À l'Exposition universelle internationale et coloniale de Lyon, en 1894, la maison Les Petits-Fils de C.-J. Bonnet et Cie, successeurs de la maison Claude-Joseph Bonnet, obtenait un Grand prix pour les soieries noires, nouveautés et couleurs qu'elle présentait. Parmi elles, l'étoffe Les Hirondelles fut particulièrement remarquée par le Jury. Elle fut donnée au musée des Tissus à l'issue de l'Exposition. C'est le seul échantillon de la maison qui rejoint alors les collections. Un prospectus publicitaire en couleurs, édité à propos de l'Exposition de Lyon et conservé dans les albums Maciet de la Bibliothèque des Arts décoratifs, à Paris, montre une sortie de bal réalisée dans ce tissu. La forme croisée du vêtement et le grand col châle, inspirés du kimono, sont en accord avec le caractère totalement japonisant du motif, représentant des hirondelles blanches et noires voletant sur une mer écumante, selon un rapport de dessin haut de cinquante-six centimètres et large de cinquante-huit centimètres et demi (soit un chemin). Résolument moderne, le dessin évoque le goût pour le japonisme qui s'exprime de manière particulièrement évidente dans la haute nouveauté à l'Exposition de 1894, comme en témoignent, par exemple, le Coucher de soleil , les Stalactites, les Chrysanthèmes ou les Hirondelles de la maison J. Bachelard et Cie, eux aussi conservés au musée des Tissus (inv. MT 25821, MT 25822, MT 25823 et MT 25824). Pour l'étoffe Les Hirondelles, la maison Les Petits-Fils de C.-J. Bonnet et Cie s'adresse à Émile Sins, dont le cabinet de dessin industriel était établi au 5, boulevard Montmartre, à Paris. Lui-même a été gratifié d'un Grand prix à cette Exposition universelle internationale et coloniale de Lyon. Le Livre d'Or des exposants, publié à Lyon en 1894, le présente ainsi : « Aujourd'hui, les bons dessinateurs industriels se comptent, car nul métier n'est plus difficile et n'exige de celui qui l'entreprend plus d'habileté, d'imagination et surtout de persévérance. Le Jury de l'Exposition de Lyon a tenu à reconnaître les efforts de ces collaborateurs importants de la Fabrique lyonnaise et les a récompensés suivant leurs mérites. C'est ainsi qu'il a accordé un grand prix à M. Sins, un dessinateur parisien bien connu des fabricants de soieries. M. Sins a créé sa maison en 1879, et son importance, déjà réelle au moment de l'Exposition de 1889, s'est accrue depuis d'année en année, si bien qu'à l'heure actuelle elle est une des premières de Paris et que son personnel a doublé depuis cinq ans. M. Sins est fort apprécié sur la place de Lyon, par la nouveauté et l'originalité artistiques de ses compositions. Les fabricants le considèrent comme un important collaborateur et la preuve de leur estime est au Palais du Commerce, où plus de vingt-cinq dessins de lui se trouvent dans le Musée industriel. M. Sins s'est fait connaître d'abord par ses dessins pour soieries de robes et soieries d'ameublement. Il s'occupe depuis longtemps avec un soin égal des dessins pour tissus imprimés, cotons et autres ; pour papiers peints et pour chromos. Ses modèles de dentelles vont de pair avec les soieries. C'est dans ces deux genres qu'il a produit ses plus luxueuses créations : on n'a pas oublié, par exemple, cette envolée d'hirondelles tissée dans les ateliers de M. Richard (il s'agit ici bien sûr de Joseph Richard, et de la maison Les Petits-Fils de C.-J. Bonnet et Cie), et qui fit l'admiration de tous les visiteurs de l'Exposition. M. Sins, qui tient à posséder des ouvriers exceptionnels, s'est, depuis la fondation de sa maison, attaché à l'éducation artistique de ceux qu'il utilisait. On se plaint depuis longtemps que le métier de dessinateur soit trop localisé. L'Alsace et la Suisse, en effet, alimentent presque exclusivement les maisons françaises. Or, ces ouvriers, très consciencieux du reste, n'ont pas toujours le sens artistique suffisamment développé pour varier cet art si susceptible pourtant de variétés. Il fallait en relever le niveau et faire des artistes de ces artisans. M. Sins a donc cherché à créer, à Paris, un centre de dessinateurs. Il fallait s'attacher à faire, des Parisiens, de bons ouvriers en leur donnant une éducation bien comprise. Fallait-il pour cela créer à grands frais des écoles spéciales, prendre des maîtres choisis parmi lesplus importants dessinateurs ? Coûteux et compliqué, ce système eût été d'une utilité discutable du reste, car ce qui est surtout utile et profitable à l'élève, ce sont des exemples, des conseils de chaque instant. C'est l'expérience qu'il tire lui-même du travail des autres, des choses qu'il voit faire sous ses yeux. Dans ce cas, il n'y a pas de meilleure école qu'un atelier de dessinateurs où, devant le travail positif, il est facile de se former, où le maître incessamment va et vient, surveille et rectifie les erreurs et, vivant avec les ouvriers, finit par leur inculquer sa manière de voir. Introduire l'élève à l'atelier, l'instruire sous ses yeux, cela est peut-être bien absorbant et bien pénible ; cela est coûteux aussi. M. Sins n'a cependant pas reculé devant cette entreprise et les soucis qu'elle pouvait lui donner : les résultats qu'il obtient prouvent qu'il a fait ainsi beaucoup pour son métier, qu'il rehausse incontestablement. Après quatre ou cinq ans en effet, ses élèves savent regarder différemment la nature, ils la sentent, ils la comprennent et la rendent mieux que ceux qui s'en tiennent à la méthode ancienne. La méthode de M. Sins donnera certainement les meilleurs résultats. Elle s'est déjà affirmée à cette même Exposition de Lyon où le Jury a décerné une médaille d'argent à un ancien ouvrier de M. Sins, qui avait complété chez lui son éducation artistique » (p. 226-227).
Maximilien Durand