Gaspard Grégoire (1751-1846) est l'inventeur d'un procédé permettant de réaliser des tableaux tissés, en velours de soie peint sur chaîne avant tissage. Il obtient en 1788 un privilège exclusif de quinze années pour la fabrication de ses tableaux imitant la peinture. Leur réalisation constitue une véritable prouesse technique. Pourtant, Grégoire doit attendre 1806 pour obtenir les distinctions qu'il espère pour son procédé. Ses velours, présentés à la Société d'encouragement pour l'industrie nationale, font alors l'objet d'un rapport élogieux. Le ministre de l'Intérieur, Jean-Antoine Chaptal, adresse même à Grégoire une lettre flatteuse dans laquelle il lui fait part de son intérêt pour son invention. En juillet 1807, la Société d'encouragement pour l'industrie nationale lui décerne une médaille d'argent de première classe parce qu'il est « parvenu à tisser des tableaux en velours avec une correction et une perfection qu'il ne paraissait pas possible d'atteindre ; l'imitation est plus parfaite que dans aucun autre tissu. » Gaspard Grégoire reçoit en 1813 la commande des garnitures de quatre fauteuils et deux sièges pour la galerie du Pavillon du Roi de Rome à Rambouillet. Les contraintes liées à la technique limitent la production à des laizes de très petites dimensions, adaptées à la réalisation d'un mobilier d'enfant. C'est la seule commande du Garde-Meuble impérial passée à Grégoire. Livrée en septembre et décembre 1816, après la chute de l'Empire, elle ne sera jamais utilisée. Le musée des Tissus conserve la garniture d'un des fauteuils, déposée par le Mobilier national (inv. GMMP 773).
Gaspard Grégoire obtient une nouvelle médaille d'argent à l'Exposition des produits de l'industrie française de 1819, pour un tableau de velours reproduisant une peinture à l'huile célèbre, signée de Jan Van Huysum, la Corbeille de fleurs avec papillon acquise par Louis XVI en 1784 après avoir fait partie des collections Julienne et Montuley (Paris, musée du Louvre, inv. 1385). Dans cette œuvre, conservée au musée des Tissus (inv. MT 1146), Grégoire s'est appliqué à rendre la composition originale avec la plus grande minutie. La Société pour l'encouragement à l'industrie nationale juge, le 18 avril 1821, le tableau de fleurs « d'une rare perfection. » Grégoire le présente à nouveau à l'Exposition de 1823 et obtient un rappel de médaille d'argent. Malgré les commentaires élogieux que reçoivent ses productions, Grégoire ne saura pas obtenir de distinction plus éminente, ni de commande officielle. Ses tableaux, considérés comme des chefs-d'œuvre relevant plus du champ des beaux-arts, ne pouvaient que difficilement trouver une application industrielle, au vu des difficultés inhérentes à leur procédé de fabrication et des délais imposés par la technique.
Le choix des sujets traités par Gaspard Grégoire dans ses tableaux en velours montre donc la nécessité de séduire une clientèle. Les inspirations de l'artiste se laissent facilement cerner : elles correspondent aux images en vogue sous l'Empire et la Restauration. Toutes étaient largement diffusées par le biais de la gravure. Les dimensions de ses velours cantonnaient le créateur à des sujets anecdotiques, empruntés à Greuze (inv. MT 44237 et MT 44238), à des petits tableaux religieux d'après Raphaël (inv. MT 1142, MT 27114 et MT 30221), Giovanni Battista Salvi (Il Sassoferrato) (inv. MT 1141) ou Philippe de Champaigne (inv. MT 27095 et MT 30021), ou à des natures mortes d'après Jan Van Huysum ou Antoine Berjon (inv. MT 2899). Grégoire traita aussi de nombreux sujets dans le goût pompéien (inv. MT 14601, MT 14602, MT 30220 et MT 50694). La Marchande d'Amours (inv. MT 1147 et MT 30979) fut exécutée d'après une fresque découverte à Stabies en 1759, qui inspira le célèbre tableau de Joseph-Marie Vien en 1763. La gracieuse série des Heures d'après Raphaël (inv. MT 27392, MT 26270.2, MT 26270.1, MT 1144, MAD 2303.2, MT 1143, MT 30004, MAD 2303.1, MT 30219 et MT 29981), pastiche néoclassique des compositions de Raphaël ou de son école et de motifs archéologiques, a probablement été exécutée d'après les gravures en couleur de Philibert-Louis Debucourt, publiées en 1804. Enfin, il s'illustre tout particulièrement dans le genre du portrait, et il s'adapte à l'actualité politique.
S'il est aisé de reconnaître les modèles traités par Grégoire, il est plus difficile d'établir avec certitude la chronologie des velours. Seules la commande pour Rambouillet, passée en 1813 et livrée en 1816, et la Corbeille de fleurs présentée à l'Exposition de 1819 sont précisément datées. La série des portraits — Louis XVI (inv. MT 24584), Napoléon Bonaparte puis Napoléon Ier (inv. MT 27993, MT 25713, MT 30978, MT 23189 et MT 26982), Pie VII (inv. MT 26623), la duchesse (inv. MT 2074) et le duc d'Angoulême (inv. MT 26983), Louis XVIII (inv. MT 25687) — fournit pourtant quelques jalons dans sa production.
Cette figure féminine appartient à la veine des petits tableaux en velours imitant les tableaux de Jean-Baptiste Greuze. Elle reproduit le tableau Innocence, conservé au Philadelphia Museum of Art (inv. 1955-109-1).
Maximilien Durand