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  • En 1862, la Chambre de Commerce de Lyon faisait l'acquisition, pour son très jeune musée d'Art et d'Industrie (l'ancêtre du musée des Tissus et du musée des Arts décoratifs), de la collection de Jules Reybaud (1807-1872), dessinateur de fabrique, auteur des portraits tissés de Philippe de Lasalle (MT 7912), d'Antoine Berjon (inv. MT 7910) et de Jean-François Bony (inv. MT 7911) qui ont été présentés à l'Exposition universelle de 1855, et d'Alexandre de Humboldt, exécuté l'année suivante, ce dernier ayant valu à l'artiste une lettre flatteuse du modèle lui-même et une médaille d'or du roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV. Jules Reybaud avait constitué un cabinet, dans lequel il avait réuni une collection remarquable qui comprenait des œuvres appartenant au domaine des beaux-arts (peintures, gravures, lithographies), des arts appliqués à l'industrie (peintures, dessins) des céramiques européennes, chinoises et japonaises, des étoffes, du Moyen Âge jusqu'au Second Empire, des papiers peints et des objets d'art. La renommée, à Lyon, de ce cabinet était grande : il fut visité par le maréchal de Castellane, par le cardinal de Bonald et par le sénateur Vaïsse qui y accompagna le roi de Bavière, Maximilien II. L'acquisition de cette collection constitue, encore aujourd'hui, l'un des apports majeurs des fonds du musée, puisqu'elle avait été réunie par un connaisseur éclairé. La réputation de Philippe de Lasalle  (1723-1804), l'un des plus célèbres dessinateurs et marchands-fabricants de Lyon des règnes de Louis XV et de Louis XVI, basée à la fois sur la perfection de ses dessins et sur les innovations techniques qu'il a apportées au métier, tout autant que sur son exceptionnelle faculté, tout au long de sa carrière, à développer ses affaires, explique que les étoffes issues de ses ateliers ont été collectées avec soin par les dessinateurs qui lui ont succédé et par les professionnels de la fabrique, comme Jules Reybaud. Plusieurs chefs-d'œuvre du fabricant ont donc rejoint le musée des Tissus avec le cabinet de Jules Reybaud, comme la tenture avec le Petit joueur de cornemuse, et la collection du musée est aujourd'hui la référence mondiale pour l'étude et la connaissance de la production de Philippe de Lasalle. Le sujet du Petit joueur de cornemuse (ou L'Enfant berger ou L'Innocence) est emprunté à François Boucher (1703-1770), comme en témoigne l'eau-forte du maître, terminée au burin par Pierre Aveline, intitulée L'Innocence, aujourd'hui conservée au musée du Louvre, au département des Arts graphiques (inv. 18277 LR/Recto), ou la gravure en manière de crayon, impression en sanguine brune, de Gilles Demarteau (1722-1776) exécutée en 1770 d'après un dessin du maître ayant appartenu au cabinet de Pierre-Jacques-Onézyme Bergeret de Grancourt (1715-1785), aussi conservée au Louvre (inv. 19312 LR/Recto). La figure du Petit joueur de cornemuse avec son chien qui fait le beau a été reproduite à l'huile à plusieurs reprises par l'atelier de François Boucher, comme en témoigne, par exemple, la version du Museum of Fine Arts de Boston (inv. 61.958), mais aussi dans différentes techniques du domaine des arts décoratifs (tapisserie, émail, porcelaine). C'est donc un motif en vogue dans les années 1760-1770 qu'utilise Philippe de Lasalle sur ce meuble en satin broché nuances. Du dessin diffusé par la gravure, il retient l'enfant, dont la physionomie, l'attitude, le costume et les accessoires sont parfaitement fidèles au modèle, et le chien dressé sur ses pattes arrières. Il supprime en revanche les références bucoliques, transformant le berger en jardinier, appuyé sur un muret de pierres, à l'ombre d'une vigne. Sur le côté du muret, un seau contenant oreilles d'ours, iris, pensées, phlox et hellébore repose sur une petite marche. Une guirlande de mauve s'en échappe et ondule sous la terrasse qui accueille la scène. Celle-ci est traitée en soie polychrome brochée sur un fond de satin crème. Elle s'inscrit dans un médaillon, dont la couronne est composée de roses épanouies. En partie supérieure et inférieure du médaillon, des branches chargées de feuilles blanches permettent au rapport de dessin de se répéter, tandis que des convolvulus crème au cœur orangé occupent les écoinçons, de part et d'autre du médaillon central. Comme souvent dans les meubles façonnés produits par Philippe de Lasalle, l'étoffe est exécutée en satin de 8, chaîne (décochement 3), broché à plusieurs lats à liage repris par deux fils en sergé (de 3 lie 1, S). Elle est tissée sur une chaîne en organsin de soie (S de deux bouts crème ; découpure : 12 fils ; réduction : 144 fils par cm dont 24 liages repris par 2/6 des fils), par deux coups de trame de fond pour un coup de chaque lat de broché selon le décor (découpure : 1 passée ; réduction : 22 passées au cm). Mais, ce qui est notable, c'est que la trame de fond, invisible sous les flottés du satin, est en lin (filé de torsion Z) et non en soie, alors que les trames brochées sont en soie et schappe. On compte au moins quinze couleurs, en plus du blanc et du noir (trois tons de bleu, deux tons de vert, un vert-jaune, un jaune, un rouge, deux tons de rose, un violet, un parme, deux tons de gris et un marron). En fonction des couleurs, les trames sont composées de trois bouts sans torsion apparente ou faiblement assemblés (couleurs claires, en soie continue) ou de trois bouts Z assemblés en S ou sans torsion apparente (couleurs sombres ou mates, en schappe). La présence d'une trame de fond en lin et de schappe pour certaines couleurs du décor caractérise certaines productions de Philippe de Lasalle, qui sont distinguées par une autre particularité remarquable : la présence d'une lisière rayée de noir. Généralement composées de cordelines et de mignonettes tissées en satin, les lisières sont cependant différenciées. Celle de gauche est rayée de bleu clair, celle de droite, d'une large rayure noire. Les étoffes produites par Philippe de Lasalle à partir de 1771 et jusqu'en 1773 présentent cette double particularité d'être mélangées (trame de fond en lin ou en coton, présence de schappe en plus de soie continue) et de comporter une des deux lisières rayée de noir. En 1771, en effet, la Fabrique lyonnaise subissait une nouvelle crise, dont les causes et les effets sont rappelés par le mémoire qu'adressent, en mars 1772, les maîtres ouvriers à Jean-Charles-Philibert Trudaine de Montigny (1733-1777), car « les cris et les gémissements continuels d'un corps d'ouvriers le plus considérable du Royaume [...] ne leur permettent plus de garder le silence. » Tous les « maux » qui accablent la Fabrique sont alors rappelés : les deuils successifs qui ont affecté les cours européennes, la trop grande quantité d'étoffes fabriquées à l'occasion du mariage du dauphin et restée invendue, la guerre dans les pays du Nord qui ferme les principaux débouchés, les progrès des manufactures étrangères que l'émigration des ouvriers de Lyon « fortifie et perfectionne tous les jours », les mauvaises récoltes qui augmentent le prix des soies..., autant de causes qui expliquent « une cessation presque générale dont la durée ne fut jamais si considérable en aucun temps » (Paris, Archives nationales, F121441). Philippe de Lasalle est alors en train de perfectionner le métier à semple amovible qu'il a inventé et qui lui permet, tout en renouvelant le dessin, d'abaisser les coûts de production. Par ailleurs, il imagine de produire des meubles en satin ou en cannetillé, brochés à plusieurs lats, dont les trames de fond, peu visibles, sont en matériaux moins chers que la soie (schappe lattée de coton, coton ou lin), et les trames brochées en schappe, pour les couleurs les plus sombres, afin de réaliser des étoffes à prix véritablement compétitif. Le premier exemple de ce type de meubles est vraisemblablement la tenture dite « Les Perdrix » (inv. MT 2882), qu'il est en train de tisser lorsqu'il invite, en 1772, les maîtres-gardes de Lyon à se rendre à son domicile, rue Royale, au premier étage, pour examiner le métier de son invention à semple mobile, permettant de produire aisément de grands rapports de dessin sur la hauteur d'une laize. Les deux semples amovibles divisent le décor en deux parties correspondant chacune à plus de cinquante centimètres d'étoffe. Les maîtres-gardes sont impressionnés par ce système et par cette « étoffe fond carrelé bleu, brochée soye, a plusieurs lats, dont le dessein contenoit soixante dizaines » (Paris, Archives nationales de France, F121444A, Procès-verbal dressé par les maîtres-gardes, 9 novembre 1772). Cette tenture a été livrée à Louis-Joseph de Bourbon, prince de Condé, pour le Palais Bourbon, et elle a été utilisée pour le Salon d'attente de Bathilde d'Orléans, duchesse de Bourbon, la fille du prince et l'épouse de Louis-Henri de Bourbon-Condé. En 1773, elle fut aussi livrée à l'impératrice de toutes les Russies, Catherine II. Elle fut utilisée pour le Boudoir au premier étage du Grand Palais de Peterhof. Cette même année 1773, Philippe de Lasalle livre aussi à l'impératrice une autre étoffe remarquable, la tenture dite « de Tchesmé » (inv. MT 2886), elle aussi réalisée grâce au métier à semple mobile au moyen de soie, de coton et de schappe. Le prix de cette tenture, consigné dans les Archives de la maison impériale (РГНА, Ф 468, оп. I. Д. 3888, 1773 г., л. 156/RGIA, F. 468, liste 1, n° 3888, 1773, p. 156), paraît, en effet, dérisoire (dix roubles cinquante kopecks par archine) par rapport au coût de la tenture dite « au Paon et au Faisan » (inv. MT 1278), livrée en 1778 pour vingt-cinq roubles l'archine. Cette capacité de Philippe de Lasalle à maintenir son activité durant la grande crise de 1771-1772 grâce à l'invention du semple amovible et à la production d'étoffes mélangées, en soie, coton ou lin et schappe, a peu été soulignée. Elle est pourtant remarquée par ses contemporains. Au début de l'année 1778, Philippe de Lasalle fait rappeler l'état de ses travaux au Directeur général des Finances (Archives nationales de France, F121444A, 6 janvier 1778). Parmi les services qu'il a rendus à la Fabrique lyonnaise, il rappelle qu'« il a fait considérablement travailler les ouvriers de Lyon en étoffes pour meubles pour la Russie, ou il entrait très peu de soye, beaucoup de main d'œuvre et dont les fleurs s'exécutoient avec le rebus des cocons qu'il faisoit filer. » Il obtient peu de temps après une gratification de six mille livres, dont Jacques Necker l'informe dans une lettre datée du 13 juin, où il précise : « Je sçais aussi que vous avés créé dans la partie des meubles une branche de Commerce qui dans des tems de cessation de travail a occupé un grand nombre d'ouvriers et que vous avés été autorisé à cette occasion par le Conseil a sortir des règles prescrites par les Reglemens de la Fabrique en vous assujettissant a une marque distinctive ; les remerciemens que vous ont faits en 1772 les syndics et Mrs Gardes de la fabrique de Lyon à l'occasion du portrait de Louis XV exécuté en étoffes dont vous avés faits présent à cette Com(munau)té prouvent jusqu'à quel point vous avés porté l'art du dessein et de la fabrication. » Necker s'est préalablement fait remettre un rapport (Archives nationales de France, F121444A) sur Philippe de Lasalle, dans lequel on apprend que le fabricant fut autorisé à « s'écarter des méthodes usitées de fabriquer les étoffes, en mettant une marque distinctive, pour laisser à son génie l'essort dont il avait besoin, et l'on a vu sortir de son pinceau des chefs-d'œuvre dans le genre d'étoffes pour meubles, en matière de laine, fil et bourre de soye qu'il faisait préparer à sa manière, ce qui a prodigieusement occupé de bras dans des temps mesme de cessation d'ouvrages et ses étoffes ont orné les Palais des Rois et ceux de l'impératrice de Russie qui a considérablement fait travailler la ville de Lyon dans cette nouvelle branche d'industrie. » Plusieurs tentures conservées au musée des Tissus sont des étoffes mélangées, comme la laize de satin jaune, broché de fleurs nuancées (inv. MT 2879), celle en damas gros de Tours, fond crème, broché d'un bouquet nuancé noué par un ruban bleu (inv. MT 2866), celle en damas gros de Tours, fond bleu, broché d'un bouquet nuancé noué par un ruban rose (inv. MT 24591.2), celle en satin ponceau, broché de fleurs nuancées (inv. MT 2867), la tenture dite « aux tourterelles dans des fleurs » sur fond de satin jaune (inv. MT 2871), la tenture dite « aux colombes », sur fond satin ponceau (inv. MT 29688) ou la tenture « au faisan doré » (inv. MT 1286 et MT 36453), indiquant que ces étoffes ont été produites en 1771-1772, durant la crise subie par la Fabrique lyonnaise qui incita Philippe de Lasalle à demander l'autorisation au Conseil de « sortir des règles prescrites par les Reglemens de la Fabrique » en produisant des étoffes mélangées, notamment pour l'exportation vers la Russie, à la condition de s'assujettir « a une marque distinctive. » La présence d'une lisière noire, sur un côté de la laize, permettait de distinguer à l'œil nu les étoffes mélangées, soie, schappe et coton ou soie, schappe et lin, produites durant la grande crise de la Fabrique lyonnaise par Philippe de Lasalle. Les étoffes exécutées par le fabricant après cette crise, tout en soie, ne présentent plus cette particularité. L'exemplaire de la tenture au Petit joueur de cornemuse conservé au musée des Tissus peut donc bien être datée des années 1771-1772, au moment ou le goût pour les « enfants » de François Boucher était à son paroxysme. Le succès de ce modèle de Philippe de Lasalle semble avoir été important, comme en témoigne, par exemple, le fragment conservé au Metropolitan Museum de New York (inv. 38.182.6) ou le second exemplaire du musée des Tissus (inv. MT 2884), acquis avec la collection de François Bert en 1862, à l'instar d'autres tentures du fabricant avec des sujet pastoraux ou champêtres, comme le Jardinier (inv. MT 1284), la Bouquetière (inv. MT 2885) ou le couple formé par le Jardinier et la Bouquetière (inv. MT 2876 et MT 2920). Maximilien Durand (fr)
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