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  • Suaire de saint Austremoine, dit aussi « Suaire de Mozac » (fr)
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  • Le fragment présente un décor rouge, jaune clair et bleu clair sur fond bleu foncé qui comporte une scène de chasse impériale contenue dans un grand médaillon. La couronne du médaillon est ornée de boutons floraux, et elle est ponctuée par des rouelles contenant une fleur épanouie. Elles indiquent que, sur l'étoffe d'origine, de grands médaillons se répétaient, liés à leur points de tangence par ces rouelles. Dans les écoinçons prennent place des motifs végétaux à base d'acanthe et de fleurons. Au centre du médaillon, l'Empereur byzantin, reconnaissable à sa longue tunique rehaussée de cabochons et de perles, appelée scaramangion, est figuré deux fois, autour d'un arbre qui marque l'axe de symétrie de la scène. Il est représenté sur un cheval richement caparaçonné et pourvu d'étriers. Le cavalier, une lance dans la main, transperce la gueule d'un lion qui bondit entre les jambes du cheval. Un chien, en partie inférieure, attaque le fauve. La scène de la chasse au lion, inspirée par l'iconographie sassanide, traitée ici sous la forme d'une double épiphanie impériale, de part et d'autre de l'arbre de vie emprunté à la Perse, est une image emblématique de la puissance de l'Empereur des Romains d'Orient.  Le musée des Tissus a fait l'acquisition de cette pièce unique de l'art textile byzantin auprès de la Fabrique de l'église Saint-Pierre de Mozac, dans le Puy-de-Dôme, en 1904. L'étoffe avait servi à envelopper les reliques de saint Austremoine qu'avait obtenues l'abbaye de Mozac à l'époque carolingienne. Austremoine — Austremonius ou Stremonius — aurait été, d'après Grégoire de Tours qui le mentionne avant 573 dans son Historia Francorum (Histoire des Francs) et vers 580 dans son ouvrage Gloria Confessorum (À la gloire des Confesseurs), le premier évêque de Clermont et l'un des évangélisateurs de la Gaule, où il subit le martyre. Il fut enterré dans l'église rurale d'Issoire mais son culte demeura extrêmement local, avant de presque disparaître. Une nuit, le diacre Cautinus, qui devait devenir évêque de Clermont en 551 et mourir en 571, s'imagina entendre des psalmodies provenant du lieu saint. En regardant par sa fenêtre, il aperçut des hommes vêtus de blanc, tenant des cierges allumés et chantant des psaumes autour de la tombe abandonnée. Dès le lendemain, il la fit entourer d'une balustrade et le souvenir de saint Austremoine fut à nouveau entretenu à Issoire. Cent ans plus tard, un autre diacre du lieu, saint Priest (Praejectus), élevé en 650 à l'épiscopat de Clermont, introduisit le culte de saint Austremoine dans la liturgie de son diocèse. Il aurait aussi composé des gesta sancti Austremonii martyris (Passion de saint Austremoine, martyr). Ils constituent la base des vies plus tardives du saint. Son successeur, l'évêque saint Avit II, vers 688, fit exhumer les restes de saint Austremoine à Issoire et les fit transporter en grande pompe dans la basilique qu'il venait de faire ériger à Volvic sur le tombeau de saint Priest, martyrisé en 676. Le corps fut ensuite transféré à Mozac et c'est à cette occasion que les restes furent enveloppés dans le fameux suaire conservé au musée des Tissus. Les circonstances de cette ultime translation de Volvic à Mozac sont bien connues. Elles sont rapportées dans les différentes versions médiévales de la vie de saint Austremoine. La Vita sancti Austremonii prima est la source la plus précise sur cet événement. Elle est connue par deux manuscrits conservés à la Bibliothèque municipale de Clermont-Ferrand (ms. 147, f° 1-8, datant du Xe siècle ou de la première moitié du XIe siècle et provenant de Saint-Alyre de Clermont ; ms. 148, f° 195-202, datant du XIIIe siècle). Elle rapporte que l'abbaye des Saints-Pierre-et-Caprais de Mozac avait connu une période de gloire mais l'action d'hommes mauvais (propter malorum hominum invastationem, et, plus loin dans le texte, propter oppressionem pravorum hominum) l'avait réduite à un état de faiblesse extrême (isdem locus sub tanta debilitate erat adtritus, ut...). L'abbé Lanfroid et la communauté de Mozac demandèrent donc au roi Pépin l'autorisation de transférer les restes de quelque saint afin de restaurer le prestige de l'abbaye. Lors d'une visite à Volvic, le souverain se souvint de sa promesse. Accompagné de Joseph, désigné comme scriba et sacerdos regis, c'est-à-dire « scribe et prêtre du roi », il présida à l'élévation puis à la translation des reliques de saint Austremoine, portant lui-même le corps saint sur ses épaules. C'est lui qui le fit envelopper dans des étoffes de lin et de soie. Après le transfert des restes sacrés à Mozac, grâce au roi Pépin, l'abbaye retrouva sa dignité et égala en renommée les lieux les plus fameux d'Auvergne. La seconde partie de la Vita sancti Austremonii prima est consacrée aux miracles qui illustrèrent le tombeau du saint dans l'abbaye : guérisons d'aveugles, de paralytiques, de lépreux et délivrance de possédés. Une Vita sancti Austremonii secunda, conservée dans un unique manuscrit de la fin du IXe siècle ou du Xe siècle (Bruxelles, Bibliothèque royale, ms. 8550, f° 11-17v°), ne fait que reprendre le récit précédent en le paraphrasant. Elle fournit aussi quelques détails nouveaux qui n'apportent rien d'essentiel au récit antérieur. Une Vita sancti Austremonii tertia est connue par trois manuscrits : le premier, provenant de Lérins, peut être daté du XIe siècle (Vatican, Bibliothèque apostolique, Vat. reg. lat. 486, f° 1-53) ; le deuxième, du XIIe siècle et de l'abbaye auvergnate de Mauriac (Clermont-Ferrand, Bibliothèque municipale, ms. 732, p. 57-59) ; la troisième est un manuscrit de Saint-Martial de Limoges (Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 5365, f° 117r°-122r°). Le manuscrit de Limoges comprend un prologue, la Vita proprement dite et un texte ampoulé, manifestement incomplet, relatif aux translations du corps de saint Austremoine d'Issoire à Volvic, puis de Volvic à Mozac (l'abbaye n'est pas nommée) ; les deux autres ajoutent à cet ensemble une Revelatio, des Translationes et la copie, sans aucune modification, de l'ensemble des Miracula tel qu'il figurait dans la Vita secunda. La comparaison de cette Vita tertia avec les deux précédentes montre une amplification considérable du récit. La Revelatio concerne la mise en valeur du corps de saint Austremoine à Issoire par Cautinus, futur évêque de Clermont ; la Prima Translatio, les événements qui conduisent le corps d'Austremoine d'Issoire à Volvic ; la Secunda Translatio (ou Revelatio corporis sancti Austremonii et ejusdem duplex translatio) le transfert des restes vers Mozac. Ce dernier récit semble bien être l'œuvre de l'auteur de la Vita, et il précise ce qu'il y avait d'incertain dans les deux récits antérieurs de la même translation dont il reproduit le thème. Il rappelle la fondation de l'abbaye par saint Calmin, en l'honneur de saint Pierre et saint Caprais, évoque le rôle de Lanfroid dans le transfert des restes et explique la décision favorable du roi Pépin par une vision. Pépin, qui se trouvait à Clermont, aurait été conduit en rêve dans la basilique Saint-Priest de Volvic. Devant un tribunal céleste présidé par le Christ lui-même, il aurait rencontré Austremoine, vêtu en évêque, mais en tenue de voyage. Austremoine lui aurait expliqué que l'abbaye de Mozac lui avait été confiée par Dieu pour qu'elle soit sous sa protection. La translation est effectuée par le souverain lui-même et par Joseph, regis apocrisarius, dont il est précisé qu'il deviendrait abbé de Thiers. Puis le récit se termine par la date exacte de la translation des restes de saint Austremoine à Mozac : Anno ab incarnatione Domini nostri Jesu Christi DCCLXIIII, indict. II, regnante vero domno Pippino anno XXIIII, acta est haec translatio. Eodem tempore imperabat Romanis Constantinus filius Leonis impératoris, c'est-à-dire « Cette translation a eu lieu la sept cent soixante-quatrième année de l'Incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ, dans la deuxième indiction, dans la vingt-quatrième année du règne du seigneur Pépin. En ce temps, Constantin, fils de Léon, était Empereur des Romains. » Enfin, un dernier texte s'ajoute à ce dossier de la translation à Mozac des restes de saint Austremoine, enveloppés dans le suaire de soie. Il s'agit d'un texte bref, intitulé Visio Lamfredi (ou Vision de Lanfroid), connu par un seul manuscrit du XIIe siècle, provenant de Saint-Alyre de Clermont (Clermont-Ferrand, Bibliothèque municipale, ms. 147, f° 147 v°). Pendant la nuit de Noël, l'abbé Lanfroid voit un cerf blanc entrer dans le monastère de Mozac et dessiner, de ses bois et de ses sabots, dans le sol du cimetière situé au nord de l'église des Saints-Pierre-et-Caprais, le plan d'une église. Huit jours plus tard, Lanfroid rêve qu'il se trouve aux côtés de Pépin (d'abord qualifié de dompnus, « seigneur », puis de rex, « roi ») dans son palais d'Orléans. Lanfroid raconte l'histoire du cerf à Pépin. Pépin, à son tour, raconte à Lanfroid un songe qu'il a eu dans la basilique Sainte-Croix d'Orléans : il avait été conduit devant les ruines d'un monastère par un vieillard resplendissant qui lui avait enjoint de construire-là une basilique pour rendre son honneur au monastère, qui lui avait été confié par Dieu. Peu de temps après, de retour d'une campagne contre le duc Waifre, Pépin se trouve en Auvergne et assiège la ville de Clermont. Il se souvient alors de son rêve et décide d'aller prier à Mozac. Lanfroid et la communauté viennent à sa rencontre. Lanfroid et Pépin se racontent leurs visions respectives et Lanfroid lui montre les traces laissées par le cerf dans le cimetière. Pépin décide la construction d'une superbe basilique, donne l'or et l'argent nécessaires et fait porter à Mozac, par chariots tirés par des paires de bœufs, de grandes pierres taillées provenant de la cité de Clermont qu'il venait de détruire en grande partie. Pépin nomme Adelbert (ou Adebert) comme successeur de l'évêque Étienne de Clermont, décédé depuis peu. C'est Adelbert qui conduit de Volvic à Mozac les restes de saint Austremoine avec l'appui de Pépin qui avait bénéficié d'une nouvelle vision à ce propos. Adelbert décide de se faire enterrer à Mozac.  Sur la foi de ces récits, et notamment de la date annoncée dans la Vita sancti Austremonii tertia, le suaire de saint Austremoine a souvent été considéré comme un présent de Pépin le Bref à l'abbaye de Mozac, fait à l'occasion de la translation. On a même imaginé qu'il avait pu être offert au premier roi carolingien par l'empereur iconoclaste Constantin V Copronyme, nommé dans le récit de la translation comme empereur régnant en Orient, et qu'il avait été tissé dans les ateliers impériaux de Constantinople dans la première moitié du VIIIe siècle. On sait aujourd'hui, grâce aux travaux de Léon Levillain, en 1904 et en 1926, notamment, que la translation, telle qu'elle est racontée dans la Vita tertia, a fait l'objet d'un travestissement historique, probablement imaginé au XIe siècle, visant à inscrire la renaissance de l'abbaye de Mozac dans la geste carolingienne la plus prestigieuse. Ce travestissement repose sur l'homonymie du premier roi carolingien, Pépin le Bref, et de son arrière-petit-fils, Pépin II d'Aquitaine, véritable auteur de la translation des restes de saint Austremoine. Cette légende, forgée peu avant 1095, a pour origine un acte faussement daté du 1er février 764, par lequel « Pépin le Bref, roi d'Aquitaine, à la requête de Lanfroid, abbé de Mozac, confirme à l'abbaye de Mozac fondée et dotée par le sénateur romain Calmin et par sa femme Namadie avec le consentement des rois Thierry III et Clovis III dont les actes et diplômes lui ont été présentés, les nombreuses donations qui avaient été faites par ces rois tant à Calmin et à Namadie qu'à l'abbé Euterius et à la congrégation de Saint-Pierre-et-Saint-Caprais ; à l'occasion de la translation des reliques de saint Austremoine de Volvic à Mozac qu'il a lui-même accomplie, le roi donne au monastère deux domaines en Auvergne. » Léon Levillain a pu démontrer que l'acte est bien un faux, mais surtout qu'il repose sur un document indiscutablement vrai : la charte placée sous le nom de Pépin le Bref doit être restituée à Pépin II d'Aquitaine et datée du 1er février 847 ou, plus vraisemblablement, du 1er février 848. Par ce document, aujourd'hui disparu, « Pépin II, roi d'Aquitaine, à la requête de Lanfroid, abbé de Mozac, concède audit monastère des domaines situés en Auvergne, à l'occasion de la translation des reliques de saint Austremoine, à laquelle il a présidé. » Depuis, d'autres études ont montré les enjeux politiques et religieux de cette falsification et de la revendication du patronage de Pépin le Bref, plutôt que de Pépin II d'Aquitaine, sur l'abbaye de Mozac. Un acte de janvier 864, conservé dans le cartulaire de Saint-Julien de Brioude, qui concerne un échange de biens entre le comte Bernard et sa femme Ermengarde, d'une part, et l'abbé Lanfroid et la communauté de Mozac, d'autre part, confirme que la translation des restes de saint Austremoine a bien eu lieu sous le règne de Pépin II. Cet acte mentionne Lanfroid comme abbas e coenobio Mausiaco, quod est patria Arvernica [...] constructum in honorem beati Petri apostolorum principis et Caprasii martyris, ubi moderno tempore beatus Stremonius martyr, primus Arvernorum episcopus et praedicator, corpore requiescit, c'est-à-dire « abbé au monastère de Mozac, qui est construit dans la patrie des Arvernes en l'honneur du bienheureux Pierre, prince des apôtres, et du bienheureux Caprais, martyr, où saint Stremoine, premier évêque des Arvernes et leur évangélisateur, repose en corps depuis peu ». Le cas de l'abbaye de Mozac relève donc d'un phénomène bien connu de la politique religieuse carolingienne au IXe siècle. Un établissement monastique délaissé bénéficie de mesures destinées à lui rendre son importance : confirmation de biens, nouvelles donations, translation de reliques, don d'étoffes orientales précieuses pour les envelopper, toutes ces actions étant suivies de la rédaction de la Vita du saint récemment transféré et du recensement de ses miracles. Un autre texte, publié sous le titre Additamentum de reliquiis sancti Austremonii, a été rédigé à l'occasion de la reconnaissance officielle des restes de saint Austremoine, en 1197, par l'évêque de Clermont, Robert. Un certain Gaubert, moine de Mozac, avait espéré pouvoir accéder au poste d'abbé de son monastère. Il en fut décidé autrement. Gaubert, devenu abbé d'Issoire, prétendit pour se venger que les reliques de saint Austremoine se trouvaient toujours à Issoire. À Mozac, l'abbé Guillaume demanda à l'évêque de Clermont de procéder à une reconnaissance des reliques de son abbaye. L'évêque Robert vint à Mozac, fit ouvrir le reliquaire d'Austremoine, sous l'autel majeur, dans la crypte appelée « confession ». L'évêque découvrit le corps saint protégé par les tissus de soie et de lin qui remontaient à la translation de Pépin. Trois sceaux, dont le sceau royal, étaient encore en place et l'évêque ne voulut pas les briser pour conserver intact ce vénérable signe d'authenticité. Il fit ouvrir le paquet par le côté et procéda à une inspection manuelle des ossements. Puis il fit replacer les reliques dans son ancien reliquaire, en attendant d'avoir l'occasion de faire réaliser une châsse plus précieuse. Les circonstances de la translation à Mozac des reliques, sous l'abbatiat de Lanfroid et en présence de l'évêque Adebert, sont encore rappelées. Au vu de ce dossier historique et littéraire complexe, le « suaire de Mozac » a été daté diversement du VIIIe siècle (règne de Pépin le Bref) ou du IXe siècle (règne de Pépin II d'Aquitaine), y compris dans la bibliographie la plus récente de l'œuvre (Guide des collections du musée des Tissus, 2010, p. 32), voire même du Xe ou du XIe siècle. Cette dernière datation repose sur une comparaison purement iconographique. La scène singulière qui orne le suaire de saint Austremoine, avec la double représentation de l'Empereur (basileus) byzantin en grand costume de parade, a en effet été rapprochée de la figure impériale présente sur une exceptionnelle tapisserie de soie, appelée Gunthertuch et conservée au Diözesanmuseum de Bamberg, qui a été retrouvée en 1830 enveloppant les restes de l'évêque de cette ville, Gunther, mort en juillet 1065 au retour d'un pèlerinage à Jérusalem. Cette tapisserie montre probablement les victoires de l'empereur Nicéphore Phocas contre les Arabes à Tarse et à Mopsueste, en 965, ou le double triomphe de l'empereur Basile II célébré après sa victoire sur les Bulgares (1017) à Athènes, puis à Constantinople. Évidemment cette hypothèse a été peu suivie. Aujourd'hui, l'analyse technique du suaire de saint Austremoine semble bien attacher sa présence dans la châsse du saint à la libéralité du roi Pépin II d'Aquitaine. Le suaire de saint Austremoine présente, en effet, une particularité qui confirme une attribution de la pièce à la première moitié du IXe siècle. La chaîne, en soie rouge de torsion Z, a une proportion de une chaîne pièce pour une chaîne de liage, conforme à la tradition de tissage des samits méditerranéens, mais l'étoffe est exécutée avec des passées paires à retour. Cette mise en œuvre révèle une importante différence de savoir-faire par rapport aux étoffes produites entre le milieu du Ve siècle et la fin du VIIIe siècle dans les grands centres du Bassin méditerranéen. Un autre samit exceptionnel offre la même particularité, extrêmement rare dans le corpus des étoffes de l'Orient du haut Moyen Âge. Il s'agit du fameux « suaire de Charlemagne », conservé au musée national du Moyen Âge-Thermes et hôtel de Cluny, à Paris (inv. Cl. 13289), lui aussi tissé sur des fils pièce simples et teints en rouge, de torsion Z, avec des passées paires à retour et un fond bleu profond, pourpré par les points de liage. Il provient du trésor de la cathédrale d'Aix-la-Chapelle, et la tradition prétend qu'il aurait enveloppé les restes de Charlemagne. L'iconographie de cette étoffe — un cocher conduisant un quadrige de face, encadré par deux jubilatores, dont le rôle, à l'hippodrome, consistait à exciter le désir du conducteur de char de remporter la course, et accompagnés par deux autres personnages versant des pièces, le prix de la victoire, dans un récipient en forme de cylindre — et la composition en rangées de médaillons tangents liés par des rouelles, entre lesquels s'affrontent des bouquetins, sont caractéristiques du renouvellement de l'art byzantin durant la crise iconoclaste (726-843). La Vie de saint Étienne le Jeune, le plus célèbre, sans doute, des martyrs iconodoules, écrite en 806, rappelle que suite au concile des Hiéréia, tenu à la demande de l'empereur Constantin V Copronyme, seules « furent épargnées et même prisées les images d'arbres peuplés d'oiseaux, les représentations de courses hippiques, de chasses, de scènes de théâtre et d'hippodrome. » Les images religieuses, en revanche, furent proscrites, et elles firent l'objet des destructions que l'on connaît. Comme le « suaire de Charlemagne » conservé au musée national du Moyen Âge-Thermes et hôtel de Cluny, avec lequel il partage des caractéristiques techniques déterminantes, le suaire de saint Austremoine relève de cette iconographie iconoclaste qui promeut l'édilité impériale (scènes d'hippodrome) ou la puissance de l'Empereur (chasse). Le tissage sur des fils de chaîne rouges de torsion Z, avec des passées paires à retour, semble d'ailleurs se généraliser dans les productions constantinopolitaines des IXe-Xe siècles, comme en témoigne, par exemple, la fameuse soierie aux lions passants provenant de la châsse de saint Annon à Siegburg (Löwenstoff), inscrite aux noms de l'empereur Romain Ier Lécapène et de son fils Christophe (921-931), conservée au Textilmuseum de Krefeld. Sur cet exemple, néanmoins, plus tardif, la proportion des chaînes est de deux fils de chaîne pièce pour un liage, plus adaptée au tissage à passées paires à retour. Le suaire de saint Austremoine et le « suaire de Charlemagne » pourraient donc être parmi les plus anciens samits méditerranéens à grand décor témoignant de cette évolution déterminante. Leur iconographie, qui les rattache l'un et l'autre à l'iconoclasme byzantin, en font aussi de précieux témoins de l'art constantinopolitain de cette période. La présence en Occident du suaire de saint Austremoine peut alors être le résultat d'un cadeau diplomatique fait par l'empereur iconoclaste Théophile (829-842) à Louis le Pieux (814-840) pour son aide dans la lutte contre les Arabes. Il l'aurait transmis à son héritier Pépin Ier d'Aquitaine (797-838), qui l'aurait légué à son fils Pépin II. Henri d'Hennezel, directeur du musée des Tissus, rapporte en 1943 une étrange anecdote qu'il tenait de son prédécesseur, Raymond Cox, relative à l'acquisition du suaire de saint Austremoine, immédiatement identifié comme un chef-d'œuvre. « La Fabrique de Mozac éprouvait sans doute quelque peine à fixer un prix correspondant à la valeur de l'objet. Il y avait à cette époque des louis et ils étaient en or vrai. Il fut convenu que l'on recouvrirait la surface du tissu d'autant de louis qu'elle pourrait en contenir et que la somme ainsi obtenue serait versée en paiement par la Chambre de Commerce. On aligna, les uns contre les autres, quatre cents louis. Huit mille francs ne paieraient pas aujourd'hui, même de loin, cette soierie inestimable ; mais il y a quarante ans, c'était une somme. L'acquisition une fois faite, le tissu vint chez nous dans l'état où il se trouvait à Mozac. Il s'en fallait qu'il fût intact. Si l'on jette les yeux sur le tissu, dont aucune photographie n'a pu être reproduite jusqu'ici, on constate que des coupures très nettes qui ne sont pas le fait de l'usure apparaissent à la partie supérieure, à droite, le long du cavalier, et à gauche, suivant un découpage qui a enlevé jusqu'aux épaules la tête du second cavalier. Le trésor de Mozac (...) n'était peut-être pas surveillé autrefois de très près par ceux qui en avaient la charge. Toujours est-il que des ciseaux complaisants et, je veux le croire, ignorants, enlevaient à l'occasion des parties du tissu en les distribuant aux amateurs et aux marchands. » En effet, l'ouvrage d'Hippolyte Gomot, consacré à l'abbaye de Mozac en 1872, signale, dans la partie consacrée aux châsses abbatiales : « Nous avons remarqué, dans une de ces châsses, l'ossement entier d'une jambe enveloppé dans un morceau d'étoffe très ancienne sur laquelle sont dessinés quatre hommes d'armes à cheval et quatre lions. On y voit aussi des courroies coupées qui ont dû servir à envelopper le corps d'un martyr ; elles portent l'empreinte de plusieurs sceaux représentant un bœuf en relief et l'extrémité d'une clef. » Des fragments, soustraits à l'étoffe avant son acquisition par le musée des Tissus, sont aujourd'hui conservés à Florence, au musée du Bargello (inv. 2293 C) et à Riggisberg, à la Fondation Abegg (inv. Nr. 1416). Ils appartiennent manifestement à une seconde paire de cavaliers, affrontés autour d'un arbre, et ne sont pas jointifs avec le grand fragment conservé par le musée des Tissus. Ils confirment bien la description du tissu faite par Hippolyte Gomot qui avait vu deux paires de cavaliers. Le Livre des délibérations du Conseil municipal de Mozac conserve le compte rendu de la séance extraordinaire du 20 mars 1904 concernant l'« aliénation d'une pièce d'étoffe appartenant à la fabrique de l'église de Mozac ». Cette pièce indique les circonstances dans lesquelles le suaire de saint Austremoine a pu être acquis par le musée des Tissus : « Le Président (Coste, maire de Mozac) a communiqué au Conseil et lui a donné lecture des pièces suivantes : 1 - Lettre adressée à Mr le Préfet du Puy de Dôme par Mr Cox directeur du musée historique des Tissus de Lyon, qui demande à être autorisé à acquérir, au prix de huit mille francs, prix offert avec l'adhésion de l'administration des Beaux-Arts, une pièce d'étoffe du IXe siècle faisant partie du trésor de l'église de Mozac et classée Monument historique. 2 - Lettre de Mr le Sous-Préfet de Riom en date du 8 mars courant adressée pour lui faire part de la proposition ci-dessus et l'inviter à la soumettre tant à la délibération du Conseil de Fabrique qu'à celle du Conseil municipal. Ces deux assemblées ont à donner leur avis sur l'aliénation de la pièce précieuse dont il s'agit et sur l'emploi du prix de vente. Mr le Sous-Préfet explique que, par décision du 25 février dernier, Mr le ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts a donné l'autorisation nécessaire. 3 - Expédition d'une délibération émise par le Conseil de Fabrique de l'église de Mozac, conformément à l'invitation de Mr le Sous-Préfet, le 13 mars courant. Par cette délibération, le Conseil de Fabrique dit qu'il y a lieu de vendre la pièce d'étoffe demandée par le musée historique des Tissus de Lyon, moyennant le prix offert de huit mille francs et à la condition que mention de sa provenance sera faite au catalogue du musée. Cette somme devra être versée au trésor de la Fabrique et employée à des réparations estimées nécessaires soit à l'église soit au bâtiment contigu du presbytère, monuments historiques classés. Après ces lectures suivies d'explications, et après discussion, le Conseil, à l'unanimité, adhérant aux motifs développés dans la délibération du Conseil de Fabrique, déclare approuver et autoriser, si besoin est, l'aliénation de la pièce d'étoffe dont il s'agit, au prix et aux conditions énoncées dans ladite délibération du Conseil de Fabrique, ainsi que l'emploi des fonds qui s'y trouve indiqué, le tout sans exception ni réserve. » Quelques mois seulement après l'acquisition du suaire de saint Austremoine, Raymond Cox obtenait encore, pour les collections du musée, des fragments du suaire de saint Lazare d'Autun (inv. MT 27600), chef-d'œuvre de l'art islamique médiéval, lui aussi utilisé pour envelopper des reliques. Ils constituaient un don d'Adolphe, cardinal Perraut, évêque d'Autun.  Maximilien Durand (fr)
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  • 32630
P3 has note
  • Le fragment présente un décor rouge, jaune clair et bleu clair sur fond bleu foncé qui comporte une scène de chasse impériale contenue dans un grand médaillon. La couronne du médaillon est ornée de boutons floraux, et elle est ponctuée par des rouelles contenant une fleur épanouie. Elles indiquent que, sur l'étoffe d'origine, de grands médaillons se répétaient, liés à leur points de tangence par ces rouelles. Dans les écoinçons prennent place des motifs végétaux à base d'acanthe et de fleurons. Au centre du médaillon, l'Empereur byzantin, reconnaissable à sa longue tunique rehaussée de cabochons et de perles, appelée scaramangion, est figuré deux fois, autour d'un arbre qui marque l'axe de symétrie de la scène. Il est représenté sur un cheval richement caparaçonné et pourvu d'étriers. Le cavalier, une lance dans la main, transperce la gueule d'un lion qui bondit entre les jambes du cheval. Un chien, en partie inférieure, attaque le fauve. La scène de la chasse au lion, inspirée par l'iconographie sassanide, traitée ici sous la forme d'une double épiphanie impériale, de part et d'autre de l'arbre de vie emprunté à la Perse, est une image emblématique de la puissance de l'Empereur des Romains d'Orient.  Le musée des Tissus a fait l'acquisition de cette pièce unique de l'art textile byzantin auprès de la Fabrique de l'église Saint-Pierre de Mozac, dans le Puy-de-Dôme, en 1904. L'étoffe avait servi à envelopper les reliques de saint Austremoine qu'avait obtenues l'abbaye de Mozac à l'époque carolingienne. Austremoine — Austremonius ou Stremonius — aurait été, d'après Grégoire de Tours qui le mentionne avant 573 dans son Historia Francorum (Histoire des Francs) et vers 580 dans son ouvrage Gloria Confessorum (À la gloire des Confesseurs), le premier évêque de Clermont et l'un des évangélisateurs de la Gaule, où il subit le martyre. Il fut enterré dans l'église rurale d'Issoire mais son culte demeura extrêmement local, avant de presque disparaître. Une nuit, le diacre Cautinus, qui devait devenir évêque de Clermont en 551 et mourir en 571, s'imagina entendre des psalmodies provenant du lieu saint. En regardant par sa fenêtre, il aperçut des hommes vêtus de blanc, tenant des cierges allumés et chantant des psaumes autour de la tombe abandonnée. Dès le lendemain, il la fit entourer d'une balustrade et le souvenir de saint Austremoine fut à nouveau entretenu à Issoire. Cent ans plus tard, un autre diacre du lieu, saint Priest (Praejectus), élevé en 650 à l'épiscopat de Clermont, introduisit le culte de saint Austremoine dans la liturgie de son diocèse. Il aurait aussi composé des gesta sancti Austremonii martyris (Passion de saint Austremoine, martyr). Ils constituent la base des vies plus tardives du saint. Son successeur, l'évêque saint Avit II, vers 688, fit exhumer les restes de saint Austremoine à Issoire et les fit transporter en grande pompe dans la basilique qu'il venait de faire ériger à Volvic sur le tombeau de saint Priest, martyrisé en 676. Le corps fut ensuite transféré à Mozac et c'est à cette occasion que les restes furent enveloppés dans le fameux suaire conservé au musée des Tissus. Les circonstances de cette ultime translation de Volvic à Mozac sont bien connues. Elles sont rapportées dans les différentes versions médiévales de la vie de saint Austremoine. La Vita sancti Austremonii prima est la source la plus précise sur cet événement. Elle est connue par deux manuscrits conservés à la Bibliothèque municipale de Clermont-Ferrand (ms. 147, f° 1-8, datant du Xe siècle ou de la première moitié du XIe siècle et provenant de Saint-Alyre de Clermont ; ms. 148, f° 195-202, datant du XIIIe siècle). Elle rapporte que l'abbaye des Saints-Pierre-et-Caprais de Mozac avait connu une période de gloire mais l'action d'hommes mauvais (propter malorum hominum invastationem, et, plus loin dans le texte, propter oppressionem pravorum hominum) l'avait réduite à un état de faiblesse extrême (isdem locus sub tanta debilitate erat adtritus, ut...). L'abbé Lanfroid et la communauté de Mozac demandèrent donc au roi Pépin l'autorisation de transférer les restes de quelque saint afin de restaurer le prestige de l'abbaye. Lors d'une visite à Volvic, le souverain se souvint de sa promesse. Accompagné de Joseph, désigné comme scriba et sacerdos regis, c'est-à-dire « scribe et prêtre du roi », il présida à l'élévation puis à la translation des reliques de saint Austremoine, portant lui-même le corps saint sur ses épaules. C'est lui qui le fit envelopper dans des étoffes de lin et de soie. Après le transfert des restes sacrés à Mozac, grâce au roi Pépin, l'abbaye retrouva sa dignité et égala en renommée les lieux les plus fameux d'Auvergne. La seconde partie de la Vita sancti Austremonii prima est consacrée aux miracles qui illustrèrent le tombeau du saint dans l'abbaye : guérisons d'aveugles, de paralytiques, de lépreux et délivrance de possédés. Une Vita sancti Austremonii secunda, conservée dans un unique manuscrit de la fin du IXe siècle ou du Xe siècle (Bruxelles, Bibliothèque royale, ms. 8550, f° 11-17v°), ne fait que reprendre le récit précédent en le paraphrasant. Elle fournit aussi quelques détails nouveaux qui n'apportent rien d'essentiel au récit antérieur. Une Vita sancti Austremonii tertia est connue par trois manuscrits : le premier, provenant de Lérins, peut être daté du XIe siècle (Vatican, Bibliothèque apostolique, Vat. reg. lat. 486, f° 1-53) ; le deuxième, du XIIe siècle et de l'abbaye auvergnate de Mauriac (Clermont-Ferrand, Bibliothèque municipale, ms. 732, p. 57-59) ; la troisième est un manuscrit de Saint-Martial de Limoges (Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 5365, f° 117r°-122r°). Le manuscrit de Limoges comprend un prologue, la Vita proprement dite et un texte ampoulé, manifestement incomplet, relatif aux translations du corps de saint Austremoine d'Issoire à Volvic, puis de Volvic à Mozac (l'abbaye n'est pas nommée) ; les deux autres ajoutent à cet ensemble une Revelatio, des Translationes et la copie, sans aucune modification, de l'ensemble des Miracula tel qu'il figurait dans la Vita secunda. La comparaison de cette Vita tertia avec les deux précédentes montre une amplification considérable du récit. La Revelatio concerne la mise en valeur du corps de saint Austremoine à Issoire par Cautinus, futur évêque de Clermont ; la Prima Translatio, les événements qui conduisent le corps d'Austremoine d'Issoire à Volvic ; la Secunda Translatio (ou Revelatio corporis sancti Austremonii et ejusdem duplex translatio) le transfert des restes vers Mozac. Ce dernier récit semble bien être l'œuvre de l'auteur de la Vita, et il précise ce qu'il y avait d'incertain dans les deux récits antérieurs de la même translation dont il reproduit le thème. Il rappelle la fondation de l'abbaye par saint Calmin, en l'honneur de saint Pierre et saint Caprais, évoque le rôle de Lanfroid dans le transfert des restes et explique la décision favorable du roi Pépin par une vision. Pépin, qui se trouvait à Clermont, aurait été conduit en rêve dans la basilique Saint-Priest de Volvic. Devant un tribunal céleste présidé par le Christ lui-même, il aurait rencontré Austremoine, vêtu en évêque, mais en tenue de voyage. Austremoine lui aurait expliqué que l'abbaye de Mozac lui avait été confiée par Dieu pour qu'elle soit sous sa protection. La translation est effectuée par le souverain lui-même et par Joseph, regis apocrisarius, dont il est précisé qu'il deviendrait abbé de Thiers. Puis le récit se termine par la date exacte de la translation des restes de saint Austremoine à Mozac : Anno ab incarnatione Domini nostri Jesu Christi DCCLXIIII, indict. II, regnante vero domno Pippino anno XXIIII, acta est haec translatio. Eodem tempore imperabat Romanis Constantinus filius Leonis impératoris, c'est-à-dire « Cette translation a eu lieu la sept cent soixante-quatrième année de l'Incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ, dans la deuxième indiction, dans la vingt-quatrième année du règne du seigneur Pépin. En ce temps, Constantin, fils de Léon, était Empereur des Romains. » Enfin, un dernier texte s'ajoute à ce dossier de la translation à Mozac des restes de saint Austremoine, enveloppés dans le suaire de soie. Il s'agit d'un texte bref, intitulé Visio Lamfredi (ou Vision de Lanfroid), connu par un seul manuscrit du XIIe siècle, provenant de Saint-Alyre de Clermont (Clermont-Ferrand, Bibliothèque municipale, ms. 147, f° 147 v°). Pendant la nuit de Noël, l'abbé Lanfroid voit un cerf blanc entrer dans le monastère de Mozac et dessiner, de ses bois et de ses sabots, dans le sol du cimetière situé au nord de l'église des Saints-Pierre-et-Caprais, le plan d'une église. Huit jours plus tard, Lanfroid rêve qu'il se trouve aux côtés de Pépin (d'abord qualifié de dompnus, « seigneur », puis de rex, « roi ») dans son palais d'Orléans. Lanfroid raconte l'histoire du cerf à Pépin. Pépin, à son tour, raconte à Lanfroid un songe qu'il a eu dans la basilique Sainte-Croix d'Orléans : il avait été conduit devant les ruines d'un monastère par un vieillard resplendissant qui lui avait enjoint de construire-là une basilique pour rendre son honneur au monastère, qui lui avait été confié par Dieu. Peu de temps après, de retour d'une campagne contre le duc Waifre, Pépin se trouve en Auvergne et assiège la ville de Clermont. Il se souvient alors de son rêve et décide d'aller prier à Mozac. Lanfroid et la communauté viennent à sa rencontre. Lanfroid et Pépin se racontent leurs visions respectives et Lanfroid lui montre les traces laissées par le cerf dans le cimetière. Pépin décide la construction d'une superbe basilique, donne l'or et l'argent nécessaires et fait porter à Mozac, par chariots tirés par des paires de bœufs, de grandes pierres taillées provenant de la cité de Clermont qu'il venait de détruire en grande partie. Pépin nomme Adelbert (ou Adebert) comme successeur de l'évêque Étienne de Clermont, décédé depuis peu. C'est Adelbert qui conduit de Volvic à Mozac les restes de saint Austremoine avec l'appui de Pépin qui avait bénéficié d'une nouvelle vision à ce propos. Adelbert décide de se faire enterrer à Mozac.  Sur la foi de ces récits, et notamment de la date annoncée dans la Vita sancti Austremonii tertia, le suaire de saint Austremoine a souvent été considéré comme un présent de Pépin le Bref à l'abbaye de Mozac, fait à l'occasion de la translation. On a même imaginé qu'il avait pu être offert au premier roi carolingien par l'empereur iconoclaste Constantin V Copronyme, nommé dans le récit de la translation comme empereur régnant en Orient, et qu'il avait été tissé dans les ateliers impériaux de Constantinople dans la première moitié du VIIIe siècle. On sait aujourd'hui, grâce aux travaux de Léon Levillain, en 1904 et en 1926, notamment, que la translation, telle qu'elle est racontée dans la Vita tertia, a fait l'objet d'un travestissement historique, probablement imaginé au XIe siècle, visant à inscrire la renaissance de l'abbaye de Mozac dans la geste carolingienne la plus prestigieuse. Ce travestissement repose sur l'homonymie du premier roi carolingien, Pépin le Bref, et de son arrière-petit-fils, Pépin II d'Aquitaine, véritable auteur de la translation des restes de saint Austremoine. Cette légende, forgée peu avant 1095, a pour origine un acte faussement daté du 1er février 764, par lequel « Pépin le Bref, roi d'Aquitaine, à la requête de Lanfroid, abbé de Mozac, confirme à l'abbaye de Mozac fondée et dotée par le sénateur romain Calmin et par sa femme Namadie avec le consentement des rois Thierry III et Clovis III dont les actes et diplômes lui ont été présentés, les nombreuses donations qui avaient été faites par ces rois tant à Calmin et à Namadie qu'à l'abbé Euterius et à la congrégation de Saint-Pierre-et-Saint-Caprais ; à l'occasion de la translation des reliques de saint Austremoine de Volvic à Mozac qu'il a lui-même accomplie, le roi donne au monastère deux domaines en Auvergne. » Léon Levillain a pu démontrer que l'acte est bien un faux, mais surtout qu'il repose sur un document indiscutablement vrai : la charte placée sous le nom de Pépin le Bref doit être restituée à Pépin II d'Aquitaine et datée du 1er février 847 ou, plus vraisemblablement, du 1er février 848. Par ce document, aujourd'hui disparu, « Pépin II, roi d'Aquitaine, à la requête de Lanfroid, abbé de Mozac, concède audit monastère des domaines situés en Auvergne, à l'occasion de la translation des reliques de saint Austremoine, à laquelle il a présidé. » Depuis, d'autres études ont montré les enjeux politiques et religieux de cette falsification et de la revendication du patronage de Pépin le Bref, plutôt que de Pépin II d'Aquitaine, sur l'abbaye de Mozac. Un acte de janvier 864, conservé dans le cartulaire de Saint-Julien de Brioude, qui concerne un échange de biens entre le comte Bernard et sa femme Ermengarde, d'une part, et l'abbé Lanfroid et la communauté de Mozac, d'autre part, confirme que la translation des restes de saint Austremoine a bien eu lieu sous le règne de Pépin II. Cet acte mentionne Lanfroid comme abbas e coenobio Mausiaco, quod est patria Arvernica [...] constructum in honorem beati Petri apostolorum principis et Caprasii martyris, ubi moderno tempore beatus Stremonius martyr, primus Arvernorum episcopus et praedicator, corpore requiescit, c'est-à-dire « abbé au monastère de Mozac, qui est construit dans la patrie des Arvernes en l'honneur du bienheureux Pierre, prince des apôtres, et du bienheureux Caprais, martyr, où saint Stremoine, premier évêque des Arvernes et leur évangélisateur, repose en corps depuis peu ». Le cas de l'abbaye de Mozac relève donc d'un phénomène bien connu de la politique religieuse carolingienne au IXe siècle. Un établissement monastique délaissé bénéficie de mesures destinées à lui rendre son importance : confirmation de biens, nouvelles donations, translation de reliques, don d'étoffes orientales précieuses pour les envelopper, toutes ces actions étant suivies de la rédaction de la Vita du saint récemment transféré et du recensement de ses miracles. Un autre texte, publié sous le titre Additamentum de reliquiis sancti Austremonii, a été rédigé à l'occasion de la reconnaissance officielle des restes de saint Austremoine, en 1197, par l'évêque de Clermont, Robert. Un certain Gaubert, moine de Mozac, avait espéré pouvoir accéder au poste d'abbé de son monastère. Il en fut décidé autrement. Gaubert, devenu abbé d'Issoire, prétendit pour se venger que les reliques de saint Austremoine se trouvaient toujours à Issoire. À Mozac, l'abbé Guillaume demanda à l'évêque de Clermont de procéder à une reconnaissance des reliques de son abbaye. L'évêque Robert vint à Mozac, fit ouvrir le reliquaire d'Austremoine, sous l'autel majeur, dans la crypte appelée « confession ». L'évêque découvrit le corps saint protégé par les tissus de soie et de lin qui remontaient à la translation de Pépin. Trois sceaux, dont le sceau royal, étaient encore en place et l'évêque ne voulut pas les briser pour conserver intact ce vénérable signe d'authenticité. Il fit ouvrir le paquet par le côté et procéda à une inspection manuelle des ossements. Puis il fit replacer les reliques dans son ancien reliquaire, en attendant d'avoir l'occasion de faire réaliser une châsse plus précieuse. Les circonstances de la translation à Mozac des reliques, sous l'abbatiat de Lanfroid et en présence de l'évêque Adebert, sont encore rappelées. Au vu de ce dossier historique et littéraire complexe, le « suaire de Mozac » a été daté diversement du VIIIe siècle (règne de Pépin le Bref) ou du IXe siècle (règne de Pépin II d'Aquitaine), y compris dans la bibliographie la plus récente de l'œuvre (Guide des collections du musée des Tissus, 2010, p. 32), voire même du Xe ou du XIe siècle. Cette dernière datation repose sur une comparaison purement iconographique. La scène singulière qui orne le suaire de saint Austremoine, avec la double représentation de l'Empereur (basileus) byzantin en grand costume de parade, a en effet été rapprochée de la figure impériale présente sur une exceptionnelle tapisserie de soie, appelée Gunthertuch et conservée au Diözesanmuseum de Bamberg, qui a été retrouvée en 1830 enveloppant les restes de l'évêque de cette ville, Gunther, mort en juillet 1065 au retour d'un pèlerinage à Jérusalem. Cette tapisserie montre probablement les victoires de l'empereur Nicéphore Phocas contre les Arabes à Tarse et à Mopsueste, en 965, ou le double triomphe de l'empereur Basile II célébré après sa victoire sur les Bulgares (1017) à Athènes, puis à Constantinople. Évidemment cette hypothèse a été peu suivie. Aujourd'hui, l'analyse technique du suaire de saint Austremoine semble bien attacher sa présence dans la châsse du saint à la libéralité du roi Pépin II d'Aquitaine. Le suaire de saint Austremoine présente, en effet, une particularité qui confirme une attribution de la pièce à la première moitié du IXe siècle. La chaîne, en soie rouge de torsion Z, a une proportion de une chaîne pièce pour une chaîne de liage, conforme à la tradition de tissage des samits méditerranéens, mais l'étoffe est exécutée avec des passées paires à retour. Cette mise en œuvre révèle une importante différence de savoir-faire par rapport aux étoffes produites entre le milieu du Ve siècle et la fin du VIIIe siècle dans les grands centres du Bassin méditerranéen. Un autre samit exceptionnel offre la même particularité, extrêmement rare dans le corpus des étoffes de l'Orient du haut Moyen Âge. Il s'agit du fameux « suaire de Charlemagne », conservé au musée national du Moyen Âge-Thermes et hôtel de Cluny, à Paris (inv. Cl. 13289), lui aussi tissé sur des fils pièce simples et teints en rouge, de torsion Z, avec des passées paires à retour et un fond bleu profond, pourpré par les points de liage. Il provient du trésor de la cathédrale d'Aix-la-Chapelle, et la tradition prétend qu'il aurait enveloppé les restes de Charlemagne. L'iconographie de cette étoffe — un cocher conduisant un quadrige de face, encadré par deux jubilatores, dont le rôle, à l'hippodrome, consistait à exciter le désir du conducteur de char de remporter la course, et accompagnés par deux autres personnages versant des pièces, le prix de la victoire, dans un récipient en forme de cylindre — et la composition en rangées de médaillons tangents liés par des rouelles, entre lesquels s'affrontent des bouquetins, sont caractéristiques du renouvellement de l'art byzantin durant la crise iconoclaste (726-843). La Vie de saint Étienne le Jeune, le plus célèbre, sans doute, des martyrs iconodoules, écrite en 806, rappelle que suite au concile des Hiéréia, tenu à la demande de l'empereur Constantin V Copronyme, seules « furent épargnées et même prisées les images d'arbres peuplés d'oiseaux, les représentations de courses hippiques, de chasses, de scènes de théâtre et d'hippodrome. » Les images religieuses, en revanche, furent proscrites, et elles firent l'objet des destructions que l'on connaît. Comme le « suaire de Charlemagne » conservé au musée national du Moyen Âge-Thermes et hôtel de Cluny, avec lequel il partage des caractéristiques techniques déterminantes, le suaire de saint Austremoine relève de cette iconographie iconoclaste qui promeut l'édilité impériale (scènes d'hippodrome) ou la puissance de l'Empereur (chasse). Le tissage sur des fils de chaîne rouges de torsion Z, avec des passées paires à retour, semble d'ailleurs se généraliser dans les productions constantinopolitaines des IXe-Xe siècles, comme en témoigne, par exemple, la fameuse soierie aux lions passants provenant de la châsse de saint Annon à Siegburg (Löwenstoff), inscrite aux noms de l'empereur Romain Ier Lécapène et de son fils Christophe (921-931), conservée au Textilmuseum de Krefeld. Sur cet exemple, néanmoins, plus tardif, la proportion des chaînes est de deux fils de chaîne pièce pour un liage, plus adaptée au tissage à passées paires à retour. Le suaire de saint Austremoine et le « suaire de Charlemagne » pourraient donc être parmi les plus anciens samits méditerranéens à grand décor témoignant de cette évolution déterminante. Leur iconographie, qui les rattache l'un et l'autre à l'iconoclasme byzantin, en font aussi de précieux témoins de l'art constantinopolitain de cette période. La présence en Occident du suaire de saint Austremoine peut alors être le résultat d'un cadeau diplomatique fait par l'empereur iconoclaste Théophile (829-842) à Louis le Pieux (814-840) pour son aide dans la lutte contre les Arabes. Il l'aurait transmis à son héritier Pépin Ier d'Aquitaine (797-838), qui l'aurait légué à son fils Pépin II. Henri d'Hennezel, directeur du musée des Tissus, rapporte en 1943 une étrange anecdote qu'il tenait de son prédécesseur, Raymond Cox, relative à l'acquisition du suaire de saint Austremoine, immédiatement identifié comme un chef-d'œuvre. « La Fabrique de Mozac éprouvait sans doute quelque peine à fixer un prix correspondant à la valeur de l'objet. Il y avait à cette époque des louis et ils étaient en or vrai. Il fut convenu que l'on recouvrirait la surface du tissu d'autant de louis qu'elle pourrait en contenir et que la somme ainsi obtenue serait versée en paiement par la Chambre de Commerce. On aligna, les uns contre les autres, quatre cents louis. Huit mille francs ne paieraient pas aujourd'hui, même de loin, cette soierie inestimable ; mais il y a quarante ans, c'était une somme. L'acquisition une fois faite, le tissu vint chez nous dans l'état où il se trouvait à Mozac. Il s'en fallait qu'il fût intact. Si l'on jette les yeux sur le tissu, dont aucune photographie n'a pu être reproduite jusqu'ici, on constate que des coupures très nettes qui ne sont pas le fait de l'usure apparaissent à la partie supérieure, à droite, le long du cavalier, et à gauche, suivant un découpage qui a enlevé jusqu'aux épaules la tête du second cavalier. Le trésor de Mozac (...) n'était peut-être pas surveillé autrefois de très près par ceux qui en avaient la charge. Toujours est-il que des ciseaux complaisants et, je veux le croire, ignorants, enlevaient à l'occasion des parties du tissu en les distribuant aux amateurs et aux marchands. » En effet, l'ouvrage d'Hippolyte Gomot, consacré à l'abbaye de Mozac en 1872, signale, dans la partie consacrée aux châsses abbatiales : « Nous avons remarqué, dans une de ces châsses, l'ossement entier d'une jambe enveloppé dans un morceau d'étoffe très ancienne sur laquelle sont dessinés quatre hommes d'armes à cheval et quatre lions. On y voit aussi des courroies coupées qui ont dû servir à envelopper le corps d'un martyr ; elles portent l'empreinte de plusieurs sceaux représentant un bœuf en relief et l'extrémité d'une clef. » Des fragments, soustraits à l'étoffe avant son acquisition par le musée des Tissus, sont aujourd'hui conservés à Florence, au musée du Bargello (inv. 2293 C) et à Riggisberg, à la Fondation Abegg (inv. Nr. 1416). Ils appartiennent manifestement à une seconde paire de cavaliers, affrontés autour d'un arbre, et ne sont pas jointifs avec le grand fragment conservé par le musée des Tissus. Ils confirment bien la description du tissu faite par Hippolyte Gomot qui avait vu deux paires de cavaliers. Le Livre des délibérations du Conseil municipal de Mozac conserve le compte rendu de la séance extraordinaire du 20 mars 1904 concernant l'« aliénation d'une pièce d'étoffe appartenant à la fabrique de l'église de Mozac ». Cette pièce indique les circonstances dans lesquelles le suaire de saint Austremoine a pu être acquis par le musée des Tissus : « Le Président (Coste, maire de Mozac) a communiqué au Conseil et lui a donné lecture des pièces suivantes : 1 - Lettre adressée à Mr le Préfet du Puy de Dôme par Mr Cox directeur du musée historique des Tissus de Lyon, qui demande à être autorisé à acquérir, au prix de huit mille francs, prix offert avec l'adhésion de l'administration des Beaux-Arts, une pièce d'étoffe du IXe siècle faisant partie du trésor de l'église de Mozac et classée Monument historique. 2 - Lettre de Mr le Sous-Préfet de Riom en date du 8 mars courant adressée pour lui faire part de la proposition ci-dessus et l'inviter à la soumettre tant à la délibération du Conseil de Fabrique qu'à celle du Conseil municipal. Ces deux assemblées ont à donner leur avis sur l'aliénation de la pièce précieuse dont il s'agit et sur l'emploi du prix de vente. Mr le Sous-Préfet explique que, par décision du 25 février dernier, Mr le ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts a donné l'autorisation nécessaire. 3 - Expédition d'une délibération émise par le Conseil de Fabrique de l'église de Mozac, conformément à l'invitation de Mr le Sous-Préfet, le 13 mars courant. Par cette délibération, le Conseil de Fabrique dit qu'il y a lieu de vendre la pièce d'étoffe demandée par le musée historique des Tissus de Lyon, moyennant le prix offert de huit mille francs et à la condition que mention de sa provenance sera faite au catalogue du musée. Cette somme devra être versée au trésor de la Fabrique et employée à des réparations estimées nécessaires soit à l'église soit au bâtiment contigu du presbytère, monuments historiques classés. Après ces lectures suivies d'explications, et après discussion, le Conseil, à l'unanimité, adhérant aux motifs développés dans la délibération du Conseil de Fabrique, déclare approuver et autoriser, si besoin est, l'aliénation de la pièce d'étoffe dont il s'agit, au prix et aux conditions énoncées dans ladite délibération du Conseil de Fabrique, ainsi que l'emploi des fonds qui s'y trouve indiqué, le tout sans exception ni réserve. » Quelques mois seulement après l'acquisition du suaire de saint Austremoine, Raymond Cox obtenait encore, pour les collections du musée, des fragments du suaire de saint Lazare d'Autun (inv. MT 27600), chef-d'œuvre de l'art islamique médiéval, lui aussi utilisé pour envelopper des reliques. Ils constituaient un don d'Adolphe, cardinal Perraut, évêque d'Autun.  Maximilien Durand (fr)
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  • Suaire de saint Austremoine, dit aussi « Suaire de Mozac » (fr)
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