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  • Né au Havre en 1877, Raoul Dufy embrasse une carrière de peintre après s’être formé aux écoles des Beaux-Arts de sa ville natale puis de Paris, à partir de 1900. Son œuvre puise alors dans les différents courants esthétiques de la peinture de son époque, en particulier le cubisme. Sous l’influence combinée de Paul Cézanne et de Paul Gauguin — dont Dufy découvre les bois gravés en 1906 — son travail se porte sur les arts décoratifs à partir de 1910. En mars 1911 paraît le recueil de Guillaume Apollinaire, Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée, dont Dufy a réalisé les illustrations. Il s’agit de lithographies ayant chacune pour sujet un animal du cortège. Les gravures sur bois de fil utilisées pour cet ouvrage vont être déterminantes dans l’œuvre textile du peintre. Le recours à cette technique médiévale lui apprend à répartir les vides et les pleins dans un cadre donné ; il joue avec les oppositions de noir et blanc pour suggérer la lumière et le volume. Tirant parti de leurs possibilités graphiques réduites, Dufy prolonge ses recherches cubistes de 1906-1909 et poursuit un chemin qui le conduit inexorablement à l’ornementation. Grâce à Maurice de Vlaminck, avec qui il avait exposé quelques toiles en 1905 au Salon d’Automne, Dufy fait la connaissance du plus célèbre couturier de la Belle Époque : Paul Poiret, surnommé « le Magnifique ». Son goût est moderne et sûr, il aime s’entourer de nombreux artistes. Il soupçonne le talent et l’envie de Dufy de créer pour les arts décoratifs. Le couturier lui propose de s’associer avec lui pour monter un petit atelier d’impression sur étoffe — surnommé plus tard par le peintre la « Petite Usine ». À l’aide d’un chimiste que Poiret engage du même coup, Dufy réalise, à la main et à l’aide de planches gravées, des tissus imprimés dont les motifs s’inspirent de la Wiener Werkstätte et des animaux du Bestiaire. Il apprend ainsi de manière empirique les techniques de la teinture localisée, qu’il fixe sur le tissu avec des produits chimiques. Poiret finance le projet et utilise les tissus mais n’intervient pas dans la chaîne de production. Son audace de couturier et sa générosité vont permettre à Dufy de s’exprimer sur l’étoffe de la manière la plus libre qui soit. Ce sont ces qualités techniques alliées au style coloré et vif de Dufy qui séduisent le soyeux Charles Bianchini, représentant à Paris de la maison lyonnaise Atuyer-Bianchini-Férier. Il propose au peintre de l’engager comme dessinateur-textile attaché à l’entreprise ; celui-ci devra, pendant toute la durée de son contrat de trois ans, lui livrer ses esquisses et ses mises au net chaque semaine. La collaboration de Dufy pour l’industrie textile commence le 1er avril 1912 (le contrat est signé le 1er mars). Dufy travaille alors dans les locaux de la maison avenue de l’Opéra à Paris. À la fin de ce premier contrat de trois ans, il déménage impasse de Guelma dans son propre atelier. En 1919, il signe un nouveau contrat d’exclusivité de trois ans, qu’il renouvelle jusqu’en 1928. Grâce à Charles Bianchini, le dialogue entre dessinateur et industriel renaît. Dufy saisit rapidement les tenants et les aboutissants des contraintes de l’industrie, et réalise des maquettes en conséquence. Son dessin spontané, coloré et parfois naïf, contribue à changer de manière significative l’esthétique de la Fabrique. Dans un premier temps, Dufy réutilise ses bois gravés du Bestiaire ; il change parfois certains éléments et leur disposition dans l’espace quand les besoins de l’industrie et du commerce l’imposent. Jusqu’en 1919, Dufy conçoit des motifs exclusivement pour le tissu d’habillement. À cette date, la maison décide d’ouvrir un rayon d’étoffes d’ameublement et Dufy peut alors couvrir d’arabesques et de fleurs les intérieurs contemporains. En plus des motifs floraux ou exotiques qui jalonnent la production de l’artiste pour Bianchini-Férier (la maison change de raison sociale à la mort de Pierre-François Atuyer le 26 décembre 1912), Paris est un thème privilégié. Il le traite aussi bien dans ses productions textiles que dans ses toiles et aquarelles. En remettant au goût du jour les vues de monuments de la capitale qui avaient contribué au succès de la toile de Jouy, Dufy participe au renouvellement du style du XVIIIe siècle, encore exploité par la Fabrique au début du XXe siècle. Le motif de Paris ou Coin de fenêtre est créé en août 1923 pour être édité en damas meuble sous le numéro de patron B.F. 15837. Voici comment le décrit Christian Zervos dans Les Arts de la maison (printemps-été 1925) : « D’autres fois, il nous montre Paris à travers une fenêtre encadrée de fleurs, ornée de cages et de bocaux de poissons rouges. Cet homme qui a visité les cités des hommes, c’est de cette fenêtre ouverte sur Paris qu’il semble le mieux contempler le monde. On l’y voit rêver sur le passé et le présent : Notre-Dame et la Tour Eiffel. » Dufy s’inspire des Monuments de Paris de Louis-Hippolyte Lebas, réalisé en 1816 par la manufacture d’Oberkampf à Jouy-en-Josas. Sur cette tenture chaque bâtiment est inscrit dans un tableautin ou un médaillon traité dans le goût néoclassique — supporté par des renommées tenant des couronnes de laurier et surmonté de trophées. Chacun d’eux est représenté de face, suivant une perspective mathématique rigoureuse. Loin d’adopter la composition rigide du XIXe siècle, Dufy dessine une vue de Notre-Dame et de la tour Eiffel toutes deux inscrites dans une ouverture elliptique. Les monuments sont traités de façon très simple, à la manière de silhouettes. La vieille cathédrale et la Dame de fer apparaissent à travers une fenêtre bordée de rideaux de tulle, dotée d’un balcon en fer forgé aux ornements contournés. Le peintre fait peu de cas de la perspective euclidienne, car selon lui « il n’y a que des couleurs dont les rapports entre eux créent l’espace et c’est tout » (Pierre Courthion, « Mes conversations avec le peintre » préface du catalogue Raoul Dufy, Genève, musée d’Art et d’Histoire, 1952). Chaque vue est entourée d’une somptueuse composition de lys, d’amaryllis et de roses. À l’intérieur de cette pièce au décor onirique sont posés sur une table ronde une cage contenant un oiseau, un bocal avec deux poissons et un livre ouvert. La nappe est ornée de fleurs stylisées que l’esthétique rapproche des premières créations textiles du peintre. Elle rappelle les liens qui unissent ses premiers motifs à la gravure sur bois. Cette partie du dessin dérive en partie d’une des planches du Bestiaire. Le Chat représentait l’animal face au spectateur se tenant sur une table en compagnie d’un livre, d’une lampe à huile et d’un vase. Pour le tissu, le peintre adapte la gravure et conserve certains éléments, à savoir le livre ouvert et le vase — qui contient désormais des fleurs naturalistes. Il ajoute un oiseau en liberté s’envolant par la fenêtre à gauche et supprime la lampe. Le décor de la nappe sur la gravure Le Chat sert à l’élaboration du premier dessin de Dufy pour le textile, traduit en façonné par Atuyer-Bianchini-Férier en 1910. Sur le tissu Paris, la stylisation des fleurs de la nappe contraste avec le naturalisme de celles qui les entourent. Après 1919 Dufy abandonne peu à peu les manières cubistes et fauves pour une ligne plus souple, sans sacrifier à la pose des couleurs ; il les dissocie du trait pour donner aux corolles des pétales une allure baroque et faire vibrer la lumière. À l’époque où il conçoit ce tissu, Dufy exécute pour Bianchini-Férier ses plus belles aquarelles au motif de roses. Le musée des Tissus de Lyon conserve ainsi un carré de soie noir à décor lamé or (inv. MT 34350) représentant des bouquets de roses épanouies. Leur traitement sur cette œuvre de 1925 se rapproche de celui du dessin de Paris. Les fleurs, motif séculaire de la production textile lyonnaise, sont privilégiées par l’artiste dans nombre de ses compositions. Il aime les disposer en semis, en jeté ou en bouquet sur la surface du tissu. Elles sont parfois combinées à des scènes vivantes illustrant les plaisirs de la vie mondaine, à l’image de l’exemplaire façonné Longchamp, conservé lui aussi au musée des Tissus (inv. MT 30192). Le choix de Paris combiné à cette exubérance florale fait de ce tissu un exemple particulier de la joie de vivre qui qualifie l’œuvre entière de Dufy. Paris et sa société mondaine, avide de plaisirs et de loisirs, sont fréquemment choisis comme sujets pour des compositions textiles après 1920. Vers 1923 l’artiste réalise un projet pour un foulard sur lequel sont disposés, comme flottant dans l’espace, les principaux monuments de la capitale avoisinant de grosses roses épanouies. Le 11 février 1925, l’État commande à Dufy un projet de mobilier comprenant quatre chaises, deux fauteuils, un canapé, puis deux fauteuils et deux bergères. C’est pour le peintre une nouvelle occasion de traiter le thème de Paris. L’ensemble doit être exécuté par la manufacture de Beauvais et fait aujourd’hui partie des collections du Mobilier national. La décision d’introduire le modernisme dans la manufacture — encore largement tributaire des œuvres et des méthodes du XVIIIe siècle — justifie le choix d’un artiste comme Raoul Dufy pour réaliser les cartons. Pour le décor des dossiers des fauteuils, il renouvelle la composition de Paris et exécute des vues de monuments de la capitale depuis une fenêtre similaire à celle qui figure sur le tissu. Cette pièce est entrée dans les collections du musée en 1926, suite à un don de la maison Bianchini-Férier comprenant en tout trois tissus fabriqués d’après Raoul Dufy. Il s’agissait d’œuvres majeures, présentées à l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de Paris en 1925. Les Coquillages (inv. MT 30374) avaient servi à Paul Poiret à l’élaboration d’une robe du soir présentée dans sa péniche Orgues lors de cette manifestation. Le couturier avait aussi utilisé Les Éléphants (inv. MT 30372) pour la confection d’un manteau en 1923. Les tissus de Dufy présentés par la maison Bianchini-Férier sont particulièrement remarqués et mentionnés dans les rapports de l’Exposition. Les conservateurs et spécialistes du textile soulignent leur modernité parmi la production contemporaine, tout en insistant sur les rapports qu’entretient le peintre avec la production textile traditionnelle. Léon Moussinac, journaliste et critique, rapporte en 1925 dans les Étoffes d’ameublement tissées et brochées, à propos du renouveau de la soierie lyonnaise : « C’est surtout depuis 1919 que ces efforts se sont affirmés par des réussites éclatantes dont les prolongements n’ont pas tardé ; ainsi les tissus de Raoul Dufy dont l’influence aura été considérable. La composition s’est évadée du dessin linéaire absolu, un peu sec, qui répondait à l’esthétique de 1900, pour s’attacher surtout aux valeurs. La facture a accusé son caractère essentiellement moderne, révélant au-delà des influences orientales, ou des réminiscences du XVIIe siècle, l’assimilation d’un cubisme digéré et des rythmes les plus frappants de la vie présente. Si la flore fournit des thèmes abondants, la faune, l’anecdote ou le détail ne sont pas moins recréés selon les nécessités de la destination ». Clémentine Marcelli (fr)
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