"Sans \u00EAtre r\u00E9compens\u00E9 \u00E0 l'Exposition universelle de 1855, Michel-Marie Carquillat domine le portrait tiss\u00E9, sinon par l'inventivit\u00E9 technique, du moins par la ma\u00EEtrise du tissage des taffetas double-cha\u00EEne et par son extraordinaire capacit\u00E9 \u00E0 r\u00E9inventer les codes du genre. Ses r\u00E9ussites sont aussi attribuables \u00E0 l'orchestration soigneuse de sa propre promotion, depuis l'ex\u00E9cution du tableau figurant la Visite du duc d'Aumale \u00E0 la Croix-Rousse, dans l'atelier de M. Carquillat (inv. MT 24735), en 1844. Une lettre \u00E0 l'en-t\u00EAte de la Maison de l'Empereur, Service du Grand Mar\u00E9chal, envoy\u00E9e \u00E0 Carquillat le 4 f\u00E9vrier 1855 par l'adjudant g\u00E9n\u00E9ral Alexandre-Alban Rolin, l'indique : \u00AB Monsieur, vous avez r\u00E9cemment adress\u00E9 une r\u00E9clamation au sujet de deux tableaux en tissu de votre fabrication, que vous avez envoy\u00E9s pour \u00EAtre offerts \u00E0 Sa Majest\u00E9 l'Empereur, et que vous supposez n'avoir pas \u00E9t\u00E9 remis \u00E0 leur destination. J'ai l'honneur de vous informer que cette r\u00E9clamation concerne Monsieur le Ministre de la Maison de l'Empereur \u00E0 qui je viens de la transmettre, pour que Son Excellence y donne telle suite qu'elle jugera convenable. Recevez, Monsieur, mes salutations. Adjudant g\u00E9n\u00E9ral du Palais, Rolin \u00BB (Archives du mus\u00E9e des Tissus). Les deux tableaux en question sont les portraits de Napol\u00E9on III (inv. MT 25089.1 et MT 28362.1) et de son \u00E9pouse Eug\u00E9nie (inv. MT 25089.2 et MT 28362.2), mis en carte par Marc-Laurent Bruyas, comme l'indiquent les inscriptions Carquillat tex(uit)., \u00AB Carquillat l'a tiss\u00E9 \u00BB, et Bruyas del(ineauit)., \u00AB Bruyas l'a dessin\u00E9. \u00BB\nCarquillat envoie \u00E0 plusieurs reprises aux souverains des cours europ\u00E9ennes les nouvelles effigies r\u00E9alis\u00E9es. Les Archives du mus\u00E9e des tissus en conservent quelques t\u00E9moignages. Une lettre du Secr\u00E9tariat des Commandements de Sa Majest\u00E9, en date du 22 octobre 1858, informe Carquillat que, \u00AB conform\u00E9ment \u00E0 la r\u00E8gle \u00E9tablie \u00BB, \u00AB la demande d'audience (qu'il a) adress\u00E9e \u00E0 S(a) M(ajest\u00E9) l'Imp\u00E9ratrice \u00BB a \u00E9t\u00E9 transmise \u00AB \u00E0 S(on) Exc(ellence) le Grand Chambellan de l'Empereur. \u00BB Cette demande d'audience fait suite \u00E0 l'envoi du Portrait de la famille imp\u00E9riale, tiss\u00E9 en f\u00E9vrier 1858 (inv. MT 24591.8), d'apr\u00E8s une mise en carte de Bruyas, encore, et Saignemorte, comme l'indiquent les inscriptions : Saignemorte et Bruyas del(ineauerunt)., \u00AB Saignemorte et Bruyas l'ont dessin\u00E9 \u00BB, en bas de l'image \u00E0 gauche, et Carquillat tex(uit)., \u00AB Carquillat l'a tiss\u00E9 \u00BB, \u00E0 droite, compl\u00E9t\u00E9es par la l\u00E9gende, LA FAMILLE IMPERIALE, au centre, et la d\u00E9dicace, \u00E0 S. M. NAPOLEON III EMPEREUR DES FRAN\u00C7AIS/ par\u00A0Mel\u00A0Me Carquillat Lyon F\u00E9vrier MDCCCLVIII. \nCarquillat a d\u00E9j\u00E0 collabor\u00E9 avec ces deux dessinateurs pour la r\u00E9alisation du tableau all\u00E9gorique \u00C0 la Civilisation, pr\u00E9sent\u00E9 par la maison Verzier et\u00A0Cie \u00E0 l'Exposition universelle de 1855 (inv. MT 25615) et timbr\u00E9, d\u00E9j\u00E0, d'un portrait de Napol\u00E9on III en m\u00E9daille, encadr\u00E9 par les profils de la reine Victoria et de George Washington. Les deux portraits en buste, envoy\u00E9s \u00E0 la fin de l'ann\u00E9e 1854 \u00E0 la Maison de l'Empereur, et le Portrait de la famille imp\u00E9riale, de 1858, sont des reproductions d'\u0153uvres de Franz Xaver Winterhalter.\nLe 19 f\u00E9vrier 1859, c'est le ministre de la Maison du roi de Pi\u00E9mont-Sardaigne, Victor-Emmanuel II de Savoie, qui lui \u00E9crit\u00A0:\u00A0\u00AB Monsieur, je me suis fait un plaisir de mettre sous les yeux du Roi le tableau en soie ouvr\u00E9 \u00E0 la Jacquard, repr\u00E9sentant la famille imp\u00E9riale de France, que vous avez bien voulu remettre dans ce but \u00E0 M(onsieur) le Consul g\u00E9n\u00E9ral de Sardaigne. S(a) M(ajest\u00E9) a accueilli avec beaucoup de bienveillance cet \u00E9l\u00E9gant objet d'art. Et pour vous donner un t\u00E9moignage de Sa haute satisfaction. Elle a daign\u00E9 m'ordonner de vous envoyer la m\u00E9daille d'or ci-incluse. J'ob\u00E9is avec empressement \u00E0 cet ordre souverain et vous offre, Monsieur, mes f\u00E9licitations ainsi que l'assurance de ma parfaite consid\u00E9ration \u00BB (Archives du mus\u00E9e des Tissus).\nNapol\u00E9on III a d\u00E9j\u00E0 promis, \u00E0 cette date, son assistance militaire \u00E0 Victor-Emmanuel II en cas de conflit l'opposant \u00E0 l'empire d'Autriche, en contrepartie du comt\u00E9 de Nice et du duch\u00E9 de Savoie. Cet accord a \u00E9t\u00E9 n\u00E9goci\u00E9 lors de l'entrevue de Plombi\u00E8res-les-Bains, le 21 juillet 1858, entre Napol\u00E9on III et Camille Benso, comte de Cavour, pr\u00E9sident du conseil du royaume de Pi\u00E9mont-Sardaigne. Le mariage du prince Napol\u00E9on Bonaparte, cousin de l'Empereur, et de Marie-Clotilde de Savoie, la fille du roi de Pi\u00E9mont-Sardaigne, a \u00E9galement \u00E9t\u00E9 d\u00E9cid\u00E9 lors de cette entrevue. L'envoi du Portrait de la famille imp\u00E9riale dans un tel contexte est \u00E9loquent et confirme les talents de Carquillat comme entrepreneur et promoteur, d\u00E9j\u00E0 r\u00E9v\u00E9l\u00E9s dans la conception de La Visite du duc d'Aumale.\nEnhardi par la r\u00E9ponse du roi de Pi\u00E9mont-Sardaigne, et profitant de l'accession du souverain au tr\u00F4ne d'Italie en 1861, Carquillat fait envoyer le portrait de Victor-Emmanuel II qu'il s'est empress\u00E9 d'ex\u00E9cuter. Le 14 f\u00E9vrier 1862, le m\u00EAme ministre de la Maison du Roi lui \u00E9crit encore : \u00AB Monsieur, le Consul g\u00E9n\u00E9ral d'Italie \u00E0 Lyon m'a fait parvenir, il y a quelques jours, le joli tissu en soie repr\u00E9sentant l'effigie du roi que vous lui avez remis pour \u00EAtre offert \u00E0 S(a) M(ajest\u00E9). C'est avec plaisir que j'ai rempli cette honorable t\u00E2che et que je vous annonce, Monsieur, que Mon Auguste Souverain qui a d\u00E9j\u00E0 eu l'occasion d'appr\u00E9cier votre m\u00E9rite dans l'art que vous professez a accueilli avec bienveillance ce nouveau travail, et m'a fait l'honneur de me charger de bien vous en remercier en Son Nom. En ob\u00E9issant \u00E0 cet ordre, je vous transmets ci-joint un bijou que Sa Majest\u00E9 a bien voulu vous destiner. Recevez, Monsieur, avec mes compliments, la nouvelle assurance en ma parfaite consid\u00E9ration. \u00BB\nLes deux effigies en buste de Napol\u00E9on III et d'Eug\u00E9nie inaugurent une s\u00E9rie de portraits en buste, encadr\u00E9s de filets noirs, r\u00E9alis\u00E9s en collaboration avec l'un ou l'autre des dessinateurs, Marc-Laurent Bruyas ou Jacques Allardet. C'est ce dernier qui signe les portraits de l'empereur de Russie Alexandre II et son \u00E9pouse, Marie Alexandrovna, ex\u00E9cut\u00E9s apr\u00E8s la visite \u00E0 Lyon, en 1857, du grand-duc Constantin Nikola\u00EF\u00E9vitch, fr\u00E8re du tsar, et probablement avant 1860. Leurs portraits avaient \u00E9t\u00E9 diffus\u00E9s par les journaux illustr\u00E9s, reproduisant en gravure les premi\u00E8res photographies du tsar. Celui de Marie Alexandrovna, en revanche, est inspir\u00E9 par le tableau de Winterhalter peint en 1857 et conserv\u00E9 au mus\u00E9e de l'Ermitage, \u00E0 Saint-P\u00E9tersbourg. Allardet, toujours,\u00A0signe la mise en carte du second\u00A0Portrait de Pie IX que signe Carquillat. Radicalement diff\u00E9rent de celui prim\u00E9 \u00E0 l'Exposition nationale des produits de l'industrie agricole et manufacturi\u00E8re de 1849 (dont le mus\u00E9e des Tissus conserve un exemplaire original, inv. DET 438, et un retissage, effectu\u00E9 en 1865 par Carquillat, inv. MT 24579), il est la reproduction en tissage de la photographie diffus\u00E9e vers 1865 par le Studio D'Alessandri. Les deux fr\u00E8res Antonio et Paolo Francesco D'Alessandri furent les premiers autoris\u00E9s \u00E0 photographier le pape et sa cour, et les clich\u00E9s connurent une imm\u00E9diate notori\u00E9t\u00E9. Le Portrait de Guillaume Ier (inv. MT 28362.3) a \u00E9t\u00E9 \u00E9galement r\u00E9alis\u00E9 d'apr\u00E8s une photographie, apr\u00E8s sa proclamation comme Empereur d'Allemagne, en 1871. L'inscription, en lettres gothiques, indique : \u00AB Wilhelm I K\u00F6nig von Preussen,/ Kaiser von Deutschland \u00BB.\nLes portraits de Carquillat r\u00E9alis\u00E9s entre les ann\u00E9es 1855 et la fin des ann\u00E9es 1870 op\u00E8rent une mutation d\u00E9cisive. Le portrait tiss\u00E9 imite d\u00E9sormais laphotographie. Les filets noirs qui encadrent les bustes des souverains, d\u00E8s 1855, \u00E9voquent, en trompe-l'\u0153il, le \u00AB\u00A0nez \u00BB ou biseau de la marie-louise qui encadre les premiers daguerr\u00E9otypes et plus encore les cartons de montage des photo-cartes produites d\u00E8s 1854 par Adolphe-Eug\u00E8ne Disd\u00E9ri. Les inscriptions, leur disposition dans la large marge blanche, tout contribue \u00E0 parfaire l'illusion. \u00C0 partir de 1858, la production de ces photo-cartes rel\u00E8ve de la s\u00E9rie et investit la sph\u00E8re bourgeoise. L\u00E0 encore, le mim\u00E9tisme est \u00E9vident, puisque Carquillat envisage lui aussi des s\u00E9ries plus cons\u00E9quentes pour ces portraits produits dans la derni\u00E8re d\u00E9cennie du Second Empire.\nMaximilien Durand"@fr . "2021-02-10T00:00:00"^^ . . .