"2021-02-10T00:00:00"^^ . "Une m\u00EAme laize de satin jaune clair, aujourd'hui coup\u00E9e en deux par son milieu, dans le sens cha\u00EEne, a servi \u00E0 imprimer le d\u00E9cor plac\u00E9 des deux devants d'un gilet d'homme. Les lisi\u00E8res comportent trois lames d'argent, marque possible de la Fabrique de Tours. Le d\u00E9cor a \u00E9t\u00E9 ex\u00E9cut\u00E9 \u00E0 l'eau-forte rehauss\u00E9e de pointe-s\u00E8che. Les cam\u00E9es sur fond noir sont rendus avec la technique dite de \u00AB gravure aux outils \u00BB, les carnations des figures et les m\u00E9daillons mythologiques avec le proc\u00E9d\u00E9 appel\u00E9 \u00AB gravure au pointill\u00E9 \u00BB, mis au point en Angleterre par l'Italien Francesco Bartolozzi (1725/1727-1815), rendue populaire en France par la diffusion des gravures d'Angelica Kauffmann\u00A0 (1740-1807).\u00A0Chacune des\u00A0deux parties du gilet a conserv\u00E9 la morsure de la plaque de cuivre utilis\u00E9e pour l'impression, dont la cuvette empi\u00E8te sur la lisi\u00E8re (hauteur de la cuvette : 68,9 cm ; largeur, du c\u00F4t\u00E9 du gilet \u00E0 la lisi\u00E8re : 24 cm).\nChaque devant du gilet est orn\u00E9 d'une composition en arabesque, dans le go\u00FBt \u00AB \u00E9trusque \u00BB, qui se d\u00E9ploie aussi\u00A0sur la poche et au-dessus d'elle. Le cuivre d'impression comprenait aussi le parement appliqu\u00E9 de l'ouverture de la poche et les boutons, au nombre de huit. Les deux cuivres utilis\u00E9s comportaient un d\u00E9cor similaire mais pas identique, puisque les sujets, dans les m\u00E9daillons, varient. Le d\u00E9cor d'arabesque est form\u00E9\u00A0par une succession de vase fleuri, de figures all\u00E9goriques dans des m\u00E9daillons, d'ath\u00E9niennes, de losanges contenant un profil en cam\u00E9e, de cornes d'abondance, li\u00E9s par des ornements et supportant des rangs de perles, et encadr\u00E9s par des g\u00E9nies ail\u00E9s tenant des guirlandes de fleurs retombant en festons ou des z\u00E9phyrs engain\u00E9s, en forme de termes. Sur les poches, de grands m\u00E9daillons contiennent, sur le devant droit, Ariane endormie consol\u00E9e par Cupidon et, sur le devant gauche, Narcisse contemplant son reflet dans l'eau, sayn\u00E8tes \u00E9rotiques, issue de la mythologie grecque et trait\u00E9e dans le go\u00FBt d'Angelica Kauffmann. Au-dessus de la poche, un pi\u00E9destal de ferronerie soutient un Amour qui bande son arc en direction du m\u00E9daillon en cam\u00E9e situ\u00E9 au milieu de la composition, montrant un profil masculin du c\u00F4t\u00E9 droit, f\u00E9minin \u00E0 gauche.\nTrois exemplaires du m\u00EAme gilet, mont\u00E9, sont aujourd'hui conserv\u00E9s : le premier, au Museu T\u00E8xtil i d'Indument\u00E0ria de Barcelone (inv. 88.310 ; Bernard Jacqu\u00E9 et Geert Wisse, \u00AB Note sur un ensemble de papiers peints imprim\u00E9s en taille-douce \u00E0 Paris \u00E0 la fin du XVIIIe si\u00E8cle \u00BB, Nouvelles de l'estampe, 124-125, 1992, p. 15), le deuxi\u00E8me au Cooper Hewitt Smithsonian Design Museum de New York (inv. 1962-54.16 ; Chronicle of the Museum for the Art of Decoration of the Cooper-Union, vol. 2, n\u00B0 7, 1955, p. 288 ; Toiles for all Seasons. French & English Printed Textiles, Allentown, Allentown Art Museum, 2004, p. 50), et le troisi\u00E8me au mus\u00E9e de Bourgoin-Jallieu (Xavier Petitcol, \u00AB Un gilet Directoire imprim\u00E9 en taille-douce sur satin dans une fabrique de papier peint \u00BB, Textes et textiles du Moyen \u00C2ge \u00E0 nos jours, Saint-Just-la-Pendue, 2008, p. 93-105). Le gilet est un mod\u00E8le dit \u00AB carr\u00E9 \u00BB, qui d\u00E9gage la taille, pr\u00E9sente des poches droites, sans revers, l'ouverture \u00E9tant seulement renforc\u00E9e d'un parement rectangulaire appliqu\u00E9, un col droit, les angles sup\u00E9rieurs des devants du gilet se portant rabattus.\nL'impression \u00E0 l'encre d'imprimerie noire sur \u00E9toffe est une prouesse mise en \u0153uvre pour quelques pi\u00E8ces remarquable depuis le XVIIe si\u00E8cle. Le mus\u00E9e des Tissus conserve, par exemple, une exceptionnelle\u00A0gravure de Jacques Lemercier (1585-1654) repr\u00E9sentant la statue d'Henri IV r\u00E9alis\u00E9e pour le Latran imprim\u00E9e sur satin en 1610 (inv. MT 21951), une\u00A0position de th\u00E8se\u00A0de la fin du XVIIe si\u00E8cle repr\u00E9sentant la Religion offrant le portrait du pape Cl\u00E9ment X \u00E0 l\u2019\u00C9glise (inv. MT 46882), une gravure sur satin\u00A0repr\u00E9sentant la l\u00E9vitation de saint Joseph de Copertino\u00A0(inv. MT 34527)\u00A0ou un dipl\u00F4me espagnol de th\u00E9ologie imprim\u00E9 sur taffetas, dat\u00E9 de 1798 (inv. MT 34259). Dans tous les cas, il s'agit de tirages exceptionnels de gravures pr\u00E9vues pour le papier et destin\u00E9es \u00E0 constituer des \u0153uvres d\u00E9coratives.\nL'originalit\u00E9 du gilet imprim\u00E9 r\u00E9side dans le fait qu'il s'agit bien d'un v\u00EAtement. Par ailleurs, la technique de gravure, \u00E0 l'eau-forte rehauss\u00E9e de pointe s\u00E8che, de gravure aux outils et de gravure au pointill\u00E9 montre une combinaison de proc\u00E9d\u00E9s tr\u00E8s aboutie. Ces deux \u00E9l\u00E9ments permettent d'identifier la manufacture qui a produit ce gilet, et qui \u00E9tait sp\u00E9cialis\u00E9e dans la production de papier peint. \u00C0 la fin du XVIIIe si\u00E8cle, elle s'est caract\u00E9ris\u00E9e dans la production de papiers peints imprim\u00E9s en taille-douce, rehauss\u00E9e de pointe s\u00E8che, et de textiles imprim\u00E9s destin\u00E9s \u00E0 l'habillement. Fond\u00E9e \u00E0 Paris en 1772 par l'Anglais Jean Arthur qui s'associe \u00E0 Ren\u00E9 Grenard, la fabrique Arthur & Grenard devient l'une des principales fabriques de papiers peints, dont la notori\u00E9t\u00E9 a \u00E9t\u00E9 \u00E9clips\u00E9e par celle de R\u00E9veillon. Elle occupe deux cents ouvriers en 1784. En 1789, elle obtient le titre de manufacture royale, puis la soci\u00E9t\u00E9 est vendue \u00E0 Fran\u00E7ois Robert qui s'associe \u00E0 Arthur fils, pr\u00E9nomm\u00E9 Jean-Jacques, sous la raison commerciale Arthur & Robert. Lorsque la R\u00E9volution \u00E9clate, Jean-Jacques Arthur est proche des id\u00E9es de Robespierre, dont il est l'ami intime et qu'il suit \u00E0 l'\u00E9chafaud \u00E0 l'\u00E2ge de trente-trois ans.\nD\u00E8s les derni\u00E8res ann\u00E9es d'activit\u00E9 de la maison Arthur & Grenard, la manufacture avait entrepris la commercialisation d'accessoires imprim\u00E9s en taille-douce sur satin, comme en t\u00E9moigne l'annonce publi\u00E9e dans le\u00A0Magasin des modes nouvelles fran\u00E7aises et anglaises du 30 octobre 1788 : \u00AB Les S(ieu)rs Arthur & Grenard, Marchands de Papiers peints, demeurans sur l'ancien boulevard, vis-\u00E0-vis le d\u00E9p\u00F4t des Gardes Fran\u00E7oises, font & vendent des ceintures de femmes, lesquelles sont imprim\u00E9es sur ruban-satin, dans le genre des peintures \u00E9trusques, arabesques, cam\u00E9es antiques, & dans diff\u00E9rens genres tr\u00E8s-agr\u00E9ables. \u00BB En effet, un dessin \u00E0 la plume, aquarelle et gouache du mus\u00E9e des Arts d\u00E9coratifs de Paris (inv. CD 37 360), d\u00E9di\u00E9 \u00E0 \u00AB Monseigneur le baron de Breteuil \u00BB et sign\u00E9 \u00AB\u00A0Moette Architecte Delineavit\u00A0\u00BB, figure la coupe des sept \u00E9tages de la manufacture Arthur & Grenard en 1789. Une partie du dernier \u00E9tage sous comble est l\u00E9gend\u00E9e \u00AB\u00A0Imprimerie en taille-douce.\u00A0\u00BB Un inventaire, conserv\u00E9 au minutier central des Archives nationales (Cote MC, Et IX, 1.821), dress\u00E9 entre le 26 d\u00E9cembre 1788 et le 20 f\u00E9vrier 1789 \u00E0 l'occasion de la vente de l'entreprise \u00E0 Fran\u00E7ois Robert, d\u00E9taille le mat\u00E9riel contenu dans la manufacture. Parmi les machines, presses et autres fournitures figurent\u00A0\u00AB\u00A08 bo\u00EEtes pour ceintures & Estampes sur satin\u00A0\u00BB, cinquante-huit planches de cuivre grav\u00E9es en taille-douce par treize graveurs diff\u00E9rents, dont Francesco Bartolozzi, l'initiateur de l'estampe au pointill\u00E9, et plusieurs plaques \u00AB d'apr\u00E8s Moitte.\u00A0\u00BB Il faut bien s\u00FBr reconna\u00EEtre Jean-Guillaume Moitte (1746-1810),\u00A0\u00AB\u00A0sculpteur du Roy\u00A0\u00BB et ornemaniste.\nLes gilets imprim\u00E9s en taille-douce \u00E0 la fin du XVIIIe si\u00E8cle sont rares. Outre les trois mod\u00E8les identiques au gilet \u00AB\u00A0en pi\u00E8ces\u00A0\u00BB du mus\u00E9e des Tissus, on peut citer, dans cette m\u00EAme collection, les deux devants d'un autre gilet Directoire imprim\u00E9s en taille-douce sur gourgouran de coton avec les all\u00E9gories du Printemps et de l'Automne (inv. MT 29307.1 et MT 29307.2), peut-\u00EAtre aussi issu des presses de la manufacture Robert & Cie, tout comme un gilet \u00AB\u00A0en pi\u00E8ces\u00A0\u00BB avec l'all\u00E9gorie du Temps regardant la danse de jeunes amours conserv\u00E9 au Cooper Hewitt Smithsonian Design Museum de New York (inv. 1962-54-17). La maison imprimait \u00E9galement des petits sujets \u00E0 d\u00E9couper en vignette pour application sur bas de robes ou gilets, dont le mus\u00E9e des Tissus conserve s\u00FBrement deux exemplaires, avec des \u00E9pisodes de la l\u00E9gende de Psych\u00E9, qui ornent un gilet carr\u00E9 (inv. MT 30014).\nLe mus\u00E9e des Tissus conserve \u00E9galement deux exemplaires de ceintures imprim\u00E9es sur satin (inv. MT 29865 et MT 35697), qui correspondent aux mentions de ces accessoires dans les publicit\u00E9s de la maison ou l'inventaire de 1789. Deux autres sont aujourd'hui au mus\u00E9e de Bourgoin-Jallieu (inv. 20.91.1 et 20.91.1 bis) et deux suppl\u00E9mentaires, au Cooper Hewitt Smithsonian Museum de New York, la premi\u00E8re (inv. 1940-93-60)\u00A0\u00E9tant imprim\u00E9e en grisaille, la seconde (inv. 1902-1-1012), en couleurs.\nLe mus\u00E9e des Tissus a \u00E9galement fait entrer r\u00E9cemment dans ses collections une paire de jarretelles Directoire (inv. MT 2014.2.3.1 et MT 2014.2.3.2), imprim\u00E9es sur satin en taille-douce et \u00AB\u00A0au pointill\u00E9\u00A0\u00BB en trois couleurs (brun-noir, brique et vert fonc\u00E9), probablement attribuables, \u00E9galement, \u00E0 la manufacture Robert et Cie. Le Journal des arts, inventions et d\u00E9couvertes\u00A0de vend\u00E9miaire an IV (septembre 1795) publie, en effet, cette annonce : \u00AB\u00A0La manufacture Robert & Cie. Imprimerie\u00A0sur \u00C9toffes en Taille-douce. \u00C0 cette int\u00E9ressante manufacture s'est jointe un atelier qui m\u00E9rite aussi toute votre attention. C'est le laboratoire fond\u00E9 par les citoyens Gamble et Coypel, imprimeurs en taille-douce, et qui ont pouss\u00E9 tr\u00E8s loin cette industrie au moyen de laquelle ils ont donn\u00E9 naissance \u00E0 une nouvelle branche de commerce. Ces Artistes ont combin\u00E9 l'impression en taille-douce, de mani\u00E8re \u00E0 la diviser en plusieurs planches au moyen desquelles ils varient, sur les \u00E9toffes, les couleurs et les dessins, de la mani\u00E8re qu'on le fait avec les planches de bois sur le papier. Par ce proc\u00E9d\u00E9, ils impriment sur des toiles, des mousselines, du linon et sur toutes les \u00E9toffes de soie, des paysages, fleurs, arabesques, fruits, cam\u00E9es, m\u00E9daillons et ornements de toute esp\u00E8ce d'une fra\u00EEcheur, d'une vari\u00E9t\u00E9 et d'une richesse qui contraignent l'admiration. [...] Les amateurs des Arts sont invit\u00E9s \u00E0 voir ces int\u00E9ressants ateliers, m\u00EAme maison de la fabrique du C.[itoyen] Robert. [...] On ne peut douter que cette nouvelle industrie (qui n'est cependant que le perfectionnement d'un art d\u00E9j\u00E0 connu et pratiqu\u00E9 d\u00E9j\u00E0 depuis quelques ann\u00E9es, mais en ne se servant que d'une sorte de couleur sur les m\u00EAmes \u00E9toffes) ne pr\u00E9sente bient\u00F4t une branche de commerce tr\u00E8s int\u00E9ressante et dont il est possible de tirer le plus grand parti pour notre usage habituel et pour nos \u00E9changes \u00E0 l'\u00E9tranger.\u00A0\u00BB \nLes impressions taille-douce en couleurs sur textile mises au point par Jacques Gamble pour la manufacture Robert & Cie sont encore plus rares que les gilets imprim\u00E9s. Le mus\u00E9e des Tissus en conserve peut-\u00EAtre un second exemplaire, une vignette circulaire repr\u00E9sentant une jeune femme et son enfant avec un chien, d\u00E9coup\u00E9e et appliqu\u00E9e sur un \u00E9chantillon de broderie pour bas de robe sur gourgouran brun et violet (inv. MT 2970).\nMaximilien Durand"@fr . . .