. . "2021-02-10T00:00:00"^^ . "N\u00E9 au Havre en 1877, Raoul Dufy embrasse une carri\u00E8re de peintre apr\u00E8s s\u2019\u00EAtre form\u00E9 aux \u00E9coles des Beaux-Arts de sa ville natale puis de Paris, \u00E0 partir de 1900. Son \u0153uvre puise alors dans les diff\u00E9rents courants esth\u00E9tiques de la peinture de son \u00E9poque, en particulier le cubisme. Sous l\u2019influence combin\u00E9e de Paul C\u00E9zanne et de Paul Gauguin \u2014 dont Dufy d\u00E9couvre les bois grav\u00E9s en 1906 \u2014 son travail se porte sur les arts d\u00E9coratifs \u00E0 partir de 1910. En mars 1911 para\u00EEt le recueil de Guillaume Apollinaire, Le Bestiaire ou Cort\u00E8ge d\u2019Orph\u00E9e, dont Dufy a r\u00E9alis\u00E9 les illustrations. Il s\u2019agit de lithographies ayant chacune pour sujet un animal du cort\u00E8ge. Les gravures sur bois de fil utilis\u00E9es pour cet ouvrage vont \u00EAtre d\u00E9terminantes dans l\u2019\u0153uvre textile du peintre. Le recours \u00E0 cette technique m\u00E9di\u00E9vale lui apprend \u00E0 r\u00E9partir les vides et les pleins dans un cadre donn\u00E9 ; il joue avec les oppositions de noir et blanc pour sugg\u00E9rer la lumi\u00E8re et le volume. Tirant parti de leurs possibilit\u00E9s graphiques r\u00E9duites, Dufy prolonge ses recherches cubistes de 1906-1909 et poursuit un chemin qui le conduit inexorablement \u00E0 l\u2019ornementation. \nGr\u00E2ce \u00E0 Maurice de Vlaminck, avec qui il avait expos\u00E9 quelques toiles en 1905 au Salon d\u2019Automne, Dufy fait la connaissance du plus c\u00E9l\u00E8bre couturier de la Belle \u00C9poque : Paul Poiret, surnomm\u00E9 \u00AB le Magnifique \u00BB. Son go\u00FBt est moderne et s\u00FBr, il aime s\u2019entourer de nombreux artistes. Il soup\u00E7onne le talent et l\u2019envie de Dufy de cr\u00E9er pour les arts d\u00E9coratifs. Le couturier lui propose de s\u2019associer avec lui pour monter un petit atelier d\u2019impression sur \u00E9toffe \u2014 surnomm\u00E9 plus tard par le peintre la \u00AB Petite Usine \u00BB. \u00C0 l\u2019aide d\u2019un chimiste que Poiret engage du m\u00EAme coup, Dufy r\u00E9alise, \u00E0 la main et \u00E0 l\u2019aide de planches grav\u00E9es, des tissus imprim\u00E9s dont les motifs s\u2019inspirent de la Wiener Werkst\u00E4tte et des animaux du Bestiaire. Il apprend ainsi de mani\u00E8re empirique les techniques de la teinture localis\u00E9e, qu\u2019il fixe sur le tissu avec des produits chimiques. Poiret finance le projet et utilise les tissus mais n\u2019intervient pas dans la cha\u00EEne de production. Son audace de couturier et sa g\u00E9n\u00E9rosit\u00E9 vont permettre \u00E0 Dufy de s\u2019exprimer sur l\u2019\u00E9toffe de la mani\u00E8re la plus libre qui soit. \nCe sont ces qualit\u00E9s techniques alli\u00E9es au style color\u00E9 et vif de Dufy qui s\u00E9duisent le soyeux Charles Bianchini, repr\u00E9sentant \u00E0 Paris de la maison lyonnaise Atuyer-Bianchini-F\u00E9rier. Il propose au peintre de l\u2019engager comme dessinateur-textile attach\u00E9 \u00E0 l\u2019entreprise ; celui-ci devra, pendant toute la dur\u00E9e de son contrat de trois ans, lui livrer ses esquisses et ses mises au net chaque semaine. La collaboration de Dufy pour l\u2019industrie textile commence le 1er avril 1912 (le contrat est sign\u00E9 le 1er mars). Dufy travaille alors dans les locaux de la maison avenue de l\u2019Op\u00E9ra \u00E0 Paris. \u00C0 la fin de ce premier contrat de trois ans, il d\u00E9m\u00E9nage impasse de Guelma dans son propre atelier. En 1919, il signe un nouveau contrat d\u2019exclusivit\u00E9 de trois ans, qu\u2019il renouvelle jusqu\u2019en 1928. \nGr\u00E2ce \u00E0 Charles Bianchini, le dialogue entre dessinateur et industriel rena\u00EEt. Dufy saisit rapidement les tenants et les aboutissants des contraintes de l\u2019industrie, et r\u00E9alise des maquettes en cons\u00E9quence. Son dessin spontan\u00E9, color\u00E9 et parfois na\u00EFf, contribue \u00E0 changer de mani\u00E8re significative l\u2019esth\u00E9tique de la Fabrique. Dans un premier temps, Dufy r\u00E9utilise ses bois grav\u00E9s du Bestiaire ; il change parfois certains \u00E9l\u00E9ments et leur disposition dans l\u2019espace quand les besoins de l\u2019industrie et du commerce l\u2019imposent. \nJusqu\u2019en 1919, Dufy con\u00E7oit des motifs exclusivement pour le tissu d\u2019habillement. \u00C0 cette date, la maison d\u00E9cide d\u2019ouvrir un rayon d\u2019\u00E9toffes d\u2019ameublement et Dufy peut alors couvrir d\u2019arabesques et de fleurs les int\u00E9rieurs contemporains. En plus des motifs floraux ou exotiques qui jalonnent la production de l\u2019artiste pour Bianchini-F\u00E9rier (la maison change de raison sociale \u00E0 la mort de Pierre-Fran\u00E7ois Atuyer le 26 d\u00E9cembre 1912), Paris est un th\u00E8me privil\u00E9gi\u00E9. Il le traite aussi bien dans ses productions textiles que dans ses toiles et aquarelles. En remettant au go\u00FBt du jour les vues de monuments de la capitale qui avaient contribu\u00E9 au succ\u00E8s de la toile de Jouy, Dufy participe au renouvellement du style du XVIIIe si\u00E8cle, encore exploit\u00E9 par la Fabrique au d\u00E9but du XXe si\u00E8cle. \nLe motif de Paris ou Coin de fen\u00EAtre est cr\u00E9\u00E9 en ao\u00FBt 1923 pour \u00EAtre \u00E9dit\u00E9 en damas meuble sous le num\u00E9ro de patron B.F. 15837. Voici comment le d\u00E9crit Christian Zervos dans Les Arts de la maison (printemps-\u00E9t\u00E9 1925) : \u00AB D\u2019autres fois, il nous montre Paris \u00E0 travers une fen\u00EAtre encadr\u00E9e de fleurs, orn\u00E9e de cages et de bocaux de poissons rouges. Cet homme qui a visit\u00E9 les cit\u00E9s des hommes, c\u2019est de cette fen\u00EAtre ouverte sur Paris qu\u2019il semble le mieux contempler le monde. On l\u2019y voit r\u00EAver sur le pass\u00E9 et le pr\u00E9sent : Notre-Dame et la Tour Eiffel. \u00BB \nDufy s\u2019inspire des Monuments de Paris de Louis-Hippolyte Lebas, r\u00E9alis\u00E9 en 1816 par la manufacture d\u2019Oberkampf \u00E0 Jouy-en-Josas. Sur cette tenture chaque b\u00E2timent est inscrit dans un tableautin ou un m\u00E9daillon trait\u00E9 dans le go\u00FBt n\u00E9oclassique \u2014 support\u00E9 par des renomm\u00E9es tenant des couronnes de laurier et surmont\u00E9 de troph\u00E9es. Chacun d\u2019eux est repr\u00E9sent\u00E9 de face, suivant une perspective math\u00E9matique rigoureuse. Loin d\u2019adopter la composition rigide du XIXe si\u00E8cle, Dufy dessine une vue de Notre-Dame et de la tour Eiffel toutes deux inscrites dans une ouverture elliptique. Les monuments sont trait\u00E9s de fa\u00E7on tr\u00E8s simple, \u00E0 la mani\u00E8re de silhouettes. La vieille cath\u00E9drale et la Dame de fer apparaissent \u00E0 travers une fen\u00EAtre bord\u00E9e de rideaux de tulle, dot\u00E9e d\u2019un balcon en fer forg\u00E9 aux ornements contourn\u00E9s. Le peintre fait peu de cas de la perspective euclidienne, car selon lui \u00AB il n\u2019y a que des couleurs dont les rapports entre eux cr\u00E9ent l\u2019espace et c\u2019est tout \u00BB (Pierre Courthion, \u00AB Mes conversations avec le peintre \u00BB pr\u00E9face du catalogue Raoul Dufy, Gen\u00E8ve, mus\u00E9e d\u2019Art et d\u2019Histoire, 1952). Chaque vue est entour\u00E9e d\u2019une somptueuse composition de lys, d\u2019amaryllis et de roses. \u00C0 l\u2019int\u00E9rieur de cette pi\u00E8ce au d\u00E9cor onirique sont pos\u00E9s sur une table ronde une cage contenant un oiseau, un bocal avec deux poissons et un livre ouvert. La nappe est orn\u00E9e de fleurs stylis\u00E9es que l\u2019esth\u00E9tique rapproche des premi\u00E8res cr\u00E9ations textiles du peintre. Elle rappelle les liens qui unissent ses premiers motifs \u00E0 la gravure sur bois. Cette partie du dessin d\u00E9rive en partie d\u2019une des planches du Bestiaire. Le Chat repr\u00E9sentait l\u2019animal face au spectateur se tenant sur une table en compagnie d\u2019un livre, d\u2019une lampe \u00E0 huile et d\u2019un vase. Pour le tissu, le peintre adapte la gravure et conserve certains \u00E9l\u00E9ments, \u00E0 savoir le livre ouvert et le vase \u2014 qui contient d\u00E9sormais des fleurs naturalistes. Il ajoute un oiseau en libert\u00E9 s\u2019envolant par la fen\u00EAtre \u00E0 gauche et supprime la lampe. Le d\u00E9cor de la nappe sur la gravure Le Chat sert \u00E0 l\u2019\u00E9laboration du premier dessin de Dufy pour le textile, traduit en fa\u00E7onn\u00E9 par Atuyer-Bianchini-F\u00E9rier en 1910. Sur le tissu Paris, la stylisation des fleurs de la nappe contraste avec le naturalisme de celles qui les entourent. \nApr\u00E8s 1919 Dufy abandonne peu \u00E0 peu les mani\u00E8res cubistes et fauves pour une ligne plus souple, sans sacrifier \u00E0 la pose des couleurs ; il les dissocie du trait pour donner aux corolles des p\u00E9tales une allure baroque et faire vibrer la lumi\u00E8re. \u00C0 l\u2019\u00E9poque o\u00F9 il con\u00E7oit ce tissu, Dufy ex\u00E9cute pour Bianchini-F\u00E9rier ses plus belles aquarelles au motif de roses. Le mus\u00E9e des Tissus de Lyon conserve ainsi un carr\u00E9 de soie noir \u00E0 d\u00E9cor lam\u00E9 or (inv. MT 34350) repr\u00E9sentant des bouquets de roses \u00E9panouies. Leur traitement sur cette \u0153uvre de 1925 se rapproche de celui du dessin de Paris. Les fleurs, motif s\u00E9culaire de la production textile lyonnaise, sont privil\u00E9gi\u00E9es par l\u2019artiste dans nombre de ses compositions. Il aime les disposer en semis, en jet\u00E9 ou en bouquet sur la surface du tissu. Elles sont parfois combin\u00E9es \u00E0 des sc\u00E8nes vivantes illustrant les plaisirs de la vie mondaine, \u00E0 l\u2019image de l\u2019exemplaire fa\u00E7onn\u00E9 Longchamp, conserv\u00E9 lui aussi au mus\u00E9e des Tissus (inv. MT 30192). Le choix de Paris combin\u00E9 \u00E0 cette exub\u00E9rance florale fait de ce tissu un exemple particulier de la joie de vivre qui qualifie l\u2019\u0153uvre enti\u00E8re de Dufy. \nParis et sa soci\u00E9t\u00E9 mondaine, avide de plaisirs et de loisirs, sont fr\u00E9quemment choisis comme sujets pour des compositions textiles apr\u00E8s 1920. Vers 1923 l\u2019artiste r\u00E9alise un projet pour un foulard sur lequel sont dispos\u00E9s, comme flottant dans l\u2019espace, les principaux monuments de la capitale avoisinant de grosses roses \u00E9panouies. Le 11 f\u00E9vrier 1925, l\u2019\u00C9tat commande \u00E0 Dufy un projet de mobilier comprenant quatre chaises, deux fauteuils, un canap\u00E9, puis deux fauteuils et deux berg\u00E8res. C\u2019est pour le peintre une nouvelle occasion de traiter le th\u00E8me de Paris. L\u2019ensemble doit \u00EAtre ex\u00E9cut\u00E9 par la manufacture de Beauvais et fait aujourd\u2019hui partie des collections du Mobilier national. \nLa d\u00E9cision d\u2019introduire le modernisme dans la manufacture \u2014 encore largement tributaire des \u0153uvres et des m\u00E9thodes du XVIIIe si\u00E8cle \u2014 justifie le choix d\u2019un artiste comme Raoul Dufy pour r\u00E9aliser les cartons. Pour le d\u00E9cor des dossiers des fauteuils, il renouvelle la composition de Paris et ex\u00E9cute des vues de monuments de la capitale depuis une fen\u00EAtre similaire \u00E0 celle qui figure sur le tissu. Cette pi\u00E8ce est entr\u00E9e dans les collections du mus\u00E9e en 1926, suite \u00E0 un don de la maison Bianchini-F\u00E9rier comprenant en tout trois tissus fabriqu\u00E9s d\u2019apr\u00E8s Raoul Dufy. Il s\u2019agissait d\u2019\u0153uvres majeures, pr\u00E9sent\u00E9es \u00E0 l\u2019Exposition internationale des Arts d\u00E9coratifs et industriels modernes de Paris en 1925. Les Coquillages (inv. MT 30374) avaient servi \u00E0 Paul Poiret \u00E0 l\u2019\u00E9laboration d\u2019une robe du soir pr\u00E9sent\u00E9e dans sa p\u00E9niche Orgues lors de cette manifestation. Le couturier avait aussi utilis\u00E9 Les \u00C9l\u00E9phants (inv. MT 30372) pour la confection d\u2019un manteau en 1923. Les tissus de Dufy pr\u00E9sent\u00E9s par la maison Bianchini-F\u00E9rier sont particuli\u00E8rement remarqu\u00E9s et mentionn\u00E9s dans les rapports de l\u2019Exposition. Les conservateurs et sp\u00E9cialistes du textile soulignent leur modernit\u00E9 parmi la production contemporaine, tout en insistant sur les rapports qu\u2019entretient le peintre avec la production textile traditionnelle. L\u00E9on Moussinac, journaliste et critique, rapporte en 1925 dans les \u00C9toffes d\u2019ameublement tiss\u00E9es et broch\u00E9es, \u00E0 propos du renouveau de la soierie lyonnaise : \u00AB C\u2019est surtout depuis 1919 que ces efforts se sont affirm\u00E9s par des r\u00E9ussites \u00E9clatantes dont les prolongements n\u2019ont pas tard\u00E9 ; ainsi les tissus de Raoul Dufy dont l\u2019influence aura \u00E9t\u00E9 consid\u00E9rable. La composition s\u2019est \u00E9vad\u00E9e du dessin lin\u00E9aire absolu, un peu sec, qui r\u00E9pondait \u00E0 l\u2019esth\u00E9tique de 1900, pour s\u2019attacher surtout aux valeurs. La facture a accus\u00E9 son caract\u00E8re essentiellement moderne, r\u00E9v\u00E9lant au-del\u00E0 des influences orientales, ou des r\u00E9miniscences du XVIIe si\u00E8cle, l\u2019assimilation d\u2019un cubisme dig\u00E9r\u00E9 et des rythmes les plus frappants de la vie pr\u00E9sente. Si la flore fournit des th\u00E8mes abondants, la faune, l\u2019anecdote ou le d\u00E9tail ne sont pas moins recr\u00E9\u00E9s selon les n\u00E9cessit\u00E9s de la destination \u00BB. \nCl\u00E9mentine Marcelli"@fr .