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  • Christophe-Élie Gantillon, marchand-fabricant d'étoffes de soie, sis au 63, quai Saint-Vincent, avait déposé le 30 août 1832 un brevet d'invention de quinze ans « pour un montage de métiers à tisser propre à reproduire tous les dessins. » L'ambition de Gantillon s'appliquait à des étoffes brochées sur fond satin, destinées aux grandes tentures que le succès croissant des papiers peints venait concurrencer. Les résultats de ce brevet furent présentés à la première Exposition des produits de l'industrie française de la Monarchie de Juillet, qui ouvrit ses portes le 1er mai 1834 sur la place de la Concorde. Les échantillons proposés par Gantillon n'y obtinrent qu'une mention honorable du jury qui consigna dans son rapport les observations suivantes : « Étoffes nouvelles brochées pour ameublements et tentures, imitant le fini de la gravure, par des procédés que M. Gantillon prétend être nouveaux. Le jury croit devoir attendre la sanction de l'expérience pour accorder à l'exposant une récompense supérieure. » Les auteurs du Musée industriel, publié en 1835, sont moins sévères : « M. Gentillon (sic) a pris, le 15 août (sic) 1832, un brevet d'invention de 15 ans pour de nouveaux moyens de fabriquer des étoffes brochées tout en soie, et destinées à servir comme tentures et dans les canapés, fauteuils, chaises et autres objets d'ameublement. Celles qu'il avait mises à l'Exposition imitaient la gravure, et à en voir les reliefs, on auraient dit qu'elles étaient peintes. Il peut ainsi figurer toutes sortes de sujets, tableaux d'histoire, paysages, portraits en miniature ou de grandeur naturelle, fleurs, fruits, etc. Comme d'un autre côté, M. Gentillon assure que ces nouvelles étoffes brochées sont très solides, il doit espérer que le goût s'en répandra, et qu'il lui en sera fait des commandes qui le récompenseront de sa découverte encore trop récente pour être appréciée généralement. Si quelque chose est propre à accroître cet espoir, c'est la décision du jury rendue à son avantage : elle porte que son rapport fera une mention honorable de M. Gentillon. Nous lui eussions vu avec plaisir décerner une médaille de bronze. La planche 22 à 24 peut donner une idée assez exacte des difficultés qu'à vaincues avec un rare bonheur M. Gentillon. Ce dessin, représentant la vue du lac de Côme, était destiné à faire le dossier d'un canapé. Les premiers plans avaient une vigueur de teinte tout à fait remarquable ; les eaux étaient transparentes, et la perspective des fabriques vues dans le lointain avait toutes les qualités qu'on aurait exigées dans un dessin au bistre ou à l'aquarelle. Dans chacune de ces parties, les transitions étaient non seulement parfaitement ménagées, mais les nuances d'une teinte à l'autre étaient aussi imperceptibles. En un mot, M. Gentillon a traité son invention en manufacturier et en artiste habile. » En 1839, année où se tient l'Exposition suivante, Gantillon réalise le Portrait du duc de Chambord, dont le musée des Tissus possède trois exemplaires (inv. MT 24263, MT 24629.2 et MT 27278). Gantillon espérait promouvoir son procédé, notamment au niveau national, et montrer son application au domaine du portrait. Malheureusement, il figure l'opposant légitimiste au nouveau gouvernement de Louis-Philippe, qui inaugure l'Exposition... On doutait que le procédé de Gantillon constituât une authentique innovation, plutôt que la combinaison de principes déjà connus. L'inventeur multiplie les tentatives pour prouver qu'il s'agit d'une invention véritable. Le Portrait du duc de Chambord porte l'inscription tissée « PAR GANTILLON, BREVETE./ LYON, 1839 ». Depuis Philippe de Lasalle, les fabricants signent les portraits tissés qu'ils réalisent, mais c'est la première fois que le brevet protégeant une invention est ainsi mentionné. Le Rapport de l'Exposition de 1839 ne cite pas Gantillon. En 1844, il n'est pas autorisé à concourir, sous prétexte que les modèles proposés, la Vue du lac de Côme, la Vue des environs de Naples, le Temple de Jupiter, Ganymède, étaient déjà connus du public. En 1849, Gantillon obtient une nouvelle mention honorable à l'Exposition nationale des produits de l'industrie agricole et manufacturière. Mais, depuis 1834, le jury ne semble pas avoir obtenu « la sanction de l'expérience » attendue : « Il a exposé un paysage tissé sur satin, qui représente une vue du lac de Côme. M. Gantillon annonce que pour la fabrication de ce genre d'étoffe il a trouvé un procédé qui permet de reproduire le même dessin dans des dimensions plus ou moins grandes. Le jury n'a pas été à même de juger le mérite de ce procédé qui ne lui a pas été soumis. Il y a déjà longtemps que les étoffes exposées sont connues, mais jusqu'ici elles n'ont pas encore été goûtées par la consommation, ce qu'il faut probablement attribuer à leur prix élevé. » L'innovation de Gantillon ne connaît pas le succès espéré et le fabricant subit alors plusieurs infortunes. La commande qu'il avait sollicitée au Garde-Meuble est restée sans suite. Des échantillons de ses nouvelles tentures avec été présentés à l'empereur de Russie Nicolas Ier. Après les avoir examinés, le tsar répondit « qu'aussitôt qu'on lui présenterait un grand sujet historique en panneaux de tenture, il commettrait immédiatement pour l'ameublement d'un palais. » Mais Gantillon ne disposait pas d'un tel sujet. Il tente une ultime tentative pour faire reconnaître son invention à l'occasion de la première Exposition universelle qui se tient à Londres en 1851. Il publie une Notice sur les grandes tentures historiques brochées sur fond satin-soie, qu'il adresse aux membres du grand jury de l'Exposition, où il a prévu de présenter ses étoffes. Il y énumère les traits les plus remarquables de son invention. « Les sujets que l'on désirera reproduire en tenture pourront être représentés depuis la miniature jusqu'aux plus grandes proportions ; c'est-à-dire, pour être plus explicite, le même sujet pourra être reproduit en plusieurs dimensions depuis un mètre jusqu'à quatre mètres ; ce qui permettra de satisfaire, avec le même sujet, toutes les exigences des appartements, en conservant toujours, quelle que soit sa dimension, la même finesse et les mêmes perfections que les échantillons exposés. [...] Un graveur ne peut pas produire des exemplaires plus grands que sa matrice, c'est un fait reconnu ; par ma nouvelle fabrication, quand un sujet quelconque aura été transporté sur ma matrice, le même sujet pourra être reproduit depuis un mètre jusqu'à quatre mètres carrés et plus. [...] Cette fabrication reproduira en étoffes brochées la gravure [...] sans perdre le caractère de tissu qu'elle doit toujours conserver. [...] Indépendamment de l'élégance, de la magnificence et de la beauté des sujets que ces tentures reproduiront, elles seront d'une solidité à pouvoir être brossées et baguettées comme une étoffe de drap. » Afin de prévenir les remarques sur le coût de ses pièces, il indique : « Le prix des tentures variera en fonction de la reproduction des sujets ce qui est incontestable : ainsi celui qui désirera un sujet unique, fait exprès pour lui, reproduisant un souvenir de famille, par exemple, ne pouvant pas être reproduit par d'autres, coûtera beaucoup plus qu'un sujet national qui pourra se reproduire plusieurs fois, tandis qu'un panneau de tenture des Gobelins coûtera toujours le même prix, que le sujet soit unique ou non ; il faudra toujours à cette manufacture le même nombre d'années et la même somme d'argent pour le produire. » L'intérêt manifesté par le jury de l'Exposition des produits de l'industrie française de 1839 pour le Portrait de Jacquard présenté par la maison Didier-Petit et Cie et le succès ultérieur de ce tissage avaient sans doute laissé quelque amertume à Gantillon. Il explique donc pourquoi son procédé est supérieur : « L'industrie lyonnaise a créé des sujets tissés faisant tableau, comme celui de Jacquard, qui a été porté en Chine par notre délégué comme sujet capital de la fabrication lyonnaise ; tandis que cette création, qui est admirablement tissée comme fabrication, n'est utile à rien, n'a aucun emploi sérieux, que celui d'être encadré comme son original dont elle est une simple copie, et qui a été obligée de faire des efforts inouïs de fabrication pour se dénaturer et pour imiter un sujet inférieur à sa composition, puisqu'elle n'imite purement et simplement qu'une feuille de papier gravée [...] : dans la mienne, tout en reproduisant la gravure, je lui ai conservé un emploi remarquable, ainsi que son caractère de tissu. » Quand se tient l'Exposition universelle, c'est encore le dossier de canapé avec une vue du lac de Côme qu'il expose, avec une Vue des environs de Naples. Un Portrait de Napoléon Ier y figurait probablement, dont le musée des Tissus possède deux exemplaires (inv. MT 25214 et MT 24591.1), simplement signés « C. E. G. » Cette fois, il choisit son sujet en conformité avec l'avènement d'un nouveau gouvernement... Cette adaptation du répertoire au contexte politique est également sensible dans la Notice qu'il envoie aux membres du grand jury : il dresse à titre d'exemple une liste de sujets qui pourraient trouver une illustration sur de grandes tentures brochées sur fond satin. On y trouve un paysage (la vue du quai Saint-Antoine, à Lyon), une scène historique (Richelieu remontant le Rhône), cinq scènes religieuses (la Fuite en Égypte, la Destruction de Ninive, le Christ au Calvaire, le dernier soupir du Christ, le Jugement dernier) et deux épisodes de la geste napoléonienne (la Bataille d'Austerlitz et les pestiférés de Jaffa). Les espoirs de Gantillon furent encore une fois déçus. Dans les quelques lignes qu'il adressait, en introduction de sa Notice, aux membres du grand jury, il avait annoncé qu'il renoncerait à faire reconnaître son invention à l'issue de l'Exposition londonienne, dans le cas où ses pièces ne seraient pas récompensées : « Après cette épreuve, qui sera la dernière pour cette fabrication, si elle n'est ni appuyée ni approuvée par vous, Messieurs, qui en serez les arbitres, j'aurai au moins la satisfaction de pouvoir dire que j'ai tout fait pour faire comprendre l'utilité de cette fabrication, qui a la facilité de pouvoir exécuter de grandes choses. N'ayant pas réussi, aucun reproche ne pourrait m'être adressé si elle était perdue pour l'art du tissage. » Gantillon enseigna la théorie du tissage pour subsister. Il publia, en 1859, à Paris et à Lyon, un Traité complet de la fabrication des étoffes de soie analysée degré par degré dans toutes les phases où la soie a passé depuis son origine jusqu'à son entière exécution en étoffes fabriquées. En 1865, il tentait encore, par l'envoi d'un « rapport sur les gobelins de Lyon, brochés sur fond de reps [...] dont il est le créateur » de convaincre la Société industrielle de Mulhouse d'en attirer la fabrication dans cette ville... Gantillon espérait qu'on lui commandât de grandes tentures présentant des sujets brochés traités comme des gravures. Il ne put convaincre ses contemporains qu'il saurait transposer le format des échantillons comme le dossier de canapé avec la vue du lac de Côme à grande échelle. Il ne réussit pas non plus à susciter l'enthousiasme avec son procédé. Les succès remportés par Maisiat en 1827 avec le Testament de Louis XVI (inv. MT 7915) et ceux promis au Portrait de Jacquard (inv. MT 2264 et MT 42157) de la maison Didier-Petit et Cie, présenté en 1839, laissaient sans doute peu de place à d'autres types de trompe-l'œil. Maximilien Durand (fr)
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