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La laize, un satin broché à liage repris, présente un grand rapport de dessin, haut de cent vingt-et-un centimètres environ, sur fond sergé ciel où s'enlèvent des cartouches et des médaillons fond satin crème. Le cartouche principal est abrité sous un dais formé par des draperies en peau de léopard doublée de rose. Les côtés du dais sont relevés par des guirlandes de roses, tandis que sa partie supérieure est nouée par un ruban rose soutenu par un oiseau en vol. Sous le dais apparaissent, dans un paysage fleuri, un faisan doré (Chrysolophus pictus), un canard colvert (Anas platyrhynchos) et un couple de lapins. De part et d'autre de l'oiseau en vol, deux vases cornets enguirlandés contiennent chacun un grand bouquet de fleurs. Un ruban rose, suspendu à la partie inférieure du cartouche, soutient une couronne de fleurs formant un médaillon fond satin crème. Lorsque les laizes étaient raboutées par le tapissier, elles formaient une large composition en quinconce, divisée en compartiments matérialisés par les guirlandes de roses, suspendues en festons aux vases cornets et glissant sur les dais, où cartouches et médaillons alternaient. Le musée des Tissus conserve la mise en carte originale de la scène contenue dans le cartouche, sous le dais, avec le faisan doré, pour dossier de fauteuil (inv. MT 22047), le fond de siège avec un paon et d'autres oiseaux, dans un cartouche fond satin crème contenu dans un entour de fleurs sur fond sergé ciel (inv. MT 2880), un élément de bordure avec des cartouches fond satin crème, dans des entours de fleurs noués de draperies léopard, contenant un faisan ou des oiseaux sur fond sergé ciel (inv. MT 2895), ainsi qu'un autre exemplaire de la tenture, fond sergé jaune (inv. MT 1286). Comme la laize, ce dernier a été tissé dans une largeur inhabituelle de soixante-et-un centimètres. La laize « au faisan doré », par ailleurs, a conservé ses deux lisières. Elles présentent la particularité d'être différentes sur le côté gauche et sur le côté droit. Elles comportent toutes deux six cordelines composées chacune d'un gros cordonnet de soie crème (retors S de deux bouts de faible torsion S), à gauche, et du même cordonnet pour quatre d'entre elles à droite, les deux suivantes étant en fils de chaîne multiples de soie crème, rouge, bleu et vert foncé. Elles sont tissées en cannelé, à gauche, et en taffetas, à droite. Elles sont suivies d'une mignonnette en satin (de 8, chaîne, décochement 3) avec une chaîne en organsin de soie noire (fil double), à gauche, et en organsin de soie à dominante crème, avec des fils de couleur rouge, jaune, vert clair, bleu et brun, à droite. Lorsqu'on regarde la laize, la lisière gauche attire donc l'attention, puisqu'elle est rayée d'une bande noire. Cette particularité est une marque que Philippe de Lasalle était tenu d'utiliser pour distinguer les étoffes mélangées qu'il avait obtenu le droit de fabriquer dans des circonstances exceptionnelles. En 1771, en effet, la Fabrique lyonnaise subissait une nouvelle crise, dont les causes et les effets sont rappelés par le mémoire qu'adressent, en mars 1772, les maîtres ouvriers à Jean-Charles-Philibert Trudaine de Montigny (1733-1777), car « les cris et les gémissements continuels d'un corps d'ouvriers le plus considérable du Royaume [...] ne leur permettent plus de garder le silence. » Tous les « maux » qui accablent la Fabrique sont alors rappelés : les deuils successifs qui ont affecté les cours européennes, la trop grande quantité d'étoffes fabriquées à l'occasion du mariage du dauphin et restée invendue, la guerre dans les pays du Nord qui ferme les principaux débouchés, les progrès des manufactures étrangères que l'émigration des ouvriers de Lyon « fortifie et perfectionne tous les jours », les mauvaises récoltes qui augmentent le prix des soies..., autant de causes qui expliquent « une cessation presque générale dont la durée ne fut jamais si considérable en aucun temps » (Paris, Archives nationales, F121441). Philippe de Lasalle est alors en train de perfectionner le métier à semple amovible qu'il a inventé et qui lui permet, tout en renouvelant le dessin, d'abaisser les coûts de production. Par ailleurs, il imagine de produire des meubles en satin ou en cannetillé, brochés à plusieurs lats, dont les trames de fond, peu visibles, sont en matériaux moins chers que la soie (schappe lattée de coton, coton ou lin), et les trames brochées en schappe, pour les couleurs les plus mates, afin de réaliser des étoffes à prix véritablement compétitif. Le premier exemple de ce type de meubles est vraisemblablement la tenture dite « Les Perdrix » (inv. MT 2882), qu'il est en train de tisser lorsqu'il invite, en 1772, les maîtres-gardes de Lyon à se rendre à son domicile, rue Royale, au premier étage, pour examiner le métier de son invention à semple mobile, permettant de produire aisément de grands rapports de dessin sur la hauteur d'une laize. Les deux semples amovibles divisent le décor en deux parties correspondant chacune à plus de cinquante centimètres d'étoffe. Les maîtres-gardes sont impressionnés par ce système et par cette « étoffe fond carrelé bleu, brochée soye, a plusieurs lats, dont le dessein contenoit soixante dizaines » (Paris, Archives nationales de France, F121444A, Procès-verbal dressé par les maîtres-gardes, 9 novembre 1772). Cette tenture a été livrée à Louis-Joseph de Bourbon, prince de Condé, pour le Palais Bourbon, et elle a été utilisée pour le Salon d'attente de Bathilde d'Orléans, duchesse de Bourbon, la fille du prince et l'épouse de Louis-Henri de Bourbon-Condé. En 1773, elle fut aussi livrée à l'impératrice de toutes les Russies, Catherine II. Elle fut utilisée pour le Boudoir au premier étage du Grand Palais de Peterhof. Cette même année 1773, Philippe de Lasalle livre aussi à l'impératrice une autre étoffe remarquable, la tenture dite « de Tchesmé » (inv. MT 2886), elle aussi réalisée grâce au métier à semple mobile au moyen de soie, de coton et de schappe. Le prix de cette tenture, consigné dans les Archives de la maison impériale (РГНА, Ф 468, оп. I. Д. 3888, 1773 г., л. 156/RGIA, F. 468, liste 1, n° 3888, 1773, p. 156), paraît, en effet, dérisoire (dix roubles cinquante kopecks par archine) par rapport au coût de la tenture dite « au Paon et au Faisan » (inv. MT 1278), livrée en 1778 pour vingt-cinq roubles l'archine. Cette capacité de Philippe de Lasalle à maintenir son activité durant la grande crise de 1771-1772 grâce à l'invention du semple amovible et à la production d'étoffes mélangées, en soie, coton ou lin et schappe, a peu été soulignée. Au début de l'année 1778, pourtant, Philippe de Lasalle fait rappeler l'état de ses travaux au Directeur général des Finances (Archives nationales de France, F121444A, 6 janvier 1778). Parmi les services qu'il a rendus à la Fabrique lyonnaise, il rappelle qu'« il a fait considérablement travailler les ouvriers de Lyon en étoffes pour meubles pour la Russie, ou il entrait très peu de soye, beaucoup de main d'œuvre et dont les fleurs s'exécutoient avec le rebus des cocons qu'il faisoit filer. » Il obtient peu de temps après une gratification de six mille livres, dont Jacques Necker l'informe dans une lettre datée du 13 juin, où il précise : « Je sçais aussi que vous avés créé dans la partie des meubles une branche de Commerce qui dans des tems de cessation de travail a occupé un grand nombre d'ouvriers et que vous avés été autorisé à cette occasion par le Conseil a sortir des règles prescrites par les Reglemens de la Fabrique en vous assujettissant a une marque distinctive ; les remerciemens que vous ont faits en 1772 les syndics et Mrs Gardes de la fabrique de Lyon à l'occasion du portrait de Louis XV exécuté en étoffes dont vous avés faits présent à cette Com(munau)té prouvent jusqu'à quel point vous avés porté l'art du dessein et de la fabrication. » Necker s'est préalablement fait remettre un rapport (Archives nationales de France, F121444A) sur Philippe de Lasalle, dans lequel on apprend que le fabricant fut autorisé à « s'écarter des méthodes usitées de fabriquer les étoffes, en mettant une marque distinctive, pour laisser à son génie l'essort dont il avait besoin, et l'on a vu sortir de son pinceau des chefs-d'œuvre dans le genre d'étoffes pour meubles, en matière de laine, fil et bourre de soye qu'il faisait préparer à sa manière, ce qui a prodigieusement occupé de bras dans des temps mesme de cessation d'ouvrages et ses étoffes ont orné les Palais des Rois et ceux de l'impératrice de Russie qui a considérablement fait travailler la ville de Lyon dans cette nouvelle branche d'industrie. » En effet, la tenture « au faisan doré », exécutée sur une chaîne en organsin de soie crème (S de deux bouts, 144 fils pièce par centimètre, dont 24 repris par 2 fils), a été tissée par un coup du premier lat de fond, en lin non teint (filé en Z), et un coup de chaque lat de broché selon le décor (20 passées par centimètre ; découpure de une chaîne et une passée), en soie (assemblé de trois ou quatre bouts de faible torsion S), avec dix-sept couleurs (trois tons de bleu dont un chiné, trois tons de vert dont un chiné, jaune, vert kaki, trois tons de gris-brun, deux tons de rouge-brun, deux tons de beige rosé dont un chiné, deux tons de rose) plus le noir et le blanc, et en ondé de soie crème (poil de soie, faible torsion S, enroulé en Z sur une âme de soie de forte torsion Z). Outre la tenture dite « Les Perdrix » et celle dite « de Tchesmé », plusieurs autres étoffes produites par Philippe de Lasalle vers 1771-1772 et conservées au musée des Tissus comportent cette « marque distinctive », une des deux lisières rayée de noir, qui désigne les étoffes mélangées : une laize de satin jaune, broché de fleurs nuancées (inv. MT 2879), une autre en damas gros de Tours, fond crème, broché d'un bouquet nuancé noué par un ruban bleu (inv. MT 2866), un autre damas gros de Tours, fond bleu, broché d'un bouquet nuancé noué par un ruban rose (inv. MT 24591.2), un satin ponceau, broché de fleurs nuancées (inv. MT 2867), la tenture dite « aux tourterelles dans des fleurs » sur fond de satin jaune (inv. MT 2871) ou la tenture dite « aux colombes », sur fond satin ponceau (inv. MT 29688), par exemple. Toutes ont été tissées sur une chaîne en soie avec une trame de fond en lin et des trames brochées en soie, incluant de la schappe pour les couleurs mates. Certaines ont fait l'objet de livraisons en Russie en 1773, par l'intermédiaire du marchand Johann Weynacht, et ont été enregistrées au Bureau du Kammer-Zahlmeister avec leur prix, en roubles par archine. En 1776, les comptes impériaux de Catherine II consignent de nouvelles livraisons de Philippe de Lasalle, comme la fameuse tenture dite « à la corbeille de fleurs » ou « au panier fleuri » (inv. MT 1279) ou la  tenture dite « de Crimée » (inv. 1280). Elles sont tissées tout en soie, et ne comportent plus la « marque distinctive » aux lisières. Elles sont aussi toutes deux tissées en grande largeur, environ soixante-dix-sept centimètres, alors que les meubles livrés en 1773 comptaient cinquante-cinq centimètres de large environ. Toutes ces tentures exécutées pour Catherine II ont été réalisées au moyen du semple amovible, l'invention que Philippe de Lasalle rend opérationnelle dès 1771-1772, et qui lui permet de programmer plusieurs dessins sur une même chaîne. Dans le nouveau système inventé par Philippe de Lasalle, le semple accroché au métier s'enlève et peut être remplacé promptement, au fur et à mesure que le dessin progresse. Les parties du dessin, contenues dans le semple chargé de lacs, peuvent donc être programmées à l'avance et conservées, faisant gagner un temps considérable à l'ouvrier et permettant l'exécution de grands rapports répartis sur deux ou trois semples au moins. Le fait d'adapter le système du semple amovible à de grandes largeurs constitue évidemment un indice de progrès dans la maîtrise de l'outil.      La tenture dite « au faisan doré » peut donc être considérée comme un jalon dans l'expérience de Philippe de Lasalle. Puisqu'elle comporte une lisière rayée de noir et une trame de fond en lin, elle appartient à la série des étoffes façonnées exécutées pendant la crise de 1771-1772. Dès 1774, apparemment, Philippe de Lasalle ne tisse plus d'étoffes mélangées. Elle a probablement été conçue après la tenture dite « Les Perdrix » et celle dite « de Tchesmé » ; elle adopte comme elle le nouveau système décoratif consistant à envisager le meuble dans sa globalité, une fois les laizes raboutées, comme un réseau de compartiments en quinconce formés par des guirlandes fleuries. Elle est tissée au moyen du métier à la tire équipé du système de semples amovibles, mais dans une largeur supérieure à celle des deux étoffes livrées à Catherine II. Elle précède donc les étoffes en grande largeur (soixante-dix-sept centimètre) de la livraison de 1776. Elle est aussi la première occurrence, dans l'œuvre de Philippe de Lasalle, du motif du faisan doré, qui annonce son grand chef-d'œuvre, la tenture dite « au paon et au faisan » (inv. MT 1278 et MT 2870), livrée à Catherine II en 1778. Il est fréquent, dans la pratique de Philippe de Lasalle, de voir le même motif (draperies de fourrure, guirlande de fleurs, bouquets, groupes d'animaux, figures allégoriques) constituer l'ornement de tentures différentes, produites entre 1771 et 1780. La collection du musée des Tissus, qui conserve un fonds exceptionnel d'œuvres de Philippe de Lasalle (tentures, fond ou dossier de siège, bordures, étoffes, mises en carte) permet de repréciser, par son analyse et son étude systématique, la chronologie et les étapes de la carrière de celui qui fut l'un des plus fameux dessinateurs, des plus habiles fabricants et des plus inventifs négociants des règnes de Louis XV et de Louis XVI. Maximilien Durand
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2021-02-10T00:00:00
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