En octobre 1868, la Chambre de Commerce de Lyon faisait l'acquisition, auprès du négociant Hubert Barioz, de trois pièces provenant du fonds d'atelier de la maison Placy et Cie : « un morceau de satin broché pour guéridon, dessin de Placy, dessinateur chez Bony, 1786 » (inv. MT 20851), « un morceau de bas d'une robe avec broderie, soie, chenille, dorure, etc., exécutée pour l'impératrice de Russie, 1801 » (inv. MT 20852) et un « autre morceau, bas d'une robe brodée pour la cour, 1807 » (inv. MT 20853) ; l'inventaire précise : « ces deux broderies sortant de l'atelier de Placy frère et sœur, rue Royale, à Lyon. »
Le fond de siège est réalisé dans une laize de presque soixante-et-onze centimètres de large, aux lisières rayées, en satin bleu, broché soie nuée. Le médaillon central est encadré par une couronne à fond jaune pâle, ornée de rinceaux de myrte auquel est suspendu un anneau d'or. Un ruban rose est noué à cet anneau. Il retient deux bouquets de narcisses, de roses blanches et de giroflées qui s'épanouissent de part et d'autre du médaillon. Le champ central, tissé à part, a été incrusté par broderie au passé plat et au point fendu dans le tissu de fond. Il a aussi été réalisé en satin broché soie nuée. Dans un paysage évoqué par deux arbres soutenant une branche à laquelle s'enroule une guirlande de fleurs est dressé un cippe surmonté d'un cœur enflammé transpercé par deux flèches. Une guirlande de roses, posée sur le monument funéraire, se déploie devant lui et vient s'enrouler autour du cou d'un chien, assis, le museau dressé vers le cœur. Au pied de la sépulture reposent un chapeau de paille et une houlette, décorée d'un ruban bleu. Un rosier, des feuilles et des fleurs jaillissent de la terrasse où la scène prend place.
L'iconographie de ce fond de siège est explicite : il s'agit d'une Allégorie de la fidélité. Les branches de myrte, les narcisses, les roses et les giroflées symbolisent l'amour fidèle, tout comme l'anneau nuptial ou le chien qui refuse d'abandonner la tombe de sa maîtresse. Le thème de la fidélité paraît avoir été particulièrement en vogue sous le règne de Louis XVI, comme en témoigne, par exemple, une laize conservée au musée des Tissus (inv. MT 2887), exécutée vers 1785, qui présente, au milieu d'un décor de guirlandes fleuries et de bouquets, habité par des perdrix, un médaillon tissé à part et appliqué par broderie figurant l'Amour, sous les traits d'une jeune femme vêtue à l'antique, couronnant la Fidélité, symbolisée par un chien faisant le beau.
Il semble que la pratique consistant à tisser à part des médaillons au décor particulièrement raffiné, puis à les appliquer par broderie sur un fond exécuté au préalable ait été inaugurée par Philippe de Lasalle (1723-1804), célèbre dessinateur, fabricant et négociant mais aussi mécanicien et inventeur. Le premier témoin de cette innovation semble être le fameux Portrait de Catherine II, créé en 1771 pour Voltaire et l'impératrice de toutes les Russies, dont le musée des Tissus conserve un exemplaire (inv. MT 2869). Il inaugure une série entièrement représentée au musée des Tissus comprenant le Portrait de Louis XV (inv. MT 45306) et celui du comte de Provence (inv. MT 2856), le portrait de la comtesse de Provence (inv. MT 45307) et celui du comte d'Artois (inv. MT 2857). La méthode présente plusieurs avantages : outre qu'elle magnifie le médaillon central par le seul jeu de réflexion de la lumière, elle permet aussi de faire varier le médaillon en fonction du sujet représenté, tout en laissant l'étoffe de fond inchangée. cette dernière peut donc être tissée de manière rationnelle, en réalisant plusieurs exemplaires sur la longueur d'une seule laize pour faciliter le montage du métier et réduire les coûts de productions. Philippe de Lasalle a également contribué à diffuser le goût pour les décors allégoriques dans les étoffes d'ameublement, comme en témoigne, par exemple, la laize avec l'Allégorie de la musique conservée au musée des Tissus (inv. MT 2868) destinée à la garniture d'un siège.
Le fond de siège avec l'Allégorie de la fidélité offre, de fait, de nombreuses similitudes avec les étoffes produites par Philippe de Lasalle. Il a même été, un temps, attribué à cet artiste par Raymond Cox, alors attaché au musée d'Art et d'Industrie et chargé du cours de décoration des étoffes, dans son ouvrage Le musée historique des Tissus de la Chambre de Commerce de Lyon. Précis historique de l'art de décorer les étoffes et catalogue sommaire, publié à Lyon en 1902 [n° 837, p. 224 : « Philippe de Lasalle : tissu de siège avec médaillon broché soies polychromes (aux emblèmes de la fidélité), Lyon, époque de Louis XVI »]. Il se distingue cependant des productions de Philippe de Lasalle par le fait que le médaillon a été incrusté, et non pas appliqué, dans l'étoffe de fond, mais surtout par la nature même du dessin.
Le livre d'inventaire du musée attribue ce dernier à Pierre Placy. Il y a tout lieu de faire confiance à cette mention puisque deux autres œuvres provenant du fonds de la maison Placy et Cie ont été acquises en même temps, chacune étant accompagnée d'indications précises sur la date d'exécution et parfois la destination des étoffes.
Pierre Placy, né à Lyon en 1755 et mort dans cette ville le 26 avril 1826, à l'âge de soixante-et-onze ans, est presque l'exact contemporain d'une autre figure remarquable de la Fabrique lyonnaise, Jean-François Bony (1754-1825) avec lequel il révèle de nombreux traits communs. Le livre d'inventaire du musée indique d'ailleurs que le dessin du fond de siège a été réalisé en 1786, alors que les deux hommes collaboraient. Comme Jean-François Bony, Pierre Placy est d'abord dessinateur, et c'est un titre sous lequel il apparaît dans diverses sources jusqu'à sa mort. Son épitaphe au cimetière de Loyasse, rédigée par sa sœur Marguerite-Antoinette Placy, le mentionne comme « dessinateur distingué ».
Sous la raison commerciale Placy et Cie, il exerce une activité de brodeur et de négociant, ses locaux étant situés au 112, rue Royale et au 15, rue des Deux-Angles. Il participe à l'Exposition des produits de l'industrie française de 1806, en présentant « des échantillons d'habits brodés, et un échantillon de robe sur satin blanc brodée, soie nuée » mais il n'obtient aucune distinction à cette manifestation. Jean-François Bony, qui participe également à l'événement, obtient une médaille d'argent dans le groupe « Broderie et passementerie », tout comme le Parisien Fleury Delorme qui a inventé un point imitant le velours dont le musée des Tissus conserve un exemplaire (inv. MT 26321) et la veuve Vitte, de Lyon.
Lors du séjour à Lyon, en 1816, de Marie-Caroline de Bourbon-Siciles, à l'occasion de son mariage avec Charles-Ferdinand d'Artois, duc de Berry, la maison Placy et Cie réalise deux robes qui sont remises à la duchesse avec la corbeille offerte par la Chambre de Commerce de la ville. La première est une « robe tulle, mailles fixes ; le fond de la robe glacé argent fin, la bordure formée d'une guirlande de roses, brodées soie avec feuillage ; au-dessous de la guirlande, une broderie en argent mate, le bas de la robe terminé par une frange nuancée, la ceinture assortie à la robe, la doublure est en satin blanc » ; la seconde, « une robe tulle, mailles fixes, brodée soie blanche, le dessin composé d'une plante de muguet et de petites cloches, le fond de la robe à colonnes se réunissant dans le haut, composé d'un courant de cloches se liant dans le bas à la plante de muguet. » Jean-François Bony est aussi sollicité : il réalise une « robe longue sur satin blanc, brodée richement en or fin. » La duchesse de Berry, invitée à assister à un spectacle le soir même au Grand-Théâtre, choisit la première des deux robes de Placy pour paraître en public.
Pierre Placy a donc exercé une carrière aux activités diverses, à la fois comme dessinateur de fabrique, brodeur et négociant. Il a constitué une collection personnelle de tableaux, de dessins et de gravures qui lui servaient de source d'inspiration, comme le révèle le testament qu'il a rédigé le 9 avril 1824. Avec Philippe de Lasalle, Jean-François Bony, Joseph Bourne (1740-1808) et Joseph-Gaspard Picard (1748-1818), Pierre Placy apparaît donc comme un des rares dessinateurs de fabrique ayant exercé sous l'Ancien Régime dont le nom ait été conservé, et auquel on puisse attribuer avec certitude la paternité d'une étoffe. Les deux bas de robe conservés au musée des Tissus illustrent par chance également son activité comme brodeur.
Maximilien Durand