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| - Cette dalmatique (ou tunique sous-diaconale) fait partie d'un ornement complet, qui comprend une chape (inv. MT 51441.1), une chasuble de forme « espagnole », c'est-à-dire de forme étroite, échancrée sur le devant au niveau des bras, avec une encolure arrondie et sans croix ni galons verticaux — en usage en Espagne, au Portugal et dans les pays hispano-américains — (inv. MT 51441.2), deux dalmatiques avec leur collet (inv. MT 51441.3.1 avec MT 51441.3.2, et MT 51441.4.1 avec MT 51441.4.2), trois manipules (inv. MT 51441.5.1, MT 51441.5.2 et MT 51441.5.3), une étole (inv. MT 51441.7) et deux étoles diaconales (inv. MT 51441.6.1 et MT 51441.6.2), un voile huméral (inv. MT 51441.8) et un voile de calice (inv. MT 51441.9). Cet ornement extraordinaire, dit angélique, a été conçu par Joseph-Alphonse Henry (1836-1913) dès 1888-1889, et réalisé entre 1891 et 1906 pour l'ensemble des pièces qui le composent. Cet ornement a été commercialisé par la maison Henry J.-A., puis par ses successeurs, Truchot J. et Grassis (1908-1919) puis Truchot J. et Cie jusqu'au Concile de Vatican II probablement. La société a cessé son activité en 1977.
Les éléments principaux de cet ornement, chape, chasuble et dalmatiques, déclinent un programme iconographique particulièrement soigné. Celui-ci a été commandé en 1888-1889 par Joseph-Alphonse Henry (1836-1913) au peintre Gaspard Poncet (1820-1892), artiste religieux qui a fourni de nombreux modèles de verrières, de mosaïques, de peintures (église Saint-Nizier, basilique Notre-Dame de Fourvière, caveau de saint Pothin à l'hôpital de l'Antiquaille, par exemple) ou des programmes pour l'orfèvrerie (pour Armand-Calliat, notamment). La maison Henry J.-A., qui avait succédé en 1867 à la maison Henry Frères (Alphonse et Charles) et Jouve (Hippolyte), spécialisée dans les ornements d'églises, dorure et soieries pour ameublement, avait été distinguée d'une médaille d'argent à l'Exposition universelle de Paris en 1867, d'une médaille d'or à l'Exposition maritime internationale du Havre en 1868, d'une médaille d'honneur à l'Exposition religieuse de Rome en 1870 et d'un diplôme d'honneur à l'Exposition internationale de Lyon en 1872, d'une médaille de progrès et d'une médaille de mérite à l'Exposition universelle de Vienne en 1873 et d'une médaille d'or à l'Exposition universelle de Paris de 1878.
Le musée des Tissus conserve cinq dessins préparatoires de la chasuble appartenant à l'ornement dit angélique ou aux anges (inv. MT 49282, MT 49283.1, MT 49283.2, MT 49283.3 et MT 49284). Trois dessins (inv. MT 49283.1, MT 49283.2 et MT 49283.3) figurent le devant de la chasuble, dans sa forme « française », c'est-à-dire avec encolure trapézoïdale et galons verticaux divisant la composition en trois zones. Un dessin représente le haut du dos de la chasuble de forme « française », c'est-à-dire avec croix dans le dos (inv. MT 49282). Le musée des Tissus conserve par ailleurs un exemplaire de l'ornement angélique avec chasuble de forme « française » (inv. MT 36332), bourse (inv. MT 36331), voile de calice (inv. MT 36333), manipule (inv. MT 36334) et étole (inv. MT 36335). Le quatrième dessin préparatoire de Gaspard Poncet (inv. MT 49284) prévoit une variante pour une encolure de chasuble de type « espagnol » (devant de la chasuble) nécessitant une autre mise en carte. La transcription des dessins en mise en carte, sur papier réglé de dix en dix, a été confiée à Gerbaud pour être exécutés au moyen d'un métier équipé de mécanique Verdol. L'ornement est exécuté en lampas fond satin, deux lats de lancé (et trame d’accompagnement), liés en sergé et à plusieurs effets, au moyen de soie, de filé et de lame métalliques dorés, de filé, de lame et de frisé métalliques argentés.
Le livre de cartons de la maison Henry, conservé dans les archives de la maison Prelle, à Lyon, indique sous le numéro de patron 2327 que les premières tirelles d'échantillon pour le devant de la « chasuble aux anges » datent du 26 mars 1889 (pour le dos) et du 31 août 1889 (pour le devant). Lors de l'Exposition universelle de Paris, en 1889, la maison J.-A. Henry est gratifiée d'un Grand prix, mais la Chasuble angélique n'est pas présentée à cette occasion. Elle sera révélée en 1891, avec son étole, son manipule, son voile de calice et sa bourse. Le premier exemplaire a été porté par Joseph-Alfred, cardinal Foulon (1823-1893), archevêque de Lyon, pour la cérémonie du jour de Pâques à la primatiale Saint-Jean. Elle est décrite par James Condamin dans un article publié dans la Revue hebdomadaire du diocèse de Lyon, le 5 juin 1891, dans lequel il indique « que M. J.-A. Henry se préoccupe, en ce moment, de compléter bientôt son ornement par la création d'une chape, de dalmatiques, d'une étole pastorale et d'un huméral qui seront exécutés dans le même goût et avec le même perfection. Tout le monde souihaiterait, comme l'auteur de ce rapide aperçu, qu'il ne nous les fasse point trop attendre » (p. 796).
À l'Exposition universelle, internationale et coloniale de Lyon, en 1894, Joseph-Alphonse Henry expose un exemplaire de la chasuble angélique non pas tissé en soie, or et argent, mais brodé. De forme « française », cette chasuble, dont le décor est exécuté par Marie-Anne Leroudier (1838-1908), a été conservée par le fabricant, puis par ses successeurs et leurs descendants. Elle a rejoint récemment, grâce à la générosité de la famille Truchot, la collection du musée des Tissus (inv. MT 2015.5.1), avec son étole (inv. MT 2015.5.2) et sa bourse (inv. MT 2015.5.3), également brodées. Elle rencontre un vif succès à l'Exposition de 1894. Quatre ans plus tard, un ornement brodé (comprenant une chasuble angélique, une étole, un manipule, un voile de calice, une bourse, une chape, un grémial, une pale, une mitre et un agenouilloir) est d'ailleurs commandé à l'occasion de la nomination de monseigneur Joseph Rumeau (1849-1940) au siège épiscopal d'Angers. L'ornement est livré au début de l'année 1899, pour un montant total de plus de trente mille francs or. Propriété de l'Association diocésaine, il est aujourd'hui conservé au Palais épiscopal d'Angers. Avec la chasuble du musée des Tissus, présentée en 1894, c'est le seul exemplaire brodé du modèle angélique.
Quand se tient l'Exposition de 1894, Joseph-Alphonse Henry n'a pas encore réalisé les éléments qui devaient compléter la Chasuble angélique et ses accessoires, à savoir les dalmatiques et la chape annoncées dès 1891. Outre l'exemplaire brodé de la chasuble angélique, la vitrine de la maison Henry présente alors : une chasuble en velours cramoisi, brodé au point de Venise, sur la croix de laquelle se détache la croix du milieu contenant un médaillon avec la Communion de saint Jean ; une mitre de style gothique, sur fond cul de dé d'or fin, avec personnages brodés au petit point (les Sept dons du Saint-Esprit figurés par sept séraphins, les mêmes séraphins ornant également le bord inférieur de la mitre ; c'est le modèle exécuté pour l'ornement brodé de monseigneur Rumeau à Angers, conservé au Palais épiscopal de cette ville) ; une chape, à fond brocart d'or fin, à médaillons représentant le concert des anges (le musée des Tissus en conserve un exemplaire, inv. MT 38673), aux orfrois et au chaperon en couchure relevée, identiques à ceux de grand pontifical de Lourdes (le chaperon orné de la scène de la Nativité) ; un panneau brodé au point tremblé formant le fond de la vitrine représentant la Vierge à l'Enfant entre sainte Marie-Madeleine, sainte Agnès, sainte Marguerite, sainte Brigitte, sainte Catherine de Sienne, sainte Marie-Madeleine de'Pazzi, sainte Thérèse d'Avila et sainte Élisabeth de Hongrie ; le drapeau offert par le comité de la presse de Lyon et de la région à l'empereur de Russie, à l'occasion du passage des marins russes à Lyon, avant son envoi au tsar ; un panneau fond velours cramoisi, brodé au point bouclé, reproduisant une étoffe trouvée à Aix-la-Chapelle ; un brocart à anges, fond azur, semé d'étoiles d'argent, avec des médaillons gothiques où se détachent des groupes de trois anges chantant et s'accompagnant sur des instruments divers, en soie nuancée ; une étoffe pour meuble, fond crème, traversé par une dentelle d'or, sur lequelle se détache des bouquets d'orchidées ; une étoffe avec décor d'orchidées ; et des étoffes pour meubles et pour robes à décor Louis XV et Louis XVI.
En 1897, Joseph-Alphonse Henry complète la chasuble angélique par les dalmatiques annoncées, avec leurs accessoires. Elles sont tissées sur le modèle fourni par Gaspard Poncet dès 1888-1889. Le musée des Tissus conserve également les dessins préparatoires pour le devant de la dalmatique avec la Nativité (inv. MT 49285.1) et pour le dos avec la scène montrant Jésus parmi les docteurs (inv. MT 49285.2), ainsi que pour le devant de la tunique avec la scène de la Remise des clefs à saint Pierre (inv. MT 49286.2 et MT 49286.3) et du dos avec l'Entrée à Jérusalem (inv. MT 49286.1). La date de leur exécution, qui était restée incertaine, est aujourd'hui connue avec certitude grâce au chef de pièce signé et daté conservé sur les laizes des deux dalmatiques non montées récemment entrées dans les collections du musée des Tissus (inv. MT 2015.5.4 et MT 2015.5.5), là aussi grâce au don concédé par la famille Truchot.
La dalmatique (ou tunique sous-diaconale ; notons cependant qu'il n'y a pas de différence de forme entre les deux dalmatiques de l'ornement angélique et que seule la chronologie des événements évangéliques figurant sur les deux vêtements laissent supposer que la première est la dalmatique et la seconde la tunique) conservée au musée des Tissus montre sur le devant la scène de la Remise des clefs à saint Pierre, issue de l'évangile selon saint Matthieu (Mat., 16, 19). Les deux dessins préparatoires montrent que Gaspard Poncet a fait plusieurs propositions. La première version (inv. MT 49286.3) figure Jésus sur un tertre, sur fond de soleil levant. Il domine les apôtres, bénit de la main gauche saint Pierre qui est agenouillé devant lui et tient les clefs dans la main droite. Il est tourné vers la droite de la composition. Le collège apostolique prend place entre les galons de la dalmatique. En partie supérieure est une assemblée angélique, dominée, au centre, par un groupe de trois anges déroulant un phylactère. La seconde version (inv. MT 49286.2), très proche de l'exécution, a inversé la scène. Le Christ est tourné vers la gauche de la composition, il bénit saint Pierre agenouillé de la main droite et tend la main au-dessus de trois moutons. Trois autres moutons sont assemblés au premier plan. Le tertre a disparu, le Christ étant presque au même niveau que les apôtres. Il s'en distingue par sa mandorle rayonnante, son nimbe crucifère et sa position centrale, avec Pierre qui tient les clefs. Le collège apostolique, en deux groupes (de cinq à gauche et de six à droite, Judas, étant presque dissimulé par un des galons, mais il porte encore le nimbe qui disparaîtra sur le tissage), se presse dans les espaces délimités par l'emplacement des galons. Des palmiers encadrent la figure du Christ, qui se détache sur un fond de paysage architecturé. Les groupes d'anges ont peu évolué d'un dessin à l'autre. Sur le phylactère du groupe central, on lit « ces moutards sont bien » ; en d'autres endroits, il est indiqué « bon » ou « bien » ; des points rouges marquent des détails signifiant qu'ils sont à revoir.
Dans la version tissée, en effet, un des apôtres du groupe de gauche, qui était chauve et qui détournait le regard du Christ, est chevelu et regarde Jésus. L'inscription du phylactère a été complétée, évidemment. On y lit [Tibi] DABO CLAVES REGNI [Cae]LORUM, c'est-à-dire « Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux. »
Le dos de la tunique présente la scène de l'Entrée à Jérusalem, telle qu'elle est évoquée dans l'évangile selon saint Matthieu (Mat., 21, 1-11). Le Christ, assis sur une ânesse, auréolé d'une mandorle rayonnante et portant un nimbe crucifère, occupe le centre de la composition. Il bénit de la main droite. Au registre inférieur se tiennent un disciple nimbé, prosterné, et un couple de dos, présentant un petit enfant. En partie supérieure, les nuées s'écartent pour laisser apparaître la colombe du Saint-Esprit, dans une gloire, au-dessus de laquelle deux anges déploient un phylactère où est écrit : QUI VENIT REX IN NOMINE, c'est-à-dire « Voici le Roi qui vient en personne. » Sur les côtés, des architectures évoquent Jérusalem dans les rues de laquelle se presse la foule. Des anges complètent la scène, en partie supérieure. Entre le dessin préparatoire et le tissage, on note de très légères différences, comme le personnage féminin à droite du Christ, à l'arrière-plan, dont le visage a été voilé sur l'exécution finale, le dallage sur le sol ou les vases dans l'angle inférieur gauche, qui n'apparaissaient pas sur le dessin.
Les épaules et les manches de la tunique, comme sur celles de la dalmatique, le décor évoque l'Eucharistie : d'un côté, un ange de face, secondé par deux autres anges, tient une corbeille remplie de raisin et présente une grosse grappe. Des anges, en partie inférieure, déploient un phylactère indiquant : EGO SUM VITIS VERA, VITIS ET VITA, c'est-à-dire « Je suis la vraie vigne, la vigne et la vie » ; de l'autre côté, la composition est comparable, mais l'ange central tient une brassée d'épis de blé et l'inscription indique : PANIS ANGELICUS FIT PANIS HOMINUM, c'est-à-dire « Que le pain des anges devienne le pain des hommes. »
Dès 1898, le modèle de la chape est déjà élaboré, toujours sur des dessins de Gaspard Poncet, même si aucun croquis préparatoire n'a été conservé. En effet, un exemplaire brodé de la chape fait partie de l'ornement commandé pour monseigneur Joseph Rumeau, livré en 1899. À l'Exposition universelle de 1900, Joseph-Alphonse Henry est gratifié d'un Grand prix pour la qualité des étoffes qu'il présente. L'inscription tissée sous le chaperon des exemplaires conservés de la chape angélique, « GRAND PRIX/ E . U . PARIS 1900 », indique qu'elle a été présentée à cette occasion et admirée par le jury. James Condamin, qui avait consacré déjà un article à la Chasuble angélique en 1891, publie un autre texte sur la Chape angélique, cette fois, dans la Semaine religieuse du diocèse de Lyon de 1906 (p. 472-475). Cet article a été rédigé à l'occasion du sacre de monseigneur Louis-Jean Déchelette (1848-1920), évêque auxiliaire de Lyon, pour lequel les anciens élèves du collège Sainte-Marie de Saint-Chamond lui ont offert un exemplaire de la Chape angélique. Monseigneur Déchelette l'a ensuite laissé à la sacristie de la primatiale, où il est toujours conservé, avec la Chasuble angélique de monseigneur Foulon.
L'ornement angélique complet comprend alors, en 1900, une chasuble, de forme « française » ou « espagnole », ses accessoires, étole, manipule, voile de calice et bourse, deux dalmatiques (en réalité, une dalmatique et une tunique) , avec leurs accessoires, et une chape avec son chaperon et ses orfrois. En 1906, l'ornement angélique a été encore enrichi d'un antependium, orné de la Mission des Apôtres. Le musée des Tissus en conserve deux exemplaires (inv. MT 28297, acquis de Joseph-Alphonse Henry lui-même, et inv. MT 2015.5.6, donné par la famille Truchot). C'est le seul élément de l'ensemble angélique qui n'a pas été réalisé sur un dessin de Gaspard Poncet. Joseph-Alphonse Henry reproduit ici une gravure de l'artiste Johann Evangelist Klein (1823-1883) publié dans l'édition du Missale Romanum de Friedrich Pustet (1798-1882) de Ratisbonne, datant de 1884.
Pour un ornement complet, le tissage des différents éléments était réalisé en laizes de cent cinquante centimètres, de soixante-quinze centimètres ou de cinquante-quatre centimètres de large. En cent cinquante centimètres de large, on tissait : le corps de la première dalmatique (devant et dos) et celui de la seconde disposés côte à côte ; la chape ; l'antependium. Dans des laizes de soixante-quinze centimètres de large, on réalisait : le dos de la chasuble avec, dans l'échancrure de l'encolure, la bourse ; le devant de la chasuble avec le voile de calice dans l'échancrure de l'encolure, la même disposition de la bourse et du voile de calice valant pour le dos et le devant des chasubles de forme « française » ou « espagnole » ; le chaperon de la chape, avec le Couronnement de la Vierge, était également tissé dans une largeur de soixante-quinze centimètres. En revanche, les panneaux constituant les manches des dalmatiques étaient exécutés dans des laizes de cinquante-quatre centimètres de large.
Maximilien Durand (fr)
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