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| - Gaspard Grégoire naquit dans une famille de marchands et de fabricants d'étoffes de soie d'Aix-en-Provence. Le dessin et la gravure constituent ses premières activités artistiques connues, puisqu'il réalise un portrait du roi René destiné au frontispice de l'ouvrage rédigé par Gaspard Grégoire père, intitulé Explication des cérémonies de la Fête-Dieu d'Aix-en-Provence, publié en 1777. Il grave au burin treize planches d'illustration pour ce même ouvrage, d'après les dessins de son frère Paul, tandis que son autre frère Louis-Denis transcrit les airs joués et chantés. Le 4 juin 1777, il est admis avec deux de ses frères, Louis-Denis et Dominique-Alexandre, comme maître, en qualité de fils de maître, dans la corporation des marchands d'Aix, et signe parfois « Grégoire cadet » comme mandataire de la raison sociale de la maison Grégoire père et fils sur les registres de délibération du corps des marchands.
C'est vers 1782 qu'il a l'idée de proposer des petits tableaux de velours. Il se rend à Lyon, vraisemblablement pour initier les essais de son invention, consistant à peindre les fils de chaîne avant le tissage afin de rendre parfaitement le modelé et les nuances du modèle, ce que les procédés de tissage ne permettaient pas d'obtenir. L'application de peinture sur les fils servant à confectionner le tissu lui a été suggérée par le procédé de chinage. Elle représente un exploit technique. Elle nécessita de nombreuses tentatives avant d'atteindre la perfection qu'on lui connaît. Gaspard Grégoire gagne ensuite Paris en 1785, aidé dans ses démarches par son ami Toussaint-Bernard Emeric-David (1755-1839), juriste homme politique et critique d'art aixois. Il avait déjà accueilli en 1776 le frère de Gaspard, Paul Grégoire (1755-1842), jeune dessinateur et peintre sourd-muet. Du comte d'Angiviller, directeur et ordonnateur général des bâtiments de Sa Majesté, jardins, arts, académies et manufactures royales, Gaspard Grégoire obtient une pension et un logement dans la Galerie du Louvre. La nouveauté et la qualité des premiers velours avient bien su convaincre le comte d'Angiviller d'encourager leur perfectionnement. Aucune autre forme de textile n'était parvenue à imiter aussi parfaitement la peinture.
Mais d'Angiviller avait imposé une condition à son soutien : que les tableaux fussent exécutés en grande taille. Gaspard Grégoire fit venir des ouvriers de Lyon pour réaliser le portrait de Marie-Antoinette et le tableau de fleurs qu'il s'était engagé à fournir. Le 22 août 1786, Grégoire adresse un mémoire à d'Angiviller dans lequel il révèle que le portrait de la reine « a mal réussi », et que les fleurs qui devaient suivre n'ont pas été exécutées. Il s'en excuse en expliquant les difficultés techniques et financières qui ont empêché le succès de l'expérience. Il a alors abandonné le commerce familial pour se consacrer uniquement à ce projet, et il doit rémunérer les ouvriers qui travaillent pour lui, payer les soies qui viennent de Lyon et du Piémont, les métiers et leur entretien. Il sollicite une somme de trois mille livres pour poursuivre ses expériences, qui furent infructueuses pour les tableaux en grand. Le logement dont il avait été gratifié au Louvre lui est retiré en 1787 au profit du peintre Louis-Jean-François Lagrenée.
C'est à Jean-François de Tolozan, intendant du commerce, que Grégoire s'adresse désormais. Dans la séance du 28 février 1788 des délibérations du Bureau du Commerce, Tolozan indique que le sieur Grégoire a demandé « une autorisation et des encouragements pour exercer l'art de faire en velours de petits tableaux, représentant des fleurs, des paysages, des animaux et des figures », soit, « en dédommagement de ses dépenses considérables, un privilège exclusif de 15 années pour la fabrication de ses tableaux et une somme de trente mille livres, avec en plus l'exemption de droits, tant à la sortie qu'à la circulation des tableaux en velours qu'il fabriquera. » Nicolas Desmarets, de l'Académie royale des sciences, et le sieur de Lausel, inspecteur ambulant des manufactures, chargés d'examiner la nature du travail et des procédés de Grégoire, ont déposé un rapport favorable, disant « que par la correction des contours et l'insensible dégradation des nuances, le travail du sieur Grégoire était, sans aucune proportion, supérieur à tout ce que les fabricants de Lyon avaient fabriqué jusqu'à présent pour exécuter des fleurs et des figures en velours à trois ou quatre couleurs. » Un autre expert, le sieur Brisson, lui aussi inspecteur ambulant des manufactures, émet au contraire un rapport défavorable. L'assemblée soumet les divers rapports aux députés du commerce. Ceux-ci font connaître leur avis le 27 mai 1788, avis rappelé à la séance du 26 juin du Bureau présidé par Tolozan. Les députés ne se prononcent pas affirmativement sur les procédés qu'emploie Grégoire, et pensent que son invention « tient absolument aux Arts comme la gravure et la peinture et ne peut faire article de commerce, ni être d'aucun secours à nos manufactures ; qu'on peut accorder ce privilège pour neuf ans seulement, et qu'à l'égard des trente mille livres que demande le sieur Grégoire, ils ne sont point d'avis de lui accorder. »
Dans cette même séance, Desmarets soutient que ce procédé : « 1 - N'est pas le chiné, puisqu'on nue. 2 - Ce n'est pas la tire, puisque l'envers présente des couleurs pareilles. 3 - Ce n'est pas un simple dessin, puisqu'il ne faut que le temps de fabriquer le velours pour passer d'une grandeur à une autre. 4 - Ce n'est pas impression, car pour imprimer, il faut des couleurs empâtées qui arrêteraient l'exécution des tissus. Ce n'est donc pas ce qu'on connaît déjà, mais une invention heureuse, à en juger par les résultats. » L'Assemblée décide donc d'accorder le privilège de quinze ans et douze mille livres, sous condition pour Grégoire de faire la preuve qu'il n'emploie ni la tire, ni le chiné, à l'effet de quoi il sera tenu d'exécuter en présence des sieurs Desmarets et Abeille, inspecteurs généraux du commerce et des manufactures, la fabrication de ses ouvrages et de donner par écrit son procédé, pour « ledit procédé être rendu public à l'expiration des quinze années. » Le 12 juillet 1788 est rendu en sa faveur l'arrêt définitif lui accordant le privilège et les douze mille livres.
Grégoire, parallèlement à sa production de velours, mène des recherches sur les couleurs, dont les premiers résultats sont publiés dans un opuscule intitulé Mémoire sur les couleurs des bulles de savon suivi de quelques observations particulières sur l'évaporation de l'eau et sur les propriétés des couleurs qui concourut pour le prix proposé par l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, publié à Londres et à Paris en 1789. Pour donner plus de diffusion à ses velours peints et en tirer quelque bénéfice, il fait paraître des encarts publicitaires dans le Journal de Paris et la Gazette de France en janvier 1790. Ils ornent alors le couvercle de bibelots, boîtes ou bonbonnières, ou sont montés en médaillons. En 1793 encore, une réclame pour ces velours est publiée dans L'Almanch sous verre.
Pendant le Directoire et le Consulat, la famille Grégoire ayant vu sa fortune très ébranlée par la Révolution — la maison de commerce n'existait plus, la famille était dispersée et Gaspard Grégoire père était mort en 1795 —, Gaspard Grégoire s'associe à son frère Dominique pour des affaires financières, menées en collaboration avec leur ami Emeric-David. Mais il n'abandonne pas ses recherches et il dépose en 1800 une demande de brevet de quinze ans pour une nouvelle découverte « d'étoffes ou tissus circulaires, plans et autres formes à lisières ou à fonds inégaux, qu'il nomme tournoises. Lesdites étoffes applicables à beaucoup d'objets, principalement de parures et ornements pour hommes et pour femmes, de même que pour meubles. » Le brevet en règle lui est délivré en 1801 (le 2 nivôse an IX ; il fut proclamé à la date du 23 prairial an IX). Grégoire dépose en 1802 (le 22 ventôse an X) une demande de certificat d'addition et de perfectionnement, et un second brevet de quinze ans en 1806 (le 2 nivôse an XIV) pour la fabrication des tournoises, accordé également. En 1802, il fonde la société Grégoire et Cie avec les consorts Huard, qui exploite la fabrication des tournoises, dont un exemplaire, seulement, semble avoir été identifié dans les collections du musée des Tissus (inv. MT 37125).
Les créations de Grégoire intéressent le gouvernement impérial. À partir de 1804, il obtient de Jean-Antoine Chaptal, ministre de l'Intérieur, un logement qu'il occupera jusqu'à la fin de ses jours à l'hôtel de Vaucanson (ou hôtel de Mortagne), au 47, rue de Charonne, annexe du Conservatoire des Arts et Métiers. Il le partage avec le fileur John Milne. Dès 1806, Grégoire obtient les distinctions qu'il avait tant espérées. Ses velours, présentés à la Société d'encouragement pour l'industrie nationale, font l'objet d'un rapport élogieux. « Pour tenter une pareille entreprise, il ne suffisait pas de connaître à fond les divers systèmes de machines à tisser, il fallait encore être instruit des procédés de la teinture et pouvoir assez bien peindre pour juger de l'exactitude d'une imitation ; M. Grégoire possède ces divers talents, et ses succès prouvent combien la réunion des arts et des sciences exactes est favorable aux progrès de l'industrie. » S'ensuit une lettre flatteuse du ministre de l'Intérieur, qui lui fait part de son intérêt pour son invention. En juillet 1807, la Société d'encouragement pour l'industrie nationale décerne une médaille d'argent de première classe à « Monsieur Grégoire, à Paris, (qui) est parvenu à tisser des tableaux en velours avec une correction et une perfection qu'il ne paraissait pas possible d'atteindre ; l'imitation est plus parfaite que dans aucun autre tissu. »
Grégoire doit cependant attendre 1813 pour être honoré d'une commande du Garde-Meuble. Elle concerne quatre fauteuils et deux chaises, en bois sculpté et doré, destinés à la galerie du Pavillon du Roi de Rome, pour lesquels il doit réaliser des velours selon sa technique, fond chamois, à décor de fleurs et d'ornements. Le Roi de Rome étant né le 20 mars 1811, l'Empereur, qui venait de faire reconstruire l'ancien hôtel du Gouvernement de Rambouillet, donna à cet édifice le titre de Pavillon du Roi de Rome. En 1813, les travaux ayant été menés avec célérité, les commandes pour les aménagements intérieurs sont passées. Malheureusement, les étoffes ne seront livrées qu'en septembre et décembre 1816, plus d'un an après les Cent Jours et la fin de l'Empire, et elles ne seront jamais utilisées. L'ensemble déposé par le Mobilier national au musée des Tissus en 1986 présente le fond de siège, le dossier et les accotoirs d'un des fauteuils. Sur le fond de siège s'épanouit une rosace ornementale, dont le cœur est formé par un bouquet de violettes, contenue dans une couronne de fleurs traitées au naturel. Sur le dossier, une guirlande de feuilles et de fleurs, nouée par des rubans, encadre un culot d'acanthe d'où jaillit un bouquet de fleurs. Les accotoirs sont ornés d'une guirlande fleurie.
En 1813, la Société d'encouragement pour l'industrie nationale salue le travail qu'il a accompli en publiant, un an auparavant, une Table des Couleurs qui présente mille trois cent cinquante teintes graduées, disposées en cercle chromatique et obtenues par le mélange et la combinaison des couleurs « primitives » ou « franches ». La Société souligne aussi la qualité d'un « portrait de Sa Majesté l'Empereur exécuté en velours, un des ouvrages les plus remarquables qui soient sortis des ateliers de ce fabriquant ; on ne sait ce que l'on doit le plus admirer dans ce portrait, ou de la parfaite ressemblance, ou de la manière ingénieuse dont les couleurs y sont mélangées. »
À l'Exposition des produits de l'industrie française de 1819, Gaspard Grégoire obtient une médaille d'argent pour la reproduction en velours de la nature morte de Jan Van Huysum Corbeille de fleurs sur une table de marbre, dont un exemplaire est conservé au musée des Tissus (inv. MT 1146). La Société pour l'encouragement à l'industrie nationale, le 18 avril 1821, trouve le tableau de fleurs « d'une rare perfection ». Grégoire le présente donc à nouveau à l'Exposition de 1823. Il obtient un rappel de médaille d'argent. En 1839, il publie ou réédite plusieurs ouvrages sur les couleurs. Il meurt en 1846, âgé de quatre-vingt-quinze ans. La tradition veut qu'il ait brûlé quelques jours avant de mourir tous les documents relatifs à son procédé de fabrication des velours. Aujourd'hui, le musée des Tissus possède très certainement la plus importante collection de « velours Grégoire » au monde.
Maximilien Durand (fr)
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