"Cet insigne de rang de fonctionnaire civil Qing se compose d\u2019une partie centrale ainsi que d\u2019une bordure d\u00E9corative. La premi\u00E8re figure une aigrette debout se d\u00E9tachant sur un fond bleu gris. L\u2019aigrette est tourn\u00E9e vers la gauche et repose sur sa patte gauche, les ailes d\u00E9ploy\u00E9es, contrairement \u00E0 l\u2019oiseau en vol en usage sous les Ming. Cet oiseau se situe sur un promontoire rocheux au centre d\u2019un paysage compos\u00E9 en partie inf\u00E9rieure d\u2019une mer agit\u00E9e ainsi que de nuages chi, au centre de trois massifs rocheux s\u00E9par\u00E9s les uns des autres par des vagues stylis\u00E9es et en partie sup\u00E9rieure de nuages chi ainsi que d\u2019un soleil rouge. \nCe carr\u00E9 de mandarin comprend des symboles ayant une vocation \u00E0 la fois b\u00E9n\u00E9fique pour le propri\u00E9taire et repr\u00E9sentative des qualit\u00E9s de celui-ci. Ainsi, divers objets flottent-ils sur l\u2019\u00E9tendue aquatique ou dans les airs, et rel\u00E8vent alternativement d\u2019une iconographie bouddhique, confucianiste ou tao\u00EFste. En ce sens, les huit symboles de bonne fortune du bouddhisme sont \u00E0 signaler : la conque (symbolisant la voix) dans la partie inf\u00E9rieure gauche, le vase (l\u2019intelligence) sur la droite de la conque puis l\u2019ombrelle (la dignit\u00E9). Le n\u0153ud sans fin (la long\u00E9vit\u00E9) se situe devant ces trois symboles tandis que la fleur de lotus (la puret\u00E9 de l\u2019esprit), le dais (la r\u00E9ussite dans les entreprises), la roue de la Loi (le cycle d\u2019existences) et le poisson (l\u2019abondance) se trouvent sur la droite du promontoire rocheux sur lequel repose l\u2019oiseau. Concernant les huit objets pr\u00E9cieux du confucianisme, il convient de noter la pr\u00E9sence certaine de quatre d\u2019entre eux, sur les bords lat\u00E9raux de la composition. \u00C0 l\u2019extr\u00E9mit\u00E9 gauche, la feuille d\u2019achill\u00E9e (symbole de f\u00E9licit\u00E9) se situe en dessous des sap\u00E8ques (la richesse) et du rouleau de parchemin (caract\u00E9risant l\u2019\u00E9rudition). \u00C0 dextre est entre autres notable la paire d\u2019ornements rectangulaires. Enfin, sept des huit symboles du tao\u00EFsme apparaissent dans la partie sup\u00E9rieure du paysage et comm\u00E9morent les huit immortels. Ainsi, de la gauche vers la droite se trouvent l\u2019\u00E9ventail de Zhongli Quan et le tube musical en bambou, yugu, de Zhang Guolao, la corbeille de fleurs et fruits de Lan Caihe, le lotus de He Xiangu ainsi que les castagnettes de Cao Guojiu. La s\u00E9rie prend fin sur l\u2019extr\u00E9mit\u00E9 droite de la composition avec la calebasse de Tieguai Li et l\u2019\u00E9p\u00E9e de Lu Dongbin. \nCertains \u00E9l\u00E9ments du paysage sont aussi porteurs d\u2019un sens m\u00E9taphorique. \u00C0 partir des massifs rocheux lat\u00E9raux s\u2019\u00E9panouissent en effet trois vari\u00E9t\u00E9s notables de plantes : la pivoine arbustive (caract\u00E9risant l\u2019honneur, la noblesse et la sant\u00E9) \u00E0 droite, le narcisse (symbole d\u2019immortalit\u00E9 ou de bonheur) \u00E0 gauche. Des lingzhi (champignons symbolisant l\u2019immortalit\u00E9 et la long\u00E9vit\u00E9) se trouvent \u00E9galement \u00E0 la base des rochers lat\u00E9raux. Cette division botanique entre le narcisse et la pivoine au sein du carr\u00E9 est de mise depuis la fin du XVIIe si\u00E8cle. \n D\u2019autres iconographies chinoises sont d\u00E9cryptables au sein de la composition : deux chauves-souris, dont la traduction, fu, en chinois est homophone de \u00AB bonheur \u00BB, se situent de part et d\u2019autre de l\u2019aigrette. Le caract\u00E8re wan (signifiant 10 000, ou \u00E9ternit\u00E9) de couleur bleue ou dor\u00E9e, assimil\u00E9 au svastika, est pr\u00E9sent \u00E0 de multiples reprises, sur la droite de l\u2019oiseau et en frise sur la bordure. \n L\u2019environnement dans lequel \u00E9volue l\u2019aigrette est lui aussi significatif, et particuli\u00E8rement fr\u00E9quent durant le XIXe si\u00E8cle dans la composition des paysages des carr\u00E9s de mandarins. Cet ensemble comprend ainsi les flots en partie inf\u00E9rieure, puis trois rocs avec l\u2019oiseau et les cieux \u00E9voqu\u00E9s par les nuages de couleur bleue. En partie sup\u00E9rieure gauche, le soleil rouge symbolise l\u2019Empereur et domine les \u00E9l\u00E9ments : l\u2019eau, la terre et les cieux. Par ailleurs, l\u2019aigrette se tourne vers l\u2019astre solaire, ceci illustrant l\u2019all\u00E9geance que le fonctionnaire pr\u00EAte \u00E0 l\u2019Empereur. Cette orientation de l\u2019oiseau se retrouve en outre sur la quasi-totalit\u00E9 des carr\u00E9s de mandarins. \n Ce carr\u00E9 de mandarin constitue un t\u00E9moignage du rang atteint par un fonctionnaire de la Chine des Qing au XIXe si\u00E8cle. Bien avant cette p\u00E9riode, la Chine a connu un fonctionnement politique diff\u00E9rent de celui de l\u2019Occident, notamment par le biais de sa bureaucratie extr\u00EAmement hi\u00E9rarchis\u00E9e, remontant au plus tard \u00E0 la dynastie Qin (221-207 av. J.-C.). Les fonctionnaires, appel\u00E9s plus commun\u00E9ment \u00AB mandarins \u00BB composant cette derni\u00E8re se trouvaient sous l\u2019\u00E9gide de l\u2019Empereur et \u00E9taient en charge des affaires d\u2019\u00C9tat. Si la s\u00E9lection des fonctionnaires du pays a connu quelques changements, elle garde tout de m\u00EAme un caract\u00E8re continu pendant 1300 ans, de 605 \u00E0 1905, par le truchement de l\u2019institutionnalisation de l\u2019examen. Celui-ci se fonde sur les connaissances d\u00E9tenues par les candidats \u00E0 propos des Classiques de Confucius (551-479 av. J.-C., dates incertaines), entre autres lors de dissertations. Selon le r\u00E9sultat obtenu \u00E0 l\u2019examen, un rang particulier est attribu\u00E9 au candidat. Le niveau atteint par le fonctionnaire n\u00E9ophyte est signal\u00E9 par plusieurs indicateurs de rangs, dont participe le \u00AB carr\u00E9 de mandarin \u00BB ou insigne de rang. L\u2019origine de la forme carr\u00E9e de l\u2019insigne de rang serait \u00E0 attribuer aux Yuan (1279-1368). Ces derniers auraient effectivement import\u00E9 la coutume du port d\u2019un empi\u00E8cement carr\u00E9 formulant alors l\u2019indication du statut social. Plusieurs sources conduisent \u00E0 cette hypoth\u00E8se : d\u2019une part, une illustration du texte Shilin Guangji permet d\u2019identifier un fonctionnaire mongol portant un tissu carr\u00E9 sur la partie post\u00E9rieure de sa toge. D\u2019autres exemples mat\u00E9riels existent : la Plum Blossoms Gallery de Hong Kong a pu conserver un badge de vingt-neuf centim\u00E8tres sur trente figurant un cerf et datant du XIIIe si\u00E8cle. Au-del\u00E0 des pi\u00E8ces retrouv\u00E9es au sein de sites fun\u00E9raires, une sculpture retrouv\u00E9e \u00E0 Yangqunmiao constitue l\u2019attestation tridimensionnelle du port de l\u2019insigne carr\u00E9. L\u2019utilisation de la forme carr\u00E9e de l\u2019insigne de rang des fonctionnaires pourrait \u00E9galement \u00EAtre justifi\u00E9e par la distinction de forme op\u00E9r\u00E9e entre les terrasses circulaires des autels d\u00E9di\u00E9s aux d\u00E9it\u00E9s sup\u00E9rieures - Shang Di notamment \u2013 et les plateformes carr\u00E9es des autels consacr\u00E9s aux d\u00E9it\u00E9s d\u2019importance moindre. Les sites sacrificiels de P\u00E9kin, reconstruits sous Yongle entre 1403 et 1424 ont conserv\u00E9 cette distinction formelle entre certaines terrasses de la partie Sud de la Cit\u00E9 Interdite ; le temple du paradis, avec ses terrasses circulaires contraste avec son \u00E9quivalent, l\u2019autel de l\u2019agriculture, de forme carr\u00E9e. Parall\u00E8lement \u00E0 la tr\u00E8s probable origine Yuan de la forme carr\u00E9e de l\u2019insigne, la technique de r\u00E9alisation du badge conserv\u00E9 dans les collections du mus\u00E9e des Tissus, la tapisserie de type kesi, aurait \u00E9galement \u00E9t\u00E9 import\u00E9e par les populations du Nord. Les tisserands Liao et Jin ont en effet permis un transfert de cette technique aux Song du Nord qui lui donn\u00E8rent une prosp\u00E9rit\u00E9 av\u00E9r\u00E9e gr\u00E2ce au patronage de la cour imp\u00E9riale. Sous les Ming (1368-1644), la pi\u00E8ce de tissu est le plus souvent cousue en paire sur l\u2019avers et le revers de la robe du mandarin, tandis qu\u2019elle prend place sur un sur-manteau de cour (ou surplis), bufu, durant la dynastie Qing. Ce changement de support explique notamment qu\u2019\u00E0 partir de la derni\u00E8re dynastie imp\u00E9riale chinoise les insignes composant la paire ne sont pas tout \u00E0 fait semblables. L\u2019insigne MT 31806.1 \u00E9tait port\u00E9 sur le dos de son propri\u00E9taire puisqu\u2019il est complet. Le mus\u00E9e des Tissus ne conserve pas son pendant, mais celui-ci devait \u00EAtre divis\u00E9 en deux parties en son centre, du fait de l\u2019ouverture du surplis sur le devant. \n L\u2019identification du rang du mandarin propri\u00E9taire de ce carr\u00E9 est permise par une r\u00E8glementation progressive de l\u2019iconographie des insignes d\u2019\u00C9tat. Sous le r\u00E8gne de l\u2019Empereur Hongwu, en 1391, il fut d\u00E9fini que les fonctionnaires, selon qu\u2019ils fussent civils ou militaires, devaient porter sur leur pi\u00E8ce de tissu une esp\u00E8ce animali\u00E8re pr\u00E9cise. Les oiseaux, symboles d\u2019\u00E9l\u00E9gance et de raffinement, \u00E9taient l\u2019apanage des fonctionnaires civils, alors que les insignes de militaires \u00E9taient orn\u00E9s d\u2019animaux f\u00E9roces. Neuf rangs furent mis en place pour chaque cat\u00E9gorie de mani\u00E8re stricte \u00E0 partir de 1527, ceci permettant de conna\u00EEtre l\u2019importance du personnage concern\u00E9. \nL\u2019exemplaire\u00A0du mus\u00E9e des Tissus\u00A0pr\u00E9sente en son centre une aigrette tourn\u00E9e vers l\u2019\u00E9paule gauche du propri\u00E9taire, ceci impliquant que son pendant ant\u00E9rieur illustre une aigrette tourn\u00E9e vers l\u2019\u00E9paule droite. Cette information permet d\u2019affirmer qu\u2019il appartenait \u00E0 un fonctionnaire civil de sixi\u00E8me rang. \nLes \u00E9pouses de mandarins avaient \u00E9galement le droit de porter l\u2019insigne, mais le regard de l\u2019oiseau \u00E9tait dirig\u00E9 vers l\u2019autre \u00E9paule, de sorte que lorsque les \u00E9poux \u00E9taient assis l\u2019un \u00E0 c\u00F4t\u00E9 de l\u2019autre, leurs oiseaux se fissent face. Les deux portraits d\u2019anc\u00EAtres r\u00E9alis\u00E9s durant la seconde moiti\u00E9 du XIXe si\u00E8cle (D979-3-2162 et D979-3-1563) conserv\u00E9s au mus\u00E9e des Confluences, \u00E0 Lyon,\u00A0illustrent assez bien ce positionnement des oiseaux. \nDurant les derni\u00E8res d\u00E9cennies de la dynastie Qing, de nombreux \u00E9v\u00E9nements politiques sont intervenus et ont \u00E9t\u00E9 vecteurs de changement \u00E0 propos des insignes de rangs. Suite \u00E0 la premi\u00E8re Guerre de l\u2019opium (entre 1839 et 1842) et parall\u00E8lement \u00E0 une croissance d\u00E9mographique importante ainsi qu\u2019\u00E0 une ascension \u00E9conomique et sociale des marchands, la production des insignes de rangs se fait de mani\u00E8re quasi-industrielle. Le gouvernement chinois met notamment en vente les charges de fonctionnaires afin de cr\u00E9er une rentr\u00E9e d\u2019argent. Les d\u00E9cors sont pr\u00E9par\u00E9s en amont puis le motif central est appos\u00E9 en fonction de la personne recevant la charge. \nCette pratique est attest\u00E9e gr\u00E2ce \u00E0 la conservation dans certaines collections d\u2019exemplaires ne comprenant pas en leur sein d\u2019oiseau ou d\u2019animal f\u00E9roce (voir en ce sens le 30.75.903 au Metropolitan Museum de New York). \nPost\u00E9rieurement \u00E0 la seconde Guerre de l\u2019opium (entre 1856 et 1860) et \u00E0 la r\u00E9volte des Taiping (entre 1851 et 1864), un double effet est notable concernant les carr\u00E9s de mandarins : beaucoup de Chinois perdent foi en ce syst\u00E8me de rangs, alors que l\u2019iconographie des carr\u00E9s comprend de plus en plus de signes de chance et de plantes de bon augure. Ce ph\u00E9nom\u00E8ne de production massive a caus\u00E9 une lecture difficile des iconographies ainsi qu\u2019une compr\u00E9hension alt\u00E9r\u00E9e des rangs dans la seconde moiti\u00E9 du XIXe si\u00E8cle. \nL\u2019insigne conserv\u00E9 au mus\u00E9e des Tissus pr\u00E9sentant une aigrette en son sein participe de cette p\u00E9riode, notamment par la multiplication des symboles de chance, et constitue un des derniers t\u00E9moignages d\u2019une production de carr\u00E9s de mandarins sous la dynastie Qing. Il s\u2019agit, par son accumulation iconographique, d\u2019un exemple caract\u00E9ristique du dernier tiers du XIXe si\u00E8cle. \n L\u2019int\u00E9r\u00EAt croissant de l\u2019Occident et les premiers d\u00E9veloppements du tourisme en Chine ont permis la collecte ou l\u2019achat d\u2019insignes de rang. L\u2019exemplaire du mus\u00E9e des Tissus a \u00E9t\u00E9 l\u2019objet d\u2019une collecte en Chine, tout comme les vingt-huit autres carr\u00E9s de la s\u00E9rie dont il participe, notamment du fait de la r\u00E9alisation de la doublure d\u2019artisanat chinois. Contrairement \u00E0 la plupart des insignes conserv\u00E9s au mus\u00E9e des Tissus, certains carr\u00E9s ont \u00E9t\u00E9 produits \u00E0 destination des touristes et ont \u00E9t\u00E9 d\u00E8s lors employ\u00E9s dans une vis\u00E9e purement d\u00E9corative et occidentale, dans l\u2019ornement de sacs ou de coussins par exemple.\nNicolas Lor"@fr . . . "2021-02-10T00:00:00"^^ .