"2021-02-10T00:00:00"^^ . "Cette bordure, en velours simple corps brun coup\u00E9, fond satin jaune couleur d'or, est orn\u00E9e d'un courant de primev\u00E8res nu\u00E9es lilas et vert avec des ornements, le talon\u00A0comportant des culots. Le mus\u00E9e des Tissus conserve aussi l'esquisse \u00E0 la gouache de Jean-Fran\u00E7ois Bony pour\u00A0cette bordure (inv. MT 40476), ex\u00E9cut\u00E9e par la maison Dutillieu et Th\u00E9oleyre pour un salon de prince au Palais de Versailles. La soumission pour cette bordure destin\u00E9e \u00E0 une tenture et \u00E0 des rideaux d'un salon de prince au Palais de Versailles, pour les bordures pour si\u00E8ges qui l'accompagnaient et pour une tenture en taffetas fond blanc chin\u00E9 en plusieurs couleurs \u00E0 losanges form\u00E9s par un courant de lierre contenant quatre fleurs diff\u00E9rentes, destin\u00E9 \u00E0 dix salons du m\u00EAme Palais, est dat\u00E9e du 8 mars 1812. Elle fut accept\u00E9e par Alexandre Desmazis, administrateur du Mobilier imp\u00E9rial, le 10 mars et approuv\u00E9e le lendemain par Jean-Baptiste de Nomp\u00E8re de Champagny, duc de Cadore. Le temps accord\u00E9 pour la fabrication \u00E9tait de douze mois \u00E0 partir du jour de la r\u00E9ception de l'ordre d'ex\u00E9cution. Les \u00E9toffes \u00E9taient exp\u00E9di\u00E9es de Lyon le 31 mars 1813.\n\u00C0 la livraison, elles subirent les v\u00E9rifications d'usage et des \u00E9chantillons furent expos\u00E9s \u00E0 l'air et au soleil avec succ\u00E8s, du 15 avril au 15 mai 1813. Elles ne furent cependant jamais utilis\u00E9es sous l'Empire, ni m\u00EAme apr\u00E8s. Leur seule utilisation fut en 1910 \u00E0 la Malmaison, pour encadrer les rideaux et les porti\u00E8res du Salon de Musique de l'Imp\u00E9ratrice.\u00A0\nUne bibliographie r\u00E9cente veut que cette bordure soit \u00AB le prototype d'une nouvelle contexture cr\u00E9\u00E9e \u00E0 Lyon \u00E0 cette occasion, le velours Gandin. Pour cette commande, dat\u00E9e de 1812, le directeur du Garde-Meuble avait pri\u00E9 le fabricant Dutilleu (sic) et Th\u00E9oleyre de tenter d'introduire dans le velours des trames color\u00E9es permettant d'\u00E9voquer des fleurs de primev\u00E8re, ce qui ne s'\u00E9tait jamais fait auparavant, le d\u00E9cor des velours fa\u00E7onn\u00E9s \u00E9tant toujours d\u00FB \u00E0 une cha\u00EEne sp\u00E9ciale dite cha\u00EEne de poil. Apr\u00E8s moult essais infructueux, le chef d'atelier de cette maison trouva la solution ; cependant, quelque peu orgueilleux et plut\u00F4t bougon, il refusa toute explication. D\u00E9concert\u00E9s par cette attitude, les autres tisseurs se born\u00E8rent \u00E0 commenter dans leur jargon le r\u00E9sultat, en disant : il a trouv\u00E9 le gandin, ce qui signifiait : il a r\u00E9ussi. Le mot est rest\u00E9, et le terme gandin \u00E9galement, rempla\u00E7ant celui de velours sans pareil ou de velours liser\u00E9\u00A0\u00BB (Soies tiss\u00E9es, soies brod\u00E9es chez l'imp\u00E9ratrice Jos\u00E9phine, Rueil-Malmaison mus\u00E9e national des ch\u00E2teaux de Malmaison et de Bois-Pr\u00E9au, 2002, p. 26). La l\u00E9gende du chef d'atelier de la maison Dutillieu et Th\u00E9oleyre a \u00E9t\u00E9 reprise litt\u00E9ralement dans toutes les publications ult\u00E9rieures de cette bordure, d\u00E9sormais consid\u00E9r\u00E9e comme le prototype du \u00AB velours Gandin \u00BB. Nagu\u00E8re, la bordure a m\u00EAme \u00E9t\u00E9 d\u00E9crite comme un \u00AB velours chin\u00E9 par la trame dit velours Gandin \u00BB (Quand Lyon dominait le monde. Les soyeux lyonnais aux Expositions des produits de l'industrie nationale et aux Expositions universelles, 1798-1900, Lyon, 2010, p. 46), qualification erron\u00E9e bas\u00E9e sur une mauvaise interpr\u00E9tation du compte rendu de l'Exposition des produits de l'industrie fran\u00E7aise de 1823, durant laquelle Gabriel Dutillieu a \u00E9t\u00E9 gratifi\u00E9 d'une m\u00E9daille d'or. Le\u00A0Rapport sur les\u00A0produits de l'industrie fran\u00E7aise pr\u00E9sent\u00E9 au nom du jury\u00A0central \u00E0 S. E. M. le comte\u00A0Corbi\u00E8re, ministre secr\u00E9taire d'\u00C9tat de l'Int\u00E9rieur\u00A0publi\u00E9 par Louis-\u00C9tienne-Fran\u00E7ois H\u00E9ricart de Thury et Pierre-Henri Migneron, en 1824, sur cette Exposition rappelle, en effet,\u00A0que \u00AB M. Dutilleu (sic), \u00E0 Lyon (Rh\u00F4ne) est l'inventeur du r\u00E9gulateur (...) ; on lui doit aussi l'application de la chine par la trame, et une multitude de proc\u00E9d\u00E9s ing\u00E9nieux dont se sont empar\u00E9es toutes les fabriques de Lyon. Il a expos\u00E9 des velout\u00E9s, des \u00E9toffes figur\u00E9es, d'une ex\u00E9cution et d'un go\u00FBt parfaits ; des satins gaufr\u00E9s, des velours boucl\u00E9s et des velours pour gilets, de dessins tr\u00E8s recherch\u00E9s. Tous ces produits, qui sont d'une ex\u00E9cution parfaite et d'un go\u00FBt pur, annoncent un tr\u00E8s habile fabricant. M. Dutilleu (sic) avait re\u00E7u, en 1806, une m\u00E9daille d'argent ; le jury lui a d\u00E9cern\u00E9 une m\u00E9daille d'or\u00A0\u00BB (p. 67).\nGabriel Dutillieu (1757-1828) est, en effet, une grande figure de l'innovation pour la Fabrique lyonnaise du premier quart du XIXe si\u00E8cle. Son activit\u00E9 de fabricant d'\u00E9toffes de soie commence en 1786, quand il s'associe avec Jean Rostaing, Fran\u00E7ois Debard et Nicolas Th\u00E9oleyre. En 1795, Jean Rostaing se retire du commerce et la maison prend la raison sociale Debard, Dutillieu et Th\u00E9oleyre. Lors du passage \u00E0 Lyon du Premier Consul, c'est elle qui est choisie pour lui pr\u00E9senter un m\u00E9tier \u00E0 fa\u00E7onn\u00E9, mont\u00E9 dans les magasins du 8, quai Saint-Clair, et le 26 niv\u00F4se an X (16 janvier 1802), Napol\u00E9on Bonaparte assiste au tissage d'un \u00E9cran de velours coup\u00E9 double corps fond reps, timbr\u00E9 du chiffre \u00AB B \u00BB et orn\u00E9 d'un d\u00E9cor all\u00E9gorique comportant des cornes d'abondance, une couronne de laurier, des \u00E9pis et des trompettes de la Renomm\u00E9e, et accompagn\u00E9 de la l\u00E9gende \u00AB Fait en pr\u00E9sence du Premier Consul \u00E0 Lyon le 26 niv\u00F4se an X \u00BB, dont le mus\u00E9e des Tissus poss\u00E8de un exemplaire (inv. MT 23496).\nGabriel Dutillieu marque un int\u00E9r\u00EAt tout particulier, d\u00E8s cette p\u00E9riode, pour les perfectionnements qu'il\u00A0est possible d'apporter au m\u00E9tier \u00E0 tisser et les innovations possibles dans le tissage des fa\u00E7onn\u00E9s. Il\u00A0est en relation \u00E9troite avec Joseph-Marie Jacquard.\u00A0Il d\u00E9pose un brevet, le 20 novembre 1807, pour cinq ans, au b\u00E9n\u00E9fice de la maison Debard, Th\u00E9oleyre et Dutillieu, dont l'objet \u00E9tait la fabrication des \u00AB velours chin\u00E9s r\u00E9duits \u00BB, o\u00F9 \u00AB se trouve le m\u00E9rite d'imiter dans la fabrication la finesse du burin \u00BB. Le mus\u00E9e des Tissus poss\u00E8de plusieurs exemplaires de ces velours, r\u00E9alis\u00E9s selon ce proc\u00E9d\u00E9, sous la Restauration (inv. MT 2160.1, MT 2160.2 et MT 31508). Ce sont ces velours qui sont \u00E9voqu\u00E9s dans le compte rendu de l'Exposition des produits de l'industrie fran\u00E7aise de 1823.\nEn 1808, Fran\u00E7ois Debard se retire des affaires. La raison sociale de la maison devient Dutillieu et Th\u00E9oleyre. En 1809, Gabriel Dutillieu et Nicolas Th\u00E9oleyre d\u00E9posent un nouveau brevet de cinq ans pour une peluche de soie imitant la fourrure d'astrakan. \nC'est vers ce moment aussi que Gabriel Dutillieu met au point son invention du r\u00E9gulateur pour le tissage des \u00E9toffes de soie. Pour d\u00E9montrer l'efficacit\u00E9 de son invention, Gabriel Dutillieu fait r\u00E9aliser, en 1809,\u00A0une \u00E9toffe fa\u00E7onn\u00E9e \u00E0 d\u00E9cor all\u00E9gorique, repr\u00E9sentant Le G\u00E9nie de la Fabrique lyonnaise, dont le mus\u00E9e des Tissus conserve un exemplaire (inv. MT 2837). Gabriel Dutillieu n'a pas souhait\u00E9 prot\u00E9ger\u00A0cette invention par un brevet pour qu'elle profite \u00E0 la Fabrique, renon\u00E7ant ainsi aux b\u00E9n\u00E9fices qu'il pouvait en tirer. \nLorsque la crise de 1810 frappe la Fabrique lyonnaise, il\u00A0est d\u00E9sign\u00E9, avec Dominique Mottet de G\u00E9rando et Joseph Maill\u00E9, fabricant d'unis, et Edme-Jacques M\u00E9mo, fabricant d'\u00E9toffes de coton, pour exposer la situation au ministre de l'Int\u00E9rieur et lui remettre un M\u00E9moire dans lequel \u00E9tait pr\u00E9sent\u00E9e la situation de la Fabrique et les moyens d'y rem\u00E9dier. L'Empereur prit les mesures qu'on conna\u00EEt pour relever la Fabrique lyonnaise, tout en renouant avec son projet de remeubler Versailles. Parmi les fabricants s\u00E9lectionn\u00E9s pour fournir des meubles tiss\u00E9s pour l'am\u00E9nagement du Palais, Fournel p\u00E8re et fils, qui re\u00E7oit une seule commande, un damas bleu et or \u00E0 feuilles de lierre, couronnes de roses et papillon pour un premier salon de l'Empereur \u00E0 Versailles, s'engage, en 1811, \u00E0 r\u00E9aliser l'\u00E9toffe \u00AB sur les m\u00E9tiers \u00E0 r\u00E9gulateur dont Monsieur Dutillieu est l'inventeur et par le moyen desquels la hauteur de chaque partie du dessin est toujours parfaitement \u00E9gale. \u00BB En 1811, Dutillieu et Th\u00E9oleyre re\u00E7oivent \u00E9videmment aussi plusieurs commandes, dont certaines sont r\u00E9alis\u00E9es, \u00E0 la demande du Garde-Meuble, sur des m\u00E9tiers \u00E9quip\u00E9s du r\u00E9gulateur. La maison Dutillieu et Th\u00E9oleyre re\u00E7oit une indemnit\u00E9 suppl\u00E9mentaire pour l'utilisation de ces m\u00E9tiers \u00E0 r\u00E9gulateur, dans un souci imp\u00E9rial de promotion de l'innovation.\nC'est en 1812 qu'est r\u00E9alis\u00E9e la bordure en \u00AB velours Gandin \u00BB. Elle constitue, certes, un progr\u00E8s, mais notons que le 30 avril 1812, la maison J.-P. Seguin et Cie pr\u00E9sentait\u00A0une soumission pour des bordures en velours nu\u00E9e coup\u00E9 cisel\u00E9 et fris\u00E9, fond satin jaune, dessin \u00E0 \u00AB entrelacs de feuilles d'acanthe colori\u00E9e, au milieu une plante de marguerite \u00BB (Paris, Mobilier national, inv. GMMP 21276/1, GMMP 21 276/2, GMMP 21 276/3 et GMMP 21 276/4), qui pr\u00E9sentent exactement la m\u00EAme particularit\u00E9 technique, mais avec un velours cisel\u00E9 (\u00E0 la fois fris\u00E9 et cisel\u00E9). \nLa l\u00E9gende du chef d'atelier \u00AB orgueilleux \u00BB et \u00AB bougon \u00BB, avare de\u00A0renseignements sur les proc\u00E9d\u00E9s qu'il utilise, ne semble pas\u00A0\u00EAtre fond\u00E9e. Elle trouve son origine dans\u00A0le quatri\u00E8me tome du Dictionnaire g\u00E9n\u00E9ral des Tissus anciens et modernes de Jean Bezon, publi\u00E9 \u00E0 Lyon en 1859. L'auteur rapporte, dans une note de\u00A0bas de page : \u00AB Une maison de fabrique de Lyon avait \u00E9t\u00E9 charg\u00E9e par le Directeur du Garde-Meubles (sic) de Paris de l'ex\u00E9cution de certains dessins pour lesquels il fallait le secours d'une trame sp\u00E9ciale, afin de produire les liser\u00E9s sur fond satin et contournant les effets velours. Cette entente de tissus \u00E9tait alors sans pr\u00E9c\u00E9dent, et venait ainsi cr\u00E9er un nouveau genre d'\u00E9toffe. Il s'agissait donc de trouver les moyens de produire ces effets par ensemble ; c'est-\u00E0-dire de faire en m\u00EAme temps du velours, du satin et du liser\u00E9. Le chef de la maison de fabrique chargea plusieurs des ouvriers qu'il occupait de faire des essais pour atteindre le r\u00E9sultat d\u00E9sir\u00E9. On se livra \u00E0 une foule d'essais infructueux. Enfin, un chef d'atelier arriva, par un montage de m\u00E9tier sp\u00E9cial, \u00E0 r\u00E9soudre le probl\u00E8me propos\u00E9 ; c'est-\u00E0-dire, \u00E0 produire les effets que l'on avait voulu obtenir. Il para\u00EEtrait que ce chef d'atelier, peu communicatif de sa nature, fit myst\u00E8re des combinaisons \u00E0 l'aide desquelles il avait r\u00E9ussi ; on cherche inutilement \u00E0 le faire parler ; il persista dans son silence. C'est pour cela que les autres ouvriers, piqu\u00E9s de la r\u00E9serve de leur confr\u00E8re, se dirent entre eux : Il a trouv\u00E9 le gandin. L'expression de gandin, tout \u00E0 fait locale, mais significative dans sa trivialit\u00E9, voulait dire : Il a vaincu la difficult\u00E9. Quoi qu'il en soit, le mot de gandin fit fortune, si bien que l'on donna la d\u00E9nomination de velours gandin au genre de velours que nous d\u00E9crivons ici. Le fait que nous venons de relater \u00E0 propos de ce tissu se passa au commencement de ce si\u00E8cle \u00BB (p. 90). C'est presque mot pour mot l'anecdote qui a \u00E9t\u00E9 appliqu\u00E9e \u00E0 la description de la bordure de la maison Dutillieu et Th\u00E9oleyre.\nLes Archives nationales, pas plus que celle du Mobilier national, ne conservent d'ailleurs la trace de ce d\u00E9fi technique lanc\u00E9 par le directeur du Garde-Meuble. M\u00EAme sans \u00EAtre le prototype du velours Gandin, la bordure est une pi\u00E8ce remarquable par l'usage, inhabituel \u00E0 cette \u00E9poque, de\u00A0deux lats de lanc\u00E9 dont\u00A0un latt\u00E9, permettant l'ex\u00E9cution du courant de primev\u00E8res nu\u00E9es lilas et vert, conjointement \u00E0 l'ex\u00E9cution d'un velours coup\u00E9 sur fond satin. Le meuble livr\u00E9 r\u00E9serve le velours brun pour les ornements et les culots du talon. La dominante de la bordure est donc donn\u00E9e par le fond de satin jaune d'or, comme sur l'esquisse approuv\u00E9e par Alexandre-Th\u00E9odore Brongniart.\u00A0Sur l'exemplaire du mus\u00E9e des Tissus, c'est le velours coup\u00E9 qui constitue le fond de la bordure, les culots et les ornements apparaissant en satin jaune. Peut-\u00EAtre s'agit-il ici d'un essai, pour d\u00E9montrer l'efficacit\u00E9 du montage du m\u00E9tier ou pour \u00EAtre soumis au commanditaire.\nMaximilien Durand"@fr . . .