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| - Les fragments, acquis en 1910 avec d'autres étoffes anciennes de la collection de Claudius Côte, proviennent des fouilles du site d'Akhmîm, probablement celles menées par Robert Forrer (1866-1947) qui dispersa ses trouvailles auprès de plusieurs amateurs ou musées. Ils correspondent aux vestiges d'une manchette de soie, tissée sur une chaîne en soie de torsion Z de couleur brun-gris, avec une proportion d'une chaîne pièce pour une chaîne de liage (21-22 fils pièce par centimètre ; découpure : 1 fil pièce). Le samit comporte deux lats, liés en sergé, en soie, sans torsion appréciable, crème et bleu foncé (30 passées par centimètre ; découpure : 2 passées par deux coups de chaque lat).
Le décor, fragmentaire, peut-être restitué par comparaison avec des pièces plus complètes conservées notamment à Londres, au Victoria & Albert Museum (inv. 303-1887) ou au British Museum (inv. 1904,0706.41). Les deux fragments principaux présentent un même décor, qui répétait originellement la scène en miroir. Le rapport de dessin comprenait donc deux chemins à retour avec pointe double au centre. C'est pourquoi l'inscription grecque qui apparaît en partie supérieure du premier fragment, indiquant [ZAX]APIOY, c'est-à-dire « de Zacharie », est orientée de la droite vers la gauche. Elle était parfaitement lisible, dans le sens habituel, dans la partie droite du décor.
Lorsque la manchette était complète, elle comprenait, entre deux bordures sur fond crème avec des motifs végétaux stylisés, cinq panneaux sur fond bleu foncé. Le panneau central, occupant toute la largeur de la manchette, était orné d'une rosace centrale, entourée de tigelles supportant des palmettes ornées de cœurs et des feuilles recourbées, ainsi que des fruits cordiformes. De part et d'autre de ce panneau, deux compartiments étaient séparés par une bande à fond crème, ornée d'une succession de fruits marqués de trois pois. Les fragments lyonnais conservent quelques vestiges de cette bande. Dans chacun des compartiments se trouvait un cavalier, vêtu d'une robe longue, une chlamyde agrafée à l'épaule volant au vent, une main sisissant les rênes de sa monture, l'autre brandissant un sceptre. Sous les jambes antérieures du cheval cabré se tenait un soldat, armé d'une lance, près d'un arbrisseau, combattant un échassier, lui-même près d'un arbrisseau. Près du visage du cavalier était un autre oiseau en vol et, au-dessus de sa tête, l'inscription grecque ZAXAPIOY. Des manchettes complètes sont encore conservées en place sur une tunique de lin conservée au Victoria & Albert Museum de Londres (inv. 820-1903), comportant également des bandes d'épaules et quatre médaillons, deux à l'avant, deux à l'arrière, en partie inférieure. Le musée des Tissus conserve une bande d'épaule complète, comparable à celles qui ornent cette tunique avec quelques vestiges de la toile de lin du vêtement sur lequel elle était appliquée (inv. MT 24566.10), un médaillon en pendentif d'une autre bande d'épaule (inv. MT 29231), des médaillons circulaires correspondant au décor du bas d'un vêtement (inv. MT 32662.1 et MT 32662.2) et une autre manchette fragmentaire au nom de ZAXAPIOY (inv. MT 40459).
Des manchettes au décor similaire, mais portant l'inscription ΙΩΣΗΦ, c'est-à-dire « Joseph », sont conservées à la Dumbarton Oaks Byzantine Collection de Washington (inv. BZ.1956.2), à la Fondation Abegg à Riggisberg (inv. Nr. 186) ou au Cleveland Museum of Art (inv. 1947,193). On a suggéré que ces inscriptions, ZAXAPIOY et ΙΩΣΗΦ, pussent avoir désigné des ateliers. L'usage du génitif pour l'inscription ZAXAPIOY, « [production] de Zacharie », rend cette hypothèse très probable, tout comme l'homogénéité des soieries appartenant à ce groupe, manchettes, bandes d'épaules et médaillons de bas de robe. Elles étaient d'ailleurs produites en série, puis découpées pour être appliquées sur des vêtements, comme en témoignent, par exemple, un panneau de soierie conservé au Museum of Fine Arts de Boston avec six médaillons presque tangents en deux rangées superposées de trois médaillons (inv. 15.385), un autre panneau avec deux rangées superposées de quatre médaillons à la Byzantine Collection de Dumbarton Oaks, à Washington (inv. 77.2), ou un fragment avec deux médaillons superposés au Metropolitan Museum de New York (inv. 90.5.29a), ainsi qu'une bande avec deux débuts de manchettes inscrites au nom de Joseph à la Byzantine Collection de Dumbarton Oaks, à Washington (inv. BZ.1956.2). Tous ces éléments présentent une remarquable unité iconographique, mais aussi technique : il s'agit toujours de samits bicolores, tissés avec des passées paires à retour et liés avec un sergé de diagonale Z et non pas S comme pour les soieries découvertes à Antinoé en 1897 et 1898, par exemple. Les fils de chaîne sont peu denses (entre 15 à 22 fils de chaque chaîne au centimètre) et le nombre de passées peu élevé (entre 31 et 44 par centimètre). On constate également des irrégularités de tissage aux passages entre fond et motif, indiquant un décalage du travail entre le tisseur et le tireur de lacs. Ces éléments, qui relèvent d'une tradition de tissage méditerranéenne, qu'on peut dater entre le VIe et le VIIIe siècle environ, sont également les indices d'une production homogène, au sein d'un même centre textile, qu'il convient de situer dans la ville d'Akhmîm. Dès 1891, Robert Forrer (1866-1947) publiait une illustration d'une soierie découverte durant ses fouilles à Akhmîm qui présentait l'inscription ZAXAPIOY (Römische und byzantinische Seiden-Textilien aus dem Gräber-Felde vom Achmim-Panopolis, Strasbourg, 1891, pl. 7, 1), ainsi qu'une seconde montrant une soierie inscrite, cette fois, au nom de ΙΩΣΗΦ (ibid., pl. 5, 1).
Des datations au radiocarbone effectuées sur deux médaillons de ce groupe conservés à Anvers, dans la collection Katoen Natie (inv. 151/DM 33C et 657/DM 33D) ont situé le premier entre 615 et 710 (à 95,4 % de probabilité) et le second, entre 660 et 780 (à 95,4 % de probabilité).
La datation retenue pour les fragments de manchette de Lyon peut donc se situer entre la seconde moitié du VIIe siècle et la première moitié du VIIIe siècle. La production de soieries à Akhmîm a cependant dû occuper plusieurs ateliers sur une période chronologique plus étendue, comme en témoignent les fragments de provenance avérée conservés dans les collections publiques, qui montrent des sous-groupes différents au sein d'une même tradition de tissage.
Maximilien Durand (fr)
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