beaux-Arts pendant quatre ans ; en 1905 il expose quelques toiles au Salon d\u2019Automne avec les pr\u00E9curseurs du fauvisme qui sont, entre autres : Henri Matisse, Andr\u00E9 Derain et Maurice de Vlaminck. \u00C0 partir de 1908 Dufy abandonne peu \u00E0 peu la mani\u00E8re fauve sous l\u2019influence de Paul C\u00E9zanne et ses recherches cubistes. Malheureusement ses toiles se vendent mal, et il se tourne vers la gravure sur bois de fil apr\u00E8s la r\u00E9trospective des \u0153uvres de Paul Gauguin pr\u00E9sent\u00E9e au Salon d\u2019Automne en 1906. La connaissance qu\u2019il acquiert de cette technique m\u00E9di\u00E9vale lui donne l\u2019occasion d\u2019illustrer les po\u00E8mes du recueil de Guillaume Apollinaire, qu\u2019il a rencontr\u00E9 par l\u2019interm\u00E9diaire de Paul Poiret. Le Bestiaire ou Cort\u00E8ge d\u2019Orph\u00E9e para\u00EEt en mars 1911 et devient l\u2019un des ouvrages les plus importants de la bibliographie moderne, malgr\u00E9 son insucc\u00E8s \u00E0 sa sortie. Dufy d\u00E9couvre le go\u00FBt pour l\u2019ornementation, et les possibilit\u00E9s d\u00E9coratives qu\u2019offrent les restrictions graphiques des gravures. C\u2019est sans h\u00E9siter qu\u2019il accepte la proposition de Paul Poiret d\u2019ouvrir un atelier d\u2019impression sur \u00E9toffe. Le couturier cherche \u00E0 renouveler et m\u00EAme r\u00E9volutionner les arts d\u00E9coratifs, et trouve chez le peintre un go\u00FBt commun pour l\u2019audace et la couleur. \nLa \u00AB Petite Usine \u00BB voit le jour \u00E0 la fin de l\u2019ann\u00E9e 1911, elle est situ\u00E9e boulevard de Clichy \u00E0 Paris. Aid\u00E9 par un chimiste que le couturier recrute au m\u00EAme moment, Dufy s\u2019occupe de toutes les \u00E9tapes de production, depuis la conception des bois grav\u00E9s jusqu\u2019au choix des coloris et \u00E0 leur application sur l\u2019\u00E9toffe. Ne pouvant n\u00E9anmoins r\u00E9aliser des m\u00E9trages importants ni fabriquer de fa\u00E7onn\u00E9, les deux protagonistes font r\u00E9guli\u00E8rement appel \u00E0 la maison Atuyer-Bianchini-F\u00E9rier (qui change de raison sociale \u00E0 la mort de Pierre-Fran\u00E7ois Atuyer le 26 d\u00E9cembre 1912) pour \u00E9diter des \u00E9chantillons estampill\u00E9s \u00AB genre Dufy \u00BB, reproduisant avec des techniques industrielles les effets artisanaux r\u00E9alis\u00E9s \u00E0 la \u00AB Petite Usine \u00BB. \nLe 1er mars 1912, Dufy signe un contrat de trois ans avec le soyeux. Charles Bianchini saisit l\u2019occasion de renouveler le d\u00E9cor textile de la maison en exploitant, pour la premi\u00E8re fois avant ses concurrents, les talents d\u2019un artiste ind\u00E9pendant dont tous les motifs deviennent la propri\u00E9t\u00E9 exclusive de la maison. Il lui offre, en plus d\u2019une certaine s\u00E9curit\u00E9 financi\u00E8re, des moyens techniques et de cr\u00E9ation facilit\u00E9s par l\u2019industrie. En effet, le peintre n\u2019a plus besoin de contr\u00F4ler toutes les \u00E9tapes de fabrication de ses tissus, et peut se concentrer sur l\u2019\u00E9laboration des dessins. \u00C0 c\u00F4t\u00E9 des petits motifs g\u00E9om\u00E9triques et floraux que l\u2019artiste invente petit \u00E0 petit, Dufy r\u00E9alise des dessins d\u2019apr\u00E8s les gravures du Bestiaire. Leur esth\u00E9tique proche des canons de l\u2019imagerie populaire et la pr\u00E9sence de certains \u00E9l\u00E9ments ne convient cependant pas tout \u00E0 fait \u00E0 ce que propose Bianchini-F\u00E9rier. Dufy est contraint d\u2019inventer des stratag\u00E8mes, de mettre en place des m\u00E9canismes de production afin d\u2019adapter les motifs initiaux aux contraintes commerciales et techniques de la fabrique. En effet, il fournit \u00E0 Charles Bianchini chaque semaine des dessins mis au net, que le soyeux s\u00E9lectionne, avec une gamme de coloris, pour les \u00E9diter en imprim\u00E9 ou en fa\u00E7onn\u00E9. Le motif du Cort\u00E8ge d\u2019Orph\u00E9e ne d\u00E9rive pas d\u2019une des gravures du Bestiaire, m\u00EAme si le th\u00E8me en est issu. Il semblerait qu\u2019il faille y voir une sensibilit\u00E9 de l\u2019artiste pour le courant historiciste ambiant. En revanche, il est possible de d\u00E9terminer sur certains d\u00E9tails l\u2019origine de quelques \u00E9l\u00E9ments apparus par analogie avec des motifs isol\u00E9s des gravures. Il arrive par exemple que Dufy reprenne la forme d\u2019une feuille, et qu\u2019en la multipliant et en la modifiant l\u00E9g\u00E8rement elle prenne un tout autre aspect et une autre fonction. Le Cort\u00E8ge d\u2019Orph\u00E9e est un motif int\u00E9ressant dans la mesure o\u00F9 il a \u00E9t\u00E9 plusieurs fois \u00E9dit\u00E9 par Bianchini-F\u00E9rier, mais a peu \u00E9t\u00E9 publi\u00E9 dans la presse sp\u00E9cialis\u00E9e. Il se noyait peut \u00EAtre alors dans l\u2019important corpus de tissus dont les motifs faisaient r\u00E9f\u00E9rence \u00E0 l\u2019Antiquit\u00E9. Les exemples ne manquent pas, mais ils sont plus nombreux \u00E0 partir de 1920, date \u00E0 laquelle l\u2019influence de la Gr\u00E8ce antique est plus forte que jamais dans la mode et les arts d\u00E9coratifs. En 1921, La Gazette du Bon Ton publie un article intitul\u00E9 \u00AB Et in Arcadia ego \u00BB, dans lequel Gilbert Charles \u00E9crit : \u00AB La Gr\u00E8ce ne peut plus nous fournir, avec les magnifiques th\u00E8mes d\u2019exaltation raisonn\u00E9e, que les \u00E9ternelles le\u00E7ons du go\u00FBt le plus pur et le plus savant \u00BB. S\u2019inspirant des peintures antiques, George Barbier r\u00E9alise pour cet article une illustration repr\u00E9sentant des jeunes femmes coiff\u00E9es \u00E0 la gar\u00E7onne et v\u00EAtues des traditionnels chitons et himations, dansant en se tenant par la main. \nLe Cort\u00E8ge d\u2019Orph\u00E9e a \u00E9t\u00E9 \u00E9dit\u00E9 en damas fond satin pour l\u2019habillement d\u00E8s le mois de septembre 1913 en trois couleurs : blanc, bleu et noir. En 1919 Paul Poiret, qui semble avoir plus qu\u2019aucun autre couturier appr\u00E9ci\u00E9 les motifs figur\u00E9s de Dufy, r\u00E9alise une robe d\u2019\u00E9t\u00E9 tr\u00E8s simple, dont la surface plane permet d\u2019appr\u00E9cier la diversit\u00E9 et la dynamique des frises de personnages dansants qui composent le motif. En 1920, Dufy r\u00E9alise une s\u00E9rie de lithographies d\u2019apr\u00E8s les mod\u00E8les de Paul Poiret, destin\u00E9es \u00E0 para\u00EEtre dans le premier num\u00E9ro de l\u2019ann\u00E9e de La Gazette du Bon Ton. L\u2019une d\u2019elles figure un grand manteau taill\u00E9 dans le tissu Le Cort\u00E8ge d\u2019Orph\u00E9e, \u00E9dit\u00E9 en blanc, jaune et rouge. Ainsi en 1921, Charles Bianchini d\u00E9cide de r\u00E9\u00E9diter le motif en changeant simplement les couleurs. Il conserve la composition initiale puisqu\u2019il destine ce tissu \u00E0 l\u2019habillement. En effet, les rapports de dessin et la composition du motif varient en fonction de l\u2019armure gr\u00E2ce \u00E0 laquelle il est mis en forme, car \u00AB suivant l\u2019armure ou le montage d\u2019un damas le sujet prend un aspect diff\u00E9rent \u00BB (Raoul Dufy cit\u00E9 par Dora Perez-Tibi dans Raoul Dufy, la passion des tissus, 1991). Sur la laize du mus\u00E9e des Tissus, le rapport de dessin mesure quarante-et-un centim\u00E8tres de haut pour trente-et-un centim\u00E8tres de large.\u00A0\nL\u2019Antiquit\u00E9 a \u00E9t\u00E9 l\u2019une des sources d\u2019inspiration majeures du peintre pour sa production pour le textile, mais aussi pour ses tentures et ses compositions peintes. Il en a exploit\u00E9 les figures les plus connues, comme P\u00E9gase, \u00E9dit\u00E9 en tissu pour l\u2019habillement par Bianchini-F\u00E9rier d\u00E8s 1912. Le mus\u00E9e conserve un exemplaire de ce motif \u00E9dit\u00E9 en 1919 pour l\u2019ameublement (inv. MT 50271.3). Il repr\u00E9sente aussi sur diff\u00E9rents types de support et dans plusieurs compositions la figure marine d\u2019Amphitrite, dont les courbes voluptueuses ont s\u00E9duit Poiret qui en a fait une cape (inv. MT 50173.54). Pr\u00E9sent\u00E9 \u00E0 la Foire de Lyon en 1923, dans le cadre de la F\u00EAte de la Soie, ce tissu est donn\u00E9 au mus\u00E9e historique des Tissus avec un ensemble de neuf \u00E9chantillons \u00E9dit\u00E9s d\u2019apr\u00E8s les travaux du peintre. Il s\u2019agit du premier et du plus important lot de tissus d\u2019apr\u00E8s Raoul Dufy donn\u00E9 au mus\u00E9e par la maison Bianchini-F\u00E9rier. Il comportait des compositions aussi connues que La Jungle (inv. MT 30184), Les Fruits (inv. MT 30194) ou encore Les Arums (inv. MT 30196). Henri d\u2019Hennezel, alors directeur du mus\u00E9e, avait \u00E9t\u00E9 invit\u00E9 par le pr\u00E9sident du Syndicat des fabricants de soieries de Lyon \u00E0 venir faire un choix parmi les soieries expos\u00E9es. Cet \u00E9v\u00E9nement d\u2019importance consacre le succ\u00E8s de la maison, alors au fa\u00EEte de sa gloire. Les visiteurs, venus nombreux, purent y admirer \u00AB dispos\u00E9s avec art, tout au long de la galerie de l\u2019un des pavillons, chatoyant sous la lumi\u00E8re de discr\u00E8tes ampoules, tous les tissus merveilleux des diff\u00E9rents groupe de la Soierie \u00BB (\u00AB La Fabrique lyonnaise de soieries \u00E0 la Foire de Lyon \u00BB, La Soierie de Lyon, 16 mars 1923). \nCl\u00E9mentine Marcelli"@fr .