"2021-02-10T00:00:00"^^ . "Le livre, de format in-seize, reli\u00E9 en maroquin brun jans\u00E9niste, avec dos \u00E0 nerfs, t\u00EAte dor\u00E9e, encadrements int\u00E9rieurs d'un jeu d'entrelacs dor\u00E9s formant des festons timbr\u00E9s de rosettes, tranches de t\u00EAte et de pied dor\u00E9es, contreplats et gardes en moire antique de couleur carm\u00E9lite, doubles-gardes en\u00A0satin cr\u00E8me, comprenant un titre avec les armes de Lyon tiss\u00E9es au verso et vingt pages, toutes tiss\u00E9es.\nLa page de titre indique que le textes, \u00AB Les Laboureurs. Po\u00E8me tir\u00E9 de Jocelyn \u00BB\u00A0d'\u00AB A. de Lamartine \u00BB\u00A0a \u00E9t\u00E9 \u00AB reproduit en caract\u00E8res tiss\u00E9s/ avec licence des propri\u00E9taires \u00E9diteurs,. en souvenir de l'Exposition/ de Paris 1878/ par J.-A. Henry/ fabricant \u00E0 Lyon/ rue du Garet, 3 \u00BB, avec la \u00AB Collaboration \u00BB, pour la \u00AB mise en carte \u00BB, de \u00AB MM. Prignol \u00BB, pour le \u00AB lisage \u00BB, de \u00AB Lespinasse & Paquet \u00BB, pour le \u00AB tissage \u00BB, de \u00AB Vallet \u00BB. \nJoseph-Alphonse Henry (1836-1913) reprend en 1867 la maison familiale Henry Fr\u00E8res (Alphonse et Charles) et Jouve (Hippolyte),\u00A0sp\u00E9cialis\u00E9e dans les ornements d'\u00E9glises, dorure et soieries pour ameublement, sous la raison commerciale Henry J.-A. Rapidement, la maison Henry J.-A. obtient des distinctions : elle est gratifi\u00E9e d'une m\u00E9daille d'argent \u00E0 l'Exposition universelle de Paris en 1867, d'une m\u00E9daille d'or \u00E0 l'Exposition maritime internationale du Havre en 1868, d'une m\u00E9daille d'honneur \u00E0 l'Exposition religieuse de Rome en 1870 et \u00E0 l'Exposition internationale de Lyon en 1872, d'une m\u00E9daille de progr\u00E8s et d'une m\u00E9daille de m\u00E9rite \u00E0 l'Exposition universelle de Vienne en 1873. \u00C0 l'Exposition universelle de Paris de 1878, elle est gratifi\u00E9e d'une m\u00E9daille d'or.\nParmi les pi\u00E8ces expos\u00E9es qui lui valent cette derni\u00E8re distinction figure un livre tiss\u00E9. Il s'agit alors de la premi\u00E8re exp\u00E9rience de ce type, depuis le fameux Testament de Louis XVI d'\u00C9tienne Maisiat, pr\u00E9sent\u00E9 \u00E0 l'Exposition des produits de l'industrie fran\u00E7aise de 1827 (inv. MT 7915).\nLes pages du\u00A0livre sont tiss\u00E9es en lampas fond satin double-\u00E9toffe comportant deux cha\u00EEnes, cr\u00E8me\u00A0et rouge, et deux trames, \u00E9galement cr\u00E8me et rouge. Le tissage est ex\u00E9cut\u00E9 en un seul chemin\u00A0pour produire\u00A0une laize de seize centim\u00E8tre de large.\u00A0La finesse de la soie et l'invisibilit\u00E9 des liages, qui donne une grande densit\u00E9 au tissage, permet au fabricant d'\u00E9diter son texte en corps 8 typographique avec une lisibilit\u00E9 parfaite. Quatre mises en carte pr\u00E9parant le tissage subsistent dans les archives du fabricant, aujourd'hui conserv\u00E9es par la manufacture Prelle, \u00E0 Lyon. Ce livre tiss\u00E9 constitue une v\u00E9ritable prouesse technique, dont tr\u00E8s peu d'exemplaires ont \u00E9t\u00E9 ex\u00E9cut\u00E9s. L'un d'eux, comme en t\u00E9moigne l'une des mises en carte, \u00E9tait destin\u00E9 au comte de Paris, Philippe d'Orl\u00E9ans, petit-fils de Louis-Philippe. \nLe choix du texte, le po\u00E8me \u00AB Les Laboureurs \u00BB tir\u00E9 de Jocelyn d'Alphonse de Lamartine, peut surprendre de la part d'une maison sp\u00E9cialis\u00E9e dans les ornements d'\u00E9glise, puisque le Jocelyn de Lamartine avait \u00E9t\u00E9 mis \u00E0 l'index par le Vatican par d\u00E9cret du 22 septembre 1836. On y reconna\u00EEt, en revanche, l'esprit\u00A0de Joseph-Alphonse Henry, qui a d\u00E9velopp\u00E9 son entreprise par l'innovation : en 1874 \u00E9tait r\u00E9\u00E9dit\u00E9 l'ouvrage de Lamartine Jacquard, Gutenberg, biographie de deux h\u00E9ros de l'industrie nationale publi\u00E9e en 1864.\u00A0\nLa prouesse que repr\u00E9sente le livre tiss\u00E9 de la maison Henry J.-A. n'est pas pass\u00E9e inaper\u00E7ue. Durant la s\u00E9ance du 13 septembre 1878 de l'Acad\u00E9mie des inscriptions et belles-lettres, \u00C9mile Egger (1813-1885),\u00A0membre de l'Institut et professeur d'\u00E9loquence grecque de la Facult\u00E9 des lettres de Paris,\u00A0a soumis deux pages du livre tiss\u00E9 par Joseph-Alphonse Henry \u00E0 ses confr\u00E8res. \u00AB On avait d\u00E9j\u00E0 vu des portraits tiss\u00E9s avec accompagnement de courtes l\u00E9gendes ; mais on a ici les premiers feuillets d'un livre v\u00E9ritable. La typographie n'est pas encore menac\u00E9e par l\u00E0 d'une concurrence bien redoutable ; cependant, ne f\u00FBt-ce que comme objet d'art et de curiosit\u00E9, en attendant l'application utile et pratique, l'\u0153uvre de M. Henry m\u00E9rite au plus haut degr\u00E9 l'attention des amateurs \u00BB (Le Temps, 23 septembre 1878).\nLe m\u00EAme \u00C9mile Egger, dans son Histoire du livre depuis\u00A0ses origines jusqu'\u00E0 nos jours, publi\u00E9e \u00E0 Paris en 1878,\u00A0dans la pr\u00E9sentation qu'il donne des livres pr\u00E9sent\u00E9s \u00E0 l'Exposition universelle de 1878, indique : \u00AB Autre vari\u00E9t\u00E9 moins pr\u00E9vue, et qui demande vraiment une place \u00E0 part : l'industrie de Lyon nous pr\u00E9sente un livre tiss\u00E9 en fils de soie. Ces vingt pages, ex\u00E9cut\u00E9es d'apr\u00E8s les proc\u00E9d\u00E9s de Jacquard, par M. Henry et ses habiles collaborateurs, sont le plus merveilleux produit d'un art tout fran\u00E7ais. Le c\u00E9l\u00E8bre inventeur des machines qui ont transform\u00E9 la fabrication des tissus ne se doutait pas qu'un jour arriverait o\u00F9, de perfectionnement en perfectionnement, sa machine deviendrait capable de reproduire des pages enti\u00E8res d'\u00E9criture, et de lutter ainsi avec l'art des disciples de Gutenberg \u00BB (p. 216-217).\nL'exemplaire conserv\u00E9 au mus\u00E9e des Tissus, ainsi que celui conserv\u00E9 \u00E0 la Biblioth\u00E8que nationale de France (qui ne conserve aucun encadrement dor\u00E9 ; cote RESP P- YE- 9) et celui produit pour le comte de Paris, sont les exemplaires originaux cr\u00E9\u00E9s en 1878. En 1883, Joseph-Alphonse Henry \u00E0 retiss\u00E9 quelques exemplaires des \u00AB Laboureurs \u00BB, eux aussi reli\u00E9s en maroquin brun jans\u00E9niste avec dos \u00E0 nerfs. Le tissage, en revanche, inclut des fil\u00E9s m\u00E9talliques argent, chaque page a \u00E9t\u00E9 enrichie, d'un tr\u00E8s riche encadrement floral, le texte est tiss\u00E9 en noir, les contreplats et les gardes tiss\u00E9es, avec encadrement et ornement central. Sur la page de titre figure la date, 1883, mais la mention de l'Exposition universelle de 1878 a disparu, ainsi que les noms des collaborateurs. L'adresse de la maison Henry n'est plus au 3, rue du Garet, mais au 24, rue Lafont.\nTrois ans apr\u00E8s cette r\u00E9\u00E9dition des \u00AB Laboureurs \u00BB, en janvier 1886, Joseph-Alphonse Henry renouvelle l'exploit consistant \u00E0 tisser un livre tout entier. Il s'adresse au r\u00E9v\u00E9rend p\u00E8re Jean Hervier (1847-1900), mariste de la communaut\u00E9 de Saint-Chamond, qui s'inspire d'enluminures et de peintures des XIVe, XVe et XVIe si\u00E8cles pour le manuscrit d'un livre de pri\u00E8res \u00E0 l'usage des jeunes mari\u00E9s. Sur cinquante pages, le livre pr\u00E9sente les textes de la messe de mariage, les pri\u00E8res du matin et du soir, les pri\u00E8res au Saint-Esprit, \u00E0 la Vierge, pour la Sainte Communion et lors de l'Adoration du Saint-Sacrement. Les textes sont entour\u00E9s d'enluminures en cama\u00EFeu de gris, les t\u00EAtes de chapitre sont orn\u00E9es d'un frontispice, et quatre vignettes en pleine page divisent l'ouvrage, repr\u00E9sentant la Nativit\u00E9, la Mise en Croix, une Vierge \u00E0 l'Enfant ador\u00E9e par les anges et la Dispute du Saint-Sacrement. Gr\u00E2ce \u00E0 la g\u00E9n\u00E9rosit\u00E9 de la famille Truchot, le mus\u00E9e des Tissus a pu faire entrer dans ses collections le manuscrit original du p\u00E8re Hervier (inv. MT 2015.5.57). Le mus\u00E9e conserve \u00E9galement la totalit\u00E9 des mises en carte du livre de pri\u00E8res tiss\u00E9 (inv. MT 49277, MT 49278 et MT 49279), deux exemplaires du livre lui-m\u00EAme (inv. MT 25023 et MT 51294), quinze mod\u00E8les de d\u00E9dicaces diff\u00E9rentes pour ce livre (inv. MT 42587) et plusieurs feuillets non reli\u00E9s. Le premier exemplaire du livre de pri\u00E8res, recouvert de soie blanche, a \u00E9t\u00E9 offert au pape L\u00E9on XIII \u00E0 l'occasion de son jubil\u00E9, en 1888.\nContrairement aux\u00A0\u00AB Laboureurs \u00BB, dont de tr\u00E8s rares exemplaires seulement ont \u00E9t\u00E9 ex\u00E9cut\u00E9s en 1878 puis en 1883, le livre de pri\u00E8res a fait l'objet de quelques dizaines de r\u00E9alisations qui lui ont assur\u00E9 une certaine diffusion. Cet ouvrage, pr\u00E9sent\u00E9 \u00E0 l'Exposition universelle de Paris, en 1889, a \u00E9t\u00E9 tr\u00E8s remarqu\u00E9.\u00A0Il a fait l'objet de plusieurs notices, comme celle du chanoine Claude Comte dans\u00A0L'\u00C9cho de Fourvi\u00E8re, en 1888 (\u00AB Les Dons des Lyonnais \u00E0 l'Exposition Vaticane : le livre de pri\u00E8res tiss\u00E9 \u00BB, p. 83-84) ou celle de Paul Marais, conservateur-adjoint de la Biblioth\u00E8que Mazarine, dans le Bulletin du Bibliophile, en 1889 (p. 163-166). Cette derni\u00E8re\u00A0notice donne par ailleurs des indications int\u00E9ressantes sur la reliure des livres tiss\u00E9s par la maison Henry, qui s'appliquent \u00E0 l'exemplaire des \u00AB Laboureurs \u00BB : \u00AB\u00A0Reste un dernier point tr\u00E8s d\u00E9licat \u00E9galement : comment relier un tel ouvrage ? Nous allons donner les quelques renseignements que nous avons pu recueillir [gr\u00E2ce au libraire-\u00E9diteur Antoine Roux avec lequel Joseph-Alphonse Henry collaborait]. Les pages sont coup\u00E9es par deux, et se pr\u00E9sentent ainsi \u00E0 l'\u0153il : la page de gauche est le recto et celle de droite le verso. On encolle l\u00E9g\u00E8rement avec de la colle forte l'envers des deux pages, et l'on double l'\u00E9toffe avec un papier l\u00E9ger et r\u00E9sistant \u00E0 la fois, puis on replie la feuille en deux, et elle se trouve ainsi dans la position normale, la page qui \u00E9tait \u00E0 gauche forme le recto, celle de droite le verso ; les deux marges lat\u00E9rales extr\u00EAmes qui sont alors coll\u00E9es l'une sur l'autre forment onglet, et permettent au relieur de coudre. L'op\u00E9ration de la reliure d'un tel livre est tr\u00E8s d\u00E9licate et demande des soins m\u00E9ticuleux, surtout au point de vue de l'encollage ; toute partie de colle qui traverse une page perd cette page en y faisant une tache\u00A0\u00BB\u00A0(p. 165).\nUne autre notice, \u00E9crite par Alfred Lailler (Une merveille artistique. Notice sur un livre de pri\u00E8res tiss\u00E9 en soie, Rouen, 1890), rappelle qu'une exp\u00E9rience similaire avait \u00E9t\u00E9 tent\u00E9e par Joseph-Alphonse Henry avec le po\u00E8me \u00AB Les Laboureurs \u00BB : \u00AB\u00A0Ce n'\u00E9tait pas la premi\u00E8re fois que le fabricant lyonnais accomplissait un pareil tour de force. Il s'y \u00E9tait d\u00E9j\u00E0 exerc\u00E9 il y a quelques ann\u00E9es avec le po\u00E8me des Laboureurs, de Lamartine ; mais c'\u00E9tait une curiosit\u00E9 dont les rares exemplaires n'ont jamais \u00E9t\u00E9 mis dans le commerce. L'un d'eux se trouve \u00E0 la Biblioth\u00E8que Mazarine ; un autre, reli\u00E9 dans des conditions uniques, a \u00E9t\u00E9 offert \u00E0 M. le Comte de Paris et occupe une place d'honneur \u00E0 la biblioth\u00E8que du ch\u00E2teau d'Eu.\u00A0\u00BB\nEn 1895, enfin, Joseph-Alphonse Henry r\u00E9alise un scapulaire (num\u00E9ro de patron 2782) sur le m\u00E9tier qui a servi a tisser \u00AB Les Laboureurs \u00BB et le livre de pri\u00E8res. Sur sa partie gauche, le scapulaire porte l'image de Notre-Dame du Bon Conseil avec l'inscription Mater Boni Consili, \u00E0 droite, dans le m\u00EAme encadrement, l'injonction Fili acquiesce/ consiliis ejus/ Leo XIII., c'est-\u00E0-dire \u00AB\u00A0Fils, suivez ses conseils. L\u00E9on XIII\u00A0\u00BB, surmont\u00E9e de la tiare pontificale.\u00A0Le pape L\u00E9on XIII avait ajout\u00E9 l'invocation Mater Boni Consilii aux litanies de la Sainte Vierge et autoris\u00E9 les moines augustiniens \u00E0 porter un scapulaire d\u00E9di\u00E9 \u00E0 Notre-Dame du Bon Conseil avec d'un c\u00F4t\u00E9 l'image de la Madone de l'\u00E9glise de Genazzano, en Italie, et de l'autre, les inscriptions port\u00E9es par Henry sur son exemplaire tiss\u00E9. Aucune indication n'accompagne cependant l'\u00E9chantillon de scapulaire dans le livre de cartons de la maison Henry conserv\u00E9 dans les archives de la maison Prelle, \u00E0 Lyon, et il est donc impossible de savoir si cette r\u00E9alisation correspond \u00E0 une commande sp\u00E9cifique.\nMaximilien Durand"@fr . . .