La laize fait partie d'un don concédé au musée des Tissus en deux lots, le premier le 4 mai 1891 (inv. MT 25286 à MT 25294), le second le 22 mai de la même année (inv. MT 25295 à MT 25299), par les fabricants Antoine Lamy et Auguste Giraud, associés depuis 1865. Leur maison a notamment fait l'acquisition du fonds prestigieux de la maison Lemire père et fils d'où proviennent plusieurs pièces de ce don.
Les archives du musée des Tissus conservent une lettre des fabricants, adressée au directeur du musée, Antonin Terme, relative à ce don et indiquant : « Monsieur, Vous nous avez fait demander la facture des divers échantillons choisis par vous, pour votre beau musée des tissus. Nous sommes trop heureux de collaborer pour notre faible part au monument que vos futurs successeurs vous devront, et qui fera leur admiration. Nous vous prions de les accepter à titre gracieux. »
En 1839, la maison Lemire, encore connue sous la raison commerciale Lemire, Danguin et Cie, recevait un rappel de médaille d'or à l'Exposition des produits de l'industrie, pour ses « damas, (s)es brocarts d'or et d'argent, (s)es brocatelles et (s)es satins liserés. Cette maison soutient son ancienne réputation, tant par la perfection de ses produits que par l'importance de ses affaires ; elle travaille particulièrement avec le Levant et les cours étrangères », comme le rappelle le Rapport du Jury central pour cette manifestation.
Le Rapport du Jury central sur l'Exposition des produits de l'industrie française de 1844 indique : « MM. Lemire Père et Fils, de Lyon (Rhône), ont exposé une grande variété d'étoffes pour ameublement et pour ornements d'église, parmi lesquelles on remarque les dorures, les damas et les brocatelles qui sont établis à des prix très modérés, et dont l'exécution ne laisse rien à désirer. Depuis la dernière exposition, M. Lemire a pris ses fils pour associés, et ses affaires ont reçu de leur concours une nouvelle activité. Cette honorable maison a obtenu la médaille d'or en 1827, et le rappel en 1834 et 1839. Les progrès réels faits par MM. Lemire Père et Fils méritent un nouveau rappel de la médaille d'or. »
Le patron 4200 a été exécuté un an après cette exposition. Les brocatelles étaient à cette époque l'une des spécialités de la maison Lemire Père et Fils comme le rappel le compte rendu de l'exposition et les différents exemples conservés dans la collection du musée des Tissus (inv. MT 25286, MT 25287, MT 25288, MT 25289, MT 25292, MT 25293 et MT 25296, par exemple).
Le décor du patron 4200, grenat (violet) sur fond jonquille et contrefond blanc, présente des cartouches contenant un bouquet de pavots et de roses, en soie nuée (polychrome). Les cartouches sont surmontés d'une couronne fleurdelisée et encadrés de branche d'acanthe qui forment de grands médaillons, délimités par le contrefond blanc rempli de bouquets polychromes. De part et d'autre des deux rangs de médaillons se déploient des demi-médaillons identiques. La répétition du rapport de dessin permettait, une fois les laizes raboutées sur un mur, d'obtenir un motif en quinconce.
Le même patron, tissé dans une largeur de cinquante-cinq centimètres (et non plus quatre-vingts) et de couleur cramoisi sur fond jaune, faisait également partie du don de Lamy et Giraud (inv. MT 25287). Le rapport de dessin comprend désormais un seul médaillon, plus les demi-médaillons adjacents qui permettent le raccord droit des laizes.
La succession de médaillons avec des bouquets en soie nuée sur contrefond blanc rappelle le brocart or et blanc, broché soie nuée, à couronnes d'olivier et bouquets de pavots, commandé à la maison Grand Frères en 1811 pour la Chambre à coucher de l'Empereur au Palais de Versailles, livrée en 1813 mais utilisée finalement pour l'aménagement de la Chambre de la duchesse d'Angoulême aux Tuileries, en 1821, et, sous Louis-Philippe, pour des ornements liturgiques (inv. MT 24813.1). Les bouquets de fleurs au naturel sèment également le gros de Naples broché or et soies nuancées de diverses couleurs pour la chambre de la reine Marie-Amélie aux Tuileries produit en 1832 par la même maison Grand Frères (inv. MT 41113 et MT 24831). Les références à l'ameublement des Tuileries, à la duchesse d'Angoulême et à la reine Marie-Amélie, nièce de Marie-Antoinette, associées à la couronne fleurdelisée, correspondent aux convictions légitimistes, à cette date, de certains commanditaires.
Le musée des Tissus conserve une autre brocatelle provenant du don Lamy et Giraud (inv. MT 25291), à décor bleu sur fond jaune pâle et contrefond blanc, avec bouquets en soie nuée, qui est dépourvue de ces symboles royalistes.
Maximilien Durand