"2021-02-10T00:00:00"^^ . . . "Christophe-\u00C9lie Gantillon, marchand-fabricant d'\u00E9toffes de soie, sis au 63, quai Saint-Vincent, avait d\u00E9pos\u00E9 le 30 ao\u00FBt 1832 un brevet d'invention de quinze ans \u00AB pour un montage de m\u00E9tiers \u00E0 tisser propre \u00E0 reproduire tous les dessins. \u00BB L'ambition de Gantillon s'appliquait \u00E0 des \u00E9toffes broch\u00E9es sur fond satin, destin\u00E9es aux grandes tentures que le succ\u00E8s croissant des papiers peints venait concurrencer. Les r\u00E9sultats de ce brevet furent pr\u00E9sent\u00E9s \u00E0 la premi\u00E8re Exposition des produits de l'industrie fran\u00E7aise de la Monarchie de Juillet, qui ouvrit ses portes le 1er mai 1834 sur la place de la Concorde. Les \u00E9chantillons propos\u00E9s par Gantillon n'y obtinrent qu'une mention honorable du jury qui consigna dans son rapport les observations suivantes : \u00AB \u00C9toffes nouvelles broch\u00E9es pour ameublements et tentures, imitant le fini de la gravure, par des proc\u00E9d\u00E9s que M. Gantillon pr\u00E9tend \u00EAtre nouveaux. Le jury croit devoir attendre la sanction de l'exp\u00E9rience pour accorder \u00E0 l'exposant une r\u00E9compense sup\u00E9rieure. \u00BB Les auteurs du Mus\u00E9e industriel, publi\u00E9 en 1835, sont moins s\u00E9v\u00E8res : \u00AB M. Gentillon (sic) a pris, le 15 ao\u00FBt (sic) 1832, un brevet d'invention de 15 ans pour de nouveaux moyens de fabriquer des \u00E9toffes broch\u00E9es tout en soie, et destin\u00E9es \u00E0 servir comme tentures et dans les canap\u00E9s, fauteuils, chaises et autres objets d'ameublement. Celles qu'il avaient mises \u00E0 l'Exposition imitaient la gravure, et \u00E0 en voir les reliefs, on auraient dit qu'elles \u00E9taient peintes. Il peut ainsi figurer toutes sortes de sujets, tableaux d'histoire, paysages, portraits en miniature ou de grandeur naturelle, fleurs, fruits, etc. Comme d'un autre c\u00F4t\u00E9, M. Gentillon assure que ces nouvelles \u00E9toffes broch\u00E9es sont tr\u00E8s solides, il doit esp\u00E9rer que le go\u00FBt s'en r\u00E9pandra, et qu'il lui en sera fait des commandes qui le r\u00E9compenseront de sa d\u00E9couverte encore trop r\u00E9cente pour \u00EAtre appr\u00E9ci\u00E9e g\u00E9n\u00E9ralement. Si quelque chose est propre \u00E0 accro\u00EEtre cet espoir, c'est la d\u00E9cision du jury rendue \u00E0 son avantage : elle porte que son rapport fera une mention honorable de M. Gentillon. Nous lui eussions vu avec plaisir d\u00E9cerner une m\u00E9daille de bronze. La planche 22 \u00E0 24 peut donner une id\u00E9e assez exacte des difficult\u00E9s qu'\u00E0 vaincues avec un rare bonheur M. Gentillon. Ce dessin, repr\u00E9sentant la vue du lac de C\u00F4me, \u00E9tait destin\u00E9 \u00E0 faire le dossier d'un canap\u00E9. Les premiers plans avaient une vigueur de teinte tout \u00E0 fait remarquable ; les eaux \u00E9taient transparentes, et la perspective des fabriques vues dans le lointain avait toutes les qualit\u00E9s qu'on aurait exig\u00E9es dans un dessin au bistre ou \u00E0 l'aquarelle. Dans chacune de ces parties, les transitions \u00E9taient non seulement parfaitement m\u00E9nag\u00E9es, mais les nuances d'une teinte \u00E0 l'autre \u00E9taient aussi imperceptibles. En un mot, M. Gentillon a trait\u00E9 son invention en manufacturier et en artiste habile. \u00BB En 1839, ann\u00E9e o\u00F9 se tient l'Exposition suivante, Gantillon r\u00E9alise le Portrait du duc de Chambord, dont le mus\u00E9e des Tissus poss\u00E8de trois exemplaires (inv. MT 24263, MT 24629.2 et MT 27278). Gantillon esp\u00E9rait promouvoir son proc\u00E9d\u00E9, notamment au niveau national, et montrer son application au domaine du portrait. Malheureusement, il figure l'opposant l\u00E9gitimiste au nouveau gouvernement de Louis-Philippe, qui inaugure l'Exposition... Le portrait figure le petit-fils du roi Charles X et s'inspire d'une lithographie d'Antoine Maurin et Louis Letronne, ex\u00E9cut\u00E9e \u00E0 partir d'un dessin r\u00E9alis\u00E9 d'apr\u00E8s nature, durant l'exil du prince \u00E0 Prague, par Letronne. On doutait que le proc\u00E9d\u00E9 de Gantillon constitu\u00E2t une authentique innovation, plut\u00F4t que la combinaison de principes d\u00E9j\u00E0 connus. L'inventeur multiplie les tentatives pour prouver qu'il s'agit d'une invention v\u00E9ritable. Le Portrait du duc de Chambord porte l'inscription tiss\u00E9e \u00AB PAR GANTILLON, BREVETE./ LYON, 1839 \u00BB. Depuis Philippe de Lasalle, les fabricants signent les portraits tiss\u00E9s qu'ils r\u00E9alisent, mais c'est la premi\u00E8re fois que le brevet prot\u00E9geant une invention est ainsi mentionn\u00E9. Le Rapport de l'Exposition de 1839 ne cite pas Gantillon. En 1844, il n'est pas autoris\u00E9 \u00E0 concourir, sous pr\u00E9texte que les mod\u00E8les propos\u00E9s, la Vue du lac de C\u00F4me, la Vue des environs de Naples, le Temple de Jupiter, Ganym\u00E8de, \u00E9taient d\u00E9j\u00E0 connus du public. En 1849, Gantillon obtient une nouvelle mention honorable \u00E0 l'Exposition nationale des produits de l'industrie agricole et manufacturi\u00E8re. Mais, depuis 1834, le jury ne semble pas avoir obtenu \u00AB la sanction de l'exp\u00E9rience \u00BB attendue : \u00AB Il a expos\u00E9 un paysage tiss\u00E9 sur satin, qui repr\u00E9sente une vue du lac de C\u00F4me. M. Gantillon annonce que pour la fabrication de ce genre d'\u00E9toffe il a trouv\u00E9 un proc\u00E9d\u00E9 qui permet de reproduire le m\u00EAme dessin dans des dimensions plus ou moins grandes. Le jury n'a pas \u00E9t\u00E9 \u00E0 m\u00EAme de juger le m\u00E9rite de ce proc\u00E9d\u00E9 qui ne lui a pas \u00E9t\u00E9 soumis. Il y a d\u00E9j\u00E0 longtemps que les \u00E9toffes expos\u00E9es sont connues, mais jusqu'ici elles n'ont pas encore \u00E9t\u00E9 go\u00FBt\u00E9es par la consommation, ce qu'il faut probablement attribuer \u00E0 leur prix \u00E9lev\u00E9. \u00BB L'innovation de Gantillon ne conna\u00EEt pas le succ\u00E8s esp\u00E9r\u00E9 et le fabricant subit alors plusieurs infortunes. La commande qu'il avait sollicit\u00E9e au Garde-Meuble est rest\u00E9e sans suite. Des \u00E9chantillons de ses nouvelles tentures avec \u00E9t\u00E9 pr\u00E9sent\u00E9s \u00E0 l'empereur de Russie Nicolas Ier. Apr\u00E8s les avoir examin\u00E9s, le tsar r\u00E9pondit \u00AB qu'aussit\u00F4t qu'on lui pr\u00E9senterait un grand sujet historique en panneaux de tenture, il commettrait imm\u00E9diatement pour l'ameublement d'un palais. \u00BB Mais Gantillon ne disposait pas d'un tel sujet. Il tente une ultime tentative pour faire reconna\u00EEtre son invention \u00E0 l'occasion de la premi\u00E8re Exposition universelle qui se tient \u00E0 Londres en 1851. Il publie une Notice sur les grandes tentures historiques broch\u00E9es sur fond satin-soie, qu'il adresse aux membres du grand jury de l'Exposition, o\u00F9 il a pr\u00E9vu de pr\u00E9senter ses \u00E9toffes. Il y \u00E9num\u00E8re les traits les plus remarquables de son invention. \u00AB Les sujets que l'on d\u00E9sirera reproduire en tenture pourront \u00EAtre repr\u00E9sent\u00E9s depuis la miniature jusqu'aux plus grandes proportions ; c'est-\u00E0-dire, pour \u00EAtre plus explicite, le m\u00EAme sujet pourra \u00EAtre reproduit en plusieurs dimensions depuis un m\u00E8tre jusqu'\u00E0 quatre m\u00E8tres ; ce qui permettra de satisfaire, avec le m\u00EAme sujet, toutes les exigences des appartements, en conservant toujours, quelle que soit sa dimension, la m\u00EAme finesse et les m\u00EAmes perfections que les \u00E9chantillons expos\u00E9s. [...] Un graveur ne peut pas produire des exemplaires plus grands que sa matrice, c'est un fait reconnu ; par ma nouvelle fabrication, quand un sujet quelconque aura \u00E9t\u00E9 transport\u00E9 sur ma matrice, le m\u00EAme sujet pourra \u00EAtre reproduit depuis un m\u00E8tre jusqu'\u00E0 quatre m\u00E8tres carr\u00E9s et plus. [...] Cette fabrication reproduira en \u00E9toffes broch\u00E9es la gravure [...] sans perdre le caract\u00E8re de tissu qu'elle doit toujours conserver. [...] Ind\u00E9pendamment de l'\u00E9l\u00E9gance, de la magnificence et de la beaut\u00E9 des sujets que ces tentures reproduiront, elles seront d'une solidit\u00E9 \u00E0 pouvoir \u00EAtre bross\u00E9es et baguett\u00E9es comme une \u00E9toffe de drap. \u00BB Afin de pr\u00E9venir les remarques sur le co\u00FBt de ses pi\u00E8ces, il indique : \u00AB Le prix des tentures variera en fonction de la reproduction des sujets ce qui est incontestable : ainsi celui qui d\u00E9sirera un sujet unique, fait expr\u00E8s pour lui, reproduisant un souvenir de famille, par exemple, ne pouvant pas \u00EAtre reproduit par d'autres, co\u00FBtera beaucoup plus qu'un sujet national qui pourra se reproduire plusieurs fois, tandis qu'un panneau de tenture des Gobelins co\u00FBtera toujours le m\u00EAme prix, que le sujet soit unique ou non ; il faudra toujours \u00E0 cette manufacture le m\u00EAme nombre d'ann\u00E9es et la m\u00EAme somme d'argent pour le produire. \u00BB L'int\u00E9r\u00EAt manifest\u00E9 par le jury de l'Exposition des produits de l'industrie fran\u00E7aise de 1839 pour le Portrait de Jacquard pr\u00E9sent\u00E9 par la maison Didier-Petit et Cie et le succ\u00E8s ult\u00E9rieur de ce tissage avaient sans doute laiss\u00E9 quelque amertume \u00E0 Gantillon. Il explique donc pourquoi son proc\u00E9d\u00E9 est sup\u00E9rieur : \u00AB L'industrie lyonnaise a cr\u00E9\u00E9 des sujets tiss\u00E9s faisant tableau, comme celui de Jacquard, qui a \u00E9t\u00E9 port\u00E9 en Chine par notre d\u00E9l\u00E9gu\u00E9 comme sujet capital de la fabrication lyonnaise ; tandis que cette cr\u00E9ation, qui est admirablement tiss\u00E9e comme fabrication, n'est utile \u00E0 rien, n'a aucun emploi s\u00E9rieux, que celui d'\u00EAtre encadr\u00E9 comme son original dont elle est une simple copie, et qui a \u00E9t\u00E9 oblig\u00E9e de faire des efforts inou\u00EFs de fabrication pour se d\u00E9naturer et pour imiter un sujet inf\u00E9rieur \u00E0 sa composition, puisqu'elle n'imite purement et simplement qu'une feuille de papier grav\u00E9e [...] : dans la mienne, tout en reproduisant la gravure, je lui ai conserv\u00E9 un emploi remarquable, ainsi que son caract\u00E8re de tissu. \u00BB Quand se tient l'Exposition universelle, c'est encore le dossier de canap\u00E9 avec une vue du lac de C\u00F4me qu'il expose, avec une Vue des environs de Naples. Un Portrait de Napol\u00E9on Ier y figurait probablement, dont le mus\u00E9e des Tissus poss\u00E8de deux exemplaires (inv. MT 25214 et MT 24591.1), simplement sign\u00E9s \u00AB C. E. G. \u00BB Comme avec le Portrait du duc de Chambord r\u00E9alis\u00E9 une dizaine d'ann\u00E9es auparavant, Gantillon veut prouver la diversit\u00E9 des applications de son proc\u00E9d\u00E9, \u00AB qui a atteint, sans perdre le caract\u00E8re de tissu, la reproduction de la nature, en la transportant sur \u00E9toffes broch\u00E9es et dans la m\u00EAme perfection que la gravure. \u00BB Cette fois, il choisit son sujet en conformit\u00E9 avec l'av\u00E8nement d'un nouveau gouvernement... Cette adaptation du r\u00E9pertoire au contexte politique est \u00E9galement sensible dans la Notice qu'il envoie aux membres du grand jury : il dresse \u00E0 titre d'exemple une liste de sujets qui pourraient trouver une illustration sur de grandes tentures broch\u00E9es sur fond satin. On y trouve un paysage (la vue du quai Saint-Antoine, \u00E0 Lyon), une sc\u00E8ne historique (Richelieu remontant le Rh\u00F4ne), cinq sc\u00E8nes religieuses (la Fuite en \u00C9gypte, la Destruction de Ninive, le Christ au Calvaire, le dernier soupir du Christ, le Jugement dernier) et deux \u00E9pisodes de la geste napol\u00E9onienne (la Bataille d'Austerlitz et les pestif\u00E9r\u00E9s de Jaffa). Les espoirs de Gantillon furent encore une fois d\u00E9\u00E7us. Dans les quelques lignes qu'il adressait, en introduction de sa Notice, aux membres du grand jury, il avait annonc\u00E9 qu'il renoncerait \u00E0 faire reconna\u00EEtre son invention \u00E0 l'issue de l'Exposition londonienne, dans le cas o\u00F9 ses pi\u00E8ces ne seraient pas r\u00E9compens\u00E9es : \u00AB Apr\u00E8s cette \u00E9preuve, qui sera la derni\u00E8re pour cette fabrication, si elle n'est ni appuy\u00E9e ni approuv\u00E9e par vous, Messieurs, qui en serez les arbitres, j'aurai au moins la satisfaction de pouvoir dire que j'ai tout fait pour faire comprendre l'utilit\u00E9 de cette fabrication, qui a la facilit\u00E9 de pouvoir ex\u00E9cuter de grandes choses. N'ayant pas r\u00E9ussi, aucun reproche ne pourrait m'\u00EAtre adress\u00E9 si elle \u00E9tait perdue pour l'art du tissage. \u00BB Gantillon enseigna la th\u00E9orie du tissage pour subsister. Il publia, en 1859, \u00E0 Paris et \u00E0 Lyon, un Trait\u00E9 complet de la fabrication des \u00E9toffes de soie analys\u00E9e degr\u00E9 par degr\u00E9 dans toutes les phases o\u00F9 la soie a pass\u00E9 depuis son origine jusqu'\u00E0 son enti\u00E8re ex\u00E9cution en \u00E9toffes fabriqu\u00E9es. En 1865, il tentait encore, par l'envoi d'un \u00AB rapport sur les gobelins de Lyon, broch\u00E9s sur fond de reps [...] dont il est le cr\u00E9ateur \u00BB de convaincre la Soci\u00E9t\u00E9 industrielle de Mulhouse d'en attirer la fabrication dans cette ville... Gantillon esp\u00E9rait qu'on lui command\u00E2t de grandes tentures pr\u00E9sentant des sujets broch\u00E9s trait\u00E9s comme des gravures. Il ne put convaincre ses contemporains qu'il saurait transposer le format des \u00E9chantillons comme le dossier de canap\u00E9 avec la vue du lac de C\u00F4me \u00E0 grande \u00E9chelle. Il ne r\u00E9ussit pas non plus \u00E0 susciter l'enthousiasme avec son proc\u00E9d\u00E9. Les succ\u00E8s remport\u00E9s par Maisiat en 1827 avec le Testament de Louis XVI (inv. MT 7915) et ceux promis au Portrait de Jacquard (inv. MT 2264 et MT 42157) de la maison Didier-Petit et Cie, pr\u00E9sent\u00E9 en 1839, laissaient sans doute peu de place \u00E0 d'autres types de trompe-l'\u0153il.\nMaximilien Durand"@fr .