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  • Le fukusa est un morceau d’étoffe orné et rectangulaire utilisé lors de la cérémonie du cadeau au Japon. Elle a lieu, à l’origine, dans les familles de samurai et lors d’occasions spéciales (une naissance, par exemple) : un cadeau est offert dans une boîte de bois simple, comme le requiert le plus haut niveau de protocole. Cependant, au début de l’époque Edo (1600-1868), ces cérémonies se sont multipliées et sont devenues plus abouties. La tradition s’est alignée au niveau de protocole intermédiaire qui stipule qu’un cadeau doit être présenté sur un plateau de bois (hirobuta) et recouvert d’un fukusa. Les sujets qui le décorent sont choisis en fonction de la raison qui anime le geste tandis que la qualité d’exécution détermine le statut social de la personne qui offre le cadeau – de plus, une doublure porte le mon (blason circulaire) de la famille à laquelle le fukusa appartient. Une fois le présent offert, à moins que la personne dont il provient décide d’en faire don, le fukusa est retourné à sa famille d’origine. Celui-ci provient de la collection d’Edmond de Goncourt, collectionneur réputé d’art japonais à la fin du XIXe siècle. Un an après sa mort, en 1897, le collectionneur et marchand d’art extrême-oriental Siegfried Bing se charge de la vente de la collection du défunt. C’est lors de cet événement que la Chambre de Commerce de Lyon acquiert cinq fukusa (MT 26028 à MT 26032), un kimono (MT 26033), douze échantillons de tissus (MT 26034), deux kakemono (MT 26035 et MT 26037) ainsi qu’un obi – ceinture servant à maintenir un kimono (MT 26038). Les deux pièces les plus onéreuses sont acquises au prix de deux cent quatre-vingt-dix francs et représentent le tiers du coût total de cet achat : il s’agit du kimono et de ce fukusa de velours, décrit ainsi par le catalogue de vente : « Grandes fleurs de pivoines, brodées sur velours rouge ». La Chambre de Commerce de Lyon commence à acquérir des pièces chinoises et japonaises dès le début des années 1860 : ces pièces extrême-orientales étonnent par leur esthétique inhabituelle. Au cours de cette décennie, et particulièrement grâce aux Expositions universelles, l’art japonais commence à bénéficier d'une certaine notoriété. Dans le domaine textile, c’est l’Exposition de Vienne en 1873 qui révélera le talent du Japon. C’est alors le commencement d’un véritable engouement pour les étoffes japonaises, qui durera jusqu’au début du siècle suivant. En 1878, Paris accueille une nouvelle Exposition universelle. L’art japonais est de plus en plus présent, et les collections officielles sont concurrencées par des collections privées – celle de Siegfried Bing, notamment. Les productions françaises sont elles aussi influencées par le japonisme : un certain « I. G. », dans son rapport sur les textiles présentés, souligne la beauté de tissus d’inspiration chinoise et japonaise présentés par la maison lyonnaise Tassinari et Chatel, tandis qu’Ernest Chesneau, dans un autre compte-rendu, déplore le nombre de « pauvres pastiches de l’art japonais » dont regorgent les étals. Qu’elle soit perçue comme bonne ou, au contraire, néfaste, l’influence du Japon est une évidence. Grâce à l’intervention de son délégué Natalis Rondot, la Chambre de Commerce de Lyon profite de cette Exposition pour acheter trente pièces textiles auprès des maisons Kōcho (MT 23738 à 23750), Mitsui (MT 23751 à MT 23760) et Takaki (MT 23761 à 23768). Ce grand nombre d’acquisitions textiles permettra alors de nourrir, outre les collections particulières rassemblées par des soyeux, la fabrique lyonnaise de l’esthétique japonaise. La rapide augmentation de textiles d’inspiration extrême-orientale donnera lieu, dans les années 1880, à l’avènement d’un style japonais ; très populaires, ces tissus sont utilisés par la Haute Couture parisienne. Ce style affectera également la forme du vêtement et deviendra le style kimono, qui culminera dans les premières décennies du XXe siècle. Le seul génie des artistes japonais n’explique pas à lui seul l’engouement qu’il suscite en Europe, et en particulier en France. En effet, l’ouverture du Japon et la diffusion de son art coïncide avec le tournant naturaliste de l’art au milieu du XIXe siècle. À la recherche d’un nouveau rapport à la nature, les artistes se sont tournés vers des formes moins idéalisées et plus proches du réel, ce que propose (en partie) l’art du Japon. C’est à l’époque un lieu commun que de dire que les Japonais ne font pas qu’imiter la nature : ils la comprennent et sont capables de la reproduire sans l’avoir sous les yeux. À propos des fabriques de Lyon et de Roubaix, Louis Gonse commente, dans la Revue des Arts décoratifs, « l’art japonais a révolutionné les fleurs ; il a révolutionné l’art de faire des bouquets. Ces bouquets en forme d’arrosoir, qui faisaient les délices de nos pères, ont été, grâce à lui, remplacés par une liberté de groupement qui est devenue tout à fait charmante et se prête sans effort à d’infinies combinaisons. » La fleur, une fois de plus, est au centre du motif textile, mais sous ses attraits originels. Les critiques d’art de l’époque dégageront de l’art japonais des caractéristiques générales qui s’inscrivent dans la logique du rejet de formes idéalisées : asymétrie des formes et de la composition, variation autour d’une même forme, représentation des plantes avec leurs tiges, fleurs, feuilles, fruits, etc. Une fleur en particulier trouve une popularité nouvelle car on l’associe au Japon : le chrysanthème. La fleur représentée dans ce fukusa n’est pas l’emblématique chrysanthème, mais il s’agit également d’un motif originairement chinois. La pivoine est un motif que l’on retrouve au Japon dès l’époque de Kamakura (1185-1333), en particulier sa fleur accompagnée de rinceaux – le motif se nomme alors botan karakusa. C’est à ce moment que des prêtres Zen voyagent au Japon depuis la Chine ; ils y laissent notamment des kesa, robes portées par les moines bouddhistes. Le motif de la pivoine les orne fréquemment. C’est ainsi que ce motif est introduit au Japon. La pivoine y conserve ses valeurs symboliques originelles : la richesse et l’honneur (vertu martiale associée à la noblesse). Dans les représentations les plus anciennes, la pivoine se présente sous une forme stylisée marquée par une esthétique sinisante : les pétales sont caractérisés par un onglet spiralé et un limbe pointu. Souvent, elle est associée au shishi, lion imaginaire et roi des animaux, issu de la mythologie bouddhiste. En raison des vertus symboliques qui lui sont associées, la pivoine orne souvent des tissus précieux comme le donsu (brocard) et le kinran (brocard d’or). Très appréciée également pour sa beauté et son raffinement, elle accompagnera, plus tard, le paon – animal qui, lui non plus, n’est pas originaire du Japon où il est néanmoins considéré comme le plus beau des oiseaux. C’est par ailleurs le cas d’un kesa datant du XIXe siècle conservé au musée des Tissus (inv. MT 32586). Les pivoines représentées dans ce fukusa ne tirent pas leur valeur décorative de la stylisation Zen. Ici, aucun rinceau : les branches d’un arbuste s’affinent en rameaux au bout desquels poussent des fleurs. Celles-ci présentent les différents stades de la floraison : à droite, partiellement caché par une fleur pleinement épanouie, un bouton de fleur laisse poindre quelques pétales ; un rameau dans le prolongement de ce bouton se termine par une fleur blanche dont les pétales commencent à peine à s’ouvrir. Les autres pivoines, blanches et roses, sont écloses. Les feuilles de l’arbuste, qui semblent animées par une brise, présentent des nuances qui varient entre le bleu foncé et l’ocre ; les tons les plus clairs sont généralement réservés à la partie inférieure des feuilles. Certaines de ces feuilles sont représentées simplement par leur contour et leur nervure centrale, le velours rouge du fond vient alors colorer leur limbe. L’esthétique qui caractérise ce fukusa se situe entre réalisme et stylisation. L’aspect naturel de l’arbuste est assez proche des pivoines peintes par Hiroshige dans les années 1830 (notamment une estampe conservée au Fine Arts Museum of San Francisco, inventoriée sous le numéro FASF.22482). Un uchishiki (étoffe destinée à orner l’autel bouddhique des temples dans certaines demeures) du musée des Tissus datant de la fin du XVIIIe présente des pivoines très semblables dans les coloris et la stylisation, cette dernière étant néanmoins plus poussée (MT 32600). Il est intéressant de remarquer que, dans un effet de style, les ondés épais et marrons dont sont faites les branches de l’arbuste s’affinent à mesure que le regard progresse vers la partie inférieure du fukusa, produisant ainsi un dégradé de forme qui indique que ce que nous voyons ici n’est qu’une ramification d’un arbrisseau bien plus grand. La broderie participe pleinement du style de ces pivoines ; elle est principalement constituée d’épais ondés de soie couchés sur le fond de velours (dont la nuance si particulière de rouge laisse supposer qu’elle a été obtenue par la méthode traditionnelle chū beni, qui consiste à teindre un textile une première fois au bois de sappan, puis à la fleur de carthame). L’emploi de l’ondé permet de varier subtilement les couleurs : cette technique consiste à enrouler en spire un fil épais autour d’un autre fil plus fin (l’âme) – les deux brins employés sont soit de la même couleur, soit chacun d’une couleur différente. Les effets de nuances sont parfois réalisés au sein d’un seul fil : la teinte plus foncée et orangée du bouton de fleur est due à un fil chiné, c’est-à-dire qui mêle des filaments de couleurs différentes. Ces procédés, invisibles de loin, permettent d’apporter des touches de couleurs en combinant les nuances restreintes des fils. Les ondés les plus épais permettent de couvrir des surfaces et de les colorer, les plus fins sont réservés aux contours. Des cordonnets plus fins encore, blancs pour la plupart, rappellent la délicatesse des nervures qu’ils tracent sur les feuilles. D’autres, tantôt dorés, tantôt cuivrés, confèrent au tissu un aspect précieux. Eux aussi sont réservés aux contours intérieurs des feuilles, à l’exception du segment d’une tige presqu’entièrement doré. La broderie permet aussi de rendre les plus menus détails de la plante : des points passés plats ajoutent de fines nervures sur la feuille ocre proche du bord droit du fukusa. Le recours au passé plat donne au cœur de la fleur blanche pleinement éclose un aspect duveteux ; ses pistils sont représentés par des points lancés et ses étamines par du point de nœud. Si les Occidentaux trouvent que l’intérêt des textiles japonais réside dans leur forme (la complexité technique étant davantage recherchée dans les pièces chinoises), ce fukusa n’en est pas moins une véritable anthologie de la broderie japonaise, tant pour la variété des techniques présentées que pour la richesse de composition de ses fils. Tout porte à croire ici qu’il s’agit d’une pièce authentique : la maîtrise d’exécution, la qualité des matériaux (notamment le velours de soie coupé, tissu rarement employé dans la confection de fukusa en raison de son caractère précieux) ainsi que la présence de fils de soie blancs sur les bords du tissu, indice qu’une doublure a été décousue afin de pouvoir fixer cette pièce sur un panneau de bois. La grande valeur de cette pièce ainsi que son iconographie, évoquant la noblesse, laisse penser qu’une famille de samurai l’a possédée. En témoigne l’expression japonaise, « Le fukusa d’une famille de samurai, le furoshiki d’une famille de roturiers » : ces deux textiles remplissent la même fonction (à ceci près que le furoshiki sert à emballer un cadeau, et non à le recouvrir) mais le premier est empreint d’une certaine noblesse. Tandis que le furoshiki est une étoffe simple de coton ou de chanvre, le fukusa est fait d’un matériau précieux, la soie, et doublé. C’est là l’une des principales différences entre les fukusa authentiques et ceux destinés à l’exportation qui, eux, sont dépourvus de doublure. Comme les Européens y voient un objet décoratif mural, qui est donc encadré, la doublure ne remplit aucune fonction, elle est donc ôtée ; ainsi les fukusa spécialement créés pour orner les intérieurs des Occidentaux n’en ont pas. Hugo Develly (fr)
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