. . "En 1881, la Chambre de Commerce de Lyon faisait l'acquisition, pour son mus\u00E9e d'Art et d'Industrie, d'une \u00AB \u00E9toffe d'une chasuble en soie broch\u00E9e or du com[mencemen]t du XIIIe si\u00E8cle, c\u00E9d\u00E9e par M. Compagnon de Clermont-Ferrand. Une inscription en chef de pi\u00E8ce conserve le nom du sultan pour lequel fut ex\u00E9cut\u00E9 ce riche tissu\u00A0\u00BB (livre d'inventaire du mus\u00E9e des Tissus). Elle avait \u00E9t\u00E9 port\u00E9e \u00E0 l'attention de Pierre Brossard, conservateur du mus\u00E9e, qui avait jug\u00E9 son acquisition indispensable pour les collections, et provenait\u00A0de la collection de L\u00E9on Compagnon, architecte de Clermont-Ferrand. Charles de Linas (1812-1887) avait \u00E9tudi\u00E9 et publi\u00E9 pour la premi\u00E8re fois l'\u00E9toffe, dans la Revue de l'Art chr\u00E9tien, en 1859 (tome 3, p. 251-262). Il avait alors confi\u00E9 la lecture de l'inscription tiss\u00E9e dans le chef de pi\u00E8ce \u00E0 Adrien de Longp\u00E9rier\u00A0(1816-1882), alors conservateur des antiques au mus\u00E9e du Louvre et c\u00E9l\u00E8bre orientaliste, qui y avait reconnu le nom du sultan \u2018Ala\u2019 al-Din Kay Qubad (1219-1237). En 1873, Charles de Linas, \u00E0 propos d'une \u00E9toffe conserv\u00E9e \u00E0 Rouen,\u00A0pr\u00E9cise que\u00A0le tissu de la collection Compagnon\u00A0est en sa possession : \u00AB Je poss\u00E8de un brocart, \u00E0 la l\u00E9gende d'Alaeddin Kei Cobad, fils de Kei Khosrou, sultan seljoucide de Konieh (1219-1237) ; or, les lions et les feuilles \u00E0 crochets que montre ce dernier tissu s'\u00E9cartent notablement, quant au style et \u00E0 l'ex\u00E9cution, de l'\u00E9toffe de Rouen, bien qu'on y reconnaisse la m\u00EAme \u00E9cole \u00BB (Revue de l'Art chr\u00E9tien, 1873, p. 21).\nErnest Pariset (1826-1912) a \u00E9tudi\u00E9 \u00E0 nouveau\u00A0cette \u00E9toffe lors d'une lecture \u00E0 l'Acad\u00E9mie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon dans la s\u00E9ance du 30 mai 1882. La lecture de l'inscription avait alors \u00E9t\u00E9 confirm\u00E9e\u00A0par Charles Schefer (1820-1898), pr\u00E9sident de l\u2019\u00C9cole des Langues orientales de Paris. L'identification\u00A0du sultan \u2018Ala\u2019 al-Din Kay Qubad (1219-1237) permettait \u00E0 Ernest Pariset de conclure sa lecture par ces mots : \u00AB Et, gr\u00E2ce \u00E0 la date que l'inscription nous permet d'\u00E9tablir, je puis dire que j'ai fix\u00E9 l'attention de l'Acad\u00E9mie non pas sur un simple tissu de soie, mais sur un monument du treizi\u00E8me si\u00E8cle qui va demeurer une des pi\u00E8ces capitales de notre Mus\u00E9e industriel si largement dot\u00E9 par la Chambre de commerce de Lyon. \u00BB\nL'\u00E9toffe, un samit fa\u00E7onn\u00E9 deux lats (li\u00E9s en serg\u00E9 de 2 lie 1, Z), a \u00E9t\u00E9 tiss\u00E9e sur une\u00A0cha\u00EEne en soie (poil de torsion Z, cuit)\u00A0brun or (fil pi\u00E8ce double, fil de liage simple ; proportion : 1 fil pi\u00E8ce pour un fil de liage ; d\u00E9coupure : 1 fil pi\u00E8ce double ; r\u00E9duction : 18/19 fil pi\u00E8ce par centim\u00E8tre), au moyen de deux trames, un premier lat en soie (assembl\u00E9 sans torsion apparente de deux bouts, cuit) cramoisie, un second en baudruche dor\u00E9e (lamelle enroul\u00E9e en Z autour d'une \u00E2me de soie Z, cuit, jaune ; proportion : 1 coup 1er lat, trame d'endroit, 1 coup 2e lat, trame d'envers, soit 1-2, 1-2, dans toute l'\u00E9toffe, except\u00E9e la bande avec inscription o\u00F9 l'on trouve des pass\u00E9es paires \u00E0 retour, soit 1-2, 2-1 ; d\u00E9coupure : 2 pass\u00E9es ; r\u00E9duction : 38-42 pass\u00E9es par centim\u00E8tre). Le registre contenant l'inscription \u00E9tait encadr\u00E9 par deux barrures de samit uni, comprenant chacune une bande or soulign\u00E9e par deux filets verts. Sur l'ensemble du tissage, les fils de liage croisent en serg\u00E9 de 2 lie 1 par pass\u00E9e. Les fils pi\u00E8ce s\u00E9parent en s'intercalant entre elles la trame d'endroit de la trame d'envers. Deux lisi\u00E8res sont conserv\u00E9es sur l'ensemble des morceaux, compos\u00E9es de cordelines (5 ou 6) en cordonnet de soie (retors S de 2 bouts) jaune orang\u00E9, fil triple (en bordure), double ou simple.\nLe d\u00E9cor, or sur fond cramoisi, pr\u00E9sente une succession de m\u00E9daillons tangents, dont la couronne est orn\u00E9e de rosettes.\u00A0Entre les m\u00E9daillons prend place une autre rosette, au milieu d'un entrelacs de tigelles supportant quatre grandes feuilles lanc\u00E9ol\u00E9es \u00E0 double crochet. Dans les m\u00E9daillons se dressent deux lions rampants adoss\u00E9s, priv\u00E9s de queue et\u00A0soud\u00E9s par l'arri\u00E8re-train,\u00A0dont les gueules affront\u00E9es laissent s'\u00E9chapper des rinceaux que l'on aper\u00E7oit aussi sous les membres post\u00E9rieurs des animaux\nQuatre fragments, soustraits \u00E0 la chasuble lyonnaise\u00A0pour rejoindre la collection de\u00A0Josep Pasc\u00F3, sont aujourd'hui conserv\u00E9s au Museu textil i d'indumentaria de Barcelone (inv. 23981 A \u00E0 D). L'analyse du colorant rouge qui a \u00E9t\u00E9 effectu\u00E9e sur ces fragments a r\u00E9v\u00E9l\u00E9 de la cochenille de racine (Porphyrophora sp.), mordanc\u00E9e \u00E0 l'alun.\nL'inscription, aujourd'hui fragmentaire, occupait certainement le chef de pi\u00E8ce de la laize de tissu. Elle peut \u00EAtre reconstitu\u00E9e ainsi : \u00AB [Le sultan tr\u00E8s haut, le Roi des Rois magnifiques, honneur\u00A0de ce monde] et de la Religion, le victorieux, Kay Qubad, fils de Kay Khusraw, preuve du Commandeur [des croyants...]\u00A0\u00BB M\u00EAme en supposant une titulature plus abr\u00E9g\u00E9e au d\u00E9but de l'inscription (qui ne comporterait pas la formule al-a\u2018zam shahinshah mais seulement as-sultan al mu\u2018azzam), le nom de Kay Qubad se situe obligatoirement sous le deuxi\u00E8me m\u00E9daillon en partant du bord droit de la laize. Par ailleurs, le mot al-mu\u2018minin manque \u00E0 gauche pour compl\u00E9ter la formule burhan amir al-mu\u2018minin (\u00AB\u00A0preuve du Commandeur des croyants \u00BB). Il est peu vraisemblable, par ailleurs, qu'il n'y ait pas eu de formule de b\u00E9n\u00E9diction apr\u00E8s la titulature, ce qui suppose l'existence d'un troisi\u00E8me m\u00E9daillon sur la gauche de l'\u00E9toffe, et donc une largeur totale de la laize d'environ cent cinq centim\u00E8tres (ou\u00A0un peu moins de cent quarante\u00A0si l'on restitue une suite de quatre m\u00E9daillons sur la largeur).\nL'\u00E9toffe du mus\u00E9e des Tissus est un des rares t\u00E9moignages de la production textile des Seldjoukides de Rum (ou d'Anatolie).\u00A0L'usage de baudruche dor\u00E9e, ainsi que le d\u00E9cor de roues habit\u00E9es, renvoient ici aux productions des draps d'or, dits panni tartarici, des Ilkhanides mongols. Mais la structure en samit de l'\u00E9toffe ainsi que le dessin des lions rampants, des rosettes ou des\u00A0feuilles stylis\u00E9es \u00E9voquent la tradition textile de l'Orient byzantin.\nLa qualit\u00E9 du tissage, la pr\u00E9ciosit\u00E9 des mat\u00E9riaux employ\u00E9s pour cette \u00E9toffe destin\u00E9e au sultan, expliquent qu'elle ait \u00E9t\u00E9 r\u00E9serv\u00E9, en Occident, \u00E0 un usage liturgique. L'inscription au nom de\u00A0Kay Qubad, utilis\u00E9e pour compl\u00E9ter la longueur de la chasuble, dans le dos, a n\u00E9anmoins \u00E9t\u00E9 plac\u00E9e dans le sens inverse de celui exig\u00E9 par la lecture, sans doute intentionnellement. D'autres \u00E9toffes produites sur le territoire des Seldjoukides de Rum ont \u00E9galement servi, en Occident, \u00E0 envelopper les reliques des saints, comme celles de saint Amand, dans la basilique Sankt Peter de Salzbourg (des fragments de cette \u00E9toffe sont aussi conserv\u00E9s au Cleveland Museum of Art, inv. 1950.2, et \u00E0 la Fondation Abegg, \u00E0 Riggisberg, inv. 1141) ou celles de saint Apollinaire, dans l'\u00E9glise Sankt Servatius de Siegburg (un fragment\u00A0de cette \u00E9toffe\u00A0est \u00E9galement conserv\u00E9 au Kunstgewerbe Museum de Berlin, inv. 81.475).\nTous pr\u00E9sentent des motifs d'animaux h\u00E9raldiques dans des m\u00E9daillons. L'\u00E9toffe du mus\u00E9e des Tissus, qui est la seule \u00E0 conserver une inscription, est \u00E9galement unique par son d\u00E9cor de lions rampants adoss\u00E9s. Le motif du lion est extr\u00EAmement courant dans l'art textile byzantin ou islamique, comme symbole du pouvoir. Il est probable cependant qu'il ait \u00E9t\u00E9 ici\u00A0tout particuli\u00E8rement privil\u00E9gi\u00E9, puisque Kay Qubad Ier semble en avoir fait un embl\u00E8me personnel, comme en t\u00E9moigne le d\u00E9cor des b\u00E2timents construits par lui, le Sultan Han \u00E0 Kayseri et le Alara Han \u00E0 Alanya, par exemple.\nMaximilien Durand"@fr . "2021-02-10T00:00:00"^^ .